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dimanche 3 mars 2024

Quand c'est non, c'est non !!!


 En cette fin du mois de février, le ciel est bas mais la Camargue reste belle, malgré tout, avec cette succession de parallèles colorées qui apaisent. On voit au second plan l'étang de Scamandre et la mince ligne des collines qui ferment la "Petite Camargue", celle qui s'étend de l'autre côté du Petit Rhône.

Mais voici que se rapproche un busard des roseaux, avec sa tête claire si reconnaissable. La suite de l'histoire montrera qu'il s'agit d'une femelle.

Elle virevolte, hésite, puis décide de suivre la rive de l'étang. C'est là qu'on trouve plus facilement sa pitance, gibier d'eau, gibier de terre, grenouilles ou mulots.





Une bizarrerie attire mon attention. On dirait qu'un bout de plastique ou de tissu flotte sur son aile gauche, comme s'il y était collé. Est-elle en difficultés, victime des déchets des humains ?

Après consultation d'un site ornithologique, je suis rassuré. Ce petit bout de plastique lui a été posé sur les deux ailes par un spécialiste du Muséum d'Histoire naturelle, avant même qu'elle ne soit adulte. Avec son code couleur (je verrai un peu plus tard que le papillon de l'aile droite présente, en plus, une tache jaune), on peut facilement l'identifier sans la déranger. Cette procédure est appliquée partout en France, et pas seulement en Camargue, pour suivre la population des busards des marais.

Elle est aussi baguée sur les deux pattes ! Si vous agrandissez l'image, vous verrez une longue bague sur la patte droite.

 Heureusement que, vu l'âge où l'opération a été faite, elle doit considérer que tout ceci est normal. Elle a l'air d'ailleurs parfaitement heureuse avec ses petites pattes jaunes bien rangées sous elle.







Elle est tout simplement contente de chasser tranquillement. Je suis loin et le seul humain à des centaines de mètres à la ronde.

Mais il n'y a pas que les humains qui vous enquiquinent dans la vie des busardes (ça se dit ? ou faut-il accuser encore le machisme de la langue)



Voici qu'approche à vive allure un congénère, un autre busard des roseaux. Veut-il l'expulser de ce coin de  chasse pour prendre sa place ? Ce serait bien la première fois que j'assisterais à une telle scène. Je n'ai jamais vu de bagarre entre busards. Chacun chasse dans son coin, il y a de la place pour tout le monde.




Non, c'est tout autre chose qui intéresse l'intrus. D'abord surprise, ma protégée l'a compris tout de suite. Moi, je mets un certain temps à m'apercevoir que c'est un mâle. Il suffit de les comparer : dans cette espèce, comme dans d'autres espèces d'oiseaux, les mâles sont plus petits que les femelles.

Elle ne pense qu'à une seule chose, se tirer de ce mauvais pas le plus vite et le plus loin possible.



Ce n'est pas l'avis de ce monsieur. Il se maintient au dessus d'elle, suivant ses mouvements d'ascension et de descente, comme pour lui montrer qu'elle ne pourra s'échapper et qu'elle ferait mieux de faire ami-ami.

 Alors, elle plonge au ras des roseaux en accélérant, mais le coquin fait de même. 

Puis elle essaie d'e s'échapper en virant vers la gauche, vers le large, mais il suit le mouvement et la rabat vers la rive et recommence à la "mater" fixement, juste au dessus d'elle, avec la même attitude qu'il adopte pour chasser ses proies.



Et le cirque recommence.





On dirait qu'il calque ses mouvements sur ceux de la belle, comme un vaurien règle son pas sur celui de sa victime, attendant qu'elle cède de fatigue ou de découragement. Car l'agresseur a besoin du consentement de sa victime même si ce n'est qu'un simulacre extorqué par la violence.

Finalement, il se rapproche, serait-ce lui qui fatigue !


Cette fois, c'en est trop, se dit-elle ! Elle le laisse se rapprocher... Il ne va pas être déçu !

Mais je vous laisse admirer sa réaction.





Vous avez vu la manœuvre  ?  Un petit coup d'œil de côté pour vérifier que le goujat était suffisamment près. Ainsi la surprise sera totale, lui qui croyait le moment de la soumission arrivé.
Puis, un brusque retournement et même une attaque frontale. Y en a marre de fuir ! 

Alors, elle plonge vers les roseaux, tandis que lui freine. 

"Je te l'avais bien dit, quand c'est non, c'est non !"

 Je ne la vois plus, je ne la reverrai plus.




