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mercredi 5 janvier 2011

Iran, années 70. 1.Téhéran, rue du Paradis

Pendant 2 ans de septembre 1970 à août 1972, j'ai habité au 12+1 rue du Paradis (kutche Behesht) à Téhéran. Le numéro peut étonner. A l'époque, je n'ai pas même pensé à le photographier comme un témoignage curieux d'une superstition dont je n'imaginais pas, avant d' y vivre, qu'elle touchait aussi l'Iran. Avec les Iraniens nous n'avons pas le même calendrier puisqu'en ce début 2011, ils terminent l'année 1389 mais nous partageons la même superstition du chiffre 13.

On sait que pour le superstitieux (qui sommeille en chacun de nous) ce qui est maléfique peut devenir bénéfique dans certaines circonstances. Pour des raisons mystérieuses, les vendredis 13 sont des jours un peu inquiétants pendant lesquels il faut redoubler de prudence, mais ce sont aussi, parait-il, des jours de chance au jeu (le paradoxe n'est peut-être qu'apparent, car gagner au loto est une forme particulièrement sournoise de catastrophe). Disons, dans le cas d'espèce, que ce 13 accolé au Paradis en prit la signification positive et que ces 2 années furent un moment particulièrement heureux. Celui de la jeunesse, de la vie qui commence à peine, des infinis possibles. Mais aussi celui de la découverte d'un pays et de  gens, si différents mais aussi si enthousiasmants.

La kutché Behesht, est-ouest. L'avenue Bahar à droite
Le stade existait déjà, j'en faisais le tour en footing.

Quand on franchissait le portail, on se retrouvait dans un petit jardin face à une grosse maison de 2 étages entièrement louée à des étrangers. 

Au rez de jardin, une américaine du Peace Corps dont on pouvait admirer les gigantesques culottes de coton blanc séchant sur un fil devant sa porte-fenêtre. Au 2ème, deux Belges, un garçon et une fille en colocation. Entre les deux, nous occupions le 1er qui avait l'avantage de disposer d'une grande terrasse dont on pouvait profiter presque toute l'année, hormis les 2 / 3 mois de neige hivernale.


L'arbre est un kaki, couvert de fruits à la saison.

J'ai retrouvé avec émotion sur Google Map la kutché Beheshst, sans savoir si la maison subsistait toujours. La résolution des images ne permet pas d'en décider. Mais il y a encore des maisons avec leur petit jardin.  Cette rue, ou plutôt cette ruelle, dont le revêtement avait pratiquement disparu, pleine de trous faisait communiquer 2 avenues, toutes 2 orientées nord-sud, mais au caractère bien typé. Vers l'est, l'avenue Bahar, populaire, bordée de petites maisons et de petits immeubles.


avenue Bahar

Nous sommes toujours avenue Bahar.
Derrière ce marchand ambulant, c'est la rue Behesht.
A gauche, on devine notre épicier.

L'avenue Bahar n'a pas changé de nom. En revanche, côté ouest,  l'avenue Roosevelt, s'appelle désormais Kayvan. Plus moderne, elle arborait quelques immeubles.


Dans les années 70, Téhéran était déjà une ville immense mais rien à voir avec le Téhéran actuel de près de 15 millions d'habitants.

 Photo prise le 6 mai 2017

Photo prise le 13 décembre 2007. Mandalay.pl 

Photo prise le 17 janvier 2016 

Difficile d'imaginer plus grand changement ! En revanche, je retrouve dans cette image de l'avenue Vali-Asr  l'atmosphère de l'ex avenue Palhavi.


Photo prise le 18 janvier 2016


Avenue Roosevelt 1970. On remarquera le "djoub", 
le fameux caniveau dont il sera question plus loin.

J'étais venu en Iran pour effectuer mon service militaire dans la coopération. Nous étions une quinzaine de VSNA (volontaires du service national actif ), presque en totalité affectés à Téhéran dans des établissements d'enseignement. Nous avions une pensée émue pour celui d'entre nous, un copain qui m'avait accompagné pour faire le voyage en voiture depuis Paris, qui résidait à Ahwaz. Condamné à une vie monacale par les mœurs austères de la province, c'était un vrai libertin lors de ses permissions dans la capitale.

