On a beaucoup parlé de mariage en cette année 2011. De mariages princiers, à la Cour d'Angleterre ou sur le petit rocher de Monaco. . Personnellement, je m'intéresse plus aux mariages de ces paysans qui sont mes ancêtres d'autant plus, ces temps-ci, qu'un de mes neveux, qui portent en lui un peu du souvenir de leur passage sur terre, vient de se marier. Aujourd'hui, je vous parlerai donc des mariages célébrés à Charron, la commune d'origine de mes ancêtres.
Ces
paysans picards, peints par Le Nain, un peu avant que ne commence cette
histoire
(vers 1640), ne doivent pas être très différents de ceux de Charron.
Je
vous les présente rapidement, ces Besse de Charron, ce petit village à la
frontière entre la Creuse
et le Puy de Dôme, le diocèse de Limoges et celui de Clermont-Ferrand, au
milieu de nulle part, puisqu’il est au centre d’un triangle formé par les 3 seules villes du coin, Guéret, Montluçon et Clermont-Ferrand.
Les Besse ont habité Charron dans la Creuse avant de se déplacer
de quelques kilomètres à Troissagnes, hameau de la paroisse de Charensat (Puy
de Dôme). Ils resteront dans ce dernier village auvergnat jusqu’au milieu du
XIXème siècle. Paysans-maçons, comme la plupart de ces cultivateurs qui
travaillaient une terre ingrate, ils passaient l’hiver au pays et repartaient à
la belle saison s’employer sur les chantiers de Lyon. Finalement, ils auront
les moyens de s’installer dans la grande ville, abandonnant sans doute avec
joie ces grands voyages à pied de près de 300 km . C’est mon bisaïeul,
Jacques Besse (1788-1845) qui habitera le premier à Lyon, même s’il reviendra à
Charensat à la fin de sa vie. Son fils François, mon arrière grand-père, s’y
mariera en 1863 et y mourra. Son fils unique, mon grand-père, y naîtra et s’y
mariera et mon père y passera sa jeunesse et y rencontrera ma savoyarde de mère.
Mais revenons aux premiers Besse connus. Mon
1er ancêtre Besse qui soit mentionné dans les registres de Charron
est un Michel Besse né vers 1640 – 1650. On ne sait rien de lui, pas même le
nom de sa femme (prénommée Mathieue). Il n’est que cité comme le père d’un
Marien Besse qui s’est marié en 1694 dans l’église de Charron avec une Martine
Dupuy. Les registres de Charron ne remontent pas, en effet, en deçà de 1674.
Le dernier qui sera né à Charron mais vivra
sur le territoire de la commune de Charensat est encore un Michel Besse. Né en
1747 dans le hameau du Grand Ecouteix, il sera métayer aux Echaliers (paroisse
de Charensat) avant d’être maçon. Il a épousé une Gabrielle Pradelle de
Charensat et est décédé à Troissagnes en 1798, juste avant l’anniversaire de
ses 49 ans. C’est donc lui l’homme pivot.
Les liens avec Charron ne seront pas tout
de suite complètement rompus puisque son fils Jacques, le bisaïeul dont j'ai déjà parlé, né à Troissagnes en
1788, épousa une Gilberte Besse, elle aussi née à Troissagnes, mais d’un père
né à Charron, 20 ans après Michel et dans un autre hameau de Charron, celui des
Villattes.
Deux branches de Besse, sans liens récents,
ont émigré donc de Charron à Charensat et ce n’est sans doute pas un hasard.
Mais j’en sais trop peu encore pour pouvoir éclairer cet épisode essentiel dans
la vie de la famille, apparemment contemporain de son accession à la propriété.
Restons donc pour l’instant à Charron et parlons mariage.
J’ai dépouillé, grâce au listing exhaustif
établi par une association généalogique, l’ensemble des mariages célébrés à
Charron entre 1674 et 1792. Je n’ai pas
l’ambition d’établir une statistique mais de dessiner quelques traits de la vie
quotidienne de ces paysans pauvres telle qu’elle transparaît des registres de
mariage.
Toujours d’un des Le Nain (1642)
Beaucoup de caractéristiques de ces
mariages ne nous étonnent pas mais d’autres sont curieuses. Je me limiterai à
celles-ci.
