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samedi 3 décembre 2011

San Francisco. 1. Des ponts et des hommes

Quand on habite en banlieue, ce qui est le cas de la majorité des gens qui travaillent à San Francisco, Down town, on est contraint d'emprunter un pont, le fameux Golden Gate ou le Bay Bridge, pour rejoindre son bureau. C'est l'assurance, aux heures de pointe, d'un embouteillage monstre que la modulation des péages (de 4 à 6$ selon les heures) ne suffit pas à lisser dans le temps. Quand plus de 10 voies doivent se fondre en 5 pour franchir le Bay Bridge, ce n'est pas le péage qui ralentit la circulation, c'est le rétrécissement de la chaussée. Les feux, au sortir du péage, ne sont pas là pour vous obliger, comme en France, à vous arrêter pour payer. Nul américain songerait à passer sans payer. Il n'y a d'ailleurs pas de barrière, a fortiori de double barrière comme dans les aéroports français. Non, le feu passe rapidement du vert eu rouge et vice versa pour faire avancer alternativement chaque file d'une seule voiture. 

Les 3 ponts d'accès à San Francisco : 
à l'ouest le Golden Gate, au nord le Richmond et au sud , le Bay Bridge.
Pour avoir accès à Google Map et choisir votre échelle, cliquer sur ce lien.

Ce fut lors de mon arrivée pour un court séjour d'une semaine que je fis cette expérience, quotidienne pour les habitants du lieu, exceptionnelle pour moi car on était à la veille des 4 jours de congé de Thanksgiving : Plus d'une heure pour franchir quelques centaines de mètres avant l'entrée du pont qu'il me fallait obligatoirement prendre pour aller de l'aéroport à mon lieu de séjour.

J'ai eu largement le temps de m'intéresser aux voitures qui m'entouraient comme les parois d'un piège. Spectacle assez décevant. Les grosses américaines ont disparu. Je n'en ai aperçu, en tout et pour tout, que 2 lors de mon séjour. Il faut dire que ces longs bateaux oscillant sur leur suspension trop souple rendaient spectaculaire les courses poursuites dans les rues en pente de San Francisco mais s'avéraient totalement inadaptés à une circulation plus paisible et surtout au stationnement le long de trottoirs encombrés. 


Chevrolet  en cours de restauration sur Treasure Island.

Les américaines modernes sont devenues terriblement banales. Elles ont perdu en panache ce qu'elles ont gagné en commodité, en sécurité.... et en économie.. 

L'immense majorité des voitures sont japonaises ou coréennes et de taille modeste. Ma voiture de location n'avait de Chevrolet que le sigle arboré sur le capot arrière. Tout le reste était coréen. Les plus grosses voitures sont allemandes, Mercédès ou BMW, auxquelles il faut ajouter quelques Jaguar. La possession d'une voiture européenne est un signe de réussite et de distinction pour l'habitant de ces lieux ; il est bien banal pour un européen. 

Heureusement, quelques pick-up 4x4 mettent un peu d'exotisme en projetant leurs énormes roues au niveau de votre tête. Difficile de ne pas penser à la scène inaugurale de l'Arrangement de Kazan lorsque Kirk Douglass se laisse happer par le camion qui côtoie sa frêle Alfa Roméo (mais il rencontre, de ce fait, Faye Dunaway, alors...). Les camions, en effet, circulent indifféremment sur les 5 voies du pont ; eux seuls rappellent un peu le gigantisme d'antan. Quand ils sont vides, certains se font plus petits en repliant leurs roues arrière au dessus de leur tête, comme s'ils avaient honte de rester gros, dans cet univers qui rapetisse. Je connaissais les camions italiens qui soulèvent un de leur train de pneus lorqu'ils sont à vide, pour en épargner la gomme. Ici, on va plus loin : on économise sur les pneus et sur l’encombrement au sol. "Papattes en l'air", le plus gros des camions prend alors un petit air espiègle.



Dans la brume de Treasure Island. Une noria permanente de camions vient y déverser tous les matériaux de démolition, afin de poursuivre l'extension de cette île en grande partie artificielle.

L'extravagance automobile se niche maintenant dans les détails. Cette jante de Lincoln, carrossée en SUV banal, ne manque pas d'allure avec son cloutage qui évoque peut-être les roues à rayons d'autrefois.


