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mercredi 27 octobre 2010

A pas de loup

Ce 20 octobre 2010, il fait un temps magnifique. Direction : un haut lieu du tourisme dans le Mercantour, le vallon du Salso Moreno au pied du col de la Bonnette, pas très loin de mon dernier bivouac, un mois plus tôt. J'avais vu des chamois se diriger dans cette direction et j'espérais les retrouver dans cette vallée perchée. Cet espoir sera déçu mais je ferais d'autres rencontres.

Je quitte la vallée de la Tinée où c'est encore l'automne.


Le hameau du Pra, où débouche le torrent qui porte le même nom que le vallon, le Salso Moreno, et d'où j'étais parti pour mon bivouac aux lacs de Vens, est désormais abandonné jusqu'au printemps prochain.

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A le voir maintenant, on peine à imaginer qu'il ait pu compter jusqu'à 160 âmes dans les années 1820.

Les montagnes commencent à se couvrir de neige. On reconnait la Cime de Tortisse qui domine les lacs de Vens.


La couche n'est pas bien épaisse. Suffisante pour que je regrette d'avoir oublié mes guêtres quand il faudra traverser quelques congères où je m'enfonce parfois jusqu'à mi-cuisse. Suffisante aussi  pour voir, en commençant ma descente depuis le col des Fourches qu'aucun être humain n'est passé par là depuis plusieurs jours. Cela change de la belle saison, si j'en crois les très nombreux récits de ballade que l'on trouve sur Internet agrémentés de dizaines de photos identiques à celle-ci. Mon excuse pour ce récit : ce petit voile de neige qui accuse le relief.


Le Salso Moreno vu du col des Fourches. 
Au fond, à gauche, la petite échancrure du col de Pouriac, mon objectif.

La ballade commence par une descente de 200m jusqu'au vallon qui s'étage entre 2000 et 2500m. Je viens de quitter les ruines du camp des Fourches, bâti au début du siècle dernier.


Heureusement le soleil fait oublier la désolation du lieu. De l'autre côté du col des Fourches, le spectacle est tout autre et la descente est bien plaisante malgré la neige glissante.



La Pas de la Cavale (2650m), le Rocher des 3 Évêques (2868m) et la Tête de l'Enchestraye qui plafonne juste au dessous de 3000m à 2954m).






Aujourd'hui, le vallon s'étale devant moi complètement désert mais je rêve, tout en descendant, à toutes ces présences évanouies qui l'ont occupé un moment. Je ne pense pas, bien sûr, aux hordes de touristes qui troublent le silence de leurs voix trop fortes et du cliquetis insupportable de leurs bâtons de marche.

Je songe plutôt aux immenses troupeaux qui ont transformé depuis longtemps la forêt en pâturages à l'herbe rase. En témoigne, cette magnifique grange qui, sans doute, ne "passera pas l'hiver".


Elle est déjà bien mal en point, rafistolée sommairement, mais elle vas basculer dans le torrent qui ronge sa berge.


En témoigne aussi les murets de pierre sèche qui séparaient les troupeaux.


Je songe aussi à la fureur de la guerre qui s'est donnée libre cours, parfois, dans ce lieu paisible car c'est une des voies d'invasion possible vers ou à partir de l'Italie.

Malgré toutes mes recherches, je n'ai pas réussi à trouver trace du passage de ces fameux Gallispans qui sillonnèrent toute la région vers le milieu du XVIIIème siècle, lors de la Guerre de succession d'Autriche. Au col des Fourches, plusieurs panneaux donnent des détails sur le Salso Moreno, sa faune, sa diversité géologique et aussi sur ce nom espagnol bien curieux dans cette région frontalière de l'Italie. En scrutant la carte IGN, je n'ai pas trouvé d'autres exemples de toponymie espagnole. Salso Moreno, "la sauce brune" s'expliquerait par la couleur des eaux du torrent qui charrie, lors de ses crues qu'on imagine assez dantesques, la boue de schistes qu'il arrache aux "Roubines nègres".

Les Roubines négres prises depuis le lit du torrent, pratiquement à sec en ce jour.

Cette explication, reprise à satiété, pratiquement dans les mêmes termes, par des dizaines d'internautes me laissent pantois. Comment, une armée aurait-elle pu avoir l'idée bizarre de séjourner dans ce lieu inhospitalier ?  Par quelle bizarrerie les paysans de la région auraient-ils débaptisé ce lieu pour lui donner un nom espagnol, alors que les Gallispans ne sont restés, au mieux que 6 ans entre 1742 et 1748 ? Mystère. 

