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dimanche 23 octobre 2011

Turquie 1970-2010

Lors de mes 2 séries de traversée de la Turquie, dans les années 1970, et 1990, je n'ai pas repris exactement le même itinéraire, même si mes traces se sont en grande partie superposées. Par exemple, je ne suis pas repassé à Aphrodisias pour une raison que je ne retrouve pas dans mes souvenirs. Pourtant, j'avais été émerveillé par les ruines de cette cité qui s'était mise sous la protection de la déesse de l'Amour.

En 1971, elle ne figurait pas dans les guides touristiques car elle avait été découverte moins de 10 ans auparavant après le tremblement de terre qui l'avait pratiquement détruite au IVème siècle. Dans les années 70, je ne sais si ces plaques subsistent, les sités archéologiques étaient indiqués par des panneaux métalliques de couleur jaune ; un nom et une indication de distance Pour quelle raison avais-je remarqué celui-ci et avais-je décidé de quitter ma route pour emprunter la petite piste poussiéreuse ? Je ne sais plus, sans doute la simple envie de partir à l'aventure dans un voyage balisés par de nombreux sites "incontournables".

Carte du sud de la Turquie.
Pour afficher la légende des points répertoriés, cliquer sur ce lien.

Le site était en cours de fouille par une équipe allemenande et il n'y avait naturellement pas de touristes. Je me souviens particulièrement du petit odéon de marbre blanc rempli d'une eau qui le transformait en un mare de luxe couverte de lentilles vertes.

1971

Club Doctissimo 2006
Le gravier a remplacé l'eau et les gradins ne sont plus vides.

Il n'y avait que peu de ruines érigées et l'on n'avait pas encore remonté le temple d'Aphrodite dont j'ai découvert la photo, 40 ans plus tard sur Wikipedia. 

Le temple d'Aphrodite, tel que je le vis en 1971


Le "même" en 2004.
Wikipedia 2004
Le propylée du temple d'Aphrodite

Les ruines sont ainsi plus spectaculaires mais sûrement moins romantiques.

La ville avait également conservé son stade, dans un état exceptionnel, puisqu'il avait gardé la presque totalité de ses gradins de pierre. Il ne semble pas avoir changé aujourd'hui.


Je ne vous inflige pas ma photo du stade, floue, car j'avais fait le point sur le dos de mon épouse, assise au premier plan sur les gradins. Voici, toutefois, l'entrée, vue de l'intérieur :

1971

Je ne suis pas retourné non plus sur un site qui a, lui aussi, beaucoup changé mais, pour une fois, le changement est sans doute préférable. Pamukalle n'est pas un site archéologique mais une curiosité géologique : une sorte de cascade de calcaire, avec des vasques remplies d'eau claire.

J'ai gardé le souvenir de m'être baigné dans une de ces vasques après avoir enjambé la rambarde du balcon de ma chambre située au rez de chaussée. Ce souvenir, comme beaucoup d'autres qui s'avèrent finalement authentiques quand la découverte d'un document vient le confirmer, me paraissait complètement invraisemblable jusqu'à ce que je trouve que ces petits hôtels ont été détruits dans les années 80 pour que le site retrouve un environnement plus sauvage. Ils existaient donc bien en 1971.

Votre serviteur en 1971.

Dès mon séjour de 1990, Pamukkalle était protégé par une clôture. Nous y sommes allés et avons rebroussé chemin, effrayés par tous ces obstacles (clôture, billetterie) nécessités par la foule, à se demander ce qui abîmait le plus le site, des petits hôtels d'antan ou de l'organisation touristique. Question sans signification, naturellement, car rien n'arrête la marée touristique.

En revanche, Termessos, à une trentaine de km d'Antalya, fut une belle surprise du voyage de 1990.

Le site de Termessos

1990

 Cette ville antique étonnante, construite en pleine montagne puis abandonnée à tout jamais après un tremblement de terre au VIème siècle, dispersait ses monuments épars dans une végétation envahissante. On se prenait pour des explorateurs découvrant une cité perdue.



1990

 Pas un seul touriste, sans doute à cause de la chaleur écrasante malgré l'altitude (1050m). Une spécialité de ce voyage, d'ailleurs, cette heure tardive pour les visites, pour cause de difficultés à remuer 9 personnes aux envies bien souvent divergentes ; ceci présentait l'avantage, malgré tout, d'une grande tranquillité lors des visites.

Plusieurs édifices de l'époque hellénistique et romaine sont bien conservés car la situation de le ville dans une montagne difficilement accessible, a dissuadé d'éventuels nouveaux habitants. Ces mêmes difficultés de transport n'ont pas permis de considérer la ville détruite comme une immense carrière de pierres taillées. Des bâtiments entiers sont encore debout, seule manque la toiture..