Notre logement était situé à peu près au milieu du Téhéran de l'époque, vers 1100 m d'altitude. Téhéran était, et je crains que cela soit pire maintenant, une ville sans caractère, embouteillée et poussiéreuse mais située dans un cadre magnifique, sur le piémont du Totchal  (3901 m). La  ville s'étage ainsi sur 1000m, du sud populaire, à 800 m, aux quartiers chics du nord jusqu'à Shemiran à 1800 m où l'on vient se rafraichir en été (et maintenant, parait-il, prendre le téléférique qui vous hisse sur les pentes de la montagne). La ségrégation sociale se fait par l'altitude et non comme à Paris par la direction des vents dominants, Neuilly se préservant des fumées de la ville que respire Montreuil.

D'immenses maisons sans âme peuplaient les quartiers résidentiels.
Il subsistait quelques témoignages de l'époque Qadjar, 
comme ici sur le bord de la grande avenue Palhavi 
(du nom du shah) aujourd'hui Vali-Ye-Asr
qui traverse tout Téhéran du nord au sud.

J'étais prof de philo au lycée franco-iranien, le lycée Razi., à plus de 10 kms de là,  vers 1600 m.  Si vous avez regardé le plan de la ville en cliquant sur le lien (en rouge souligné), vous avez une idée de l'étendue de la ville. Cela faisait une trotte tous les matins, mais c'était aussi un moment de bonheur. A l'époque, j'empruntais pendant 3/4 kms une voie rapide qui traversait une zone encore largement désertique. (tout cet espace est naturellement occupé aujourd'hui). 


Je remontais (au sens propre, puisqu'il fallait gagner 600m d'altitude) plein nord.
Devant moi, la montagne enneigée pendant 6 mois se détachait sur un ciel d'un bleu intense, mis à part quelques jours de pluie ou de neige. 

 Après quelques kilomètres où la ville est devenue invisible, 
je la retrouve peu avant d'arriver au lycée.

Ces jours-là étaient assez cataclysmiques. L'eau dévalait la pente sur des kilomètres bitumés, dans les fameux "djoubs", ces profonds caniveaux dans lesquels il n'était pas rare de tomber une roue en se garant. Remorquage obligatoire. Mais, la pluie était suffisamment rare pour rester un moment festif. Il fallait voir tout le monde sortir dehors pour se laisser mouiller par la première pluie de novembre après des mois de sécheresse absolue.

Ce lycée qui appartenait à la Mission laïque aujourd'hui disparue, était installé depuis seulement 4 ans dans des locaux magnifiques inaugurés par Couve de Murville en 1966.

Parvis du lycée. Photo tirée du groupe Facebook des Amis du Lycée Razi.

 C'était un lycée mixte dans presque toutes les acceptions du terme :  mélange des sexes : garçons et filles, mais aussi des origines : iraniens, français, autres nationalités, franco-iraniens, etc. Je me rappelle avoir enseigné la 1ère année devant une classe de 9 élèves ! : une italienne, 2 françaises filles de diplomates, une irano-suisse, un iranien et le reste de franco-iraniennes. Sur le plan social, en revanche, pas de mixité. Le lycée avait très bonne réputation et il rivalisait avantageusement avec l'école américaine. Tous les matins, on pouvait voir la petite escorte qui amenait l'un des enfants du Shah au collège.


Bizarrement, je crois que nous ne sommes venus nous baigner dans la piscine du lycée que cette seule fois alors que le lycée était fermé pour cause de vacances. Sans doute était-il difficile d'y pénétrer.

A en juger par cette photo satellite de Google Map,
le lycée n'a pas changé et la piscine est toujours là.
Mais aucune chance d'y voir se baigner de jeunes lycéennes.