Il est vrai que la coalition franco-espagnole (les soldats de Gaulle et d'Espagne, d'où leur surnom de Gallispans) a ravagé la région en essayant de pénétrer en Italie. Ses soldats ont réussi  effectivement à culbuter  les troupes austro-savoyardes,  mais ont dû revenir sur leurs pas en repartant par le même chemin.

Une première tentative eut lieu à l'automne 1743 : "L'an 1743, au mois d'octobre, dom Philip, fils du roy d'Espagne, avec son armée étant de cinquante mille hommes, ont commencé à passer au présent lieu de Molines |Molines en Queyras]". Récit des Transitons de Molines cité par Jean Gallian dans son histoire de la vallée italienne de Varaita.  Ces récits ont été écrits au jour le jour par les habitants de Molines.

On imagine ce que devait représenter la nourriture et le chauffage de tant de soldats pour des communautés villageoises qui avaient déjà de la peine à survivre sans cela : " nous avons été obligés et même forcez à fournir quantité de foin et de paille et outre le bois qu'ils ont coupé dans la commune, étant au nombre de cinquante mille pieds d'arbres, il nous a fallu fournir quantité de bois, tant pour la cuite du pain de munitions que pour le corps de garde."  C'est le curé de Pontechianale, don Bernard  Tholosan, qui tient la chronique de ces invasions successives (cité par Jean Gallian).

 Dom Philippe, l'infant d'Espagne, est à la tête des 2 armées, l'espagnole et la française mais le commandement effectif est délégué à 2 généraux : " Le général espagnol Las Minas dispose de 14 bataillons espagnols auxquels se joignent, sous les ordres du prince de Conti, 12 bataillons français venus par Guillestre et Ceillac. Il dispose en outre de 20 canons ".

Cette armée  se divise en 2 colonnes pour accélérer le passage d'une telle masse d'hommes et d'équipements. Une colonne passe par le col d'Agnel, l'autre par le col de Saint Véran (qu'aucune route ne franchit, pas même aujourd'hui:) : "L’avant-garde espagnole apparut sur le col Agnel. C’était un corps de fusiliers de montagne que l’on appelait "Mignones" ou "Miquelets", une infanterie légère, habilitée à des mouvements rapides en zone alpine, seulement équipée de cordes et de pistolets enfoncés sous la ceinture. 
 
Ensuite, les 14 bataillons espagnols, soit 14.000 hommes, commencèrent, le trois octobre, à s'emparer du col de l'Agnel à 2.748 m d’altitude. La passe du Crapon ayant été minée, l'artillerie passa par le vieux col Agnel. Les 12 bataillons français, soit 16.000 hommes, sous le commandement du général comte de Marcieux, franchirent le col de Saint Véran (2.848 m)". Jean Gallian.

"Voilà que toute l'armée se mit en marche et les miquelets qui le soir d'auparavant s'étaient repliés au bout du col de l'Agnel descendirent les premiers suivis de toute l'armée espagnole ; pour les Français, ils descendirent par le col de Saint Véran. C'était un coup d'œil admirable que cette descente, les différentes colonnes formaient comme autant de torrents qui descendent avec impétuosité du haut des montagnes, avec cette différence seulement que ces troupes marchant avec gravité récréaient la vue par la variation des couleurs dont leurs régiments étaient habillés. Cette descente dura tout le jour, même jusqu'à bien avant dans la nuit, le tout entra cependant avec ordre, et personne ne vint dans nos maisons qu'après que tout fût campé. ..Heureusement pour nous, tous les officiers généraux occupèrent nos maisons, et par leurs logements, ils les garantirent de toute insulte, à l'exception de celles qui n'eurent point d'officiers qui furent en quelque façon détruites. Pour l'Infant Don Philippe ,il logea à la mission, les autres furent logés par billet que je fis moi même avec le fourrier général de l'armée." don Tholosan.

Pistolets à miquelet


Après quelques succès, les Gallispans reçoivent l'ordre de se retirer car l'état-major craignait que les cols ne deviennent impraticables. Et c'est la retraite après une semaine d'opérations.

