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vendredi 3 décembre 2010

3 soeurs, 3 institutrices. 2ème partie


En formation par trois !

 Maria en 1905
Eugénie, Claudia et Maria (dont je rappelle qu’elle est ma grand-mère maternelle) ont eu, dès l’origine, partie liée ensemble. Elles sont les 3 derniers enfants de la tribu de 7 que leur père eut de son second mariage avec Jeanne Briffaz ; 3 filles après 4 garçons, de quoi vous souder ensemble.

De plus, elles sont nées chacune avec un écart de 3 ans : Eugénie en 1879, Claudia en 1882, Maria en 1885, toutes à Marcellaz-Albanais où leur père est instituteur depuis 1873. Elles suivront toutes les 3 à peu près le même cursus : école primaire à Marcellaz, puis l’école primaire supérieure (l’équivalent de notre collège) à Rumilly, à 6 kms de là, enfin l’Ecole normale de filles, toujours à Rumilly. Seule Maria s’éloignera un peu plus jusqu’à Thonon les bains pour ses 2 dernières années de primaire supérieure. Ensuite, comme on sait, elles seront toutes les 3 institutrices.

Je ne sais pas grand chose de leur scolarité primaire, ni même de leur primaire supérieure. Elles eurent leur père comme instituteur et elles baignèrent dès leur naissance dans cette atmosphère d’école : au dessus le logement familial, au dessous les 2 classes. A leur naissance l’école était toute neuve puisque  Claude-François participera à la reconstruction de l'école en tant que secrétaire de mairie. Il obtint , malgré l'opposition du curé, que la nouvelle école soit placée juste à côté de l’église et du presbytère, sur le haut de la colline. De là on voyait le clocher d’Etercy, berceau de la famille Servettaz.

Claude-François devant son école de Marcellaz avec son assistant.
Je ne connais malheureusement pas de photos de filles.

L’école primaire supérieure de Rumilly était à 6 kms de Marcellaz. Elles furent donc pensionnaires. Je ne sais où logea l’ainée, Eugénie. Claudia habita avec son, frère Claudius, « dans l'appartement que nous occupions au premier étage de la maison Brickler au centre du groupe scolaire ». Claudius enseignait déjà dans l’école primaire supérieure de jeunes filles de Rumilly. Quant à Maria, elle habita chez son oncle Camille Servettaz, alors professeur de 7ème et 8ème à Thonon.

A l’issue  de cette dernière scolarité, elles passèrent toutes les 3 avec succès le brevet élémentaire, ancêtre du BEPS que je me souviens avoir passé comme galop d’essai du futur baccalauréat (c’est devenu maintenant le brevet des collèges). Le brevet élémentaire, plus précisément « le brevet pour l’enseignement primaire élémentaire » permettait déjà d’enseigner, comme remplaçant. C’était donc une affaire sérieuse et il fallait se rendre à Annecy pour en subir les épreuves. Le diplôme proprement dit était délivré ensuite à Chambéry, siège de l’Académie qui couvrait les 2 Savoies.

Ce brevet élémentaire ne dispensait pas de réussir le concours d’entrée à l’École Normale. Ce concours d’admission à l’École Normale consistait en un entretien avec le jury qui cherchait à s’assurer des qualités morales et physiques de « l’aspirant(e) » et de la solidité de sa vocation. L’appréciation du directeur de l’école primaire supérieure et de l’inspecteur primaire complétait le dossier.

 Concours d'admission de Maria en 1901
Toutes les 3 réussirent le concours d’entrée dès la 1ère session, comme leurs 2 frères ainés, Camille et Claudius, déjà enseignants quand elles se lançaient dans la carrière. Mais ceux-ci  n’avaient pas fait leurs études à Rumilly. A l’époque, s’il arrivait, quand les effectifs étaient réduits, que des classes primaires soient mixtes (la loi Goblet autorise en 1886 la mixité dans les communes de moins de 500 habitants), la règle restait bien la séparation des sexes, comme ce serait le cas encore pendant longtemps. Il est amusant de voir que dans l’espace d’un siècle, on est passé d’une position à son exact contraire : la mixité fut interdite (sauf rares exceptions) puis  acceptée ou tolérée, avant de devenir obligatoire avec la loi Haby de 1975.

