Pages

lundi 19 mars 2012

Retour au paradis des chamois.

Je n'avais qu'une journée à passer dans le Mercantour après un mois passé au loin. Pas question de prendre de risques en m'engageant dans une ballade inconnue. Le choix était évident, il me fallait retourner dans ma "vallée heureuse" où j'étais certain de rencontrer des chamois. Je voulais essayer mon nouvel objectif, le célèbre 70/200, f2,8 de Nikon qui me semblait déjà faire merveille sur la faune de mes étangs parisiens. Que donnerait-il sur des sujets autrement passionnants ?

 La Gordolasque est encore dans l'ombre, à peine visible.


La cime des mélèzes est tout juste éclairée. 

Le Grand Capelet

Je vous le dis tout de suite. Ne nous attendez pas à des photos inédites, au spectacle de performances jamais vues. Pas de grandes bagarres entre mâles en rut. Tout ça, c'est fini depuis plusieurs mois. Pas de photos spectaculaires, non plus, de sauts vertigineux. Non, ce fut tout autre et bien mieux : j'ai été accueilli pendant quelques heures au paradis des chamois, avec le sentiment sinon d'être accepté, tout au moins toléré. Arriverais-je à vous faire partager cette impression : vous êtes le seul humain à des kilomètres au milieu d'une nature paisible, sans violence particulière, dans une coexistence distante certes mais tolérante avec ces superbes animaux, toujours élégants, parfois amusants (je pense au ritualisme quelque peu ridicule des mâles dans lesquels tous les mâles, humains compris, peuvent se reconnaître), souvent émouvants. 

Seule présence humaine, les avions avec leur double traînée, comme une promesse de bonheur.

J'étais parti plus tôt que d'habitude, avec l'espoir de me retrouver à Nice suffisamment tôt avant le décollage de mon avion pour une démarche qui me tenait à coeur. Ce ne fut finalement pas possible du fait de ma lenteur à monter, mais aussi parce qu'il me fut difficile de m'arracher au "paradis des chamois".

Ce 14 mars, la neige ne subsiste que sur les pentes nord. Je prends toutefois mes raquettes et mes crampons mais renonce aux guêtres, ce qui ne compense pas  le 1,5 kg du nouvel objectif. En fin de journée, je n'avais plus d'épaules.

Comme d'habitude, il n'y a personne. J'ai trouvé en montant une seule trace, ancienne, une trace parfois bien utile. Celui qui l'avait laissée avait dû en baver dans une neige fraîche où il s'était enfoncé tout à loisir. Depuis la neige avait gelé, fondu et regelé. Elle était devenue extrêmement glissante et il était bien agréable de bloquer son pied au fond de ces marches profondes. C'est d'ailleurs le seul inconvénient de cette ballade. Le chemin sert assez souvent de lit à un petit ruisseau et il se transforme alors en un long serpent de glace tout à fait impraticable (sauf avec des crampons). Il faut progresser directement dans une pente recouverte d'herbes traîtresses et d'aiguilles de mélèze qui la transforme en une véritable patinoire. Ce ne serait rien si l'on ne savait que, par réflexe, on pensera d'abord à protéger son matériel avant de se protéger soi-même. 

A d'autres moments la montée est tout à fait facile et délicieuse.



Très vite je tombe sur un chamois que je n'aurais pas vu dans la pénombre si je ne l'avais entendu me crier dessus, si l'on peut appeler cri ce qui ressemble plutôt à un chuintement.



 Ensuite, plus rien avant d'atteindre le vallon final. Je commençais à être sérieusement inquiet. Serait-ce la première fois que je ne verrai aucun chamois dans ce coin ? Rien sur la petite vallée fermée que l'on découvre en sortant de la forêt, vers 1850 m. Rien ensuite sur les différents replats qui scandent la montée le long d'un torrent réduit par la glace à l'état de filet d'eau.





 Je finis par mettre mes raquettes. La neige gorgée d'eau m'absorbe la jambe jusqu'à mi cuisse. 



En fait, je ne ferais que 50m ainsi et je ne suis pas sûr que la fatigue de les avoir portées tout le temps soit compensée par ces 50m plus confortables. C'était la 1ère fois que je les chaussais cette année, je pense que cela sera la dernière à voir l'état du manteau neigeux plus que rapiécé.

Le vallon est très contrasté. Au nord et à l'ouest, c'est encore l'hiver. Mais sur la pente est, orientée donc vers le soleil de l'après-midi, l'herbe est découverte. 




Dans cet univers glacé qui ne reçoit jamais le soleil, les mélèzes et leur ombre 
dessinent des figures mystérieuses.









Je ne vois tout d'abord rien. Pas de chamois. Mais à regarder un peu mieux, j'en vois partout. Regardez attentivement la photo ci-dessus, de ce petit chicot qui n'a même pas de nom sur ma carte avec ses 2380m.  on y découvre 3 chamois en train de ruminer tranquillement.


Alors, il suffit d'être un peu attentif et l'on découvre des chamois partout. 





Au début, j'ai eu le sentiment de revivre des moments déjà bien connus. Cela suffit déjà à mon bonheur car je ne me lasse pas de ces spectacles. Les mâles, qui vont bientôt quitter la harde pour entamer leur longue retraite célibataire jusqu'à l'automne, se laissent approcher, car ils aiment bien jouer les matamores. Ainsi ce binôme où, très rapidement, on peut distinguer le dominant.


