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dimanche 15 mai 2011

Algérie 1977



Les circonstances font que je bouleverse l’ordre chronologique annoncé,  sautant par-dessus le séjour de mon père en Algérie en 1939-1940, pour évoquer mes 2 courtes virées en Algérie, en 1973 et 1977.

Au printemps 1977, j'ai visité le M’Zab, au sud d’Alger. L’essentiel des photos qui illustrent cet article ont été prises lors de ce passage de quelques jours à l’issue d’un voyage d’études en Algérie. Dans le cours de ma scolarité à l’ENA, il fallait choisir, à l’époque, 2 options en plus des enseignements obligatoires. J’avais choisi Culture (et pour cette option-là je, fis un voyage à l’automne 1977 en Pologne) et l’Algérie. Ces options impliquaient des cours, des rencontres et se traduisaient in fine par des rapports et l'attribution de notes. Ils étaient aussi l’occasion de voyages que les plus débrouillards organisaient avec force sponsors.

Je n’avais pas choisi l’Algérie sans motif personnel. La guerre d’Algérie n’était pas si loin. Elle avait été l’occasion de mes premières interrogations politiques et de mes premiers engagements. C’est en 1960 qu’à l’instigation de mon meilleur copain de l’époque, j’avais participé à ma première manif, à Limoges, contre la poursuite de la guerre d’Algérie. J’étais impatient de voir comment l’Algérie évoluait. Notre statut d’élève de l’ENA nous permettait de rencontrer des responsables, ministres et chefs d’entreprise et de visiter les réalisations de l’Algérie socialiste. Ainsi je pourrais compléter mes impressions de touriste lors de mon premier voyage.
J’étais allé en Algérie une première fois en septembre 1973, dans un contexte également professionnel. Je me souviens bien de la date (contrairement à mon voyage dans le M’Zab, dont j’infère la date précise à partir de divers indices). C’est à la terrasse d’un café d’Oran où je prenais mon petit déjeuner, le 12 septembre 1973, que j’appris, en lisant un journal algérien, l’assassinat d’Allende, la veille ; un autre fameux  et tragique 11 septembre que je n'ai jamais oublié.

Une rue d'Oran en septembre 1973

Ce 1er séjour à Oran avait été assez troublant pour le jeune partisan de l’Algérie indépendante de mes années de lycée. Je présidais le jury de bac venu de Marseille, où j’étais prof pour encore 2 mois, avant de me lancer justement dans la préparation du concours d’entrée à l’ENA. Après avoir corrigé l’écrit depuis Marseille, notre jury était venu faire passer les épreuves orales du bac français. Je ne sais pas si cela existe encore. Je ne me souviens pas non plus s’il s’agissait d’élèves préparés par un établissement français ou sous contrat avec la France, mais il s’agissait bien du même bac (de philo) qu’en France.

Le déroulement des épreuves sur une durée de près de 2 semaines, avait été assez rock n’ roll. Je me souviens notamment des pressions que j’avais reçues pour garantir le succès d’une jeune candidate. « Ses parents étaient richissimes, avaient un voilier sur lequel ils aimaient bien recevoir, etc. » Heureusement, la jeune fille était excellente et je n’eus pas à mettre ma conscience à l’épreuve. Je ne suis pas monté sur le bateau non plus.

Dans une rue d'Oran

Le prof d’histoire-géo était un pied noir, jovial et dynamique mais il avait adopté une attitude assez déplaisante ; il ne cessait de comparer l’Algérie qu’il avait quittée 11 ans plus tôt avec l’Algérie socialiste de Boumediene. Il faut dire que de nombreuses occasions d’exercer sa verve satirique lui étaient données. La ville d’Oran, au demeurant charmante, avait pris déjà un air gentiment délabré avec la sur-occupation des immeubles coloniaux. A la gare de Bel Abbès où nous reprenions le train pour rentrer à Oran  après une escapade dans sa ville natale, il avait eu beau jeu de rire des cheminots algériens qui n’arrivaient pas à faire décoller un train de marchandises, malgré le rugissement des 2 locomotives diesel, polonaises ou tchèques, je ne sais, qui patinaient sur les rails. Les freins du convoi devaient être serrés à bloc.