Années de mariage, années sans mariage.
Dans une petite communauté, il est normal
que le rythme des mariages soit irrégulier. Dans le Charron actuel, 250
habitants et 40% d’entre eux de plus de 60 ans, les mariages doivent être plutôt rares.
Au XVIIème et XVIIIéme siècles,
c’est une collectivité dynamique sur le plan démographique. La moyenne annuelle
des mariages se situe autour de 6 / 7 avec des périodes beaucoup plus intenses
et des années « sans ».
Le record est atteint en 1677 avec 17
mariages, concentrés sur la fin février : un le 18, un le 23, et six 2
jours après. Le curé ne chômait pas. Un siècle plus tard, en 1775, on en compte
encore 11, tous en février et même sur une semaine : un le 7, puis trois
le 8, deux le 10, et cinq le 14. On
imagine que cela fut une semaine de folie pour toute la paroisse.
A l’inverse, il y a de nombreuses années
sans aucun mariage. Pour certaines années, l’explication est malheureusement
évidente. Ainsi en 1709, l’année du plus terrible hiver jamais enregistré, où
la terre ne dégela pas pendant près de 3 mois à partir du 6 janvier, jour des Rois. Il
n’y eut qu’un seul mariage, le 30 janvier !
Voici comment le curé d’un village de
Charente maritime, une région plus clémente que la Creuse, décrit cet hiver
exceptionnel.
« Le sept janvier
mille sept cents neuf, il commença un froid si grand et si violent qui dura un
mois à cinq semaines, toujours de la même force et violence. Le cinquième jour
qu’il commença, il tomba de la neige qui
couvrit la terre d’un pied de haut et la
neige dura autant que la violence du froid qui fut si grand qu’il a fait mourir
tous les noyers, presque tous les châtaigniers, les pêchers, les abricotiers,
beaucoup de pruniers, et fait mourir toute la vigne qui n’était point couverte
de neige ; il a fait mourir tous le genêts, les ajoncs, les houx et une
infinité d’autres arbres ; il a fait mourir toutes les orges, toutes les
avoines d’hiver et presque tous les froments et
les seigles, les blés sont devenus chers et l’auraient été davantage, mais Dieu
bénit les baillarges [ cette expression du Poitou désigne l’orge de
printemps) que l’on fit au printemps qui produirent à merveille.
On a remarqué que des noyers qui avaient plus de deux
cents ans sont tous morts par la violence du froid, marque qu’il ne s’en était point
fait un si grand depuis si longtemps. On voyait les oiseaux mourir devant soi,
se jeter en les maisons ; les étourneaux, les merles, les pinsons, les
alouettes se laissaient prendre à main et mouraient entre les mains. Les
perdrix, surtout les rouges, périrent presque toutes. Les poissons dans l’eau
périrent également. Ce sont les choses que nous avons vues et que nous
rapportons comme témoin.
Après ce grand froid violent, un petit dégel de deux à
trois jours fit fondre la neige, c’est-à-dire après six semaines de froid.
Après ce dégel le froid recommença encore et fit plus de dommages à nos blés
que le premier parce qu’il n’avait plus de neige et dura bien fort trois ou
quatre semaines. ». Registre de l’Etat-Civil de la commune
de Saint-Cyr-du-Doret à la date du 8 avril 1709.
Pieter Brueghel l'Ancien
Dans ses Mémoires, Valentin Jamerey-Duval, un
paysan de l’Yonne qui mourut
à Vienne avec la fonction de bibliothécaire de l'empereur d'Autriche, raconte comment, enfui de chez son beau-père, il passe l’hiver 1709
près de Provins, dans une ferme isolée où il est venu s'écrouler en demandant de l'aide. Il a 14 ans, erre seul à la recherche de travail pour pouvoir manger et vient de contracter la variole.
L'habitat n'a pas changé en Auvergne pendant des siècles et en plein XIXème siècle,
les fermes étaient couvertes de chaume à Troissagnes, comme on le voit dans les actes notariés.