J’ai fréquenté l’école communale de Charensat (100 habitants, en Auvergne) pendant 2 ans. En 8ème (actuel CM1), garçons et filles étaient séparés. Puis, en 1953, sans doute, déjà, pour des raisons d’effectifs, toute l’école est devenue mixte. Je me souviens du changement complet d’atmosphère qui en était résulté : finies les bagarres perpétuelles qui faisaient l’essentiel de nos jeux (de leurs jeux, devrais-je plutôt dire) ; désormais, chaque garçon devait avoir une « femme » qu’il devait protéger et les rondes avaient remplacé les courses effrénées de l’année précédente. Depuis, je suis un fervent partisan de la mixité dans tous les milieux et à tous les niveaux. J’eus d’ailleurs la chance d’enseigner la philo dans des classes mixtes dès mes débuts de prof en 1968, ce qui était rare alors (mais, je vous rassure, les bonnes traditions n’avaient pas encore été emportées par le vent de 68 : les jeunes filles portaient encore obligatoirement des blouses, rose une semaine, bleue la suivante).

En Haute Savoie, il y avait donc 2 Écoles Normales, l’une pour les garçons, à Bonneville, l’autre pour les filles à Rumilly ; pas de risque qu’ils se fréquentent avant d’exercer ! Certes l’École Normale de filles qui avait été fondée en 1861, juste après l’Annexion, par les Sœurs de Saint Joseph, était devenue laïque depuis les lois de Jules Ferry en 1881 ; il n’en restait pas moins que l’on s’y préoccupait toujours autant de la moralité de ces jeunes filles.

 L'École normale de Rumilly. 
J'ai trouvé cette mauvaise photo dans les archives de ma mère
mais je ne reconnais personne.
On notera à propos des sœurs de Saint Joseph que la Savoie était plutôt en avance sur le reste de la France. Les écoles de filles y étaient beaucoup plus nombreuses et l’Annexion de 1860 s’était traduite par une régression. A Etercy, la commune avait profité du changement pour supprimer l’école de filles.

Quand les sœurs de Saint Joseph sont appelées d’Annecy pour fonder l’École normale de filles de Rumilly, il y a encore très peu d’établissements de ce genre. Ils ne sont d’ailleurs pas obligatoires, contrairement aux écoles normales de garçons. Lorsque la loi Paul Bert (1879) impose la création d’une École normale de garçons et de filles dans tous les départements, il n’y a que 17 écoles pour filles contre 79 pour les garçons. En 1860, on n’en comptait que 8 pour l’ensemble du territoire.

Ce qu’a apporté le rattachement à la France, c’est la laïcité, après les lois Ferry. Au début des années 80, les bonnes sœurs quittent l’École normale. L'éducation civique et la morale remplacent l’enseignement religieux. Les sœurs avaient bien mérité de la République et la directrice fut honorée en 1873 « On apprend que la supérieure de l’École normale de Rumilly, sœur Julie, a reçu du ministère de l’Instruction publique le grade et la palme d’officier d’Académie en reconnaissance de ses mérites et de ses services qui ont fait de cette école une des plus florissantes écoles normales de France » Le Journal du Commerce. 26 octobre 1873.

 Alice Guillot (à droite), belle-sœur de Maria, à l'École normale de Rumilly.
Certaines élèves n'hésitent pas dans l'école désormais laïque
à "arborer des signes distinctifs"

Avec son seul salaire d’instituteur, Claude-François ne pouvait subvenir aux études de ses enfants et il dut quémander pour chacun d’eux une bourse, que d’ailleurs il obtint à chaque fois. Lorsqu’il en arriva à Maria, la septième, il se contenta de reprendre le texte établi pour Claudia, 3 ans plus tôt.




