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dimanche 21 novembre 2010

3 soeurs, 3 institutrices. Prologue

Je n'ai pas de photos de ma grand mère  institutrice. Cette jeune institutrice est une amie d'Alice Guillot, elle-même institutrice et belle sœur de ma grand-mère.

L'institutrice est une figure qui surgit avec une étonnante force autour du changement de siècle, vers les années 1890. Plus encore que l'instituteur, l' institutrice est fille de la République : création d'une école normale par département en 1879 ; institution de l'enseignement secondaire pour les filles par la loi Camille Sée en 1880 ; lancement des écoles maternelles (que l'on confiera naturellement à des jeunes filles) en 1881 ; enfin, pour parachever le tout, définition en 1882 du trépied sur lequel repose toujours l'enseignement public : gratuit, laïc et obligatoire. Sans parler de la séparation de l'Eglise et de l'Etat qui va permettre leur émancipation de l'Eglise catholique qui jusque-là faisait peser une chape de plomb sur leurs jeunes épaules de prétendues pécheresses qui n'avaient pas encore vécues. Certes, la plupart resteront croyantes, mais le prêtre ne les surplombera plus de toute l'autorité de sa noire soutane : en 1907, on dépend les crucifix du mur de toutes les écoles de France.

La simple énumération de ces réformes législatives, sans commune mesure avec les réformettes d'aujourd'hui,  rend sensible ce formidable bouleversement de la société. Pour beaucoup de jeunes filles, c'est l'occasion de s'instruire, d'échapper à la tutelle familiale, de s'émanciper, de voir du pays, de rencontrer un mari ailleurs que dans le village de ses ancêtres, de rompre, en un mot, avec toute la tradition qui écrasait jusque-là garçons et filles et tout particulièrement les filles.

Bien avant la Première Guerre mondiale qui va les propulser dans tous tous les métiers et toutes les responsabilités d'un pays sans hommes, l'enseignement fait émerger une nouvelle figure de la femme, souvent plus cultivée, plus curieuse, plus mobile que son époux. Hors de la classe où elle continue d'arborer la robe noire empesée, symbole de son autorité, elle se vêt avec plus de liberté. Corsage clair, certes boutonné jusque sous le menton, mais avant-bras dénudés, longue jupe ample pour des mouvements faciles, elle se déplace à vélo avec grâce et énergie. Il me semble d'ailleurs que l'apparition simultanée de l'institutrice et du vélo ne doit rien au hasard : c'est la mobilité sociale et géographique qui s'invite partout en France, partout en même temps.

 Alice Guillot, institutrice, qui épousera Jean Dufour, le frère ainé de mon grand-père. Son frère François est également instituteur, comme la femme de celui-ci.

C'est cette histoire que je veux raconter, au travers, comme toujours, d'une histoire singulière , celle de ma grand-mère maternelle, Maria Servettaz, et de ses 2 sœurs ainées, Eugénie et Claudia.

Maria nait en 1885 dans le logement de fonction de son père instituteur, à Marcellaz-Albanais, à quelques kilomètres d'Annecy et tout près du village d'Etercy d'où sont issus depuis toujours les Servettaz. Claude-François (1837-1901) est un homme assez exceptionnel puisque lui l'orphelin d'un père paysan mort à 28 ans, va donner une éducation poussée aux 7 enfants qu'il a eu de sa 2ème épouse, Jeanne Briffaz de Scionzier, dans la vallée de l'Arve. Jeanne, que j'ai manqué connaître puisqu'elle mourut en 1939 dans la maison où je suis né, était sans aucun doute aussi acquise  aux idées nouvelles : contrairement à l'habitude, elle ne cherchera pas à entraver la formation et la carrière des ses filles, même après la mort de son mari en 1901.

La famille Servettaz en 1896, au grand complet. Assis, de gauche à droite, ma grand mère, Maria, sa mère, Jeanne Briffaz, et Claudius, professeur d'anglais, musicien, collecteur des chansons savoyardes. Debout, Louis, futur médecin, Claudia, institutrice, Claude-François, le chef de la tribu, instituteur, Eugénie, institutrice, Camille professeur, fondateur de l'Ecole hôtelière de Thonon et enfin, méconnaissable en soldat, Joseph le prêtre.


La petite troupe semble obéir à une étonnante règle de symétrie : d'abord 4 garçons, puis 3 filles. Les 2 premiers sont instituteurs puis professeurs, le 3ème médecin, le 4ème prêtre. Les 3 filles qui suivent sont toutes institutrices, mais elles occupent chacune l'un des rôles classiques de l'époque : la vieille fille (Eugénie), la jeune morte, emportée par la tuberculose (Claudia) et enfin Maria qui abandonne le métier pour épouser l'homme qu'elle a rencontré grâce précisément à ce métier. Un rôle manque : l'épouse d'instituteur, que nous retrouverons une autre fois, sous les traits, par exemple de Emma Laperrousaz, la femme de leur frère Claudius.

Je reprendrai tous ces destins singuliers. Je veux d'abord tirer le fil qui me relie à Maria. Par quelle suite de hasards a-t-elle rencontré Gabriel Dufour, mon grand père ?

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