Après l'avoir hébergé la nuit dans la bergerie, le fermier est bien obligé de constater que Valentin est hors d'état de reprendre sa route. Pour le secourir, il imagine un expédient surprenant mais qui s’avéra efficace contre le froid :
"...il fut touché de compassion, et m'ayant quitté, il revint un moment après, muni d'un paquet de vieux linge dont il m'enveloppa comme une momie après m'avoir dépouillé de mes habits. Comme le fumier de bergerie se divise par couches, le fermier se mit à en lever quelques-unes ; il remplit la place qu'elles occupaient de cette même paille d'avoine qui tombe de l'avoine quand on la vanne, me fit couler au milieu, parsema ma personne de cette même paille en guise de duvet et roula sur moi en guise de couverture les divers lits de fumier qu'il avait levés, et après m'avoir enterré de la sorte, il fit le signe de la croix sur moi, me recommanda à Dieu et à ses saints et m'assura en me quittant que si j'échappais au danger où il me voyait, ce serait un miracle des plus évidents."
Le fermier est très pauvre, le fisc lui a tout pris, y compris son attelage de labour. Il ne lui reste que la bergerie et les brebis, cat elles appartiennent au propriétaire de la ferme. Nourrir Valentin est une charge très lourde. heureusement le petit malade n'a guère d'appétit : il lui donne "une sorte de bouillie à l'eau, assaisonnée seulement d'autant de sel qu'il en fallait pour la rendre moins insipide. Il m'en envoyait 2 fois le jour dans un vase fait en forme d'une grosse carafe munie d'un bouchon afin que je pusse l'enfoncer dans le fumier pour la préserver de la gelée".
Après 15 jours de ce régime, Valentin a besoin de nourriture un peu plus substantielle. Il reçoit "un peu de soupe maigre et quelques morceaux de pain bis que la gelée avait tellement durci qu'on avait été obligé de le couper à coup de hache de façon que, nonobstant la faim qui me pressait, j'étais réduit à le sucer, ou a attendre qu'il fut dégelé par la méthode dont je me servais à l'égard de la bouillie" (c'est à dire en l'enfouissant dans le fumier en fermentation).
Pendant la nuit, il entend des bruits "subits et impétueux, pareils à ceux de la foudre ou de l'artillerie". Au matin, on lui apprend que "l'âpreté de la gelée avait été si forte et si véhémente que des pierres d'une grosseur énorme en avaient été brisées en pièces et que plusieurs chênes, noyers et autres arbres s'étaient éclatés et fendus jusqu'aux racines".
Dans ces conditions, calfeutré chez soi, on déserte les lieux publics, jusqu'aux églises : "....même les assemblées que la Religion prescrit pour rendre au Créateur le culte qui lui est dû, furent interrompues, par l'impossibilité où l'on se trouva d'entretenir le vin et l'eau dans la fluidité requise pour la célébration de Ses mystères". Valentin Jamerey-Duval. Mémoires. Enfance et éducation d'un paysan au XVIIIème siècle. Le Sycomore. pages 161-163. (Ce livre, tout à fait passionnant sur la vie quotidienne au début du XVIIIème siècle, retrace l'incroyable ascension de Valentin Jamerey qui avait pris le nom de Duval lors de sa fuite. Après Provins, il gagne la Lorraine, alors encore terre d'Empire, d'où sa rencontre avec l'Empereur).
Finalement on transporte Valentin ficelé sur un âne, car il ne tient littéralement pas debout, chez le curé qui lui offre l'hospitalité et le remet sur pied.
Le Nain
Comme d'habitude, je me suis bien éloigné de mon sujet mais j'avais été si frappé par ce récit lorsque je l'avais découvert chez un bouquiniste, que je voulais vous faire partager ma stupéfaction.
L’année suivante, 1710, fut presque aussi
froide : 3 mariages, aucun en février, mais en mars, juillet et août.
Une autre période est, à l’évidence, très
difficile, entre 1767 et 1771. Peut-être la suite des intempéries de 1765 – 66
(hivers complètement pourris avec de très sérieuses inondations partout en France) :
1767 : 2 mariages ; 1768 : 0 ; 1769 : 2 ;
1770 : 4 ; 1771 : 0. La période 1761 – 1763 (3 mariages en 3
ans) avait été déjà aussi sinistrée. Il faudra vérifier avec les registres de
décès si la cause est bien à rechercher dans des épidémies ou catastrophes
naturelles mais on sait que la fin du XVIIIème fut très difficile : en
1789, il y a bien eu 9 mariages, malgré une année catastrophique qui n’est pas
étrangère à la Révolution ,
mais 1790 : 2 ; 1791 : 3.