1990
Le théâtre, adossé à la montagne, est époustouflant. Des blocs de pierre sont jetés sur les gradins comme si le tremblement de terre venait d'avoir lieu maintenant et non il y a 1500 ans. On dirait qu'il vient juste d'être abandonné par une population dont on se demande comment elle a pu venir si nombreuse dans un lieu apparemment aussi peu hospitalier. En consultant sur Internet des photos récentes, j'ai constaté avec plaisir que les blocs de pierre étaient toujours là  et qu'une restauration excessive, malheureusement fréquente en Turquie, n'avait pas enlevé tout charme au site.




1990
Ma lubie du moment, c'était l'appareil constructif impeccable de ces bâtiments, qu'ils soient hellénistiques ou romains, avec  une petite préférence pour l'appareil grecque, moins uniforme que le romain. Ci-dessous, 2 exemples hellénistiques.


1990

Mais ce qui rend Termessos, ce sont ses tombeaux massifs, parfois basculés, fermés ou a demi-couverts. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour, sous la lune,  être saisi de panique en imaginant Nosferatu émergeant de son coffre de pierre.

1990



1990

Mais ce qui reste pour moi l'un des plus beaux spectacles turcs, ce fut le lac de Van découvert en 1971 sur la route du retour vers Téhéran.

Est de la Turquie.
Pour naviguer dans la carte, cliquer sur ce lien.

Nous avions suivi la côte sud jusqu'à Tarse, la ville natale de Saint Paul, ancien port animé devenu une ville sans charme au milieu des terres puis remonté le Cydne en direction du nord. Sur ce chemin, je ne songeais ni à Saint Paul qui l'emprunta souvent, ni à Alexandre qui manqua y mourir après s'être baigné dans ses eaux glacées, ni à la rencontre d'Antoine et Cléopâtre, ni la mort de l'empereur Constance qui le remonta jusqu'au Taurus pour tenter de se débarrasser d'une fièvre violente par une course rapide, ni le décès de Frédéric Barberousse en 1100, dans des circonstances voisines.

Je pensais au convoi funéraire qui ramenait l'empereur Julien après son décès en Mésopotamie et la cérémonie expéditive que lui avait organisé une armée harassée et défaite. J'avais lu quelque part, je ne sais plus où, mais j'ai retrouvé l'anecdote dans un ouvrage d'Auguste Desmenay, que "le Cydne baignait le tombeau de Julien".

Le Cydne 1971

Petit détour par la Cappadoce, dont j'ai déjà parlé (Turquie, en 1990 sur les traces de 1971), puis je reprenais ma route vers l'est, sur un plateau de plus en plus sauvage, en direction du lac de Van.

 L'Euphrate sur la route de Van

Les barrages militaires devenaient de plus en plus fréquents car la tension entre les kurdes et le gouvernement turc ne cessait de croître. La situation allait continuer de se détériorer jusqu'à la révolte (une parmi d'autres) de 1973. Malgré cela, j'avais pris en stop un homme à la tombée de la nuit peu avant Van. Je me rappelle une mauvaise pensée : j'avais craint que ce paysan, assis à côté du sac qui rassemblait argent et papiers ne nous dérobe quelque chose. Il n'en fut naturellement rien. Pardon, monsieur, pour ce vilain soupçon.

Le lendemain, nous nous étions fait à nouveau surprendre par la nuit, ce qui n'était pas vivement conseillé, moins pour la circulation, pratiquement nulle, que pour les mauvaises rencontres. Dans une longue ligne droite, j'ai aperçu rapidement un soldat se lever brusquement du bord de la route et me faire signe de m'arrêter. J'étais seul avec ma femme, il faisait nuit noire. J'appuyais sur le champignon et il ne se passa rien.

Le soir près de Van.

Cette région en a connu, pourtant, des épisodes dramatiques. Passage obligé entre l'Iran et l'Occident, elle a vu passer les Perses, les Mongols, les Turcs et dans l'autre sens, les Grecs, les Romains ou les Byzantins, sans parler, plus au nord, des Russes.

Pendant plusieurs siècles, ce fut le territoire du royaume d'Arménie, pratiquement centré sur le  lac de Van. Quelle curieuse histoire que celle de l'Arménie. Pour un Français habitué à définir depuis des siècles un  peuple par son territoire, ces royaumes glissants sur de vastes étendues, ces régions dont se réclament des peuples très différents, Arméniens, Kurdes, Turcs, renvoient à des histoires incompréhensibles.

Le lac de Van 1971

Le lac pris depuis la petite île d'Aghtamar.

A cet égard, de destin de l'Arménie fait songer à celui de la Pologne. Pour toutes deux, la nation s'est  constituée autour d'une langue  (et même d'une écriture) et d'une religion qui ont assuré la permanence d'un lien au milieu du maelström de leurs dérapages dans l'espace. Comme la Pologne, l'Arménie fut obligé de composer avec ses puissants voisins qui l'absorbaient parfois, la démembraient, pour reprendre les termes de l'histoire polonaise, ou  lui imposaient un statut de protectorat. Depuis la région du mont Ararat, l'Arménie s'est dilatée jusqu'à la la Cilicie, sur les bords de la Méditerranée pour se replier enfin dans son minuscule berceau du Caucase. Des villes autrefois arméniennes sont devenues turques pour ne pas dire kurdes.