"A deux heures après minuit, l'armée commença à se retirer, et le Prince [dom Philippe] partit aussi à la faveur de la clarté des flambeaux et lanternes car la nuit était des plus obscures à cause d'un brouillard répandu et le jour étant arrivé il neigeait à grande force, et faisait un froid insupportable ; cette retraite se fit pendant le jour avec beaucoup de gravité et sans précipitation, mais l'artillerie étant embourbée au milieu de la montagne interrompit extrêmement la marche, et fût cause que l'arrière garde dormit au milieu du col de l'Agnel, de sorte que depuis les granges du Rio jusqu'à Molines tout était rempli de monde, d'équipages, et munitions, et de l'autre côté depuis la grange de pagé jusqu'à Saint Véran c'était la même chose. On n'a jamais vu une armée dans une si grande misère. Le froid étant excessif, il gela une grande quantité de monde : et fût cause d'une grande désertion ; on voyait venir les compagnies entières, on ne peut point s'imaginer la perte qu'ils firent, soit en équipages, en tentes, en munitions de guerre, car leurs poudres, leurs boulets, leurs outils, tout y resta : ils perdirent jusque leur chapelles, et plus de six cent mulets ou chevaux  ". 

Ce fut donc un échec complet avec des pertes importantes : 1000 soldats tués ou déserteurs. Le désastre était encore plus grand pour les paysans de la vallée italienne qui n'avaient plus de fourrage et durent abattre leurs troupeaux. Là où il y avait 400 vaches il n'en restait que quelques dizaines. Mais le pire restait à venir.

Chianale.Photo tirée du site de Jean Gallian

L'année suivante, en effet, les Gallispans repartirent à l'attaque mais en juillet, cette-fois-ci, instruits qu'ils étaient de la violence et de la précocité de l'hiver dans ces montagnes. Cette année, il y eut des opérations plus au sud. Le prince de Conti descendit en Italie par le col de Larche (2773 m) à moins de 10 km du col de Pouriac, au sommet du Salso Moreno. Peut-être les Gallispans passèrent-ils en partie par le Salso Moreno pour déboucher près d'Argentera au même point que les troupes qui avaient franchi le col de Larche.

Cette campagne fut victorieuse mais très sanglante, 3500 hommes hors de combat du côté des Gallispans et de nombreux officiers supérieurs tués : le Lieutenant Général Bailli de Givry, grièvement blessé, fut rapatrié par le col jusqu'à Lyon où il mourut.  Jacques François Marie de Thibault, Marquis de La Carte, le colonel Charles Claude Andrault de Maulevrier furent tués ; le colonel Emmanuel Armand de Vignerod du Plessis-Richelieu, fut très grièvement blessé, le colonel Joseph Henry d'Esperbes de Lussan, fut également blessé. "Qui croira que Mont Caval ait servit de cimetière à des marquis, à des comtes et des barons, enfin à un grand nombre de la plus belle noblesse de France, et de Piémont ; cette montagne portait le nom de Bataiole et on ignorait ce qui lui avait donné ce nom ; mais à présent c'est avec juste titre qu'elle le porte, et ces endroits qu'on ignoraient dans les pays étrangers y seront connus comme des endroits fort considérables, et auront place dans les histoires qu'on écrira de ces guerres" dom Tholosan. Qui a dit que les guerres du XVIIIème étaient des guerres en dentelle ?

Du côté piémontais les pertes furent aussi très importantes, y compris parmi les chefs. Mais ce qui impressionna le plus, don Bernard Tholosan, le curé de Pontechianale, ce fut l'audace de ces soldats qui empruntèrent des chemins souvent extrêmement périlleux : "la postérité regardera comme un conte fait à plaisir, le pont de Pierre Longue, et le chemin du Vallonet du côté de Pont, où à peine les brebis y pouvaient aller pâturer, et les bergers ne passaient qu'avec crainte ; cependant on y fit passer une division d'armée, avec des chevaux et de mulets, on jugeait dans nôtre armée ce passage impraticable, et on se tenait assurés de ce côté là, mais l'industrie de l'homme vient à bout de tout ; et nous pouvons dire qu'encore que nos montagnes soient des plus rudes et des plus escarpées, ayant passé là ils pouvaient passer partout ".

 Pontechianale

Malgré tous ces efforts, cette campagne fut inutile comme furent inutiles, pour les Piémontais les travaux de fortification réalisés en hâte depuis l'offensive gallispane de l'année précédente : "à quoi aboutit, cependant tant de fatigues et tant de sang répandu, que servit aux Français d'avoir gagné un semblable poste, et aux nôtres de le défendre avec tant d'opiniâtreté, un peu de fumée de gloire d'avoir vaincu pour les uns, et un peu d'honneur pour les autres de savoir se défendre. Mais : il ne fallait point faire tant de travaux, si on ne voulait mieux les défendre, si les nôtres eussent tenu ferme à la Levée peut être les auraient ils conservées, car la division des Français n'était pas assez forte pour pousser plus loin leur victoire ; mais disons mieux nos troupes ne sont pas bonnes pour la montagne, la plaine leur est plus propre pour combattre, aussi je crois qu'ils ne tourneront pas attendre l'ennemi dans ces gorges-ci, attendu qu'ils ont toujours le dessous". don Tholosan. Pas très gentils pour les Piémontais. Mais le curé ne se cache pas d'être francophile. D'ailleurs tous les noms propres de cette vallée ont, à cette époque, comme en Val d'Aoste, une consonance française (Peyrache, Roux, Levet, Gallian, Marc, Richard ou Brun ). 