Jours et mois des mariages.
On retrouve à Charron une particularité
classique des sociétés paysannes de cette époque : les mariages ont lieu
en hiver, pendant le calme de la saison froide. L’immense majorité a d’ailleurs
lieu en février, les autres se répartissant tout au long de l’année, avec une
légère pointe en janvier et en juin, mais aucun (sur 120 ans !) en
décembre, le mois de l’Avent.
Cette règle de concentration des mariages sur le mois de février est particulièrement stricte à
Charron. En Haute Savoie ou dans le pays de Gex, d’où provient ma famille
maternelle, les mariages sont mieux répartis sur l’année, même si l’hiver est
la période la plus favorable.
Autre particularité intéressante, les
mariages sont célébrés dans leur immense majorité le lundi et dans une bien
moindre proportion le mardi. Mercredi, samedi et dimanche sont rares, avec à
peu près la même fréquence. Là encore, au vu de l’étendue de la période
couverte, on est obligé d’en conclure qu’il s’agit d’un trait culturel
essentiel. On peut supposer que les festivités dont ils étaient l’occasion
devaient être préparées et que le dimanche était le seul jour de congé pour ce
faire.
Mariages
en série et mariages croisés.
Les mariages en série sont nombreux, tout
au long de la période, souvent 4 ou 6 le même jour. C’est sans doute la
conséquence de leur forte concentration en févier Que le record, 6 la même journée, se situe en
1677, année également record pour le nombre total de mariages n’est pas
étonnant. Mais ce n’est pas le cas en 1724, où le 28 février voit la célébration de 6 mariages. Or, en février de cette même année, il n'y avait eu qu'un seul autre mariage, le 10. Ce n'est pas l'embouteillage qui explique cette curieuse répartition.
Deux ans plus tard, en 1726, encore une
fournée de 6 (le 4 mars), succédant à 2 journées de 2, fin février. Un seul
mariage n’est pas groupé, cette année-là, mais intervient le lendemain de la
grande fête des 6 mariages, le 5 mars. Est-ce parce qu’il s’agit de 2 domestiques, employés
tous les deux dans le même hameau de la paroisse voisine de Rougnat, lui de
Charron, elle de Rougnat ? Leur âge n’est pas mentionné, mais on les
imagine un peu désocialisés du fait de leur métier et de leur éloignement. Ils
ont tous les 2 perdus leur père. Seuls 2 témoins sont cités dont un n’est pas
de la famille puisqu’il s’agit du sacristain, Michel Gomichon. Tout ceci
attriste et l’on aurait aimé les voir s’amuser avec les 6 autres couples formés
la veille.
Les mariages en série ne sont donc pas une
simple conséquence de l’embouteillage de février, mais ils semblent
correspondre à quelque chose de plus profond. Peut-être le souhait de grandes
fêtes collectives. Quand on connaît Charron et l’exigüité du village chef lieu,
coincé sur un petit plateau qui domine un méandre de la rivière, avec sa toute
petite place, on imagine la cohue qui se serrait entre l’église et les maisons.
Dans certains cas, il y a une raison évidente au mariage collectif : lorsqu’il s’agit de mariages croisés entre parents. Quelques exemples amusants et d’abord le plus spectaculaire : le 23 février 1756, le frère et la soeur, Gabriel Besse, 30 ans, et Antoinette Besse, 24 ans, épousent Marie Besse, 26 ans, et Marien Besse, 30 ans, tous deux également frère et sœur. 2 couples de frères et sœurs et 4 Besse (aucun n’étant d’ailleurs un ancêtre) !
Le même quadrille s’était formé le 14 février 1735, Martin et Martine Lhomme,
face à Marie et Jean Tixeron. L’ensemble devait être encore plus touchant (et
sans doute plus remuant) puisqu’ils avaient 16 et 17 ans pour l’un des couples,
19 et 20 ans pour l’autre.