Ce document est étonnant : on dirait le brouillon d'une lettre obtenue par réactualisation de la situation familiale depuis la précédente demande de bourse. Pourtant c'est bien ce papier que j'ai retrouvé dans le dossier des Archives départementales. Je ne vois pas par quel miracle un brouillon personnel pourrait s'y trouver. Plus étonnant encore : la date de l'avis du maire, requis obligatoirement, a été modifié unilatéralement par Claude-François, sans que la signature du magistrat communal ne figure (car elle n'a sans doute pas été demandée).




Curieusement, Claude-François apporte 2 corrections dans le texte, en sus des changements de date. L’une est compréhensible : il parle de son activité d’instituteur au passé, puisqu’il est désormais à la retraite depuis un an ; mais curieusement, il biffe aussi « la famille de M. Servettaz est un modèle dans la commune », alors que la mention est plutôt élogieuse. Pourquoi ? Peut-être dans un souci d’exactitude, car aucun de ses enfants ne réside plus à Etercy ?

De toute façon, Claude-François Servettaz était suffisamment connu des autorités académiques pour que cette désinvolture n’offusque personne. Pour ses 3 filles, le fait d’avoir un tel père est constamment reconnu, lors du concours d’admission, comme un atout supplémentaire.

Il est vrai que, parfois, le fonctionnement tribal de la famille agaçait un peu l’inspecteur primaire. Pour des raisons d’économie, puisque, la plupart du temps, l’instituteur était contraint de payer son remplaçant, même en cas de maladie, Claude-François demandait l’autorisation d’employer un de ses fils. Autorisation accordée, sous réserve qu’à cette occasion le remplaçant ne se fasse pas lui-même remplacé par un autre membre de la famille.

Claude-François écrit : « J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien m'autoriser à être suppléé à partir du 31 Juillet courant, jusqu'à l'ouverture des vacances, par mon fils Servettaz Camille, professeur de 7° et de 8° au collège de Thonon.... »
L'inspecteur primaire avait annoté ce courrier à l’intention de l'inspecteur d'académie  : "Je ne vois aucun inconvénient à ce que M. Servettaz [Camille] professeur au collège de Thonon remplace son père à partir du 1er Aout. Mais M. Servettaz devra remplir ses fonctions très régulièrement et non pas pouvoir se faire suppléer de temps en temps par son frère instituteur adjoint à Rumilly [Claudius] ou par sa sœur brevetée [Claudia]»
Annecy le 29 Juillet 1898, l'Inspecteur primaire Rollier.

Pour que l’inspecteur évoque cette possibilité, il fallait qu’elle se fût réalisée dans le passé. L’anarchie n’était pas loin, si on laissait tous ces Servettaz instituteurs ou institutrices s’organiser comme bon leur semblait !

Mais revenons à Maria. Dans son cas, la bourse sera d’autant plus nécessaire qu’au moment de rentrer à l’École Normale son père sera décédé. C’est Jeanne Briffaz qui doit apporter sa caution pour l’engagement de 10 ans souscrit par Maria. Elle n’a plus que 400F de revenu (soit moins de la moitié du traitement de début d’une institutrice).



De toute façon, la bourse était indispensable car aux frais liés directement à la scolarité s’ajoutaient les dépenses du trousseau. Je ne dispose pas de son détail pour Rumilly, mais j’ai trouvé celui de Coutances pour la même période. J’espère pour Claudius qu’ils étaient différents car la somme totale est astronomique. Quelques détails m’amusent : le nombre de certaines pièces de vêtement qui donne à penser que les lessives n’étaient pas fréquentes. Peut-être fallait-il rapporter son linge chez soi  pour le donner à blanchir par sa mère ? Les précisions données aussi pour la douche, qui ne devaient pas faire partie des habitudes de la plupart de ces jeunes paysans. Mais la propreté est un des éléments essentiels de l’éducation qu’elles devront ensuite dispenser en sus du simple enseignement.

