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vendredi 4 février 2011

Iran années 70 3. La montagne

A Téhéran, la montagne est omni-présente. La ville est bâtie sur le flanc du Totchal qui ferme l'horizon vers le nord. Elle constitue donc le lieu de ballade par excellence lors des week-ends. On peut même y monter, à l'époque à pied, depuis Shemiran, en empruntant la ruelle bordée de cafés et de boutiques qui monte en sinuant dans une gorge étroite. Je suis monté ainsi plusieurs fois au sommet du Totchal (3901m).

J'y ai même bivouaqué au sommet avec un prof coopérant (et non militaire comme moi). Il y avait beaucoup de vent à cette altitude et nous avions installé la tente à l'intérieur d'une sorte de kiosque rond dont la plupart ds vitres étaient explosées. Cela nous abritait malgré tout un peu. Je me souviens d'avoir eu très froid et la nuit m'avait paru interminable : mon matériel n'était pas au top. Mais le matin, quel spectacle magnifique et sûrement assez rare, tant il est contrasté : vers le sud, pratiquement à l'aplomb de nous, la ville étalée et le plateau iranien descendant en pente douce à l'infini ; vers le nord, l'ouest et l'est, le moutonnement, lui aussi infini, des montagnes enneigées. Malheureusement, je n'avais pas emmené mon appareil de photo, sans doute pour m'alléger mais surtout pour économiser la pellicule : on était bien loin du numérique et du mitraillage qu'il autorise.

J'ai pris des photos de ce même Totchal, une autre fois, sans doute en mai 71, à l'occasion d'une randonnée à ski : montée depuis Téhéran (2100m de dénivelée) alors qu'il faisait encore nuit et redescente à ski de l'autre côté, sur le face nord donc. Ma photo de Téhéran encore endormi est complètement floue mais elle donne une vague idée de l'ambiance.




Puis, l'horizon s'éclaircit peu à peu.



C'est le moment d'un petit casse-croûte.

I

Il fait sérieusement froid. J'étais seul à ne pas avoir froid aux  pieds. J'avais dû trop les serrer dans  mes chaussures et je ne les sentais plus. Il a fallu  frotter violemment mes pieds nus.  Je me souviens encore du retour de la circulation sanguine !

Malgré ce petit coup de fouet, on commence à tirer la langue.




Mais l'arrivée au sommet en vaut la peine.

La vue, côté est. On entr'aperçois le Demavend.


Voici le Demavend (5676m) point culminant de l'Iran.
Nous sommes à peu près à mi-chemin entre son sommet et notre point de départ à Téhéran.

Côté nord-ouest.

Derrière cette barrière montagneuse, c'est la plongée dans la mer Caspienne

Côté sud, le vue n'est pas moins impressionnante.


Téhéran à nos pieds


On met nos skis, immenses par rapport aux paraboliques actuels, et c'est a descente. 


La descente est, comme souvent en randonnée, pas terrible. La neige est de la tôle ondulée pendant un bon moment puis se radoucit pour devenir parfaite sur une courte distance avant de se transformer en soupe.

Votre serviteur, dans un style un peu emprunté.
Je reconnais le sac à dos que j'avais, 10 ans plus tôt, quand j'étais scout.
J'ai gardé un souvenir précis de l'arrivée même si je ne me souviens plus des moyens utilisés pour rejoindre Téhéran ensuite. Nous avons déchaussé près d'un village, au milieu des champs entourés de peupliers. Nous nous sommes assis dans l'herbe. Le soleil était chaud et les odeurs semblaient magnifiées par ces longues heures passées dans la neige. Une jeune fille nous a apporté une grande jatte de ce yaourt inimitable dont je n'ai jamais retrouvé ni le goût ni la texture. Celui que l'on trouvait dans les supermarchés, servis dans de grands pots de grès, n'étaient pas moins bon que ce yaourt de paysans. Pour en avoir parlé à d'autres, y compris à des Iraniens de France, je ne crois pas que cette sensation résulte du simple embellissement d'un lointain souvenir de jeunesse. Comme le riz et le thé, autres souvenirs ineffaçables.

http://fr.snow-forecast.com/resorts/Tochal/photos/6637
Ces skieurs de 2009 ont eu plus de chance avec la neige du Totchal que nous.