On pourrait mentionner plusieurs autres cas,
notamment chez les Besse. J'en citerai un dernier, car il s’agit d’un mariage
croisé assez acrobatique. Il concerne un de mes ancêtres, Marien Besse, le
dernier de la lignée à être resté à Charron puisqu’il est le père du Michel,
celui qui a migré vers Charensat (vous me suivez ?). Lorsque, veuf de Marie Pasquanet qui lui a donné au moins 5
enfants, il se remarie à 37 ans avec Jeanne Tardif, le 26 février 1764, il se
retrouve à l’église en même temps que son fils Jacques, âgé de 17 ans qui se
marie avec celle qui devient ce même jour sa belle-sœur, Anne Tardif, la sœur
de Jeanne. Anne est à la fois la belle-sœur de Marien et son épouse, vous avez bien
compris.
Cette situation qui voit un père ou une
mère devenus veufs, se marier le même jour que l’un de leurs enfants, se reproduit plusieurs fois. Mais ce cas n’est
pas celui qui introduit nécessairement le plus grand écart d’âge entre les
différents couples. Le 5 février 1740, le groupe formé par les 5 couples qui se
sont mariés ce jour-là était nettement plus hétéroclite puisqu’Anne Mercier, 15
ans, au bras de son nouveau mari de 18 ans, Joseph Mercier, côtoyait un couple
de veufs, Martin Redon, âgé de 50 ans et Marie Bussière, 45 ans. Heureusement,
la transition entre ces 2 extrêmes était assurée par 2 couples, l'un de 18 / 20 ans
et l'autre dans la petite trentaine. Aucun de ces couples n’était de proches
parents. Ils participaient pourtant à la même cérémonie et feraient sans doute
la fête ensemble.
Des
jeunes et des vieux
On croit généralement que dans les sociétés rurales
traditionnelles, on se marie très jeunes. En fait, à Charron, on se
marie plutôt assez tardivement, après 25 ans et la moyenne d’âge n’est pas très
différente de celle d’aujourd’hui.
Il arrive même que l’on se marie tard mais, dans ce cas, un des conjoints est souvent veuf. Il n’est pas rare que l’on se
marie à 50 ans et même plus : Annet Augier a 49 ans quand il épouse en
1682 Jacquette Gomichon âgée de 50 ans. Ce qui est étonnant, c’est que, sauf
omission du curé, cela semble être leur 1ère union à tous les 2.

Il n’est pas le plus âgé. La palme revient à Marien Parrot, fringant veuf de 70 ans qui épouse en 1737 sa cadette de 25
ans, Marie Rigaud qui noue, elle, sa première relation conjugale. On peut
imaginer que Marie n’était pas d’une grande beauté ou qu’elle souffrait de
quelque infirmité pour ne pas avoir trouvé mari plus tôt et se voir condamné à son vieux mari.
Ces cas sont, toutefois, assez rares, ne
serait-ce que parce qu’on meurt jeune et que les plus de 50 ans ne sont
pas légion. Une tendance semble apparaître, cependant, à la fin du XVIIIème
siècle, avec le mariage de maçons vers la quarantaine. Certains sont veufs mais
la plupart, non. Tout se passe comme s’il s’agissait d’hommes qui se marient et
se sédentarisent par la même occasion dans le village natal après avoir passé
leur jeunesse sur de lointains chantiers. Entre 1780 et 1792, j’en ai compté 6
dont seulement 2 veufs.
Mais le phénomène le plus spectaculaire, ce
sont les mariages de tout jeunes gens. Ici encore, on peut pointer un
record : Anne Ravel se marie en 1693 à l’âge de 12 ans et 2 mois ! La
précision donnée sur le mois, unique dans l’ensemble des registres, indique
bien que le curé et tous les participants étaient bien conscients de l’âge de
la future. Son mari, Annet Gomichon n’a, après tout, que 30 ans et le voilà,
malgré cela, nettement plus âgée que sa femme, un écart de 18 ans . J’ai
des Ravel et des Gomichon dans mes ancêtres. Je n’ai pu le vérifier encore mais
il est possible qu’un peu de son sang, pauvre petite enfant, coule dans mes
veines.
Ce mariage à 12 ans est exceptionnel. Pour 13 ans, je n’ai trouvé
qu’une seule occurrence, en 1757. En revanche, nombreuses sont les épousées de 14 ans et ceci tout au long de la période, que ce soit en 1692
pour Marie Gounot (autre nom d’une de mes aïeules) qui épouse un Jean
Dechabouteix de 23 ans, ou en 1785 où une autre Ravel, Françoise, se marie
avec un garçon de son âge, Jacques Mercier, jeune coq de 15 ans.