Je reproduis cette liste telle que je l’ai trouvée dans le recueil d’autobiographies rassemblées par Jacques Ozouf « Nous les maîtres » :
Ecole normale d’institutrices de Coutances. Liste du Trousseau (1893)
Lingerie          12 chemises
                        4 chemises de nuit ou 4 camisoles
                        6 pantalons en cretonne blanche
                        12 paires de bas (laine ou coton)
                        4 jupons (2 au moins en couleur)
                        6 bonnets de nuit ou filets
12 cols droits unis en toile ou en percale
18 mouchoirs de poche
6 serviettes de table
12 serviettes de toilette
1 peignoir de bain
1 drap pour s’essuyer au sortir du bain

Vêtements       2 robes pour la semaine (si elles sont vieilles, 2 de couleurs seront acceptées, sinon elles devront être noires)  
                        1 tablier de coton bleu
                       
Chaussures     2 paires de bottines en cuir, à boutons (sans clous)
                        1 paire de pantoufles sans talon
                        1 paires de sabots avec feutres

Divers             1 couvert de table (couvert ruolz uni, couteau de table à manche noir, rond de serviette, en buis uni
                        1 brosse à habits
                        1 boite contenant 2 brosses pour chaussures et un pot de cirage
                        2 éponges
                        1 brosse à dents
                        1 boite contenant 1 démêloir, 1 peigne fin, 1 brosse à cheveux, 1 brosse à peignes
                        1 boite à ouvrage garnie : ciseaux, fil, aiguilles, dé, épingles, fil blanc, fil noir, laine noire, soie noire, boutons, coton à marquer, coton à repriser et un mètre de cretonne blanche
                        1 sac de toile pour le linge sale (0,80 cm de long, 0,60 de large

Uniformes       1 robe noire en cachemire ou croisé de laine uni, jupe unie, corsage uni
                        1 mantelet de même étoffe, fait exactement d’après le modèle de l’école
                        1 manteau en drap noir uni, fait exactement d’après le modèle de l’école
                        1 chapeau en feutre pour l’hiver
                        1 chapeau en paille pour l’été
                        1 chapeau de jardin
                        2 paires de gants gris foncé (une en laine pour l’hiver, une en fil pour l’été)
                        1 parapluie soie ou alpaga brun foncé
                        1 fichu laine noire (grande dimension)
                        1 tablier noir (ou serge de laine ou en mérinos aussi long que la robe, en forme de blouse avec empiètement montant et manches à poignets boutonnés, ceinture en même étoffe

Facultatif        1 en-tout-cas en soie noire ou alpaga brun foncé
                        1 édredon

Total : 450 F (soit plus que le revenu annuel de Jeanne Briffaz).

Les voici à l’École Normale. La bâtisse n’est guère confortable. Il s’agit des bâtiments vétustes de l’ancien séminaire abandonné par les futurs prêtres qui s’installent à Annecy dans le clos de la Visitation.

 Vous verrez, en agrandissant l'image, que Maria a indiqué
où se trouvait son dortoir.
Le bâtiment n'existe plus. il a brûlé en 1940.

La scolarité était de 3 années. L’année commençait début octobre pour se terminer le 31 juillet. On verra dans la prochaine chronique que l’une des 3 sœurs a été inspectée un 31 juillet ! Ces dates des vacances d’été, du 1er août au 1er octobre, n’étaient pas propres à l’École Normale. C’étaient celles de tout le primaire.

Les matières enseignées sont, pour l’essentiel, classiques. On trouve, avec un coefficient 2 : aptitude pédagogique, langue française, mathématiques, sciences physiques et naturelles, histoire-géographie, lecture et anglais. Moins évident, la note de morale, qui porte non sur la moralité des élèves, mais sur leur connaissance du cours de morale, un des piliers de l’éducation qu’elles devront donner plus tard aux enfants. Enfin 2 notes de comportements, toujours avec coefficient 2 : conduite et travail.