Les voici dans une pose classique que j'ai repérée souvent : dos à dos, ils surveillent chacun une moitié du monde : ils ne sont pas à une vantardise près.


Puis, l'un d'entre eux, le dominant, chasse son compère, pour le simple plaisir, semble-t-il,  de lui faire sentir qui est le chef. Je l'ai vu rejouer plusieurs fois la même scène. N'importe quel mammifère, y compris moi, est capable de comprendre le sens de la position de chacun : l'un, le dos rond, comme ployé sous la peur et la honte ; l'autre, cambré, les reins légèrement fléchis, une patte en arrière de l'autre, dans la pose caractéristique du chamois mimant la possibilité d'une attaque brusque.



Ensuite, c'est à moi qu'il s'intéresse, me "chuintant dessus", en faisant mine de marcher vers moi.


Puis, nos 2 lascars se regardent, comme pour se mettre d'accord sur ce qui va suivre, et les voilà partis dans une course folle, totalement inutile, qui les ramène généralement à leur point de départ, l'air ahuri de s'être laissé emportés par cette brusque poussée d'adrénaline. Une débauche d'énergie en pure perte. Tout pour la gloriole et rien dans le ciboulot.




Un court arrêt et ils repartent de plus belle.



En revanche, les femelles, surtout lorsqu'elles sont accompagnés de petits, gardent leurs distances ; sans s'énerver, calmement, elles se déplacent au fur et à mesure que j'essaie de les approcher de l'exacte distance nécessaire pour maintenir le même écart entre nous.

J'aime bien observer leur attention permanente pour leurs petits.






Il faut regarder attentivement pour distinguer les chamois de leur environnement de pierre.
Une amie aime bien cette confusion de la chair et de la pierre. 
Je lui fais confiance et vous livre ces photos telles qu'elles.

J'ai notamment une pensée émue pour ces jeunes d'une année que leur mère va bientôt chasser pour faire place à celui ou celle qu'elle vont mettre au monde dans moins d'un mois. Éprouvent-t-ils de la peine ? Pour l'instant, ils restent joueurs comme tous les petits.


Ils sont aussi adroits que les adultes mais ils gardent quelque chose de gauche et d'attendrissant.





Les éterlous et éterlettes âgés d'un an de plus, ont des gestes beaucoup plus déliés.




Les mères limitent leurs efforts au niveau minimum, préférant un trot élégant au galop forcené des mâles ou des jeunes.



Toutes concentrées sur ce qui va arriver,  elles préfèrent visiblement se promener tranquillement, ce qui sied à de futures mamans.




Toutes ces scènes de la vie sauvage suffiraient à rendre heureux n'importe qui. Mais ce jour, il y a plus. Une atmosphère s'installe peu à peu. Je n'ai pas besoin de ruser comme un Sioux pour m'approcher, jouant avec le relief et le vent pour déjouer leur méfiance. Tout se passe comme si je n'étais plus perçu comme un danger. Le vallon alors s'anime de déplacements calmes, dans tous les sens. Les chamois sont beaucoup plus nombreux que je ne l'imaginais, je le vois parce qu'ils n'hésitent plus à se montrer et à se montrer en groupe.







J'entends du bruit derrière moi, et c'est un autre groupe qui passe dans le violent contre-jour.






Des jeunes viennent droit vers moi, plein de curiosité.



Puis, ils se lancent dans des courses effrénées, heureux de dépenser leur énergie.




En voici un autre...



...et encore un autre.



Même les adultes se rapprochent parfois.


Dommage, cette herbe. Elle n'empêche pas d'admirer son bel oeil doré.

Les chamois ne boivent pas mais mangent un peu de neige parfois.













Il n'est que 15h30 mais le temps de descendre, de remonter chez moi, me changer et prendre l'avion vont suffire à occuper les quelques heures qui restent. Je m'arrache difficilement à la "vallée heureuse". 



Puis, je franchis, avec ce mélèze, la borne qui délimite la "vallée heureuse" et plonge (avec de nombreuses embardées et chutes sur la glace)  vers la vallée et ma voiture.

Quelques heures plus tard, je serai, grâce à la magie de l'avion, complètement ahuri en comparant ces spectacles de nature en liberté avec le triste carnage que les humains imposent à la terre autour de leurs villes.  Ma la ville a, bien sûr, ses charmes et ses sortilèges. Il suffira d'attendre le jour qui se lève aussi là-bas, en ce 15 mars.

3 commentaires:

  1. Début mars, vallée de l'Estéron. Je marchais tranquillement sur le chemin qui passe sous mon village quand, à mon grand étonnement, j'ai vu, à peine à quelques dizaines de mètres, un peu en contrebas, un troupeau de chamois broutant l'herbe naissante. Ils m'ont regardée. L'un d'eux montait visiblement la garde, les autres, sans plus se soucier de moi, ont repris leur activité. Je n'avais encore jamais vu de chamois aussi près des habitations et aussi confiants.

    RépondreSupprimer
  2. Merci de votre contribution. Comme vous, j'ai remarqué que les chamois descendaient très bas dans les vallées, très loin du Mercantour. Il me semble que c'est un phénomène récent. Peut-être un effet de la surpopulation

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour cette magnifique randonnée alpestre, et pour la rencontre avec les chamois.

    RépondreSupprimer