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vendredi 10 septembre 2010

Mes ancêtres Dufour étaient protestants (3ème partie)

Bref intermède historique

L’histoire du protestantisme dans le Pays de Gex est faite de violences, comme partout en France, peut-être même est-ce une histoire encore plus violente qu’ailleurs : la Religion Prétendument Réformée (la RPR comme on disait du temps de Louis XIV) y fut totalement extirpée, ses temples détruits. Il suffit de se promener dans les Cévennes ou le Grand sud-ouest pour constater qu’il n’en fut pas de même partout. Mes parents se sont mariés à Logrian, au nord de Nîmes, parce que c’était le chef lieu de la commune du château de Florian qui appartenait à mon grand père. Mais la cérémonie religieuse (catholique !) eut lieu dans l’église de Quissac, tant celle de Logrian était minuscule face au temple qui domine toujours de sa masse la petite mairie à laquelle il est accolé. Cet acharnement en Pays gessois s’explique sans doute par la proximité de Genève, foyer du calvinisme ; les motifs religieux se doublaient de raisons politiques.
Le temple et derrière, la mairie de Logrian

L’histoire a commencé en 1536, l’année même où Genève a adopté le culte protestant, avec l’invasion du Pays de Gex par les Bernois. Pendant la vingtaine d’années qu’ils administrent le pays, il semble qu’ils aient organisé énergiquement le basculement de la population vers la Réforme, entraînant d’abord les élites qui resteront fidèles longtemps à leurs nouvelles convictions.

Puis, la fureur de la guerre se déchaîne pendant toute la 2ème moitié du XVIème siècle, opposant les Bernois alliés de la République de Genève,et les Savoyards, sous l'œil attentif des Français, chacun prenant le dessus sur les autres pour de courtes périodes. Toute cette violence culmine en 1589-1590 avec les exactions des troupes espagnoles incorporées dans l’armée du duc de Savoie, le fanatisme religieux renforçant la haine guerrière, comme on l’a vu récemment en ex-Yougoslavie. Les temples, comme celui de Collonges, sont incendiés, les hommes passés par les armes et les femmes violées.

La situation se stabilise en 1601 lorsque le Pays de Gex échoit définitivement à la France de Henri IV qui vient de promulguer l’Edit de Nantes. On discute alors pour savoir si l’Edit, intervenu avant le rattachement, s’applique. Les protestants n’y sont pas favorables car ils sont majoritaires. Ils vont devoir partager à égalité avec les catholiques, à commencer par les cimetières ! Finalement les catholiques l’emportent et l’Edit s’applique, jusqu’au moment où l’on considèrera qu’il gêne. Cette querelle juridique montre, en ce cas comme en tant d'autres (je pense notamment à tout ceux qui font de la laïcité une arme contre les musulmans ; drôle de tolérance !) que l'on utilise les principes selon ses intérêts : l'Edit de tolérance fut, dans un 1er temps, une arme des catholiques contre les protestants gessois.

Intérieur du Temple de Genève
Pendant 60 ans, c'est-à-dire 2 générations, les relations entre les 2 communautés et entre les protestants et le pouvoir central sont suffisamment apaisées pour  que le culte puisse se dérouler à peu près normalement. Le Pays est quadrillé par 23 paroisses avec leurs temples et leurs pasteurs. Quatre villages, dont Collonges et Versoix, disposent de leur école. Pas étonnant que les Rousset et les Dufour sachent écrire.

Tout change en 1661, lorsque Louis XIV prend effectivement le pouvoir. En 2 ans, toute une série de mesures viennent empêcher l’exercice du culte : les pasteurs sont privés de ressources ; tous les temples sont détruits (à l’exception de celui de Challex, village voisin de Collonges, qui appartient à Genève et dont on se contente de murer les entrées) ; le culte est autorisé dans seulement 2 villages, à Sergy et à Ferney (qu’on écrit alors Fernex), parce qu’il n’y avait pas de temples et que les fidèles se rassemblaient, en privé si l’on peut dire, dans les chapelles des châteaux de leur seigneur.

On retrouve bien là l’humour macabre qu’affectionnent les tortionnaires de tous les temps et j’ai souvent pensé, en lisant les récits de ce temps, à l’attitude des nazis face aux juifs dans les années qui précédèrent la guerre. Par exemple, à Versoix, terre de mes ancêtres Rousset, devant le refus des villageois de fournir des maçons pour démolir le temple, on fait stationner des troupes à leurs frais jusqu’à ce qu’ils le démolissent de leurs propres mains (ce sont les fameuses dragonnades). Ou encore, on leur fait interdiction d’enterrer leurs morts dans les cimetières catholiques mais on édicte des règlements qui les empêchent d’acheter des champs à cette fin. Ils doivent procéder aux enterrements de nuit. Ils ne peuvent se procurer de la viande pendant le Carême et doivent pavoiser le long des processions catholiques. Etc, etc.

