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samedi 9 avril 2011

S'il n'est "Poincaré", c'est qu'il est rond.

Hier soir, j'ai reçu sur mon Iphone une alerte du Monde : M. Borloo quittait l'UMP. C'était la 2ème étape sur un chemin qui l'éloignait peu à peu du Président de la République :  après avoir renoncé à continuer d'appartenir au gouvernement que soutient l'UMP, déçu de ne pas être nommé, en novembre dernier, Premier Ministre, il franchissait un second pas dans la même direction.

J'avoue ne pas avoir porté beaucoup d'attention à cette nouvelle qui relève de ce théâtre d'ombres qu'on appelle la politique politicienne. Difficile de faire de cet éclat le prologue d'un drame shakespearien. Même un journaliste habitué à ériger le moindre événement  en affaire sensationnelle ressent quelque difficulté à voir dans  ce petit saut de cabri par dessus le caniveau de la rue de Valois, un lointain rappel du franchissement du Rubicon (pour ceux qui ne sont pas familiers de la politique française, le Parti radical, dit valoisien, dont M. Borloo est le président, siège rue de Valois). Je me suis empressé d'oublier dans le sommeil cette formidable péripétie qui voit un homme humilié et déçu se venger de qui ne l'a pas fait vice-roi.

Mais j'ai immédiatement dressé l'oreille ce matin quand j'ai entendu "dans le poste" le nom de la future arme de  guerre de Jean-Louis Borloo. Je dis "arme de guerre" même si personne ne sait contre qui finalement elle sera dirigée, ni même d'ailleurs si elle sera approvisionnée en munitions. Peu importe de quel côté penchera cette future formation. Le parti radical est coutumier de ce jeu de bascule entre la droite et la gauche depuis que, plein du souvenir de sa puissance passée, il ne joue plus que les troupes supplétives avec des effectifs incertains.

Ce qui m'a intrigué, c'est le nom : l'Alliance républicaine. Moi qui ai baigné depuis plusieurs jours dans l'histoire des joutes politiques du début du XXème siècle pour écrire ma dernière chronique (Expédié d'outre-tombe), je suis étonné de cette "correspondance des temps", pour reprendre le nom de l'émission de Jean-Noël Jeanneney, entre l'Alliance Républicaine de 1901 et celle de 2011, à 110 ans d'écart.

Je ne sais si les stratèges du parti radical ou ses communicants ont puisé volontairement dans cette terminologie qui remonte au temps où de la scission du Parti républicain progressiste (nationaliste et clérical) est née l'Alliance républicaine de Poincaré et Carnot dont le 1er acte fut de faire alliance (décidément) avec le Parti radical et radical-socialiste  de Waldeck-Rousseau. Il est possible que l'on ait voulu simplement suggérer ce grand rassemblement des centres que l'on espère. Après tout les mots ne sont pas infinis pour qui veut passer de la taille de grenouille à celle de bœuf : Rassemblement sent trop son RPR ; Mouvement est déjà pris par le Mouvement démocrate de François Bayrou (Modem) que l'on veut phagocyter, sans compter qu'il est revendiqué par le demi-frère ennemi, le Mouvement des radicaux de gauche (MRG) ; Fédération renvoie au lointain passé du programme commun ; Convention ferait ressortir François Mitterrand de sa tombe. Finalement les mots ne sont pas légion. Malgré tout, je suis tenté de penser que cette dénomination n'est pas due à l'imagination d'un communicant et qu'elle renvoie bien au souvenir du parti de 1901.

Les ressemblances sont en effet troublantes : Pourquoi des hommes quittent  en 1901 le Parti républicain progressiste (progressiste étant ici synonyme de réactionnaire, ce qui m'inquiète, car M. Borloo parlait de "laïcité progressite" quand il prit la direction du Parti radical) ? Sans doute pour des raisons opportunistes : à rester au sein du Parti progressiste, on n'avait aucune chance de retrouver  un jour le pouvoir. Mais comme, en 2011, l'ambition s'habille de valeurs, ou pour le dire de manière moins agressive, les valeurs, pour triompher, ont besoin d'être portées par des hommes ambitieux.

