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dimanche 12 septembre 2010

Mes ancêtres Dufour étaient protestants (fin provisoire)

Pour  gagner son salut, il ne faut pas perdre le nord.

Fort de l'Ecluse
On ne saura jamais dans quelles circonstances les Dufour de Villard se sont convertis au protestantisme. On ne saura jamais non plus comment ils ont passé ce XVIème siècle tumultueux. Peut-être ont-ils été protégés par leur éloignement de la grand route, malgré leur proximité d’avec le Fort de l’Ecluse si souvent l’enjeu de batailles entre catholiques et protestants, c’est à dire entre Savoyards et Bernois,.
J’aimerais bien qu’il en ait été ainsi même si je souris intérieurement  et me moque de moi en formulant ce souhait, car je me rends compte de son absurdité. Je réagis, comme si je pouvais leur épargner ces épreuves alors que tout ceci s’est déroulé il y a si longtemps. Qu’ils aient été heureux ou malheureux, persécutés ou épargnés, cela n’a plus la moindre importance. Je le sais mais ne puis m’empêcher de revivre tout ceci au présent, alors que je tape ce texte sur mon ordinateur, un instrument bien étrange pour eux.

Leur histoire ne commence qu’à partir de 1661, lorsqu’ils sont obligés, par la destruction de leur temple de Collonges, de chercher à Sergy le réconfort religieux dont ils étaient subitement privés.
Ils ont dû, sans doute, essayer de trouver plus près, en Suisse, ce soutien. La Suisse est toute proche de Villard. Il suffit d’aller à Pougny, autre petit village dont le temple, sans doute très modeste, a été également détruit, et de traverser le pont qui enjambe le Rhône pour se retrouver à Chancy, en terre helvétique. J’ai retrouvé trace de la demande qui avait été faite le 6 juin 1663 auprès du Conseil de Genève par les habitants de Collonges désireux de transporter leurs bancs jusqu’à Chancy pour suivre les offices de ce temple épargné car de l’autre côté de la frontière. Le pasteur de Chancy, M. Desprez avait informé la Compagnie des pasteurs de Genève que « les fidèles de le Religion Réformée de Collonges à qui on a détruit le temple ont résolu de faire conduire les bancs dans celui de Chancy pour s’en servir lorsqu’ils y vont pour le prêche ». Il prie la Compagnie « de lui dire comme il se conduira ». La Compagnie enjoint au pasteur de faire « savoir auxdits paroissiens de Collonges de ne faire transporter les dits bancs pour le danger des conséquences qui s’en pourraient tirer. ». Genève ne pouvait être favorable à cette migration qui risquait de faire peser sur la République le soupçon de s’opposer aux volontés du royal souverain de la France. Et la petite république ne pouvait se payer le luxe de s’opposer ouvertement à son puissant voisin.

Les Dufour ont bien dû se rendre à Chancy pour assister à des offices dominicaux, mais ils se sont rendus aussi à Sergy dont ils dépendaient désormais. Après la décision du roi de n’autoriser le culte que dans 2 localités, suite à la destruction de tous leurs temples en 1662, les protestants avaient réorganisé leur dispositif : A Sergy, les communautés du sud du Pays, dont Collonges et Villard, à Fernex (notre Ferney-Voltaire), les communautés du nord, dont Versoix qui deviendrait important, par la suite, pour la famille Dufour.

Les registres protestants de Sergy ont été conservés depuis 1666. Ce ne sont pas des documents secrets, établis par quelque « église du désert » mais au contraire des documents d’état civil, tout à fait officiels, distribués et cotés par l’autorité politique. Conformément à l’Edit de Nantes, les pasteurs sont, au même titre que les curés catholiques, des auxiliaires de l’état civil du royaume. Ce qui est curieux, c’est que ces registres protestants sont bien antérieurs aux registres catholiques qui datent, pour Collonges, de seulement 1693, soit une génération après. C’est le pasteur Clerc qui officie, tandis que Samuel Rouph est le pasteur de Fernex, deux noms que l’on retrouvera au siècle suivant, portés par des curés, notamment Rouph qui sera archiprêtre et curé de Pougny : Les familles capables de former des pasteurs ou des curés n’étaient pas légion. Sinon les pasteurs eux-mêmes (et encore, c’est à vérifier) leurs familles produisirent les curés de la nouvelle confession.

Tous les Dufour qui apparaissent sur ces registres ne sont pas mes ancêtres ; certains sont natifs de Saint Jean de Gonville, un village à mi-chemin entre Villard et Sergy, le village de naissance de mon ancêtre Huguenine de Choudens, dont je reparlerai. Ces Dufour ne sont pas apparentés, autant qu’on puisse le savoir, avec ceux de Villard.