Je sais bien que la maturité sexuelle était plus précoce à la campagne, mais ce couple devait être un peu étrange.
Entre 8 et 10 ans, j'ai suivi pendant 2 ans, à l'école communale de Charensat, les cours de M. Dumonteil. Cette classe unique correspondait au CM1 et CM2 actuels mais les garçons et filles stationnaient dans la dernière classe jusqu'à leur 14 ans, fin de la scolarité obligatoire que terminait le certificat d'études passé au chef-lieu de canton. Je me souviens de mon effarement devant les privautés que les garçons de 14 ans se permettaient à l'encontre des filles.
Je sais bien que la maturité sexuelle était plus précoce à la campagne, mais ce couple devait être un peu étrange.
Entre 8 et 10 ans, j'ai suivi pendant 2 ans, à l'école communale de Charensat, les cours de M. Dumonteil. Cette classe unique correspondait au CM1 et CM2 actuels mais les garçons et filles stationnaient dans la dernière classe jusqu'à leur 14 ans, fin de la scolarité obligatoire que terminait le certificat d'études passé au chef-lieu de canton. Je me souviens de mon effarement devant les privautés que les garçons de 14 ans se permettaient à l'encontre des filles.
Car c’est un autre sujet
d’étonnement : les jeunes maris sont aussi souvent très jeunes. Les jeunes
gens de 14 ans sont rares, mais ceux de 15 ans nombreux. Généralement ils
forment un couple apparié avec une jeune fille de 16 / 17 ans. Mais on trouve
aussi des cas plus troublants : Jean Aymard, par exemple, avec ses 15 ans,
épouse en 1759 une Marie Gounot (une homonyme de celle déjà citée) de 27 ans.
Ces différences d’âge sont assez fréquentes ; nous qui sommes habitués à ce que des hommes d’un
âge certain épousent des jeunettes, nous nous étonnons de ces jeunes maris qui prennent pour épouse des femmes nettement plus âgées. J'en ai cité déjà quelques exemples. En voici
d’autres : en 1678, Marien Bussière âgé de 26 ans épouse Gilberte Paccaud
de 42 ans. Tous deux en sont à leur première union, ce qui signifie que
Gilberte a attendu 25 ans un éventuel mari et que ses chances d’avoir une
descendance sont minces. Mais on peut n’avoir que 27 ans et être déjà veuf
comme Joseph Mercier qui se marie avec une Anne Descoteix de 13 ans plus âgée
et qu’on devait déjà considérer comme vieille fille avec ses 40 ans.
D’une manière générale, il y a plus de vieilles
filles que de vieux garçons pour se marier sur la tard. Ce fait pourrait étonner : la forte
mortalité des jeunes mères devrait offrir des possibilités nouvelles de mariage aux jeunes filles qui trouveraient ainsi des veufs disponibles. En fait, ce raisonnement ne tient pas car, ce qu'on ignore souvent, la mortalité des jeunes hommes,, vers 20/30 ans, est aussi importante que celle des jeunes femmes. On rencontre pratiquement autant d’enfants posthumes (nés après
le décès de leur père) que d'orphelins de mères mortes en couches ou peu après. Ce sont dans les milieux urbains que l'accouchement est une cause de mortalité chez les femmes plus fréquente que la maladie ou les accidents chez les jeunes hommes.
Si bien que nombreux sont ceux, hommes et femmes, qui doivent s’y reprendre à plus d’une fois pour essayer de prolonger leur vie
conjugale.
Mariages
à répétition.
Mes ancêtres Besse ne sont pas les plus
typiques de ce point de vue. Je n’ai trouvé qu’un seul remariage, celui de Marien
Besse (né en 1727) dont j'ai déjà raconté qu'il s'était remarié en même temps que son père avec la soeur de l'épouse de son père.
Mais il y a des cas bien plus tragiques.