Comme l'exige le standing du propriétaire d'une telle berline, le numéro de la plaque est original.

Certains, contraints par la dureté des temps, affichent leur nostalgie sur leur plaque d'immatriculation, comme cette voiture coréenne qui se rêve en Cadillac.


Les plaques d’immatriculation sont, en effet, un minuscule espace d'originalité. Certes, on n'en est pas encore à leur remplacement par un afficheur électronique qui permettra la diffusion de publicité, 4 secondes après chaque arrêt de la voiture. De quoi en profiter dans les embouteillages. Le dispositif est en cours de test en Californie. Je n'en est pas vu d'exemple. En revanche, ce qui existe déjà, c'est la possibilité de choisir une combinaison de chiffres et de lettres,  moyennant finances, naturellement. On peut aussi acheter une plaque personnalisée aux couleurs d'une institution que l'on choisit, en payant une redevance annuelle qui est reversée à cette oeuvre, que ce soit les pompiers ou le parc du lac Tahoe. Seul inconvénient de ces plaques plus facilement mémorisables, outre leur coût : il faut supporter jusqu'à 3 mois de délai car elles sont fabriquées en prison. Beau symbole pour ces ouvriers d'occasion, contraints de supporter des délais bien plus longs avant leur sortie, sans qu'ils puissent rêver de se payer un jour de tels signes extérieurs de richesse !

Un exemple de plaque, au péage du Bay Bridge.
 Une grosse Mercedes, une plaque personnalisée, ce conducteur affiche son statut social.
A cette heure pourtant tardive (10h30),le "fasttrack" (télépéage) n'apporte aucun gain de temps par rapport au paiement "cash" à la petite guérite. C'est en 1968 que fut adopté ce système intelligent : on ne paie que pour entrer dans la ville (certes le double qu'avant, mais on a réduit ainsi les embouteillages, sans modifier le coût pour l'usager).

On peut aussi s'amuser à décorer son capot, comme ici dans le quartier gay de San Francisco. Toute la symbolique portée par les mastodontes d'autrefois s'est réfugiée dans un jouet utilisé comme élément décoratif.. 




Les motos n'échappent pas à cette désaffection pour les anciennes idoles américaines. Certes, on rencontre encore plus de Harley que dans les rues de France.

Une virée en bande, le dimanche matin, dans le virage de Cliff House, au bord du Pacifique.
Ils roulent doucement pour profiter  de leur pétarade. 
A cette vitesse, ils peuvent "admirer" les horreurs que l'on construit maintenant à San Francisco, même dans un lieu de prestige comme cette bordure du Sutro Heights Park.

Mais les Harley sont désormais en minorité face aux Japonaises. Quant à la police, elle roule en BMW !

Un policier sur le Bay Bridge. Mais c'est ma moto !

Enfin, même réduites, voitures et motos occupent encore trop de place sur le tablier des ponts et les embouteillages restent, malgré tout, infernaux aux heures de pointe auxquelles le touriste que je suis n'est pas obligé de rouler.

J'imagine qu'on s'y habitue. Les boites automatiques de leurs voitures sont moins pénibles à conduire dans ces conditions que nos 5 vitesses manuelles. Ce doit être, pourtant, une galère. Une amie qui met près de 2 heures le matin pour se rendre à son gratte-ciel de bureau me confiait, toutefois, que la beauté du spectacle offert par le Golden Gate la dédommageait largement. Je veux bien la croire car je ne me suis pas lassé d'emprunter ces ponts tout au long de mon séjour. Leur beauté architecturale, l'étrangeté d'un parcours accompli entre ciel et mer, la longueur inhabituelle de leur portée et donc du  trajet, la lumière constamment changeante au gré des heures et des montées de la brume, créent une atmosphère que je ne crains pas de comparer à celle d'Istanbul ou de Venise. 

Quand je traverse le Bay Bridge en venant de la banlieue est où je réside, j'ai l'impression de voguer sur le vaporetto qui me ramène de Torcello. Les gratte-ciels remplacent les clochers mais la lumière tamisée, l'humidité un peu poisseuse sont bien les mêmes.

 Le 1er tronçon du Bay Bridge, vers San Francisco, avant Yerba Buena Island (et Treasure Island).
5 files au 2ème étage, dans ce sens de circulation, 5 files pour sortir de la ville, à l'étage en dessous.