L'opération se termine par une scène assez comique : les Piémontais se sont retirés plus bas dans la vallée, les Gallispans sont repartis de l'autre côté de la ligne de crêtes. Don Tholosan peut écrire :"Nous passâmes huit jours en liberté, il ne paraissait ni Français, ni Piémontais ici". Mais un détachement piémontais repasse pour aller franchir les cols, piquer 50 sacs de farine entreposés dans l'église de Molines, puis repartir le coup de main réussi.

Ensuite ce sont 500 Vaudois (alliés du Piémont) qui séjournent 4 jours avant de rejoindre le gros des troupes.

Est-ce terminé ? Non, pas tout à fait : "nous fûmes encore libres pour tout le reste de ce mois, et nous pensions que nôtre tranquillité dût être de plus longue durée, lorsqu'on nous donna avis que Don Juan de Villabe brigadier des armées du Roi d'Espagne, avec quatre mille hommes montait par Molines pour se rendre dans cette vallée ; cette alerte nous replongea dans nos anciens troubles ; il fallut cacher ce que nous avions de plus précieux, et écarter nos bestiaux."

Vous me direz qu'il n'y a rien de comique dans ces allées et venues de la soldatesque. J'y viens, ou plutôt, don Tholosan le raconte : "C'était le huit du mois d'octobre lorsqu'ils parurent sur le Crapon, mais la pluie qui fût abondante dans cet automne là, et qui sur la montagne se convertissait en neige, les fit retourner à Molines ; ils se souvenaient encore de l'année passée . Crainte d'en faire l'anniversaire ,ils ne s'avancèrent pas d'avantage, ils nous envoyèrent un exprès avec une lettre par laquelle il nous demandait une contribution de dix mille livres, à peine d'être saccagés, et brûlés ; pour détourner ces maux de dessus nos têtes nous leur envoyâmes des otages, et ensuite huit vaches avec de l'argent pour payer la dite contribution qui fût réglée à deux mille livres de Piémont compris les vaches ; après quoi les Espagnols s'en retournèrent dans la Savoie.". 

J'imagine que ces Gallispans auraient été bien ennuyés de devoir franchir un col sous la neige à plus de 2850m d'altitude. Mais don Tholosan préféra ne pas prendre de risque. Il en fut d'ailleurs blâmé mais il connaissait les gaillards et savaient qu'ils auraient été sans pitié dans l'hypothèse où ils se seraient résolus à descendre dans la vallée. 

J'arrête là ma chronique militaire au temps des Gallispans. Ma recherche ne m'a pas appris les raisons de ce curieux vocable de Salso Moreno. Peut-être le vallon fut-il occupé un certain temps pas des déserteurs ? Mon hypothèse ne vaut guère mieux que celle de cet internaute qui voit l'origine de cette expression dans la proximité de Briançon, ville dont on sait qu'elle exporta nombre de ses enfants en Amérique du sud. Je ne vois toutefois pas le lien explicatif, les émigrants ne sont pas revenus dans ce petit coin de montagne après avoir appris l'espagnol !

En revanche, un autre fait militaire dans le vallon est attesté : l'invasion du Salso Moreno et l'attaque du Col des Fourches par les troupes mussoliniennes en juin 1940, lors de la "courageuse" déclaration de guerre de Mussolini à la France vaincue. Partout, sauf à Menton, ce fut un échec. A Salso Moreno également. Les Alpini infiltrés par le col de Pouriac sont repoussés le 21 juin par les chasseurs alpins de la section d'éclaireurs skieurs (SES) du 73ème bataillon alpin de forteresse (73ème BAF).



Ils reprennent l'offensive le 23 juin à l'aube avec un appui d'artillerie. Profitant du brouillard, ils parviennent jusqu'au pied du Col des Fourches mais sont finalement rejetés hors du Vallon par le tir croisé des FM des SES et de l'artillerie des blockhaus du col. Seize Alpini se rendent dans le lit du Salso Moreno.



Peintures murales du camp des Fourches (ici Joséphine Baker ).