Les enseignants étaient majoritairement français dans les classes supérieures. Des militaires comme moi et des coopérants civils qui bénéficiaient d'un niveau de vie sans équivalent à celui de leurs collègues de France. La plupart, pas très intéressants car peu curieux de leur pays d'accueil.  La surprime d'éloignement semblait leur principale motivation. Heureusement quelques magnifiques exceptions pouvaient être fréquentées. Toutes les heures, tout ce petit monde se retrouvait dans la salle des profs pour siroter ce thé très parfumé dont je regrette le goût, avec un morceau de sucre candi sur la langue. Un "chaouce," qui débitait aussi les pains de sucre en morceaux inégaux, était exclusivement préposé à cette fonction essentielle.



Mais je n'avais pas l'intention de parler de moi ni de ce petit monde sans grand intérêt. La ville et la vie autour de nous étaient bien plus passionnantes. Partons pour une courte promenade vers l'ouest, vers la sortie de la ville en direction de Qasvin et au delà de Tabriz, la Turquie. C'est par là que j'étais arrivé en voiture après 6 jours de voyage dans mon break 204.

Qazvin se situe au nord-ouest de Téhéran.

Carte tirée du Guide du Routard

La circulation est intense à la sortie de Téhéran. Cars et camions se bousculent pour arriver en tête sur la route qui file vers l'ouest. De jour, cela ne pose pas trop de problèmes. De nuit, c'est un autre monde, inquiétant, dans lequel il faut se faufiler avec prudence. Tous les cas de figure d'éclairage sont possibles : pas d'éclairage du tout ; des feux rouges à l'avant et blancs à l'arrière, si bien qu'on se trompe un instant sur le sens de circulation de l'engin ; et aussi , bien d'autres couleurs et bien d'autres combinaisons qu'aucun code de la route ne répertorie.

Ceci dit, les 7 accrochages que j'ai subis en ville pendant ces 2 ans se sont tous produits de jour. Ils tenaient à mon ignorance des règles non écrites de la circulation téhéranaise. C'est ainsi qu'un jour je retrouvais ma fille la tête dans les pédales après un vol plané depuis son couffin sur la banquette arrière, suite à une collision avec une BMW sur une intersection. Elle n'avait rien, qu'une peur bien compréhensible. Mais pas question de rentrer à la maison pour la dorloter. Il fallait rester sur place, sans bouger, alors qu'on obstruait ainsi 2 avenues , en attendant que deux policiers sur leurs magnifiques Harley blanches, parfaits décalques de leurs collègues américains,  viennent établir les responsabilités. Cela pouvait prendre une bonne demi-heure, le temps qu'un passant complaisant veuille bien appeler la police. depuis une cabine, en cette époque sans portable (sans même l'idée qu'un jour des portables puissent exister). Pas étonnant que les embouteillages soient fréquents et monstrueux.

 Place Ferdosi. Remarquer les nombreuses Peykan (notamment les taxis orange),
la Hillman Hunter de Rootes assemblée en Iran.
Photo tirée de www.forum-auto.com

Les "anges de la route" sortaient alors leur décamètre pour juger de la largeur et donc de l'importance respective des 2 voies. Celui qui circulait sur la plus large avait raison. Cette fois-là, j'étais en tort, mon avenue était un peu moins large.

Mon record ? 3 côtés de la voiture enfoncés. J'avais percuté le flanc d'une voiture dont j'estimais qu' "elle m'avait coupé la route". Cela m'avait brusquement arrêté. La voiture venant de droite et qui pensait passer derrière moi, m'a embouti le côté droit tandis que naturellement mon coffre arrière stoppait la voiture qui me suivait. Heureusement l'avant n'avait rien. Mon assureur venu sur place avec son Polaroïd n'en revenait pas. Christine non plus qui m'appela, affolée, le lendemain, en m'annonçant qu'elle avait percuté la voiture qui la précédait, comme si les dieux ne pouvaient souffrir qu'il restât un seul morceau de carrosserie conforme aux prescriptions initiales du constructeur. C'était naturellement une blague destinée à me punir de ma conduite présomptueuse.