 Au sortir du tunnel qui passe sous Yerba Buena Island, pour la 2ème partie du trajet.
Au total, le tablier métallique, le plus long du monde, paraît-il, fait 7,2 km.



 L'épaisseur de la gaine des câbles est rassurante, même si l'on ne peut s'empêcher de penser aux éventuels dégâts provoqués par l'inévitable Big One. En 1989, lors du plus fort tremblement de terre depuis celui de 1906, une partie du tablier supérieur s'est effondré sur celui de dessous, causant la mort d'une personne.




1989. Wikimedia commons.




Arrivée à San Francisco, Down Town.

Le Bay Bridge est l'aîné de quelques mois du Golden Bridge puisqu'il fut inauguré en 1936, contre 37 pour le plus célèbre des ponts de San Francisco. On imagine l'activité logistique que la construction de ces 2 ponts a dû générer.Un de ces gigantesques travaux du New Deal.

Sous le soleil, c'est une expérience différente, moins mystérieuse, mais aussi séduisante, tout au moins pour moi.







Depuis l'Embacardero, cette longue jetée piétonne qui s'avance dans la baie au nord du pont, la vue est étonnante. Un soir, au coucher du soleil, le pont semblait couper le ciel, entre nuages et éclaircie.

 Au 1er plan, Embacardero. Au fond, Transamerica Pyramid. Très controversée lors de sa construction en 1972, elle a été finalement acceptée au point de devenir, 
comme la Tour Eiffel à Paris, le symbole de la ville.

A cette heure_là, les familles sont parties, laissant la place aux picoleurs qui cachent leurs bouteilles dans du papier journal.


Une vedette touristique croise un cargo.


Au fond, le port d'Oakland. 




Un porte-container chinois 

3 voiliers, 3 cargos. 




Tout semble sombrer dans la nuit mais le soleil n'a pas encore dit son dernier mot. 

Je jette un dernier coup d'oeil alentour avant de repartir.

Au nord est, le 3ème pont de la baie, le pont de Richmond s'illumine un court instant, le pinceau lumineux le découvrant progressivement en son entier.  Le cargo, déjà vu sous le Bay Bridge, s'y dirige. Derrière, il y a encore des installations portuaires. 



Le Richmond  Bridge, un jour où je l'ai emprunté.

Je quitte l'Embacardero, bien persuadé que le soleil est couché, mais, en reprenant ma voiture, voici une dernière surprise.




Cette fois-ci, la fête est bien finie.

Mon endroit préféré pour admirer le pont n'est toutefois pas l'Embarcadero, mais l’île qui lui sert de pilier au milieu de la baie, Yerba Buena Island et sa soeur jumelle à laquelle elle est reliée par un mince cordon routier, Treasure Island. De Yerba Buena Island, on peut le surplomber.

 Du côté d'Oakland, on dirait un fossile préhistorique qui exhibe son squelette imposant.
Le pilier dressé appartient à un 2ème pont en construction dont on aperçoit les empiétements, sous le Bay Bridge. Outre qu'il doublera la capacité, il supprimera le virage en S, plutôt dangereux, du pont actuel. 
On rencontre assez souvent, dans la Bay Area, ces doublements de capacité. C'est ainsi que je me suis retrouvé une fois immobilisé au milieu de la 4 voies, n'ayant pas compris que 2 tunnels distincts absorbaient chacune 2 voies. La rentrée dans le flot de la circulation me valut quelques coups de klaxon. La célèbre tolérance américaine a fortement baissée depuis mon dernier voyage.


 Pour le voir ainsi, il  faut monter jusqu'à la vieille tour de surveillance et pénétrer dans un épais bois d’eucalyptus. On découvre alors San Francisco dans l'écrin étrange d'une nature foisonnante, aux antipodes de cette ville qui prétend maintenir un dessin rectiligne, malgré le terrain tourmenté de ses collines.





On peut descendre aussi jusqu'au bord de la mer, non loin du petit port de plaisance. En passant, on découvrira le 2 ème pont en construction.


Depuis le quai qui relie Yerba Buena (à gauche) et Treasure Island. 