En 1901, quels sont ces valeurs : le dreyfusisme, c'est à dire la lutte contre l'antisémitisme et la laïcité. Sur ces 2 points, l'Alliance républicaine apporte un soutien non négligeable au Parti radical : l'Alliance ne cherche pas à humilier l'Armée pour réhabiliter le capitaine Dreyfus et ses adhérents sont des partisans de la laïcité, pas des anticléricaux. Grâce à eux, la lutte pour la laïcité du "petit père Combes", le Président du Conseil issu des élections de mai 1902 (celles-là même dont l'éruption de la montagne Pelée annula le 2ème tour.) , cette lutte donc, prend des allures presque convenables. Remplacez lutte contre l'antisémitisme par lutte contre l'islamophobie et vous avez la situation actuelle. Engagez dans ce même combat pour le respect de la 2ème religion de France, des gens qui pensent qu'il faut ne jamais oublier que "la France a des origines chrétiennes", vous pourrez être entendu d'un plus grand nombre de citoyens que si vous rameutiez seulement la horde échevelée des athées. Quant à l'éventuel motif opportuniste de M. Borloo, je vous laisse le soin de vous faire votre propre opinion.

Tout ceci ne m'intéresse guère, contrairement à ces petites curiosités auquel le parti radical nous a habitué : qui sait encore que le nom  déposé du parti des radicaux valoisiens est "Parti radical et radical-socialiste" ? Le dernier qualificatif a depuis longtemps disparu du vocabulaire de ses hérauts. L'évolution du parti radical tout au long du XXème siècle est exemplaire de l'histoire politique de la France avec ce lent glissement de l'extrême gauche à la droite sarkozienne, du statut de parti pivot de toutes les majorités de la IIIème République à celui de modeste tremplin, jusqu'ici sans ressort, pour des personnalités atypiques, comme Mendès France ou Jean-Jacques Servan-Scheiber, par exemple, ne se sentant à l'aise dans aucun des partis dominants.

Demain le ressort se détendra-t-il, l'Alliance réunira-t-elle et réussira-t-elle ? Je ne sais mais j'ai des doutes car l'image assez nette que l'on peut se faire de l'Alliance républicaine de 1901 est curieusement chamboulée en 2011, étrangement inversée dans un méli-mélo évoquant quelque monstrueux accouplement : hier, l'Alliance était née du Parti progressiste pour se marier avec le Parti radical. Aujourd'hui c'est le minuscule parti radical qui prétend accoucher de l'Alliance. Qui est le papa, la maman, le fils indigne, l'épouse dévergondée de cette comédie de boulevard ?

A moins qu'il ne s'agisse d'une n-ième contorsion du Parti radical qui  a quelque entrainement en la matière : quand on doit agrémenter n'importe quel discours contemporain d'une référence au glorieux passé du parti, on a besoin, comme un cacique de la SFIO évoquant la Révolution, d'une solide rhétorique. Ce parti devrait prendre comme emblème, le ruban de Moebius, cette fascinante figure, formée d'un ruban dont on rejoint les 2 extrémités après en avoir tordu l'une d'elles. Si l'on promène son doigt sur la surface du ruban ainsi fermé en boucle, on passe insensiblement, sans jamais la moindre rupture, du dedans au dehors et vice versa. Tantôt dehors, tantôt dedans et vice versa. Tout un programme !

Au fait, j'ai oublié de justifier le titre, assez sibyllin, de ma chronique. Je crains qu'il ne le reste pour quiconque n'est pas familier de la marionnette  de Jean-Louis Borloo qui oscille dangereusement sur la scène des Guignols de Canal +. Pardon, pour  tous ceux-là,  je ne veux pas expliciter plus avant mon mauvais jeu de mot : demain le 'rond" qui prend en ce jour la suite de Poincaré, sera peut-être  le centre sinon du monde tout au moins de mon petit pays. Pardon enfin à Jean-Louis Borloo qui ne succombe peut-être à aucune ivresse, pas même  à celle du pouvoir, mais apporte sa contribution, et toutes sont utiles pour ne pas dire urgentes, à la lutte contre l'infamie raciste. Comment ne pas souhaiter qu'elle soit efficace ?

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