Les matières « manuelles » n’ont qu’un coefficient 1 : écriture, travail manuel, (cuisine, couture, entretien du linge) dessin, musique, gymnastique enfin que seule Maria pratiquera, et encore seulement les 2 dernières années.

 Pour passer d’une année à l’autre, il fallait réussir un examen de passage. On déplorait une ou deux recalées par an, si j’en juge par l’évolution des effectifs d’une année sur l’autre. La sélection était sérieuse sur ces petits groupes de moins de 20 élèves.
Les notes des examens étaient moyennées avec le contrôle continu mensuel pour établir le classement de fin d’année. On n’avait pas peur de traumatiser ces jeunes esprits avec des notes et des classements : ces demoiselles étaient  classées à l’entrée, à la sortie mais aussi à la fin de chaque année.

 Carnet de notes de Maria pour la 1ère année

Concours d’entrée, notes, classements et appréciations sans fioritures permettent de se faire une idée des aptitudes et même du caractère de chacune des 3 sœurs, si on y ajoute, en plus, les commentaires portés à l’issue des stages pratiques effectués pendant la scolarité. Chaque élève fait la classe pendant 10 semaines au total à raison de 5 fois 1 semaine dans une classe primaire et 5 fois 1 semaine au niveau d’une maternelle.

 Notes de stage de Maria en classe maternelle.

 Notes de stage de Maria en classe primaire.

Claudia semble la plus intelligente ou, plus exactement, celle qui a le plus d’originalité et d’imagination. On la juge presque fantasque, capable de se surpasser si elle veut bien s’intéresser au sujet. Lors du concours d’entrée, les examinateurs lui trouvent « une intelligence supérieure à la moyenne, l’esprit vif et un jugement droit ». Elle est « d’une nature vive » et « a de l’amour-propre ». L’inspecteur primaire renchérit « Bonne élève, apporte de l’ardeur au travail, si l’émulation l’aiguillonne, si la lutte est difficile ».

 Claudia en 1905

Lors de sa scolarité (1899-1902), cette impression se confirme. Rentrée 8ème sur 14, elle est 2ème à l’issue de la 2ème année et sort 3ème, comme son frère Claudius, la mieux classée des 3 sœurs. Peut-être aurait-elle fait encore mieux si elle n’était pas tombée malade en cours d’année. Elle est plutôt scientifique et ses meilleures notes  portent sur les épreuves de maths et de sciences.

Ses notes et appréciations de stages pratiques donnent à penser qu’elle aurait mieux réussi comme prof que comme institutrice, si la mort ne l’avait pas fauchée à 28 ans, et si les jeunes femmes avaient pu accéder à l’enseignement secondaire. Ses tuteurs notent en effet que son « enseignement est vivant, suggestif, animé », mais elle « manque de simplicité » et à tendance « à délayer ». « Elle tient bien ses élèves » mais « elle se préoccupe trop de ses leçons et oublie de surveiller la tenue des enfants ». On le voit, c’est le fond des choses qui l’intéresse avant tout. On en regrette encore plus sa disparition, bien trop tôt, après une courte vie professionnelle constamment interrompue par la maladie.

A l’autre bout, si j’ose dire, se situe Eugénie. Elle aussi a eu des problèmes de santé lors de sa 1ère année, en 1895-1896, et dut redoubler. Son état de santé explique peut-être aussi qu’elle n’ait passé son brevet élémentaire qu’après le concours d’entrée à l’École Normale, contrairement à ses sœurs.

 Eugénie en 1905, au mariage de son frère Claudius
avec Emma Laperrousaz, autre institutrice (sortie une année après elle).

Emma Laperrousaz

Lors de ce concours d’entrée, l’examinateur note qu’elle est « intelligente », mais c’est bien la dernière fois qu’elle aura droit pendant sa scolarité à un tel compliment. Ensuite, à l’École, les appréciations ne sont pas très sympathiques : « intelligence ordinaire », « peu intelligente », « beaucoup de bonne volonté mais peu de moyens ».