« Mes » Dufour, eux, sont mentionnés dès 1667, avec le baptême d’un Pierre Dufour en 1667. Il est le fils de Jacques, frère ainé de mon ancêtre Aimé, et de Louise Penay, sans doute une fille de Pougny, ce village que l’on traversait alors, soit pour aller en Suisse, par exemple pour se rendre à l’office du temple suisse de Chancy, soit pour aller vers le nord jusqu’à Genève. Il faudra attendre 1750 pour qu’une nouvelle route, la route royale, soit ouverte au pied du Jura, sur le tracé qu’emprunte aujourd’hui la départementale et qui traverse tous les petits villages de Farges, Péron, Saint Jean de Gonville, etc.

Discussion entre le pape, un jésuite et un pasteur, en présence de l'Empereur, des Rois de France et d'Espagne, des électeurs et d'autres princes

Jacques Dufour prend donc la route vers Sergy après la naissance de son fils Pierre né le 30 octobre 1667 Le baptême, protestant, aura lieu 6 jours après la naissance,  le 6 novembre. Cet écart entre naissance et baptême est tout à fait inhabituel à l’époque où l’on baptise les enfants le jour même voire le lendemain tant on a peur qu’en cas de décès, les nouveaux-nés restent éternellement coincés dans les Limbes faute de baptême et ne puissent entrer au Paradis, malgré leur évidente innocence de tout « péché ».

Désormais, il n’y a plus d’autre choix que d’aller à Sergy qui n’est pas la porte à côté, près de 30km. Il faut sans doute faire étape avec un nouveau-né dans les bras. En novembre il pleut, le chemin est boueux, presque impraticable et le froid commence à s’installer, en ce « petit âge glaciaire «  que traverse l’Europe.

C’est peut-être à l’occasion de ce voyage que les Dufour font la connaissance des de Choudens, d’une famille protestante de petite noblesse qui tirent son nom du hameau voisin de Saint Jean de Gonville, appelé  Choudans. Il faut bien coucher quelque part sur cette longue route que l’on doit emprunter avec le nourrisson, sa mère pour l’alimenter et au moins le parrain, un autre Pierre, en l’occurrence, sans doute l’oncle de l’enfant (les registres protestants ne mentionnent jamais de marraine ; n’en concluez pas que la RPR (religion prétendument réformée) est machiste : les registres mentionnent souvent l’épouse avant l’époux, lors des mariages). C’est toute une expédition qui demande une logistique minimale pour assurer la survie du bébé.

On imagine aisément que la communauté protestante, déjà inquiète pour sa pérennité, se préoccupe de ces voyages à haut risque, et prévoit les relais, les familles d’accueil. Les Dufour de Villard sont les plus éloignés de Sergy, à l’autre bout du Pays de Gex. L’environnement ne leur est sans doute pas très favorable car, à l’époque, les protestants ne sont plus en nombre qu’au nord du Pays, à proximité de Genève. Ce n’est pas un hasard, si les 2 lieux de culte sont tout proches, au lieu d’être mieux répartis entre le nord et le sud. Tout est fait par le pouvoir royal pour rendre la pratique du culte difficile et permettre la lente remontée des catholiques vers le nord. J’ai calculé que sur les 880 personnes qui se sont mariées selon les registres protestants de Sergy, seulement 10% étaient originaires de Collonges dont le poids démographique est sûrement proche du tiers de la population relevant de Sergy.
Une aide est donc nécessaire pour entreprendre ce voyage essentiel pour la survie de la religion et si périlleux avec un bébé en plein mois de novembre.

Ce qui renforce l’hypothèse que les de Choudens joue un rôle dans cette expédition, c’est qu’ils sont très impliqués dans la défense de leur communauté. Jacques, sans doute le père des 2 filles de Choudens qu’épouseront les 2 frères Dufour, et son frère Marc, sont des membres importants de la communauté protestante. Ils sont Directeurs des églises et font partie du consistoire qui dirige l’église de Saint Jean de Gonville. Pierre de Choudens, peut-être un frère d’Etiennette et d’Huguenine,  sera avec les 2 pasteurs et 3 avocats, membre du Comité secret qui sera constitué après la Révocation de l’Edit de Nantes. Puis il émigrera (comme les 2 autres, qui s’arrêteront en Pays de Vaud), jusqu’en Brandebourg et il sera chargé, par le roi de Prusse, de convaincre les réfugiés protestants qui s’entassent à Genève de rejoindre la Prusse pour participer à son développement puisque Louis XIV n’en veut plus.