Une rue de Bel Abbès. Au 1er plan, l'épouse du prof d'histoire-géo.

Je peux comprendre la réaction de celui qui s’estimait chassé de chez lui. Mais il regrettait un passé qui n’était guère glorieux. Je me rappelle un déjeuner au Rotary (ou Lyons) Club d’Oran où il m’avait emmené. La salle de restaurant dominait le port de plaisance. Il y avait là quelques européens restés après 62 et des notables algériens dont on comprenait qu’ils avaient dû savoir pactiser avec le colonisateur. C’était un petit ilot réactionnaire, au sens propre du terme, qui abreuva mon pied-noir d’anecdotes qui n’étaient pas destinées à le faire changer d’avis sur l’Algérie algérienne. J’ai retrouvé quelquefois dans certains cercles d’outre-mer cette atmosphère malsaine où le mépris du bon peuple cimente des alliances improbables entre nantis et profiteurs de leurs miettes.

Il y eut heureusement d’autres rencontres. D’abord, ce pharmacien de Tlemcen qui nous reçut somptueusement. Je m’étais jeté sur les côtelettes d’agneau aux amandes, sans imaginer qu’il ne s’agissait que d’une entrée et j’avais manqué vomir d’enfourner, malgré mon écœurement, force méchoui pour tenir mon rôle d’hôte comblé.

Notre hôtesse de Tlemcen

L’étonnante conversation qui se déroulait alors, détourna mon attention et me sauva.
« Tu ne fricotais pas un peu avec le FLN, demanda à notre hôte, le prof d’histoire-géo.
- Mais bien sur ! Je faisais mieux que fricoter, comme tu dis. Tu ne t’en étais pas aperçu ? Et X, le juif que tu aimais bien, il était aussi avec nous, etc… ».

Ils évoquèrent ainsi plein de souvenirs, des souvenirs communs, sans doute, mais communs d’une bien étrange manière, puisque évocateurs de moments effectivement partagés, mais dans le mensonge et la dissimulation. Et les voilà, malgré ce passé, malgré cette guerre si brutale, en train de bavarder comme les anciens amis qu’ils étaient aussi. Tout cela, 11 ans seulement après.

Mon cicerone, le prof d'histoire-géo.

Je n’arrivais pas à comprendre vraiment ce qui se passait, je n’y arrive toujours pas, mais ce mystère avait quelque chose de réconfortant.

Le week end, nous étions partis, mon prof d’histoire-géo aux raisonnements qui rappelaient l’ancien OAS, et moi, jusqu’à Bel Abbès, sa ville natale. Nous étions passés devant sa maison ; il avait fait preuve, pour une fois, de délicatesse, nous étions restés au loin.

Puis nous avions quitté à pied la ville poussiéreuse pour aller marcher dans les champs de son père. C’était (encore ?) des vignes. Là, je pouvais comprendre son émotion, moi qui passe, chaque fois que je vais à Annecy, devant la maison de mon enfance, avec le même petit pincement au cœur. Mais je n’avais encore rien vu.

Un homme d’un certain âge, vêtu comme un paysan, vint à notre rencontre, intrigué par ces 2 européens qui marchaient au milieu des vignes. Puis, brusquement, il se jeta dans les bras de mon ami, des larmes dans la voix. J’ai oublié, comme d’habitude, les paroles qu’ils se sont dites. En revanche, je me souviens toujours très bien des ambiances, car à défaut de retenir les paroles, je n’oublie pas leur musique. Ce que l’ancien ouvrier agricole nous jouait là, c’était incontestablement «  le retour de l’enfant prodigue ».

Cette scène, qu’on dirait tirée d’un roman sentimental, a, bien sûr, des significations diverses. Elle dit peut-être quelque chose, ou peut-être rien, de généralisable, mais j’y ai bien assisté et elle continue à me troubler. Comment ne pas regretter notre sottise d’humains incapables de lâcher du lest avant d’être envoyés par le fond ?

Oran 1973

A Oran, un lieu permet d’évoquer une autre forme de la sottise humaine, Mers El Kébir qu’une colline sépare de la ville. A l’époque, la rade était complètement vide.

La rade de Mers El Kébir en 1973.