Les chevaux n'attendent pas les touristes. il y en a peu et aucun dans ce coin de la ville.
Ils attendent le chaland iranien.




 Le cheval est encore utilisé couramment pour le transport des personnes et des matériaux. 
On remarquera le harnais de bois qui évoque les télègues russes.

La rue est une échoppe sans limites et l'on trouve toujours un petit coin pour exercer son art. Quand je suis rentré en France, j'ai humé avec délice l'odeur du garage où je suis allé faire réviser ma pauvre 204 bien malmenée par ses nombreux voyage en surcharge. Impossible de sentir ces bonnes odeurs d'huile et d'essence dans les garages de l'époque. Quand, pour une des nombreuses réparations de carrosserie que mes accrochages m'ont valu,  je conduisais ma voiture dans le sud de la ville chez le concessionnaire Peugeot (c'était, avec ses 404, la marque étrangère la plus représentée), je la laissais dans un vaste enclos à l'air libre et c'était à la vue de tous qu'on lui ouvrait les entrailles.

Ce cas n'était pas isolé. Tous les garages étaient logés à la même enseigne, si j'ose dire, même ceux des voitures de luxe. Ce qui ne trouvait pas place dans le bazar devait se déployer en plein air. Quand il pleut si peu souvent, ce n'est pas bien grave.

Cette évocation me rappelle d'ailleurs une autre conséquence de ces pluies si rares : quand il  commençait à pleuvoir, il ne fallait pas laisser ses essuie-glaces sur le pare-brise de sa voiture quand on la stationnait. On prenait le risque, que dis-je, on avait la quasi-certitude de se les faire voler. car personne  n'avait d'essuie-glace.  Pourquoi s'embarrasser d'un accessoire d'utilisation si rare, quand on peut s'en procurer si facilement lorsque le besoin s'en fait pressant ?

Aujourd'hui, il fait beau. Profitons de ce soleil d'hiver qui réchauffe agréablement les rues de Téhéran., à un moment particulièrement calme : la plus grande partie du trafic est déjà sur la grand-route.  La prochaine fois, nous descendrons dans le sud de la ville. Il y aura plus de monde et plus d'agitation.

Sauf indication contraire, toutes les photos sont celle que j'ai prises entre 1970 et 1972. N'oubliez pas de cliquer dessus pour les agrandir.

4 commentaires:

  1. Bonjour, Très beau sujet et très belles photos ! Merci beaucoup.
    J'espère visité un jour l'Iran. C'est un pays tellement beau !

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  2. Merci infiniment pour ce tresor cache que je decouvre au fil d'un pelgrinage surd le net. Je vois enfin des images de l 'Iran, ce pays que j'ai si peu connu, si mal connu de tous. Je fais partager votre site avec d'autres anciens eleves du Lycee Razi dont je suis et autres ecoles francophones de Teheran reunis sur Facebook. Encore une magie de la connection internet, dont je ne cesserai de promouvoir les merveilles du partage de la connaissance.Merci encore. Taraneh B.

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  3. Je découvre seulement aujourd'hui votre reportage; bravo ! j'ai vécu à Téhéran de 1970 à 1977 et j'ai retrouvé dans vos images la lumière hivernale, la poussière et la pollution mais aussi le pittoresque des marchands ambulants et des boutiques comme bien sûr des djoubs sans lesquels la ville 'eut pas été ce qu'elle était à l'époque puisqu'ils drainaiet de fait les eaux de Darband jusqu'en dans le déssert au sud du bazar. Merci pour ce souvenir nostalgique d'un pays où nous avons laissé une partie de notre âme.

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  4. je suis ne et j'ai vecu a Teheran jusqu'en 1975, quand je suis parti pour Paris, mon pays que je ne connaissais pas

    je vous conseille un resto iranien , le Colbeh , rue Mouffetard a Paris, qui est on ne peut plus authentique

    j'ai vecu pas loin de le place Ferdowsi, mes grands parents russes y sont morts...La je vis depuis 2 ans aux USA, mais helas je rentre a Paris bientot...

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