Nous avons essayé par 2 fois d'atteindre le sommet du Demavend pour le redescendre à ski. Les 2 fois nous avons échoué à la même altitude, à 4600m. La 1ère fois, un homme d'une cinquantaine d'années (un vieillard !) qui s'était joint à notre petit groupe de coopérants militaires, avait eu des problèmes cardiaques et il avait fallu perdre rapidement de l'altitude. Une 2ème fois, ce fut le mauvais temps qui nous fit renoncer peu après la nuit au refuge situé à 4300 m. C'est une ascension assez pénible, car elle paraît interminable : la pente absolument régulière du volcan enlève tout repère et l'on semble éternellement proche d'un sommet qui se dérobe perpétuellement.

Je ne me rappelle plus si c'est la 1ère ou la 2ème fois (sans doute la 2ème car je me souvenais des  difficultés de la 1ère et avait prévu la nécessité d'un viatique) : j'avais emmené une bouteille de cognac, local ou russe, je ne sais plus, (de préférence à mon appareil de photo, ce qui montre bien mes priorités de l'époque). Nous ne l'avions finalement pas entamée pendant l'ascension, même pas le soir au refuge. L'altitude enlève ce genre d'envie et je l'avais redescendue intacte à la voiture. Nous l'avions terminée en arrivant à Téhéran. A 3, je précise, le conducteur en étant privé (je m'étonne, et me réjouis, rétrospectivement de notre sagesse). Sur le moment, la fatigue aidant, nous n'avions pas du tout senti la montée de l'ivresse. Ma difficulté à franchir le portail du 12+1 kutche Behesht m'en a fait prendre conscience.
A l'époque, trouver de l'alcool ne posait aucun problème, pas plus que de la charcuterie que fabriquaient et commercialisaient les Arméniens, de confession chrétienne. Simplement, il n'était pas question de consommer en public. Si j'en crois les récits des voyageurs actuels, la situation d'aujourd'hui n'est pas très différente.

Nous étions assez souvent invités par le conseiller culturel français qui était un ami de notre beau-frère, le philosophe Louis Marin. Un soir, j'étais assis à table à côté d'un capitaine pas beaucoup plus âgé que nous (je tiens son grade de ses dires, car je ne connais(sais) rien aux signes extérieurs de la hiérarchie militaire). On le disait responsable du 2ème Bureau. Il avait dû m'interroger sur nos occupations extra-professionnelles et je lui racontai nos randonnées à ski. Il en fut ébahi, s'étonnant bruyamment que ces "planqués" que nous étions forcément aient le goût de l'effort physique. Mai 68 était encore tout proche. Pour lui tous ces sursitaires, ces "intellos", n'étaient que des chiffes molles qui avaient trouvé dans la coopération le moyen d'échapper à la rude discipline des armées.

A côté des randonnées, on pouvait pratiquer également le ski traditionnel. Il y avait à l'époque 3 stations de ski : Abali à l'est de Téhéran, était plutôt un stade où l'on se promenait, skis aux pieds, comme je l'ai vu faire dans les années 30, dans les albums familiaux.  Shemshak, à 1 h, 1h et demi, de Téhéran était une vraie station,  déjà ancienne puisque datant d'une dizaine d'années. La neige n'y était ni très abondante ni très bonne mais c'était suffisamment proche pour qu'on y parte sans problème pour la journée, même si la route n'était pas complètement goudronnée.

La route de Shemshak après une chute de neige.

Shemshak est un vrai village et non une station artificielle consacrée au ski. Nous y avons passé une semaine, hébergés dans l'internat d'une école désertée pendant les vacances scolaires (qui, s'y je me souviens bien, coïncidaient avec celles de fin d'année en Europe).

Dizin, au contraire de Shemshak, était une création ex nihilo qui n'avait qu'un an. La neige y était abondante et excellente car les pistes s'étageaient entre 2600 et 3500m. Ski facile sur des pentes largement ouvertes. Seul danger, le soleil qui, à ces altitude et latitude, était particulièrement violent. Je me souviens avoir vu, en avril, des hommes skier avec un bas de femme  percé aux yeux, sur la tête, ce qui leur donnait un air quelque peu inquiétant. Seul inconvénient, la longueur du trajet pour venir skier la journée (je ne me souviens plus s'il y avait un hôtel ; c'était de toutes façons, hors de portée de nos finances). 2h et demi de route étaient nécessaires bien que Dizin ne soit pas très éloigné de Shemshak. Mais on ne pouvait y accéder que depuis la Caspienne puis revenir plus au sud pour attaquer la montagne sur le versant opposé à Téhéran. Désormais, on peut y accéder depuis Shemshak.