Les épreuves du bac terminées, j’avais pris quelques jours pour descendre dans le sud pour admirer le désert. Ma femme vint me rejoindre  et nous partîmes en bus pour Taghith, à 750 kms d’Oran, en passant par Aïn Sefra et Béchar.



Ce fut pour moi la découverte du désert de sable. Depuis les dunes qui menaçaient Taghith, on apercevait  le  Grand Erg occidental ondulant à l’infini. Nous avions montés, un matin, avant le lever du soleil, les 100 ou 150m de la dune qui surplombait l’oasis. Craignant que le soleil ne nous devance, nous avons escaladé  la pente raide aussi vite que possible, dans un sable si fin qu’il semblait s’ébouler de l’exacte hauteur de notre enjambée, nous condamnant à faire du sur place. En fait, nous montions mais au prix d’un effort dont je me souviens encore. Et pourtant j’étais diablement entrainé à l’époque.

Le Grand Erg au lever du soleil

Au retour, je regrettais presque les plaisanteries de mon prof d’histoire-géo. Il aurait adoré la petite scène qui s’était déroulée à l’aéroport. Air France pratiquait un surbooking effréné. Un Algérie important, que nous avons vu passer devant nous sans la moindre gêne, avait obtenu notre place. Il n’y avait plus de siège disponible sur l’avion de Marseille et l’on nous positionna sur un vol à destination de Toulouse, en nous payant le train Toulouse-Marseille. Pour nous dédommager, on nous surclassa en 1ère. Manque d’habitude ou de contrôle de soi, je  débarquais de l’avion complètement ivre avant de prendre le train pour Marseille. Je venais d'avoir 29 ans.

En 1973, je n’avais fait que du tourisme. J’aspirais à sortir de l’anecdote, toujours difficile à interpréter et j’étais impatient de rencontrer des responsables politiques et économiques qui me feraient comprendre l’Algérie présente, celle qui avait nationalisé les hydrocarbures et développait une économie socialiste.

J’ai tout oublié des enseignements reçus à Paris dans le cadre de cette option « Algérie » comme du rapport rédigé à l’issue du voyage d’études dont je ne garde que quelques souvenirs épars : la visite d’une aciérie avec le magnifique spectacle du métal fondu qui coule comme de l’eau ; le passage dans l’antique Hippone dont je ne vis pas grand-chose, suffisamment toutefois pour développer une rêverie autour de Saint Augustin (à qui je dois, j’en suis certain, mon succès à l’agrégation de philosophie ; mais c’est une autre histoire), la rencontre de quelques ministres que leur parcours avaient déjà bien éloignés de la France : études en URSS ou dans les pays de l’est, séjours à l’étranger, etc. Aucune trace d’anciennes relations de sujétion à la France et une assurance tranquille dans l’avenir du pays. Voilà qui nous changeait de l’image de l’éboueur ou de l’ouvrier des travaux publics croisé dans les rues de Marseille.

Pour être franc, j’avais été plusieurs fois gêné par le comportement de certains de ces responsables, bien différent de l’austérité, affichée mais aussi, je crois, tout à fait  réelle, de Boumediene. Je pense notamment au ministre de l’industrie, vrai potentat oriental fier de l’étalage de son luxe (il eut d’ailleurs de sérieux ennuis par la suite). Mais je chassais vite cette impression. On connaît les travers des hommes et notamment des hommes politiques. Ce qu’ils font compte plus que ce qu’ils sont. J’avais malheureusement tort. Beaucoup ont noté l’importance de la corruption dans le discrédit du régime piloté par le FNL.

Puis, le voyage  officiel terminé, nous sommes partis à 6 ou 7, pour une visite du M’Zab, pendant quelques jours. Ma femme était venue, cette fois aussi, me rejoindre à Alger et nous avons franchi en bus les 600 kms qui séparent Alger de Ghardaïa, la capitale du Mzab. Je ne me souviens pas du voyage aller qui avait mal commencé, l’un d’entre nous s’étant fait voler son portefeuille dans la bousculade du départ. Ce fut sûrement un voyage assez pénible mais instructif. Il me semble que nous avons voyagé de nuit, ce qui paraît raisonnable, mais je n’en suis plus très sûr.

 Nous avons voyagé dans un bus semblable. Celui-ci remonte vers le nord depuis Ghardaïa.