A-t-il compris ? D'une certaine manière, oui, puisqu'il renonce à la poursuivre. On pourrait même s'amuser à croire qu'il regrette son comportement en adoptant la position du suppliant qui a honte, le dos courbé, la tête dans la épaules. Mais c'est naturellement une illusion. 


Il va continuer à la "mater" mais de loin car il a vu qu'elle ne plaisantait pas.



Puis, il va faire ce que tout petit mâle qui n'a pas eu ce qu'il voulait, fait : il va rouler des mécaniques, comme s'il venait de remporter une grande victoire.




Mais nous, nous le savons, il a perdu. Il s'envole alors tout seul pour le triste enfer des salopards.


Toute la scène a duré exactement dix minutes.


jeudi 11 mai 2023

Bataille aérienne au-dessus du Charnier

 En ce matin de mai, l'étang du Charnier est bien calme, malgré son nom terrifiant. N'est-on pas "au diable Vauvert", du nom de la bourgade qui le jouxte, c'est à dire loin de tout et donc aussi, loin de la violence du monde ?


Sur ses bords, les tamaris en fleurs réchauffent cet univers aquatique.



Le monde semble apaisé. Joyeux, même, comme pour un nouveau commencement.



Haut dans le ciel, passent, de loin en loin, hérons cendrés et aigrettes garzettes.





Les canards, des nettes rousses, espèce habituellement si braillarde, traversent l'étang sans un cri. Ils sont pourtant quatre à la poursuite d'une pauvre femelle bien solitaire.


Plus près de nous, nous les terriens et les aquatiques, un sterne volète frénétiquement mais sans bruit au dessus de l'eau, à la recherche de quelque proie. Ce matin, comme pour ne pas troubler la paix du jour, il n'attrapera rien. Mais il ne se lasse pas, comme un joggeur matinal qui part courir, car il faut bien faire de l'exercice, même si cela n'est d'aucune utilité pour améliorer sa pitance. Il est d'ailleurs beau comme un athlète, taillé pour la vitesse.



C'est vrai, il faut bien le reconnaitre, il y a quelques malotrus. Ces cygnes si paisibles, si insupportablement lents, la plupart du temps, sont parfois pris de brusques accès de folie. Dans un boucan invraisemblable où se mêlent le battement sourd de leurs ailes gigantesques et le piétinement ridicule de leurs appendices palmés, ils s'élancent avec fracas pour s'arrêter bientôt, épuisés, tout étonnés de leur propre violence. Ici, c'est un cygne qui se livre sans retenue aux joies du ski nautique. Là, cet autre croit malin d'effrayer ses camarades par une conduite aventureuse pour ne pas dire dangereuse, alors qu'il y a de la place pour chacun. Enfin, malheureusement, certains vont même jusqu'à pourchasser leurs congénères, au lieu de se contenter de s'éloigner, eux, s'ils ne les supportent pas.





Ils sont vraiment insupportables. S'ils prenaient conscience de leur ridicule, quand ils se dévergondent ainsi, alors qu'ils sont si beaux quand ils jouent la dignité tranquille, comme hier, en un autre endroit moins tapageur, ils cesseraient à jamais de se produire ainsi au mépris des autres habitants du lieu.



Il ne faut toutefois pas exagérer. Ils sont peu nombreux et leurs enfantillages sont peu fréquents. Mouettes et échasses, qui sont les principaux habitants de cet étang, peuvent vaquer tranquillement à leurs occupations. 

Il y a celles, comme ces échasses, qui se promènent seules ou volent tout aussi solitaires, belles comme le jour, peu soucieuses de se charger des tracas d'une famille.




Mais la grande affaire, cela reste, pour la plupart, les amours  en ce nouveau printemps. Tous n'en sont pas au même point. Certains tentent encore de séduire leur belle. Celui-ci regarde vers elle pour voir quel effet il produit avec son joli tutu qui lui sert de queue. mais la belle ne regarde même pas.


Cet autre couple d'échasses travaillent dur. Ils ne font que commencer à creuser le nid. Madame sait et sent qu'il ne faut pas traîner.


Celle-ci a déjà le sérieux d'une jeune maman que rien ne peut distraire, pas même la peur de me voir si proche. A moins qu'il ne s'agisse du mâle. Chez les échasses, mâle et femelle couvent à tour de rôle.


Chez les mouettes, il en va de même. On a revêtu sa tenue de noce, tête chocolat foncé et bec bien rouge et l'on s'active pour construire d'énormes nids surélevés au contraire des échasses qui couvent au niveau du sol, les œufs bien protégés dans un trou.