Prenons celui de Martine Mercier. Elle se fiance à 22 ans avec un Claude Besse
en février 1677. Mais, cette idylle ne se conclut pas par un mariage mais par la mort du fiancé ; elle doit
choisir un autre parti. Elle se marie
donc en juin 1679 avec Michel Boudet de 27 ans. Le mariage tient aussi peu de
temps que les fiançailles et la voilà obligée de se remarier en 1683
(4 ans plus tard). Cette fois-ci, elle choisit un homme d’âge mûr, François
Aupériol qui, avec ses 47 ans, a 20 ans de plus qu’elle. Il était lui aussi
déjà veuf. Je n’ai pu encore vérifier si cette union a été plus durable. Tout
au plus ai-je la preuve qu’il lui a donné au moins un enfant.
En consultant les archives de la commune de Chapdes-Beaufort, proche de Charensat, j'ai trouvé un cas particulièrement tragique, associant ces 2 malheurs du temps, la mort d'un jeune mari et le décès d'une jeune accouchée. Il s'agit d'une ancêtre en ligne directe, Marie Guillot. Née en 1806, elle perd sa mère quand elle a 21 ans. Elle se marie en 1830 avec Gaspard Tixeron, né avec le siècle. Le mariage ne dure pas un mois : cérémonie le 2 février, décès le 28 février. 2 ans plus tard, elle se remarie avec Michel Astaix, son cousin et son témoin lors de son premier mariage. Deux ans plus tard nait une fille, Anne, mon ancêtre, puis Trois ans encore, et c'est un garçon à qui l'on donne le prénom du père, Michel, né le 1er décembre 1837. La famille devait être heureuse de cette naissance car le rythme des grossesses était bien lent. Enfin un garçon ! Malheureusement c'est un enfant mort-né et la maman, Marie Guillot, décède le lendemain, le 2 décembre, à 31 ans.
Michel Astaix ne se remariera pas. Il élève sa fille unique qu'il marie à un cultivateur de Saint Jacques d'Ambur, le village d'à côté. Il meurt à 58 ans, sans assister à la répétition du malheur qui l'avait frappé 20 ans plus tôt : sa fille unique, Anne, décède au même âge que sa mère, à 31 ans, non sans avoir donné 3 enfants à son mari, dont Marie Chevalier mon arrière grand-mère.
Je reviens à Charron. Voici François Besse, un lointain parent, laboureur à Beaumont,
un hameau de Charron. Il se marie à 18 ans en 1730. Mais il doit recommencer en
1733. Qu’est ce qui peut bien se passer dans la tête d’un jeune homme de 18 ou
19 ans, confronté déjà à la mort de son épouse ?
Mais sans doute considère-t-il que c’est
normal. Son fils, un autre François, vivra le même drame, puisqu’il se
remariera 4 ans après son 1er mariage.
Si un seul remariage est très fréquent, les
hommes mariés 3 fois ne sont pas rares. Annet Besse, laboureur au hameau de
Beaumont a épousé successivement Michelle Besse, puis Anne Tixeron et enfin, 20
ans après son 2ème mariage, une veuve de 24 ans, Marie Besse. Je ne sais
pas si elle était parente avec la 1ère épouse.
Il est vrai que l’on se remarie assez
souvent avec son beau frère ou sa belle sœur. Ainsi Catherine Alligier se
remarie en 1717 avec son beau-frère, lui-même veuf. Il fallait normalement une dispense de l'Eglise pour ce genre d'union mais je n'ai pas trouvé trace de telle autorisation dans les registres de Charron.
En moyenne, même si je n’ai pas fait de
statistique rigoureuse, le remariage intervient 7 à 10 ans après le 1er
mariage. Les remariages à répétition, comme ceux que j’ai cités (il y en
d’autres) ne sont heureusement pas la règle.
En revanche, on se remarie rapidement après
le décès de son conjoint comme si l’on ne voulait pas que la mort s’installe.
Le record est de moins de 6 mois !
Car la mort rôde toujours au milieu même de
cette fête de la vie qu’est le mariage.
Témoins
et parents.
Il est rare que les 4 parents soient
vivants au moment du mariage, même lorsqu’il s’agit d’un jeune couple. Un des parents
au moins est déjà décédé et assez souvent ce sont des orphelins qui s'unissent. Ce fait, douloureux pour nos ancêtres, est une
bénédiction pour le généalogiste qui recueille ainsi, bien souvent, la première
date qu’il connaisse, celle du décès des parents au plus tard, date bien utile pour se
repérer ensuite dans les multiples homonymes et distinguer celui qui est concerné.