Riquet Dufour, le frère de ma mère, n'est pas loin, un peu plus au sud, à la hauteur de Péone. Il est sous-lieutenant de la SES du 74ème BAF. Voici près d'un an qu'il s'entraîne avec acharnement car c'est un skieur intrépide et un marcheur infatigable. Mais l'offensive italienne a lieu fin juin. Les skis sont bien inutiles. Je ne sais pas s'il eut à combattre et s'il participa à l'arrêt de la colonne italienne qui se dirigeait vers Péone mais ne put franchir la Tinée. Sans doute. Il est mort à 39 ans de la tuberculose, en 1956 et je ne songeais pas à l'époque à l'interroger sur une guerre dont j'ignorais jusqu'à l'existence.

Le sous-lieutenant Henri Dufour en février 1940.

Il faudra qu'un jour je cherche à Vincennes ce qui s'est passé. J'y pense pendant que je chemine, absolument seul, vers le bas du Salso Moreno.


Seul, pas tout à fait. Un renard paressait au soleil sur le chemin devant un de ses terriers. J'avance contre le vent et il me repère au dernier moment.


Il bondit dans la pente.



Quand il atteint la rupture de pente qui va le cacher définitivement à ma vue, il s'arrête brusquement, tourne la tête pour vérifier si j'ai bougé ou non et c'est sans doute rassuré qu'il plonge vers le lit du torrent. Ce sera le seul animal que je verrai, à l'exception des oiseaux et de marmottes dont j'entends seulement les cris d'alerte.







Arrivé au bas du vallon, je n'ai plus qu'à remonter les 4 ou 500 m de dénivelée qui me sépare du col de Pouriac.


Le Pel Brun, qui domine le col

De l'autre côté de la vallée de la Tinée, vers Auron, d'autres vallons supendus.


Un premier lac, au pied du Pel Brun commence tout juste à geler.

Mais, en marchand, je progresse vite dans le temps car l'altitude permet accélérer (ou de ralentir) la venue des saisons. Je me souviens des randonnées à ski du mois de mai : on quitte le printemps pour replonger avec délices dans l'hiver, comme si l'on remontait le temps. Aujourd'hui, au contraire, je le fais  survenir plutôt à mesure que je monte. 

Voici donc l'hiver. Le lac sous le col est gelé.



Voici le col.


Un dernier trou d'eau gelé.


Et c'est l'Italie qui apparait.
Juste au col, je trouve des traces curieuses que je n'ai pas réussi à identifier.























Elles s'entremêlent avec des traces plus inquiétantes.

Des traces de loup ? Pourquoi pas ? ou plus raisonnablement des traces de renard. Ce qui est certain ,c'est qu'il ne s'agit pas de traces de chien. Au col, comme partout où je suis passé, je suis le seul à laisser des traces humaines. Et, pas d'homme, pas de chien.

Je n'ai guère le temps de m'attarder. Je suis parti tard, vers 14h, du camp des Fourches et le soleil est bien bas sur l'horizon. Je n'ai pas le temps de rechercher d'autres traces. Il faut partir car j'ai encore 2 heures de marche.

 Autoportait !

 

L'ombre me rattrape et bientôt seuls les sommets éloignés sont dans la lumière.


La lune se lève.



Un dernier éclat de lumière mauve.



Puis tout bascule dans le bleu de la nuit.

Quand j'arrive au col des Fourches, le Salso Moreno retourne au calme, aux loups et aux renards.


Le hasard m'offre en arrivant au camp des Fourches un dernier symbole. Devant moi, l'image sinistre du camp militaire, vestige d'un passé qu'on espère révolu, sans y croire tout à fait.



Au dessus de moi, un avion tout rosé de soleil transporte vers Paris ses touristes insouciants,  peut-être les descendants de ces Italiens qui essayèrent, il y a 70 ans, d'envahir un vallon que leur disputaient, avec le même acharnement et la même haine, les compagnons de guerre de mon oncle.


2 commentaires:

  1. Bonjour Président
    Je me pose une question vous parlez d'internement de votre père et non pas d'incarcération car c'est de cela dont il s'agit.Pourquoi ?
    Dans toous les cas il a été très courageux et fort de carctère
    Viviane RC

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  2. Bonjour Viviane,
    On parle d'internement quand la décision est prise par une autorité administrative (un ministre ou un préfet) et non par un juge. Le condamné ne connait ni le motif ni la durée de son internement. Dans un État de droit on est incarcéré normalement après un jugement qui justifie la peine et en fixe le terme maximum. On vient de réinventer en France l'internement en donnant la possibilité, certes au juge, de prolonger l'incarcération après la fin de la peine pour les criminels jugés dangereux.

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