Que la rencontre entre les Dufour et les de Choudens ait eu lieu à l’occasion de ce premier voyage d’un Dufour de Villard n’est qu’une hypothèse même si elle est vraisemblable, mais ce qui n’est pas une hypothèse, ce qui est certain, c’est qu’elle a eu lieu vers cette époque puisque 2 frères Dufour épouseront bien 2 sœurs de Choudens.

C’est d’abord Thivent (un prénom assez répandu en cette fin du XVIIème et qui disparaîtra complètement au XVIIIème) qui épouse une jeune veuve, Etiennette de Choudens, le 2 février 1676. La cérémonie a lieu dans la petite chapelle du château des de Livron, les seigneurs de Saint Jean de Gonville. Puis ce couple disparaît. Contrairement à ses 2 frères qui font baptiser leurs enfants à Sergy aussi longtemps qu’ils le peuvent, Thivent et Etiennette ne réapparaissent jamais dans les registres de Sergy. Que sont-ils devenus ? Je ne le sais pas pour l’instant. Emigration, décès, bien des raisons peuvent expliquer cette disparition.

Lorsque son frère, Aimé, « mon » Aimé, se marie avec Huguenine de Choudens en 1679, c’est dans le nouveau temple qui vient enfin d’être érigé grâce aux collectes réalisés dans les cantons suisses protestants. La petite communauté a sans doute alors le sentiment que l’horizon s’éclaircit puisqu’ils disposent à nouveau d’un vrai temple ; nous savons, nous, que cette embellie passagère prépare la catastrophe et  que 5 ans plus tard, tout leur univers spirituel s’écroulera.

Aimé fait baptiser ensuite ses 4 premiers enfants à Sergy, au terme du même voyage qu’il entreprend toujours à peu près dans les mêmes délais : Etiennette en 1680 qui épousera un Mollard, un bourgeois de Collonges (une famille de protestants, également) ; Jacqueline en 1681, qui se mariera à 13 ou 14 ans avec Jean Vuaillet de Saint Jean de Gonville, le fils de Pierre Vuaillet qui participa activement à la contruction du temple de Sergy ; Louis, en 1682 qui épousera une Bouvier du hameau d’Ecorans, autre famille et autre lieu de la mouvance protestante ; enfin Jean Aimé (dont le prénom est souvent raccourci en Aimé), mon ancêtre, le 4 octobre 1683 (baptême le 10 du même mois).

Aimé ne sera pas le dernier Dufour baptisé selon le rite protestant. Le dernier, ou plutôt la dernière, c’est Jeanne Louise sa cousine germaine, la fille de Jacques. Baptisée en octobre 1684, elle est une des dernières avant la démolition du temple en mars 1685.

Vauban
Pourtant, tout ne se termine pas en 1684, sous prétexte que Louis XIV en a décidé ainsi. Certes, il n’y a pas eu d’église du désert en Pays de Gex ; cela aurait été de toute façon difficile vu l’exigüité du pays coincé entre Jura et Suisse ; si l’on ne voulait pas abjurer sa foi, il était plus simple d’émigrer à quelques kilomètres de là. D’après les historiens, environ 1/3 des familles protestantes choisirent l’émigration, tous ceux notamment, artisans, commerçants, ou bourgeois qui ne tiraient pas leur subsistance d’un bien foncier que l’on ne peut emmener avec soi. C’est la raison pour laquelle l’émigration de 200 ou 300 000 huguenots fut aussi dramatique pour la France comme Vauban le faisait remarquer au Roi 2 ans après la Révocation : c’était l’élite de la nation.  Quant à  ceux qui restaient, il est évident qu’ils ne se résolurent à devenir catholiques que sous la contrainte et après avoir essayé  d’y échapper le plus longtemps possible..

L’église catholique tenait les grands moments de la vie : le baptème, le mariage (sans lequel les enfants ne pouvaient hériter car bâtards) et la cérémonie mortuaire sans lequel il ne pouvait y avoir d’enterrement dans le cimetière paroisial. Difficile mais pas impossible pendant un certain temps d’échapper à ce contrôle social et religieux.

Les Dufour ne sont pas entrés en résistance ouverte. Ils ont abjuré sans doute (mais je n’en ai pas trouvé trace, ce qui n’est pas étonnant car les registres n’existent pas avant 1693), ils ont à tout le moins fait baptiser leurs enfants à l’église, les unions de leurs enfants ont été bénis par le curé.

Toutefois, 2 faits curieux me semblent montrer qu’ils ont appartenu à cette catégorie de convertis dont l’église et même le pouvoir royal se méfiaient beaucoup, ceux qui, comme les marranes, ne s’étaient convertis que de façade et n’en continuaient pas moins à pratiquer en secret leur culte.

