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samedi 19 février 2011

Iran, années 70. 5. Le tour du désert du Lout

A partir d'aujourd'hui, nous partons dans le sud de l'Iran. Jusqu'à maintenant nous n'avons visité qu'une toute petite partie de ce pays grand comme un peu plus de 3 fois la France.  Pour arpenter l'Iran, surtout à cette époque où seuls les grands axes étaient goudronnés, il fallait plus de temps qu'un simple week end, même s'il m'est arrivé d'aller à Isfahan pour une visite rapide (1000kms aller et retour).  

Restaient donc 4 possibilités lors de ce court séjour de 2 ans en Iran : 2 vacances de Noël et 2 vacances de Pâques puisque le 1er été, je rentrai en France (notamment pour faire du tourisme en Turquie) et le 2ème, je poussai une pointe en Afghanistan.  En fait, je n'utilisai pas ces 4 possibilités mais seulement 2. Pour les 1ères vacances de Noël, je partis une semaine à Shemshak avec d'autres profs pour une semaine de ski (cf. Iran, années 70. La montagne) ; quant aux vacances de Pâques 1972, je les passais au Liban et en Syrie. Je ne fis donc que 2 voyages  de 2 semaines : en avril 1971, le tour du désert du Lout ; à Noël 1971, une descente au sud de Chiraz. Même en ajoutant une escapade dans l'ouest, en août 1971, il me reste encore bien des endroits à visiter. Un jour peut-être ?



Le tour du désert du Lout avait été organisé par un ami, VSNA comme moi, qui avait acheté une vieille Land Rover bâchée. Nous pûmes partir à 6 dans ce tacot qui ne cessa de nous créer des problèmes mais qui fut bien utile sur des pistes pas toujours commodes. L'embrayage nous lâcha assez rapidement et il fallait pourtant éviter de caler car la batterie était faible. Elle finit d'ailleurs pas déclarer forfait ce qui nous valut de tester la gentillesse des routiers iraniens. Gentillesse qui alla, une fois, jusqu'à démonter la batterie du camion pour la brancher directement sur la Land afin de la redémarrer. A partir de là, interdiction de caler, même s'il fallait passer en catastrophe au point mort lors des arrêts. Heureusement, la souplesse de ce moteur rustique permettait de redémarrer sans embrayage.

A cette exception près, le voyage se déroula sans problème, contrairement à ce qui devait se passer 9 ans plus tard, en avril également, lorsque l'armée américaine connut un de ses plus fameux fiascos dans ce même désert du Lout. Partie pour délivrer les 53 otages américains retenus à Téhéran, la formidable armada, composée de 6 gros porteurs Hercules et de 8 hélicoptères,  s'auto-détruisit en plein désert, battue par les éléments et son impréparation, sans qu'aucun combattant de la Révolution islamique n'eut à intervenir : 3 hélicoptères sur 8 tombèrent en panne, ce qui conduisit l'unité d'intervention, à peine posée dans le désert du Lout, à renoncer à l'opération. Les Américains apprirent à cette occasion, ce que tout touriste a pu constater dans n'importe quel désert du monde, c'est que le désert n'est pas désertique : ils durent garder prisonniers les 44 passagers d'un bus  qui fit inopinément irruption au milieu de leur joyeuse bande de guerriers sur-armés. Ces braves Iraniens vécurent ainsi sans doute l'émotion de leur vie : découvrir dans ces lieux  habituellement inhabités, 6 énormes avions, 8 hélicoptères et 120 hommes roulant les mécaniques avec leur équipement de Robocop, devait constituer un spectacle plus étonnant que le débarquement de petits martiens verts.

Mais ce n'était rien à côté de ce qui allait se passer. Au moment de re-décoller pour rejoindre leurs bases après avoir décidé d'annuler l'opération faute d'hélicoptères en état de marche, un des hélicos, aveuglé par le nuages de poussière soulevé par ses pales alla percuter un des Hercules qui s'enflamma. Ses munitions détruisirent une partie de la flotte en explosant. 8 morts. Les survivants embarquèrent en catastrophe, abandonnant leurs morts, des carcasses calcinés et même des documents compromettant pour la CIA. Pas besoin de wikileaks !

Finalement notre vieille Land Rover brinqueballante nous permit de réussir, sans drame, un magnifique périple, dont je n'ai pas de photos, une fois de plus, pour des raisons que j'ai oubliées, sauf quelques photos au début et des copies, mauvaises, de diapos des autres, pour la suite du voyage. 

En partant, nous longeons l'enceinte sacrée de Qom, d'où, 9 ans pluis tard, Khomeiny dirigera la République islamique.


