Pages

vendredi 18 avril 2014

Avez-vous la forme olympique ?





Quand la Suisse fait parler d'elle, ces temps-ci, c'est dans le tumulte de la crise financière, le secret de l'évasion fiscale qui peine à se dire  ou le scandale de la xénophobie, loin de l'image paisible de ses montagnes de carte postale ou des rivages enchanteurs de ses lacs.

Dont acte. Mais ne peut-on s'accorder parfois un moment de régression dans l'illusion d'un bonheur sans crise, d'un équilibre calme et reposant, avant de repartir avec courage dans les tourbillons de cette chienne de vie que l'on aime tant malgré tout.

Transportons-nous donc sur les quais d'Ouchy, au pied de Lausanne, en cette matinée ensoleillée d'avril.

Il est loin le temps où les ânes peinaient à remonter jusqu'à la ville les ballots qu'une flotte nombreuse débarquait sur ses quais. Il n'en reste qu'un souvenir de bronze qui n'évoque plus rien de l'agitation passée.




Le Léman est parfaitement calme, les montagnes enneigées suffisamment lointaines pour qu'on ne puisse y deviner les balafres des remontées mécaniques et l'agitation tout urbaine des pistes de ski.



Aucun bruit, pas même le ronronnement de la vedette qui vient d'Evian ou de Thonon, jusqu'à ce qu'un bref coup de trompe rende le silence encore plus palpable.


Pas de bruit non plus ne monte de ce petit caboteur, seul reste de la flotte nombreuse qui voguait sur le Léman, du temps où les ânes constituaient 'l’Académie d'Ouchy", comme le disaient pas moquerie les bons bourgeois de Lausanne.


Derrière soi, le paysage est tout aussi tranquille avec ses grosses maisons bourgeoises du XVIIIème à l'opulence discrète.






Sur le quai, le temps est comme suspendu. Il ne viendrait à l'esprit de personne de pousser un cri ou de parler bruyamment. Le cadre impose son tempo lent, son bonheur si proche d'une vague tristesse.




Seules les mouettes, ces incorrigibles impertinentes, se jettent parfois dans une brutale frénésie piallante qui s'apaise aussi vite qu'elle a commencé, comme une pulsation de vie qui les surprend elles-mêmes et les laissent hébétées.




Il en faudrait plus pour réveiller le petit monde aquatique qui dort avec application.



Une tache de couleurs, jetée comme un morceau de macramé abandonné, détonne dans cet univers de tons pastel.


C'est, bien sûr, un de ces étrangers venus avec un visa de tourisme et qui s'est arrangé pour rester et se multiplier, un canard mandarin.


Un chien bien suisse n'est pas d'accord. A défaut de pouvoir le chasser, il veut au moins l'embêter, au risque de déranger également les autochtones.




Bon. Il faut en prendre son parti. Finie la douce volupté, la douce et mélancolique volupté, du farniente. Il faut bouger, sortir de cet engourdissement du corps et de la pensée que notre espèce, perpétuellement inquiète, ne peut tolérer bien longtemps. N'est pas un chat qui veut.

Il m'a fallu venir plusieurs fois sur ce quai et y traîner paresseusement pour que la petite envie d'aller visiter le musée olympique, juste de l'autre côté de la rue, se transforme enfin, par accumulation de toutes ces petites envies avortées, dans la résolution, que j'estime courageuse, de traverser l'avenue pour grimper vers le musée.


Je dis, sans rougir, "résolution courageuse", tant j'exècre tout le pathos qui englue "l'esprit olympique". On a envie de devenir cynique, de vanter les charmes du dopage ou de se réjouir de la corruption du Comité olympique, comme une saine réaction vitale contre la guimauve.

Je comprends, naturellement, que dans toutes ces affaires où l'on veut combattre le nationalisme stupide, il faut en faire des tonnes, accumuler les symboles, cultiver l'outrance sentimentale, valoriser à toute force le positif , même si ce sont surtout les contrôles qui sont positifs. Sortant de 3 mois consacrés à la confection d'un documentaire sur l'Union européenne, on peut comprendre ma légère exaspération devant l'expression éhontée des bons sentiments, même si je les partage  avec une banalité assumée, s'agissant du sport ou de l'Europe.