J'imagine qu'il leur faut un temps fou pour édifier ces forteresses, à voir le peu de matériaux qu'ils arrivent à apporter à chaque voyage.


Ces 2 espèces cohabitent sagement même si parfois on s'inquiète de voir l'autre s'approcher un peu trop de son nid. A ce jeu-là, ce sont bien les mouettes, comme on l'imagine, qui sont les plus excitées.



Mais tout ceci n'est pas bien méchant. la matinée s'écoule tranquillement jusqu'à ce que les mouettes se mettent à crier à tue tête en s'envolant du petit ilot où se dressent plusieurs de leurs nids. Au début, je ne vois rien, je ne comprends pas ce qui se passe jusqu'à ce que j'aperçoive, juste au dessus de la troupe braillarde, un magnifique busard des roseaux, si friand de ces œufs tout frais.

Il est beau, avec cette tranquille assurance de super prédateur habitué à susciter la terreur, sans jamais connaitre lui-même la peur.





Les mouettes s'agitent au dessus de leurs nids sans jamais s'en éloigner. Le busard a perdu l'avantage de la surprise mais il n'a pas renoncé pour autant à trouver quelque point faible pour attaquer.

C'est sans compter avec les échasses, toutes frêles avec leur longues jambes de danseuses anorexiques, mais dotées d'un redoutable bec, véritable lance pour le combat à distance. A deux, elles foncent vers l'agresseur. Sans attendre le soutien de son compagnon, l'une d'elles se jette en criant sur le busard que l'attaque surprend. On dirait qu'il n'en croit pas ses yeux, tant le rapport de force semble déséquilibré.


Il accélère en prenant de l'altitude mais elle se rapproche, soutenue par l'arrivée de son camarade de chasse.



Elle va le toucher quand il amorce un brusque piqué. Pardon pour mes photos mal cadrées mais ça bouge vite. Grâce à cette manœuvre, il reprend un peu de champ mais elle est toujours là.



Va-t-elle se laisser distancer ? Après tout, le danger s'est éloigné, les nids sont maintenant loin du busard en fuite. Mais pour l'échasse, ce n'est pas suffisant. Il faut le dissuader de revenir avant un moment. Alors elle poursuit son effort, se rapproche, appuyé par son copain qui la suit comme on suit son leader dans une escadrille.


Malheureusement le second n'a pas la pointe de vitesse de son chef d'escadrille qui se retrouve à nouveau seul au contact .


Cette fois-ci, elle va lui piquer l'arrière train, mais le busard plonge brutalement vers le sol et, emporté par son élan, elle le dépasse et freine, tous les volets sortis, cabrée comme un avion de chasse à l'appontage.



 Va-t-elle laisser tomber ? La leçon lui parait elle suffisante ?  C'est mal connaitre cette teigneuse. Elle est loin du busard maintenant, elle met le turbo et s'en rapproche inexorablement. Tout dans son attitude témoigne de sa détermination. Elle se rapproche à nouveau. Elle est maintenant au contact.
.




Finalement, quand elle arrive à sa hauteur, elle rompt le combat. Il a compris qu'il n'arriverait pas à la distancer malgré ses ruses. Mais notre héros ne veut pas inquiéter les siens en s'éloignant trop. Il rentre à petite allure, comme si de rien n'était.


Le calme revient aussi brusquement que ce salopard l'avait troublé. Je sais bien que ce n'est pas un salopard, que tous les systèmes ont besoin de la régulation d'un super prédateur. D'ailleurs, je dit "il", mais c'est peut-être une femelle qui va rentrer le ventre vide jusqu'à son propre nid où l'attendent peut-être ses charmants bambins. Il reste que je suis bien content que l'histoire se termine ainsi. Vous le saurez, désormais, rapaces de tout poil, voleurs d'œufs en tout genre, il y a sur l'étang du Charnier quelques échasses redoutables sous leurs airs de danseuses évaporées. Méfiez vous et passez votre chemin.

Ici, on aime le calme de la vie conjugale paisible. On y retourne aussi sec et tout le reste est oublié.


 


PS. Il y a 5 ans, j'avais écrit tout un article sur les échasses blanches. J'avais été sidéré par la tendresse de ce couple qui "s'enlace et s'embrasse" après l'amour au lieu d'allumer une cigarette ou de se précipiter sous la douche. C'est à voir en fin d'article :

http://www.leschroniquesdemichelb.com/2018/05/les-echasses-blanches.html