La démolition du temple de Gex a été relaté par un observateur de l’époque qui ne manque pas d’humour : l’intendant et l’évêque, suivis des hauts dignitaires ecclésiastiques du diocèse et d’un nombreux cortège de moines et de prêtres, s’avancèrent vers le temple. Le bâtiment fut aussitôt entouré de gardes « tant pour empêcher la confusion que pour rendre l’action célèbre ». Les ouvriers posèrent des échelles à plusieurs endroits et « des ecclésiastiques poussés par le même zèle se joignirent à eux, montèrent aussi à l’échelle…Les charpentiers jetèrent à bas le toit pendant que les trompettes faisaient retentir l’air de leurs fanfares et les catholiques de leurs cris de joie…. Tous renversèrent les murs avec une fureur incroyable, en présence de l’intendant qui les animait par les louanges qu’il leur donnait et par les pièces d’argent qu’il distribuait à ceux, non qui faisaient le mieux, mais qui défaisaient le plus ». La scène serait complètement bouffonne si elle n’avait blessé une bonne partie de la population.

St. François de Sales. Spectacle écœurant pour les Protestants
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Le clergé catholique se déchaîne pour obtenir des conversions, sous l’impulsion de saint François de Sales et de son successeur Jean d’Arenthonn. Ils opèrent depuis Annecy, avec le titre d’évêque de Genève, puisqu’ils ne reconnaissent pas leur éviction de la ville de Calvin. Le 2ème se rend plusieurs fois à Collonges avec son « escadron des enfants de Jésus » (référence à une autre histoire, plus sanglante, il est vrai), 24 prêtres de choc payés par l’aumônier de la Reine. Les Dufour ont dû se désoler souvent de cette présence importune.  Les 4 pasteurs autorisés arpentent la nuit le Pays de Gex pour défaire ce que ces "soldats de Dieu" ont fait pendant le jour. Tous les moyens de pression sont utilisés pour obtenir des abjurations : menace auprès d’un mourant de jeter son corps à la rue, amendes diverses, refus de laisser soigner les malades…On enlève les enfants à leurs parents pour les éduquer dans la foi catholique.

Enfin, l’histoire se termine par une dernière violence légale puisque le culte protestant est interdit en Pays de Gex près d’un an avant la révocation de l’Edit de Nantes, le 18 février 1684 et le temple de Sergy où se rendaient les Dufour est détruit 3 semaines plus tard. Il venait d’être construit, enfin, 6 ans plus tôt grâce à une collecte dans les cantons suisses « évangéliques », comme on disait à l’époque. Jean Aimé Dufour venait d’y être baptisé 5 mois plus tôt, le 10 octobre 1683. Désormais, le protestantisme a disparu du Pays de Gex. Il n'y aura pas d'Église du Désert à Collonges.

Cette histoire tragique se termine par une dernière bouffonnerie : le gouverneur de Gex, M. de Passy qui présida à toutes ces exactions, finit aux galères car il avait monnayé le passage en Suisse de riches protestants, malgré l’interdiction formelle du Roi. Cette fin tragi-comique me rassure, d'ailleurs. Que les convictions religieuses ne résistent pas à l'appât du gain, que la cupidité se révèle plus forte que le fanatisme est réconfortant. Je préfère ces "valeurs" toutes humaines aux débordements fiévreux des intégristes de tout bord.

Car, qu'on ne se méprenne pas, je ne fais pas l'éloge de la "douce" religion réformée contre "l'agressive" catholique. En d'autres lieux et en d'autres temps dans ce même lieu, ce fut l'inverse. Aucun peuple, aucune religion (pas même l'athéisme) n'échappe, par grâce d'état, à la violence. tel qui fut victime peut devenir un bourreau effroyable sans cesser de revendiquer son statut de victime. On en connait des exemples aujourd'hui, pas très loin de nous.

Mais, en cette fin du XVIIème siècle, en ce lieu du Pays de Gex, les victimes étaient bien les protestants et parmi eux, mes ancêtres Dufour.

1 commentaire:

  1. C'est très intéressant de voir tout le travail fourni en amont afin de nous offrir cette belle chronique historique.

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