Puis on quitte la civilisation pour un certain temps en longeant l'autre grand désert, d'Iran le désert de sel du Khévir que l'on aperçoit au loin.


Autre aspect du Khévir

Le paysage, en approchant de Kashan est typique du plateau iranien : de vastes plaines caillouteuses bordées de petites montagnes que l'érosion a déchiqueté, leur donnant l'aspect de véritables sommets malgré leur faible élévation.



Puis, c'est Kashan avec son magnifique bazar et ses jardins. 



Comme toujours en Iran, les villes semblent encore plus magnifiques du contraste qu'elles offrent après la longue traversée d'étendues désertiques où peu d'aspérités accrochent le regard. Ce sont des sortes d'oasis qu'il faut espérer avant de les découvrir. Sinon, on risque de percevoir la poussière plus que la verdure, le délabrement plus que la splendeur passée. C'est vrai à Isfahan ou à Chiraz aussi bien qu'à Kashan ou Kerman que nous allons traverser. 




Descendre d'un avion dans la "ville des roses" (Isfahan) vous condamne à n'en trouver aucune. Sans aller jusqu'à voyager au rythme des chameaux, il est bon de ne pas abolir la distance d'un coup d'aile trop rapide sous peine d'être déçu par les récits des voyageurs du passé. Certes, ce passé était plus spectaculaire que notre présent pétaradant mais il subsiste des traces de sa splendeur que seules l'attente et l'impatience d'arriver rendent vraiment sensibles.

Après Kashan, voici Yazd, la capitale des Zoroastriens. Ancienne étape de la route de la soie, la ville est célèbre pour ses "tours du vent" où les adorateurs du feu exposaient autrefois leurs morts pour qu'ils soient dévorés par les charognards car la terre ne doit pas être souillée par la putréfaction. J'ai vu cette tour (photo de Wikipedia commons) mais n'ai pas conservée de photo personnelle.
La ville de Yazd aujourd'hui (Wikipedia commons)

Après Yazd, voici Kerman dont je n'ai conservé que cette photo de tours des vents. 

 
Ce système de climatisation sans dépense d'énergie, peut sembler sommaire mais il est efficace. Le mécanisme de cette ventilation n'est pas celui que l'on pense. La tour ne capte pas le vent. pour créer un courant d'air rafraichissant, sinon le dispositif ne fonctionnerait que rarement. C'est parait-il la petite différence de pression entre le sommet de la tour et les pièces du bas qui sert d'extracteur de l'air chaud, permettant l'arrivée d'air plus frais par le bas. Ces petites différences de chaleur se cumulent pour aboutir à une baisse significative des températures que j'ai effectivement constatée sans que l'on perçoive le moindre souffle d'air en bas.

A partir de Kerman, nous allons tangenter le Lout (Dasht-e-Lut) jusqu'à Zahedan. Le Lout fait partie des rares déserts absolus du monde et l'on peut s'allonger par terre sans craindre de déranger un scorpion.

 Photo prise par Bernard.
Désormais toutes les photos qui suivent sont des copies de celles de Bernard.


 
Votre serviteur à gauche.

Principale ville sur le trajet : Bam, une oasis de 100 000 habitants qui a été très endommagée par un séisme qui fit 40 000 morts en décembre 2003. Quand nous la découvrîmes en décembre 1971, elle pouvait déjà donner l'impression d'avoir été détruite par un tremblement de terre. Des quartiers entiers, aux maisons construites en terre, étaient abandonnés : quand une maison de terre est abîmée, on la quitte pour construire un peu plus loin ; bâtie avec de la terre, elle retourne lentement à la terre.

Photo prise depuis la citadelle 
Au loin la ville moderne.


Les environs de Bam

 Partie habitée de Bam.

 Cimetière près de Bam

Sur la route de Zahedan, nous trouvons ce magnifique village fortifié.

Zahedan, la capitale du Séistan qui jouxte le Pakistan et l'Afghanistan, ne m'a pas laissé de souvenirs. 

 On arrive à Zahedan.

En revanche, j'ai gardé une impression très forte du poste frontière avec le Pakistan que nous étions allés visiter comme une curiosité ; toujours cette fascination des frontières, surtout quand rien dans le spectacle qu'offre la nature ne rend compte de cette division arbitraire introduite par les hommes. Je vois encore ce portique bariolé, qui ouvre sur une piste poussiéreuse comme celle que nous venons d'emprunter (aujourd'hui, c'est une "highway", si j'en crois Google Maps. Devant, la même aride solitude que derrière. Sous le portique, une minuscule Mini , avec à son bord un couple d'Anglais qui doit avoir la soixantaine. Sans doute vont-ils rejoindre l'Inde depuis la verte Albion. Les voici qui démarrent, tout droit devant eux.  Au loin, l'Inde verdoyante qu'ils ne peuvent encore qu'imaginer, tant cette vision est différente du désert qu'ils ont devant eux. Comment  ne pas regretter cette époque disparue où il était possible de voyager sans crainte dans tous ces pays ?