J'aime tellement ce lieu que c'est lui que j'ai voulu revoir avant de m'envoler vers la France. La journée s'annonçait splendide. La lumière était particulièrement vive quand je pris la route rapide en direction de San Francisco et les collines se découpaient sur le ciel avec une précision presque dérangeante. Malheureusement, juste derrière le double tunnel qui nous fait basculer vers la baie, on est accueilli par un brouillard particulièrement épais. Qu'à cela ne tienne ! J'ai du temps et la brume devrait se lever vers midi. Je m'arrête donc à Treasure Island.

Je m'amuse du panneau qui veut nous convaincre qu'il faut être là pour bénéficier de la plus belle vue sur la ville alors que l'on n'y voit goutte.



Le pont est là, juste derrière cet écran sans profondeur dont on ne sait s'il commence à quelques mètres ou à quelques centaines de mètres. Les cornes de brume se répondent mais aucun bateau ne surgit du brouillard pour animer ce paysage uniformément blanc.


Pour me distraire de l'attente, je fais les cent pas et me laisse aller à photographier quelques volatiles, comme ce cormoran qui ressemble beaucoup à ceux de mon étang parisien.








Les goélands semblent paisibles. Erreur, ils passent leur temps à se déloger les uns les autres de leurs perchoirs, sans que l'on arrive à comprendre ce qu'ils gagnent à ce ballet apparemment futile. A déloge B qui, du coup, chasse C qui s'en prend à A, etc., etc...


Un pélican passe en silence.


Pourquoi désirer autre chose que ce calme ouaté ? pourquoi souhaiter être ailleurs ?

En continuant ma ballade, je remarque le manège curieux de 2 pécheurs à pied, immergés dans l'eau jusqu'à la poitrine.



Ils pèchent avec un filet qu'ils ne peuvent lancer qu'à quelques mètres de la plage. On peut attraper du poisson si près du bord ?



Je suis trop loin pour savoir quel fut le résultat de cette brève manœuvre.


De toute façon, le lieu est superbe et se suffit à lui-même.


Je me rapproche. Voici leur voiture au pied des eucalyptus. Peut-on imaginer que l'on est juste aux portes d'une très grande  ville ?


C'est un couple bizarre, un couple à la Dubout, lui maigrichon, de type asiatique, elle, grande et forte blonde. Ils s'engueulent joyeusement, lui critiquant ses maladresses et elle se moquant gentiment de lui. Peut-être ont-ils besoin de ces échanges nerveux pour se réchauffer. A lui la technique, à elle, l'aptitude à descendre un peu plus loin du rivage. La diversité au service de l'efficacité.


En fait, ils ont terminé et j'arrive trop tard.



Un dernier coup d'oeil sur la baie. Le soleil paraît encore bien lointain. Je me décide donc à partir. Naturellement, à peine sur le pont, je vais retrouver le soleil.

On débouche sur le pont par une petite bretelle qui vous enjoint de marquer un stop préalable. Pas facile de se lancer ensuite, alors que les voitures roulent à 60 miles et n'entendent pas ralentir pour le bouseux qui débarque de son île.






Quel temps magnifique après tant de brouillard. Devant cette mauvaise volonté évidente des éléments à se plier à mes caprices, deux attitudes sont possibles : pester contre le sort qui ne m'a pas permis de voir le pont émerger progressivement de la brume ; ou se réjouir d'avoir retrouvé le soleil. Après tout, j'aurais pu rester dans le brouillard. D'ailleurs, quelques kilomètres plus loin, je vais le retrouver. Alors, profitons du moment. Une chose est certaine, si l'on n'aime pas les brusques changements météorologiques, si l'on ne se réjouit pas de constater qu'ici aussi,  "il fait beau plusieurs fois par jour", comme disent les Bretons de leur pays changeant, si l'on ne supporte pas le brouillard, mieux vaut ne pas venir à San Francisco.

Pour moi, je préfère y rester encore quelque temps.Ce serait un comble de repartir sans avoir évoqué le Golden Gate Bridge, a fortiori dans une chronique consacrée aus ponts de San Francisco.

C'est vrai qu'il est beau ce pont. Il n'est pas le plus ancien, il n'est plus le plus long pont suspendu (record qui reste américain, avec le Verrazano de New York, bien connu des marathoniens), il n'offre pas le trajet le plus long, mais on ne se lasse pas de l'admirer.

