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mercredi 11 décembre 2013

90 minutes autour du viaduc d'Austerlitz

Je traverse fréquemment la Seine sur le pont Charles de Gaulle. Il débouche en léger surplomb sur la gare de Lyon. La lumière y est souvent fort belle. En ce vendredi de décembre, elle promet d'être magnifique. Le ciel se dégage juste assez pour permettre au soleil de frapper horizontalement les immeubles et la tour de la gare.Voilà bien longtemps que j'attends ce moment en cette saison grisouilleuse. Quelques coups de pédales pleins d'impatience et m'y voilà. Il est 16 h.


J'aime bien ce lieu complètement chamboulé par la construction récente d'immeubles de bureau. On ne peut pas dire que ce soit une réussite architecturale mais c'est un coin de Paris complètement atypique, agité d'une noria perpétuelle de voyageurs errant entre les 2 gares, de voitures se précipitant vers les autoroutes, avec, au milieu, la Seine indifférente à tout ce tohu-bohu.

Vers l'ouest, les beaux quartiers, l'île Saint Louis, le Paris traditionnel.


Vers le nord, le nouveau quartier de la gare de Lyon qui a subi une rénovation brutale depuis la destruction de l'îlot Chalon. Ne subsistent plus que quelques immeubles témoins du passé populaire du quartier.


la lumière est effectivement superbe en cette fin d'après-midi, elle magnifie tout.


De l'autre côté, vers le sud, encore des bureaux, une longue ligne d'immeubles qui ont remplacé les petits commerces, cafés et logements qui donnaient, si près du centre, un avant-goût de banlieue. Je dois avoir quelque part des photos prises peu avant la démolition. Je les retrouverai un jour.


Il n'est que 16 h 30, mais tous ces bureaux sont déjà vides. On est vendredi ! Et pourtant, penseront les ironistes, il ne s'agit pas d'administrations publiques mais de sièges sociaux tout à fait privés.


Il n'y a pas beaucoup de fantaisie dans toutes ces cellules dédiées au labeur : la disposition du mobilier est étrangement semblable. Heureusement que les reflets mettent un peu de folie dans cette rigueur monacale.


Derrière cette 1ère ligne qui s'allonge en bordure de Seine, s'étend le nouveau quartier d'affaires qui surplombe la grande gare RER François Mitterrand. Rien de remarquable, c'est le moins qu'on puisse dire. La mode actuelle des vitres réfléchissantes a cependant cet avantage que les bâtiments semblent se fondre dans le ciel.


Plus intéressant, le long serpent vert de la Cité de la mode et du design, ouverte il y a 18 mois et qui occupe les anciens Magasins généraux de 1907. Un temps, la Douane y avait des locaux et c'est là que j'avais dédouané ma valeureuse 204 au retour d'Iran en 1972.



On dirait que le monstre veut avaler dans sa gueule grande ouverte le reste des docks qui lui échappe encore. Derrière, le panache de l'usine d'incinération dont la forme change au fil des vents. J'ai souvent rêvé de m'arrêter sur le périphérique pour le prendre en photo, tant il est spectaculaire mais mon inconscience ne va pas jusque-là.


Entre ces 2 remparts de bureaux qui dominent la Seine, un trait d'union que j'aime particulièrement, peut-être parce qu'on ne peut l'emprunter, le viaduc d'Austerlitz qui permet au métro de relier les 2 gares de Lyon et d’Austerlitz. Sa courbe est élégante, mais c'est surtout sa décoration de fer, que l'on doit à Jean-Camille Formigé, qui m'amuse. Que d'efforts au début des années 1900, pour habiller le métro !


Outre les armes de Paris, on reconnait plusieurs symboles aquatiques, comme si l'on avait voulu se faire pardonner de jeter par dessus l'eau de la Seine toute cette masse métallique. 



La décoration des 2 piliers maçonnés qui supportent l'arche en s'enfonçant dans le sol, reprend au contraire des motifs bien terrestres : des vaches ou plutôt des petits taurillons. La symbolique reste assez sommaire !


Nos sympathiques ruminants regardent passer, comme il se doit, les métros débouchant de la grande halle de la gare d'Austerlitz qu'ils transpercent de part en part. En 1906, 40 ans après la construction de la gare, les ingénieurs ont dû se résoudre à cette absurdité car le viaduc était, par construction, trop haut pour descendre au niveau du plancher des vaches.

A cette heure-ci,  cette immense halle est illuminée par le soleil rasant. Elle mérite bien son inscription aux Monuments historiques.


Les mêmes petits carreaux de verre se retrouvent sur les fenêtres de la gare. Quel souci du détail !


Le soir continue de descendre. La lumière s'est réfugiée dans le ciel où les avions dessinent de curieuses arabesques.



Dans le Jardin des Plantes, une femme médite sur la nuit qui vient prendre possession de la Terre. 


Des étudiants finissent leur joyeuse partie : une gomme en guise de balle et des chemises de carton pour raquettes.


Les gardes sifflent la fin de partie et tous de se précipiter vers les sorties.


Les serres résistent un moment à la commune monochromie.



Quelques taches de couleur continueront d'offrir un spectacle qui ne sera plus vu de personne.


Les immeubles de la rive droite semblent se liquéfier sous les derniers rayons.


Puis, c'est la nuit. Il est 17h20.


Le flot des voitures continue de s'écouler lentement vers la banlieue est. La vie s'est réfugiée au ras du sol jusqu'à lundi matin.



Les néons de la rive ont remplacé sur le viaduc d'Austerlitz le bestiaire de M. Formigé .


Le serpent s'illumine


Que Notre-Dame le veuille ou non...


...un autre monde, qu'elle a tant combattu, qu'elle a voulu refouler à jamais, s'installe sans bruit.


Un monde inquiétant, peuplé de créatures étranges, prend possession de la ville.


C'est, définitivement, la nuit.

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