Nous voici maintenant au point le plus au sud de notre voyage. Nous remontons vers le nord, avec un petit crochet dans le saillant qu'enfonce l'Iran dans l'Afghanistan à Zabol. C'est désormais une ville moderne avec ses rues bien goudronnées, ces voitures. A l'époque, les rues étaient toutes en terre. Il n'y avait pratiquement pas de voitures. En revanche, de très nombreuses motos russes faisaient pétarader leurs moteurs 2 temps dans le panache  bleuté de l'huile brûlée. Surtout la ville connaissait une sécheresse de plusieurs années et, par conséquence, une extrême misère. Beaucoup d'enfants sont pratiquement aveugles, victime de trachomes qui recouvrent leurs yeux de taies blanches opaques. C'est un spectacle affreux. Les mouches qui sont à l'origine de la maladie continuent de se poser en grappes sur leur visage.

Nous ne restons pas. Nous partons à la recherche du lac de Zabol dont on a vu le tracé bien net sur les cartes. Mais, tel la mer d'Aral, le lac a disparu. Malgré tous nos efforts, impossible de trouver de l'eau, pas même une mare. Il y a dû bien y avoir un jour de l'eau car la cuvette est remplie de roseaux que les Seyyed récoltent pour en fabriquer des huttes ou des palissades. Aujourd'hui, Google Earth montre bien un lac. Tant mieux pour cette région qui a bien d'autres malheurs, notamment des attentats meutriers d'origine sunnite qui endeuillent le Séistan.

Hutte de Seyyed


Le lac !

Nous discutons avec les gendarmes qui nous assurent que nous pouvons rejoindre la route Zahédan-Meshed sans revenir sur nos pas. Nous décidons de tenter le coup malgré l'état inquiétabnt de la Land Rover. Très gentiment, un gendarme nous conduit sur sa moto jusqu'à un point d'où nous ne risquons plus de nous perdre. Puis là, au milieu de nulle part, il s'arrête nous montre les traces de pneus et nous dit de les suivre tout droit. Ce n'est pas une piste au sens strict mais une juxtaposition de traces sur la terre. 80 kms devant nous, mais je ne me rappelle pas avoir éprouvé de véritable inquiétude. Nous ne rencontrerons absolument personne. En revanche je me souviens bien de notre joie à découvrir une grosse flaque d'eau, pas même une mare, dans laquelle nous nous vautrons avec délice. Encore un exemple de la loi des contraires. Un peu d'eau boueuse dans cet univers desséché vaut tous les lacs, même pour le natif des bords du lac d'Annecy que je suis.



Petit à petit, les traces se précisent, nous sommes sur une véritable piste, dans un paysage minéral magnifique.


Je ne me rappelle plus la fin du voyage. Nous étions surtout préoccupés par l'état de la Land qui se dégradait comme celle d'un vieillard grabataire. Mais, nous sommes finalement arrivés à Téhéran par nos propres moyens.

La prochaine fois, nous redescendrons dans le sud, mais, cette fois-ci, le sud flamboyant, celui d'Isfahan. Et les photos seront meilleures !

3 commentaires:

  1. Passionnant récit! Nous sommes toujours happés…
    Des photos toujours incroyables qui n’offrent jamais le même visage et sont un plaisir pour le promeneur que nous sommes à la découverte de chacun de tes pas. Oui on reste suspendu le temps du récit et dans l’attente de la suite !!!

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  2. Je ne sais plus comment je suis arrivé sur votre blog...le hasard fait bien les choses...entre l'algerie et l'Iran du debut des années 70 ...splendides images d'une autre époque qui ne reviendra jamais...Zahedan...la fascination des frontières !!!
    J'etais en Iran en 1978.. plus au nord... Mashad , en route vers l'Afghanistan et vers l'Inde....Tellement de regret de constater qu'aujourd'hui en 2013 ...l'Orient est devenu totalement "off limits" !!!

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  3. Routes pop à la Jack K, couleurs passées, visages souriants, séquence nostalgie... Merci, un grand merci pour ce témoignage de la magnifique époque des vrais routards...

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