Nous avons logé dans un petit hôtel situé dans la palmeraie, au pied de la ville, un hôtel qui avait beaucoup plus de charme que de confort. Sa petite piscine verdâtre, couverte de feuilles d’eucalyptus, était fort jolie, pas suffisamment pour nous inciter à nous baigner dans son eau épaisse. Rien à voir avec celle de l’hôtel construit par Pouillon 3 ans plus tôt, hôtel luxueux qui dépassait de beaucoup nos moyens. 

Pendant le voyage d’études proprement dit, nous logions à Sidi Ferruch, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest d’Alger, dans un autre hôtel Pouillon, magnifique, car nous avions réuni pas mal d’argent de divers mécènes. Depuis 1966, Fernand Pouillon, condamné en France et radié de l'ordre des architectes (il sera réhabilité par la suite et encensé à la fin de sa vie pour son architecture inventive et peu coûteuse) vivait et travaillait en Algérie. C’est dans cet hôtel de 1968 que nous avions dîné avec Paul Balta dont les gens de ma génération se souviennent avec émotion. Correspondant du Monde de 73 à 78, il était traité comme un chef d’Etat par le personnel de l’hôtel. J’avais été choqué, à l’époque, par le plaisir qu’il semblait  trouver à cette déférence ostentatoire. Cela n’enlevait rien au fait que ses articles du Monde étaient soigneusement lus, découpés, archivés et ressortis dans les copies des potaches que nous étions. Mais à Ghardaïa, nous étions redevenus de simples touristes et nous retrouvions nos moyens personnels habituels. Fini le luxe.

Dans le grand hôtel Pouillon, nous n’avons pas logé mais sommes allés y admirer le coucher de soleil tout en piquant une tête dans sa piscine. Je préférais, toutefois, de très loin, notre petit hôtel dont le charme désuet nous ramenait des années en arrière, dans un pays d’avant le tourisme de masse.

Au lever du jour

Mais l’important, c’est de déambuler dans les rues de Ghardhaïa et des 4 autres villes traditionnelles que nous avons arpentées toutes,  sans en négliger aucune. Nous sommes même allés en taxi, ma femme et moi, voir la plus éloignée, Al Ateuf, à une dizaine de kms.

Je me souviens encore du merveilleux silence qui régnait sur le plateau désertique d’où l’on admirait la ville. Un silence absolu, total, un paysage, immense, aux lignes épurées, comme réduit à la simplicité d'un jardin zen

Al Ateuf

Au pied d'Al Ateuf

Alors, place au silence et aux souvenirs en images. Voici d'abord la capitale du M'Zab, Ghardaïa.


Ghardaïa, le matin

 à la nuit tombante

Au matin, depuis l’oued ; Difficile à imaginer mais il peut devenir dévastateur. En octobre 2008, l’inondation a fait plus de 30 morts. Il y a des vidéos hallucinantes sur YouTube.








La ville ancienne n’est pas construite par hasard sur le rocher. 
La ville moderne a dû s’étaler dans la plaine.

Dès la porte franchie, on vous donne des informations essentielles.

Celle-ci est explicite, même si la présence de l’enfant jette le trouble. Le message est-il plus complexe qu’on ne croit : il ne faut pas se tenir par le bras en public mais vite rentrer chez soi pour faire des enfants ? La signification du panneau suivant est encore moins claire pour ceux qui ne lisent pas l’arabe.


Imaginons une traduction très libre : « Tenir les enfants par la main, ne pas laisser divaguer les ânes »

De toute façon, nous étions les seuls touristes, ce qui paraît inimaginable aujourd’hui. Les Européens qui apparaissent sur certaines photos, ce sont les membres de notre groupe et eux seuls.

Les rues présentent des ambiances très différentes mais toujours très colorées.















Les femmes sont rares et toujours pressées, sauf lorsqu’il leur faut faire une halte pour reprendre leur souffle.Les mozabites sont pour l'essentiel des Ibadites, un courant rigoriste de l'Islam qui prône le respect strict, à la lettre, des préceptes du Coran. Curieusement, l'ibadisme, qui se distingue du chiisme comme du sunnisme, est surtout présent, très loin de là, dans le sultanat d'Oman.