Premier fait troublant : aucun des Dufour de Villard de la génération des années 1650, les Jacques, Pernette, Thivent ou Aimé n’ont de décès enregistrés où que ce soit. Cette lacune ne suffit pas à prouver que leur décès n’ait pas été déclaré à l’église. Les 3 premiers ont pu disparaître avant 1693. Mais Aimé était vivant encore en 1705. Son décès est intervenu entre 1705 et 1724. Bizarre donc, même si l’on sait que les registres ont été mal tenus après la mort de Louis XIV en 1715, et pendant toute la Régence qui s’achève en 1723.

Mais il y a plus troublant. Après le rythme effréné de ses 4 premiers accouchements en 5 ans, Huguenine semble faire une pause. Tout au moins, aucun enfant n’est mentionné nulle part dans la région jusqu’à celle d’un Pierre, le 22 avril 1688, non pas à Collonges, mais à Saint Jean de Gonville, dans le village de sa mère. Le petit bonhomme décèdera d’ailleurs le lendemain. Naissance, baptême et décès sont dûment enregistrés par le curé de Saint Jean.

Cette présence, au moins d’Huguenine, à Saint Jean  est totalement incompréhensible dans le contexte de l’époque. Aimé, Huguenine et leurs enfants résident sûrement sur leurs terres de Villard ; sinon, comment vivraient-ils ? Par ailleurs, on accouche chez soi, pas chez ses parents quand on a un mari et une maison. Pourquoi donc était-il là-bas ? Une hypothèse, c’est qu’elle bénéficiait ainsi d’un environnement protestant, disparu de Collonges. Ensuite, je n’ai plus trouvé de naissances jusqu’à son décès en 1705, à parait-il 60 ans, mais on sait qu’il faut se méfier de ces âges annoncés dans l’acte de décès.

Tout ceci, direz-vous, ne repose que sur des hypothèses bien fragiles, des reconstructions plutôt bancales. Revenons donc aux faits et les faits nous poussent aux mêmes conclusions.

Jean Aimé épouse à une date que je ne connais pas encore, entre 1705 et 1708, Jeanne Rousset, de Versoix, alors encore en France. Il n’y a aucun et aucune Rousset à Collonges ni dans les communes environnantes, ni à ce moment, ni plus tard. C’est donc Aimé qui est allé chercher sa Jeanne tout au nord de son petit pays. Pourquoi diable ? En ce tout début de XVIIIème, je n’ai trouvé aucun autre exemple d’un mariage aussi éloigné. Je ne vois qu’une explication : les Rousset sont des protestants, ils ne font pas partie de ceux qui se sont précipités, pour de l’argent ou par simple opportunisme, dans les bras de l’église catholique apostolique et romaine, Rousset et Dufour se sont rencontrés dans le nord, autour de Sergy et Fernex, lorsque ces lieux ont été détruits, dans quelque famille amie, dans quelque maison de prière protestante clandestine. Lorsque j’aurai consulté les registres de Versoix j’en saurai peut-être plus.

Intérieur de l'église de Vulbens
Un dernier fait encore. L’ainé d’Aimé Dufour et de Jeanne Rousset, Etienne, mon ancêtre, né en 1709 à Villard et baptisé selon le rite catholique en l’église Saint Théodule de Collonges, épouse une Marie qui porte un nom totalement inconnu dans tout le Pays de Gex à cette époque, Curtet. J’en ignore encore la date précise, je la connaitrais lorsque j’aurais trouvé la commune de naissance de Marie (en Savoie, sans doute à Vulbens, Chevrier ou Valleiry), entre 1730 et 1734 (son 1er fils nait en 1735). Ses frères et sœurs plus jeunes se marieront classiquement avec des filles de Collonges ou Pougny. Mais ces mariages interviennent 15 ans plus tard pour le premier d’entre eux. La situation ne doit plus être la même.

Tout se passe comme si cette famille Dufour de Villard n’avait pas complètement réintégré la communauté villageoise avant les années 1745. Est-ce que cela a un lien avec leur passé de protestant tout comme ce déclassement qui m’apparaît vers la même époque ? Jusque là, les Dufour trouvaient leurs épouses dans les meilleures familles de la région. Ensuite leurs épouses viennent de familles de paysans sans aucune visibilité sociale. Aimé Dufour, le patriarche né vers 1650, était qualifié d’ « Honnête », ce qui le distinguait de la masse. Désormais les Dufour seront dans la masse, au moins jusqu’à la fin du XVIIIème.

C’est incontestable, un événement a perturbé leur trajectoire. N’est-ce pas la destruction du protestantisme gessois qui serait responsable de ce que j’analyse comme une mise au ban de la société dans laquelle ils continuaient pourtant à vivre et travailler ?

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