C’est une bosseuse, ce qu’on avait noté déjà lors du concours d’entrée (« très laborieuse »). On retrouve plusieurs fois la même expression « travaille de manière très soutenue ». Et cela paie puisqu’entrée 15ème sur 18, elle sortira 10ème, toujours sur 18 (cette année-là, il n’y eut pas d’abandon).

C’est surtout une excellente maîtresse de maternelle. Elle aime les enfants, s’intéresse encore plus à ceux qui ont des difficultés, « douce, elle réussit bien à l’école maternelle, surtout dans la petite classe ». Cette fois-ci, au moins, l’administration saura utiliser sa compétence et après une année dans le primaire, elle fera toute sa carrière à l’École maternelle de Thonon.



Je situerai volontiers Maria, ma grand-mère, entre ses 2 sœurs, la brillante un peu fantasque, et la pédagogue qui aime le concret et les enfants. Comme Claudia, elle est incontestablement intelligente, avec une prédilection, elle aussi, pour les maths et les sciences. Elle est entrée 1ère de sa promotion, mais ensuite, elle dégringole doucement : 2ème à la fin de la 1ère année, puis 4ème et enfin 6ème sur 14 à la sortie de l’École.

S’agissant d’elle, les expressions qui reviennent le plus souvent sont « intelligence solide, très appliquée, appliquée et sérieuse ». Avec les élèves, elle a de l’autorité et sait se montrer claire et précise même si une de ses tutrices note, au tout début, qu’elle « veut trop bien faire ».

Une dernière épreuve attendait les élèves au mois de juillet de leur dernière année : le brevet de capacité à l’enseignement primaire, abrégé en brevet supérieur par analogie avec le brevet élémentaire. Ce dernier diplôme était essentiel car il était l’un des 3 éléments du Certificat d’aptitude pédagogique à l’enseignement primaire qui permettait la titularisation 18 mois après sa sortie de l’École.

 
Et puis venait la sortie le 31 juillet, diplôme en poche.

Je ne sais rien de ce qu’elles pensèrent à ce moment-là, mais je ne doute pas qu’elles se jetèrent dans l’arène professionnelle avec le même enthousiasme que cette institutrice de Vendée, citée par Jacques Ozouf, car tout le système, alors, portait à l’enthousiasme. Il y avait tout à faire et, miracle, tout se faisait :

« Notre directrice était aussi très sérieusement attachée à sa fonction ; elle était l’émule fidèle de Félix Pécaut [champion de la pédagogie, fondateur de Fontenay], dont elle avait le portrait sur son bureau. Elle s’employa avec beaucoup de tact à nous inculquer les notions de grandeur morale, de conscience, de devoir, qui devaient faire l’armature solide d’une saine éducation laïque. … Et comme je me trouvais dans mon élément, comme notre enthousiasme pouvait s’évertuer à l’aise ! Et je quittais l’école (normale) dans un élan de vie joyeux avec toute ma jeune ardeur prête à affronter les rigueurs de la lutte à laquelle j’étais destinée et que je pressentais peut-être plus qu’une autre en ma qualité de fille d’instituteur. »  Une institutrice de Vendée en 1889, citée dans « Nous les maîtres ».

Eugénie, Claudia, Maria, vous voici institutrices stagiaires. La prochaine fois, nous vous retrouverons sur le terrain.


1 commentaire:

  1. Bonjour,
    je me suis passionnée pour cette histoire.
    Je me dois de vous communiquer une hypothèse concernant le dossier de demande de bourses de votre grand-mère Maria.
    Il me semble que votre arrière-grand-père a utilisé comme brouillon, le dossier de bourse de votre grand-tante, établi 3 ans auparavant. On distingue bien les deux dates de demande, 1896 et 1899 en rajout sur la première.
    Toutes les ratures remettent à jour la situation familiale, en modifiant les âges des enfants et du père, sa situation professionnelle et l'évolution des études des uns et des autres.
    Un tel document, n'aurait jamais été accepté. Il est illisible pour qui ne connait pas la famille.

    Bien Cordialement
    Anne Coulomb

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