Depuis le sud-est, depuis la Marina et la Golden Gate Promenade.



Depuis l'ouest huppé et les hauts de Presidio...




.... en le traversant....





.... depuis le nord, à hauteur du pont....


De là, jolie vue vers la ville.

Au fond, le Bay Bridge. 

Au 1er plan, un bateau de la police. Le tablier du pont est à 67 m au dessus de l'eau.



.... ou à ses pieds, côté nord.




De là aussi, la vue sur San Francisco, à ras de l'eau, n'est pas mal.


Ce catamaran va quitter la baie, passer sous le pont pour gagner le Pacifique. 

En effet, un port de plaisance est aménagé au pied de la pile nord du pont.



Il en va de même au pied du Bay Bridge. Ces petits ports sont sympathiques. Ils sont réservés aux voiliers et l'on sent que ce sont des unités, d'ailleurs de taille modeste, capables d'affronter de mers difficiles. Leurs propriétaires sont vraisemblablement des passionnés, y compris de vieux modèles entretenus pour naviguer plus que pour la frime. 

A Treasure Island, près du Bay Bridge.

Les vedettes à moteur ne sont pas absentes, ne serait-ce que pour la pèche, mais elles ne m'ont pas semblé la majorité.


J'ai gardé pour la fin, l'endroit qui me semble le plus spectaculaire, au pied de la pile sud du pont. C'est un lieu très fréquenté en ces jours de congé et même l'attrait des soldes du Black Friday (le lendemain de Thanksgiving où les magasins cassent les prix. Cette année fut particulièrement bonne et cette nouvelle rassurante s'est traduite par une remontée des Bourses américaines) n'a pas fait faiblir la fréquentation.

Cyclistes, promeneurs, pécheurs aiment avoir le Golden Gate en toile de fond pour leurs activités.


D'un côté, le Golden Gate et la rive sauvage du détroit, de l'autre la ville et ses tours.



C'est là, dans ce double contraste que l'on entraperçoit l'une des raisons de la fascination qu'exerce ce pont. Elle n'est pas à rechercher d'abord dans la prouesse technique. Pourtant, sans être spécialement informé, on sent bien les difficultés qu'ont rencontré les hommes pour bâtir en plus de 4 ans ce pont hors normes qui franchit un détroit de 2kms au dessus de 30m de profondeur d'eaux glaciales (jamais plus de 10°) constamment agitées de courants violents, sans parler du vent et des tempêtes.

C'est la pile nord qui donna le plus de fil a retordre aux ingénieurs. Des plongeurs préparèrent à la dynamite le sol de ses fondations, par 30m de fond, dans l'eau, je le rappelle, froide et boueuse. Le système des courants entraîne des tourbillons difficiles à traverser : à marée haute, en surface l'eau douce de la baie cherche à s'échapper pendant que l'eau salée froide du Pacifique cherche à forcer le passage en profondeur. Après ce travail de plusieurs mois, il fallut créer, du fond jusqu'à la surface, un réservoir étanche, large comme un terrain de foot, dit-on, en ensevelissant des tonnes de blocs de béton afin de pouvoir couler le massif qui devait recevoir le 1er pylône. Ces 2 pylônes qui culminent à plus de 200m au dessus de l'eau sont encore les plus hauts du monde.

On pourrait multiplier les exemples de ces prouesses dont j'ai trouvé le détail dans un article de Wiki pedia consacré au Golden Gate Bridge. Je vous engage à y aller voir. C'est une histoire, technique, politique, économique passionnante. Les mesures de sécurité prises étaient impressionnantes. Un filet fut tendu  plusieurs dizaines de mètres au dessus de l'eau. Il fallut même prendre des sanctions pour ceux qui s'y jetaient par jeu.

Pourtant, il y eut un accident qui causa 10 morts, lors que le maçonnerie du pilier nord tomba dans le filet qui résista un moment puis céda sous le poids, précipitant 11 ouvriers dans l'eau. Un ouvrier réussit à s'accrocher au bout du filet retenu en l'air et un des ouvriers (le contremaître en fait) survécut à la chute dans l'eau malgré la température de l'eau et plusieurs fractures des côtes et des vertèbres.

J'arrête là mon récit sur ce point, car la technique ne suffit pas à expliquer l'engouement pour ce pont.