Même si les femmes sont voilées, les petites filles vont à l’école.

 La voici partie avec entrain pour l’école.

Enfin, toutes ne vont pas à l’école et toutes ne sont pas voilées, comme ces nomades dont la liberté d’attitude tranche avec celle des citadines, cloîtrées mais tout aussi curieuses.







La rue est exclusivement masculine. Ce sont les hommes qui font les courses, même lorsqu’il s’agit d’étoffes pour leurs femmes.


Les femmes, on les retrouve sur les terrasses. C’est là qu’elles échappent à l’étouffement des maisons, comme à la curiosité des hommes. En voici un exemple, mais vous en découvrirez peut-être d’autres, sur d’autres photos.
Je sais que les murs aveugles des maisons cachent souvent de véritables petits paradis intérieurs, avec leur patio et leur verdure, que l’on entrevoit parfois, le temps d’un éclair. Mais ce sont justement des paradis minuscules. Même si elles ne sont conscientes que du côté pratique de l’étendage du linge, je suis certain que les femmes sentent, sans se l’avouer, combien l’horizon large, la perspective ouverte, leur conviennent mieux que l’étroitesse du foyer fermé sur lui-même.

Les habitants de Ghardaïa qui aiment les couleurs vives se sont jetés sur les paniers en plastique de couleur. On en voit beaucoup sur le grand marché qui fait la gloire de la ville.
















Quand j’ai retrouvé cette photo, j’ai été très déçu car elle ne traduit absolument pas l’impression ressentie alors. Ces 3 touaregs se tenaient un peu à l’écart et ne participaient pas à la fièvre commerciale générale. Ils affichaient une supériorité hautaine et distante et personne n’osait les regarder. Ce qui créait comme un vide autour d’eux. Pour tout dire ils étaient un peu inquiétants. Une fois ma photo volée dans la précipitation (je n’ai pas attendu que ces passants disparaissent), je m’étais précipité au loin, m’attendant à me faire héler d’une voix peu amène. Mais non, ils se moquaient de tout et de tous et n’avaient que faire de moi. Malheureusement je ne retrouve rien de cela dans ma photo.

Il y a aussi dans la ville des lieux plus calmes…



…où il fait bon deviser entre amis et même circuler en vélo dans les ruelles étroites.




Et si l’on veut plus de calme, on peut toujours s’évader dans la palmeraie aux portes de la ville.






Le charme provincial des 4 autres palmeraies, Melika et Bou Noura (toutes proches), Ben Isguen (la sacrée) et Al Ateuf à une dizaine de kilomètres,  est bien réel. Les voici, pèle mêle.

Melika


au 1er plan des tombes.



Bou Noura

Encore un cimetière.





Ben Isguen






Al Ateuf




Ghardaïa




Nous ne sommes pas repartis en autocar mais en avion. C’était un tout petit avion, d’une dizaine de places, me semble-t-il. Il volait très bas et ce survol du désert à basse altitude fut un enchantement. Je me rappelle cette ligne nette qui, brusquement, marqua la fin du désert, comme si on quittait un monde pour un autre.

Si le vol fut sans histoire, le départ avait été laborieux. Comme il s’agissait d’un petit avion, le pilote surveillait le pesage des bagages mais aussi des passagers. Devant nous, un couple d'Européens, autour de la cinquantaine, mais portant beau. Madame, qui ne me semblait pas particulièrement replète, refusait énergiquement de monter sur la grande balance dont l’énorme cadran nous faisait, malencontreusement, face. C’est vrai, le positionnement de cette balance était bizarre. Pourquoi ne pas le tourner de l’autre côté, ce qui aurait été plus discret et plus pratique pour le personnel ? Mais certains passagers y trouvaient peut-être l’avantage de se faire peser gratuitement.

Ce n’était pas l’avis de la dame qui devait avoir sûrement l’habitude de monter, dans sa salle de bains, sur une superbe balance, loin de tout regard, y compris de son compagnon.
La situation était bloquée, aucune des 2 parties ne voulant en démordre.