Je n'ai pas pris de photos mais elles ne manquent pas sur Internet car c'est la 1ère station d'Iran.

http://fr.snow-forecast.com/resorts/Dizin/photos/6358

http://www.snowsphere.com/images/stories/Iran/03_Dizin.JPG

Ces photos d'aujourd'hui correspondent bien à mon souvenir. A l'époque j'affectais de mépriser ce ski un peu trop facile. Il me conviendrait parfaitement aujourd'hui avec, de plus, de bons paraboliques, et non les immenses skis en aluminium que j'avais achetés alors.

La station était fréquentée par les étrangers et la haute société iranienne. Un jour, avec l'Iranien assis à côté de moi sur le télésiège, nous avons échangé, en français, nos impressions sur les mérites comparées du ski en Suisse ou en France, et dans mon pays, entre les Trois Vallées et Tignes-Val d'Isère.


Peut-être sur ce télésiège qui ne semble pas avoir changé en 40 ans.

Trois semaines plus tôt, il avait skié en Suisse, à Davos ou Saint Moritz, je ne sais plus. Sans doute à Saint Moritz, où le shah avait racheté en 1966 le chalet d'Audrey Hepburn.

http://www.noblesseetroyautes.com

Telle était la société que notre statut d'étranger nous amenait à fréquenter (pas le Shah, grâce à Dieu, même si on pouvait l'apercevoir à l'Opéra, notamment pour ce ballet où nous avions repéré une danseuse extraordinaire, qui émergeait de la troupe d'Alwin Nikolais, la grande Carolyn Carlson dont je tombais littéralement amoureux dès ce moment-là). Même si je trouvais ma solde militaire bien chiche, elle nous permettait un mode de vie bien éloigné de celui de la population. J'en pris conscience lors d'une soirée à l'Institut français. Un professeur d'Université s'enquit paternellement de ma condition matérielle. J'allais pleurer misère et lui révéler le montant de mes revenus mais en futs, heureusement empêché pour une raison quelconque. J'appris par la suite que son salaire était inférieur au mien.

Mais quittons ce monde dans lequel je n'étais pas très à l'aise même si j'en profitais. La montagne, c'était aussi les promenades tranquilles, dans une nature splendide.



Une piste qui s'enfonce dans la montagne, près de Téhéran, et que l'on suit tant qu'elle est praticable.

Mon vaillant break 204 Peugeot. 
La voiture est immatriculée dans l'Oise, il s'agit donc de février 72.

En perspective, l'inévitable Demavend.


On se croit seul mais, en nous retournant pour voir le chemin parcouru....



....on aperçoit un troupeau de chèvres que l'on a dépassé sans le voir, tout occupés à faire progresser le voiture le plus loin possible.


Le berger semble aussi heureux que nous de cette rencontre improbable.





Une corde retient sa peau de mouton et son sac, ses pieds sont emmaillotés par des chiffons ficelés. On est loin de l'univers de Dizin. La conversation est limitée mais, une fois de plus, Séverine est pour beaucoup dans le succès de l'échange.

Autre ballade, à la mi-mai 1972, au dessus de Qazvin. Il ne fait pas beau. Cette année-là l'hiver est interminable. Mais nous sommes entre copains et la nature reste très belle malgré tout.






Les prairies sont couvertes de tulipes sauvages (on retrouve un peu la même espèce dans les tulipes dites botaniques).


Puis c'est le retour
 Nous étions venus à 2 voitures : la mienne et la 404 d'un copain 
qui a percé son radiateur ce jour-là sur la piste.

La redescente nous réservait une surprise : une jeune femme en train de tisser une bande de kilim sur un métier plutôt sommaire.


Ce n'est pas nous qu'elle veut chasser avec sa baguette mais des gamins qui s'amusent, je ne sais pour quelle raison, à l'ennuyer.





Puis elle se remet au travail, sans nous regarder bien sûr et nous aussi nous reprenons le chemin de Téhéran.

La prochaine fois nous partirons vers le nord et l'est, vers la Caspienne, la région du Guilan et jusqu'aux steppes des turkmènes.

En attendant vous pouvez consulter le blog d'un enseignant français à Téhéran. J'y ai retrouvé plus de souvenirs semblables que de dissemblances : http://occazbauduin.blogspot.com/

Une vidéo tournée à Dizin et Shemskak ne m'a pas dépaysé complètement, malgré les 40 ans d'écart :

Ski Safari Iran 2009 By Jean from MeltingSpot Association on Vimeo.

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