La couleur orange, pourtant si caractéristique, n'est pas, non plus, un motif explicatif suffisant. Je pensais qu'elle était due à une raison technique : elle évoque celle du minium utilisé pour protéger de la rouille. En fait, et l'explication est plus intéressante : c'est un choix esthétique, qu'Irving Morrow, l'architecte chargé de la décoration du pont, eut beaucoup de mal à faire adopter, en lieu et place du banal gris argenté du Bay Bridge.

C'est vrai, cette couleur qui rappelle celle des berges accentue l'impression étrange que l'on ressent lorsque l'on contemple le pont, cet objet à la fois insolite comme un artéfact humain posé dans un environnement naturel sauvage, et pourtant clairement intégré à cet univers dangereux qui semble rejeter l'homme et sa faiblesse congénitale.

C'est du côté de ce contraste qu'il faut chercher les raisons d'une fascination générale. D'un double contraste, d'ailleurs. Entre le sud urbanisé, d'une part, et le nord sauvage de l'autre. Sans doute, au delà du pont, on trouvera les rivages enchanteurs de Sausalito. Mais ils ne sont pas visibles du pont  qui projette son tablier vers une nature hostile. Quelle folie a bien pu saisir les hommes pour qu'ils se donnent tant de mal pour se rendre dans ce lieu inhospitalier ?.

 Au dessus de Sausalito


Du pont, on ne voit qu'une nature ingrate, sans route ni maisons, contrairement au Bay Bridge qui relie visuellement 2 ensembles urbains, Oakland et San Francisco. Un tel contraste Ville / Nature sauvage est tout à fait exceptionnel.



Je disais que le Pont organisait un double contraste, une opposition entre 2 contraires qu'il reliait, c'est cela un pont, mais dont il magnifiait aussi la contradiction. Entre le nord sauvage et le sud urbanisé, mais aussi entre l'est tranquille de la Baie et l'ouest dangereux de cet Océan qui porte bien à tort cet épithète de Pacifique. 

Ce 2ème contraste, on le perçoit bien au pied sud du pont. Son arche ressemble au portique d'un arc qui ouvre sur l'infini. En admirant ce spectacle, j'ai pensé à cet étrange arc de triomphe de Volubilis, la cité romaine du sud du Maroc qui ouvre sur le néant inquiétant du désert, un néant que l'on savait peuplé de barbares invisibles et pourtant bien présents. A la fois une porte et une barrière.

L'arc de Volubilis. Derrière nous, la ville (aujourd'hui en ruines, hier bien vivante, une vraie ville comme les Romains, véritables Américains de l'époque, en transportaient partout le modèle identique : amphithéâtre, cirque, et thermes, contre malbouffe, jeans et modes urbaines) ; devant nous, rien, le désert. Une porte qu'on ne franchit qu'à regret et crainte. (photo Wikimedia commons)

On trouvera l'analogie quelque peu forcée. Ni la lumière, ni les éléments en jeu ne sont identiques. Mais la valeur symbolique me paraît semblable.

Pour s'en convaincre, il suffit d'admirer les surfeurs qui tirent parti de cette opposition entre le Pacifique et la Baie. D'habitude, le surfeur joue sur la vague que crée la rencontre de l'eau et de la terre. C'est ce que l'on voit, bien loin du rivage, sur Ocean Beach, par exemple, le long de la bordure ouest de San Francisco.







Au pied du Golden Gate, la vague est formée par la rencontre de l'Océan et de la Baie. Poussée par l'énergie sauvage du large, elle meurt dans l'édredon des eaux douces de la Baie. L'avantage pour le spectateur, c'est que cette confrontation se joue tout près de lui. Pour le surfeur, l'endroit me semble dangereux. La mise à l'eau n'est pas simple. Ensuite, les rochers, noirs et pleins d'aspérités, sont bien proches.






Cela n'empêche pas les candidats d'être nombreux, de tous âges et de tout sexes.


Dommage que cette jeune femme, dont le silhouette évoque la Juliette Gréco de Belphégor, ne se soit pas retournée. j'aurais aimé vous montrer son très joli visage de type asiatique.











 La posture pour passer la vague n'est pas très élégante.





Avec mes ponts, j'ai beaucoup tourné autour de San Francisco. Si nous y entrions ?


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