Son mari eut alors une idée géniale que j’aurais aimé avoir. Mais je suis certain qu’elle ne me serait jamais venue à l’esprit, tout agacé que j’aurais été et ne voulant pas, moi non plus, en démordre : « Arrête d’être stupide, tu ne vois pas que tu retardes tout le monde, allez, monte sur cette balance! ». Que mes compagnes veillent bien me pardonner cette goujaterie que j’aurais sûrement commise mais que les circonstances m’épargnèrent !

La mise en œuvre de son idée géniale fut toute simple, dans le genre « un petit pas pour moi mais un grand plaisir pour toi ». Il monta sur la balance et la fit venir auprès de lui. La grosse balance avec son gros cadran avait au moins cet avantage de pouvoir accueillir 2 personnes, nos 2 cinquantenaires dont on ne connut jamais le poids individuel. Mais ce n’était pas important pour le pilote que seul le poids global de ses passagers intéressait. Il eut l’intelligence, même s’il dut trouver le comportement de la dame absurde pour ne pas dire incompréhensible, de ne pas s'arc-bouter sur la règle qu’il avait édictée. Et nous montâmes tous, individuellement, sur la balance et, enfin, dans l’avion.

Ces questions d’équilibre de l’avion sont naturellement sérieuses et l’on a tous dû, une fois ou l’autre, changer de place dans un avion insuffisamment rempli, pour assurer l’équilibre avant /arrière. Mais il ne faut pas oublier, non plus, l’équilibre latéral. Cela peut donner lieu à des scènes aussi cocasses qu’à Ghardaïa. Le petit avion qui relie Wallis et Futuna (250 kms) doit emporter du carburant pour 1 000 kms, car il n’y a pas de kérosène à Futuna et l’avion doit pouvoir revenir se réfugier à Futuna, même en approche de Wallis, lors de son voyage de retour, si les conditions météo l’exigent. D’où 2 allers et retours  sans ravitaillement. Le bimoteur à hélices ne peut donc prendre qu’un petit nombre de passagers. Ajoutez à cela que les wallisiens sont énormes, très grands et très gros. J’ai vu ainsi le pilote intimer l’ordre au Président du Conseil économique et social de Wallis et Futuna, déjà affalé sur son siège (sur plusieurs d'ailleurs), de changer de côté pour rééquilibrer l’avion : le poids d’ un seul homme suffisait à mettre l’avion en danger !

Je ne sais pas qu’elle était la profession de ce voyageur qui quittait Ghardaïa. Diplomate ? Politique ? ou simplement un quidam suffisamment attentif à sa femme pour trouver cette solution, véritable œuf de Colomb, qui montre qu’il y a souvent, dans les situations bloquées sur des principes, une issue qui satisfait aux exigences des 2 parties. On sait aussi que le mutuel avantage ne suffit pas, souvent, à faire renoncer aux principes et à la joie mauvaise de l’affrontement inutile.

Ainsi se termina ce voyage en Algérie. Je n’y suis jamais retourné depuis. Je le regrette. J’étais rentré avec un certain optimisme sur la capacité du régime à redonner au pays sa fierté d’avant et à son peuple un confort de vie qu’il n’avait jamais connu. La lecture des journaux, les reportages de la télévision ne rassurent pas sur l’atteinte du 2ème objectif.

Quant à l’islamisme radical, nous ne pensions pas une seconde qu’il prendrait les formes violentes de la guerre civile L’idéologie socialiste de l’époque nous semblait l’exclure. Mais Boumediene mourut en 1978 et la guerre civile commença en 1990. Dans un article de 1994, Paul Balta, qui faisait l’essentiel de notre opinion sur l’Algérie, reconnaît qu’il n’avait pas imaginé, lors de son départ en 1978, le péril aussi proche ni aussi grand. Il y voit 2 grandes causes : la corruption et une démographie galopante. D’où une misère et un sentiment de révolte auxquels les professeurs venus du Proche Orient dans le cadre de l’arabisation à marche forcée ont donné une idéologie, l’islamisme radical.

Même si le spectre du fanatisme religieux s’est éloigné quelque peu, la société algérienne reste, semble-t-il, une société bloquée. L’explosion risque d’en être encore plus dangereuse.


Petit iguane à Al Ateuf.

2 commentaires:

  1. merci beaucoup pour ces belles photos est ce que t'as d'autres de bousaada

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  2. Merci. J'ai malheureusement publié la quasi totalité des photos prises à l'époque.

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