Ce parallèle entre la Pologne et l'Arménie, on le trouve dans les récits des voyageurs du XIXème siècle qui se rendent en Iran. On pourrait ajouter d'ailleurs, un autre motif à ce rapprochement : de nombreux Arméniens se sont réfugiés, au XIème siècle, lors des guerres incessantes entre Byzantins et Turcs, en Crimée, mais aussi en Galicie, au sud de la Pologne.

Ces deux pays eurent à souffrir de l'expansionnisme turc et on se souvient que c'est un polonais, je roi Jean Sobieski qui lever le siège de Vienne en 1683 et amorça, ce jour-là, le lent mais inexorable recul de l'Empire ottoman.

Enfin, pour rester encore un instant sur cette 'histoire parallèle", on rappellera que le dernier roi d'Arménie, de la petite Arménie, celle qui s'étendait en Cilicie jusqu'à la Méditerranée, était un français, Léon de Lusignan que les Turcs chassèrent du continent en 1375. Est-ce que ceci explique l'attachement de nombreux Arméniens à la France, analogue à celui des Polonaisn tout au moins juqu'au "refus de mourir pour Dantzig" zt à la crainte du "plombier polonais".

 La comparaison ne peut, toutefois, être poursuivie sans fin. Si la Pologne a glissé vers l'ouest, elle n'en reste pas moins un pays dont l'étendue au XXIème siècle ressemble à celle qu'il eut dans le passé. On peut être révolté par le comportement des Soviétiques, décapitant l'intelligentsia polonaise, on ne peut leur imputer rien de semblable à l'épuration ethnique réalisée par les Turcs à l'encontre des Arméniens.

Je ne savais rien de tout cela  en 1971 car je connaissais mieux l'histoire antique que l'histoire moderne ou les désastres de l'époque contemporaine. Pour moi, je traversais la Turquie. Je savais bien par une amie de mon père, arménienne, dont la famille avait résidé à Mus, que des Arméniens avaient vécu dans cette région, et même qu'ils représentaient la majorité de la population ; mais mon savoir s'arrêtait là.

On imagine ainsi ma stupéfaction en découvrant la petite église arménienne  sur cet ilot Aghtamar du Lac de Van. Aujourd'hui, il y a de véritables services touristiques pour rejoindre la petite île. En 1971, c'est un pécheur qui nous a emmené sur son petit bateau et nous attendit le temps de la visite.










En arrivant sur l'ile, nous sommes accueillis par un concert de mouettes rieuses.



 L'église étit fermée et en mauvais état déjà. Elle vient d'être restauré, dans le cadre, sans doute, du flirt entre la Turquie et l'Europe, mais, au grand dam de l'Eglise arménienne, elle est transformée en musée et aucun office religieux ne peut y prendre place.



Je n'ai pas vu l'intérieur, inaccessible, mais il renferme encore des fresques. Le plus frappant dans cette église du Xème siècle, outre la patine magnifique de sa pierre rouge, ce  sont ces reliefs, de taille et de motifs très différents, qui semblent jetés comme au hasard, sur la surface des murs.





Cette illustration du combat de David contre Goliath devait avoir pour les fidèles une signification profane. Goliath est-il byzantin ou Perse ? La forme du casque et du bouclier me font plutôt penser ç un guerrier perse.

ici, on reconnait l'histoire aquatique de Jonas.



Plus que l'église, je fus enthousiasmé par le vaste horizon, le calme du lieu (si l'on excepte, c'est vrai, les cris des mouettes), l'atmosphère de douce nostalgie émanant de ces pierres tombales à demi-renversées, qui semblaient d'autant plus abandonnées que plus personne, désormais, ne peut se recueillir devant leur forme brute et le tracé grossier de leur croix. Qu'en a-t-on fait aujourd'hui ? Je ne sais.



Au moment où je termine cette chronique, j'apprends par une alerte de mon téléphone, le grave séisme qui vient de toucher la région de Van. Je n'ai plus le coeur à poursuivre. D'ailleurs, j'avais terminé ce récit sur ce pays magnifique, trop souvent endeuillé par des tremblements de terre que l'impéritie des hommes rend toujours aussi meurtriers. Tristesse, tristesse.

1 commentaire:

  1. Gabriel Nahmani … de Verdun, 5510024 octobre 2011 à 09:58

    24/10/2011: hier, mon épouse fêtait, sobrement, son entrée dans sa 74e année: elle a fait 4 voyages en Turquie, la plupart avec des conférenciers de CLIO, mais n'a rien vu de ce que vous montrez si … amoureusement.
    Les vraies découvertes sont celles faites tout seul, comme celles du "Vagabond sentimental" de T'Sterstevens, celles de Bruce Chatwin … et les vôtres.
    Merci pour ces témoignages enrichissants.

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