Alors ne parlons pas des grands parents. Leur
présence est extrêmement rare, 2 ou 3 occurrences en 120 ans. Anne Dugat a bien
de la chance quand elle marie en 1718 avec le fils du menuisier ; elle a
auprès d’elle son grand père Martin Dugat. Autre occurrence : cette fois-ci, c’est la
grand-mère qui est mentionnée ; Anne Riboulet de Vergheas (commune voisine de
Charron) est ainsi la marraine de son petit-fils Marien Lhomme en 1751.
Parrain et
marraine sont généralement des frères et sœurs ou beaux frères et belles sœurs,
des oncles et des tantes, tous à même de jouer leur rôle éventuel de parent de
substitution. Mais quand on a la joie d’avoir encore son grand-père ou sa
grand-mère, on oublie cette fonction des parrains et marraines ; on s’empresse d'honorer l'aïeul en lui offrant de devenir père ou mère selon
l’Eglise.
Le 3ème exemple que j’ai trouvé de grand-parent concerne un ancêtre direct. Jean Gounot, né au début du XVIIIème est le parrain en 1753 de son petit-fils, Jean Besse.
Toutes ces caractéristiques étranges des unions
de nos ancêtres tiennent à deux facteurs : la brièveté de leur vie et le
fait qu’elle se déroulait dans un cercle étroit où le nombre des partis
possibles n’était pas infini.
Cela ne signifie pas qu’ils ne
recherchaient leur conjoint que dans le hameau de leur enfance ou à son
immédiate proximité. Vingt communes, autour de Charron, sont citées dans les
actes de mariage. Sans doute les distances ne dépassent pas les 10 kms, mais le
brassage est plus important qu’on ne l’imagine souvent.
Les communes les plus représentées sont les
communes mitoyennes : Rougnat, Dontreix, Vergheas, Auzances, sans que l’on
se soucie de la « frontière » entre les 2 diocèses de Limoges et de
Clermont-Ferrand (avant que cela ne soit celle des 2 départements). Cela ne les dérangeait pas, sauf lorsqu'il fallait demander une dispense qui devait transiter par les 2 évêchés. Du côté maternel où mes ancêtres vivaient en bordure de la frontière, cette fois-ci internationale, les mariages étaient fréquents des 2 côtés du Rhône, entre le Pays de Gex français, et la Savoie italienne.
Il n'en va pas de même pour le généalogiste qui doit se déplacer entre Guéret et Clermont-Ferrand, ou entre Bourg en Bresse et Annecy. Mais lui, ses déplacements se font en moto ou en voiture et non à pied. Et puis, la Creuse et la Haute-Savoie, 2 départements aux antipodes de la richesse départementale, se mettront peut-être aussi, comme le petit département de l'Ain qui fut l'un des premiers, à diffuser leur état-civil sur Internet. Je parie même que la Creuse dépeuplée devancera ma ville natale en plein boom.
Il n'en va pas de même pour le généalogiste qui doit se déplacer entre Guéret et Clermont-Ferrand, ou entre Bourg en Bresse et Annecy. Mais lui, ses déplacements se font en moto ou en voiture et non à pied. Et puis, la Creuse et la Haute-Savoie, 2 départements aux antipodes de la richesse départementale, se mettront peut-être aussi, comme le petit département de l'Ain qui fut l'un des premiers, à diffuser leur état-civil sur Internet. Je parie même que la Creuse dépeuplée devancera ma ville natale en plein boom.
Charensat,
qui deviendra la commune d’accueil de ces Besse qui rejoindraient un jour les
Dufour pour engendrer mon frère et moi, est souvent cité aussi comme le lieu de
naissance de l’un des conjoints. Ce nom de commune est même mentionné dès le 3ème
acte conservé, le 2 février 1674, à l’occasion du mariage, sans autre
précision, de Jacques Redon et de Marie Bussière. Il apparaît ensuite
régulièrement. Reste à comprendre
comment Charensat et plus précisément Troissagnes (dont le nom dit bien le
caractère marécageux, peu propice à la culture), deviendra suffisamment attractif pour motiver
un départ définitif de mes ancêtres. Mais ceci est une autre histoire.
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