En fait, j'ai été agréablement surpris. Quand on fait appel à des artistes, le résultat est toujours bien différent de l'intention du commanditaire et j'imagine la jubilation du peintre ou du sculpteur qui réussit à subvertir le message qu'on lui demande de transmettre, sans que le donneur d'ordre s'en aperçoive ou plutôt, sans que celui-ci n'ose dire le léger doute qui l'assaille. On n'a pas envie de passer pour un gros plouc, surtout quand on a payé le droit qu'on se moque de vous.

On est accueilli par 2 petits bronzes, sans tête et sans pieds, pour que le regard se concentre sur le superbe dessin "en plaque de chocolat" de leurs abdominaux. Une manie figurative que l'on retrouvera tout au long du parcours.


Sur le moment, je n'ai pas prêté une attention particulière à ce groupe. Il me semblait afficher dès l'entrée ce que je craignais de trouver à longueur de visite : une fascination un peu vulgaire pour la pose. Rentré chez moi et agrandissant mes photos pour y déceler d'éventuels défauts, comme des erreurs de mise au point, j'y perçus tout autre chose. L'artiste (inconnu de moi) avait représenté, non 2 hommes comme je le croyais, mais un homme et une femme. Il avait même poussé le souci d'égalité dans la représentation sexuée jusqu'à un exhibitionnisme que je n'avais jamais vu.


J'aurais dû, dès ce moment-là, réviser mon idée préconçue et m'attendre à d'autres surprises..

Je ne fus, alors, sensible qu'au côté kitsch de cet étalage de muscles qui donne envie de sourire.



Mais cette première impression m'a vite quittée. J'avais envie de me moquer un peu lourdement. J'en ai été pour mes frais. Je me suis amusé, certes, mais sans méchanceté. Plutôt avec une admiration sincère.

En arrivant, c'est le groupe de footballeurs de Nikki de Saint-Phalle, grosses cuisses, petites têtes, qui m'a paru la seule touche d'ironie du parc olympique.



Mais petit à petit, mon regard a changé et c'est partout qu'il m'a semblé déceler une intention comique.

Partout, non, je ne veux pas exagérer par systématisme. Je ne vois rien de drôle dans ces sculptures féminines.

Les relayeuses d'Emma de Sigaldi



Mais peut-être qu'à notre époque de politiquement et sexuellement correct on peut se moquer de tout, sauf des femmes.

A l'inverse, il y a des scènes volontairement drôles, comme ce matamore d'escrimeur au mollet avantageux.




Dans d'autres cas, c'est une rencontre fortuite qui suscite l'hilarité.


Je n'arrive pas à prendre au sérieux ce Pierre de Coubertin, vêtu avec une élégance plastronnante au milieu de toutes ces nudités joyeuses, mais qui ne voit pas le poisson d'avril étrange qu'il a dans son dos.

David van de Kop devait bien s'amuser des son "Nageur" immobile et coloré.


Mais son bonheur serait total s'il voyait tout à côté le délicieux bibi de cette touriste.


On n'a pas besoin de trop solliciter les œuvres de Nikki de Saint Phalle pour y trouver du comique ou du "phallique"...


...ni dans les beautés ventrues de Botero. Cette sculpture a beau s'intituler "Jeune fille à la balle", il faut beaucoup d'imagination pour voir en elle une sportive acharnée. On dirait même que c'est la minuscule balle qui se cache dans son poing qui a déséquilibré sa masse généreuse pour l'étendre lourdement dans l'herbe.



Son visage de toute jeune fille a comme un air d'impertinence moqueuse, l'impertinence de qui veut couper court à l'étonnement que suscite naturellement le contraste entre ses traits juvéniles et sa masse de matrone.


La facétie de Jean-Michel Folon serait plus évidente si le jet d'eau était en fonctionnement. Son énigmatique personnage s'abrite normalement sous un parapluie de gouttes de pluie. Dommage, le jeu d'eau n'était pas encore mis en service en ce début de printemps.





Image tirée du blog "Lausanne verte". http://lausanne.over-blog.org/categorie-10886244.html
Un très joli blog sur Lausanne.

Ce clin d’œil surréaliste, on le retrouve, évident, dans cette sculpture de l'artiste polonais Igor Mitoraj : tête coupée réduite aux lèvres sensuelles, torse d'athlète à peine évoqué, tête entourée des bandelettes de la mort ou du silence, trop proche de l'entrejambe pour qu'il n'y ait pas une intention.






Pour d'autres sculptures, l'intention n'en est pas moins réelle, même si elle n’apparaît pas immédiatement.

Ainsi du groupe de cyclistes de Gabor Mihaly, la sculpture sans doute la plus photographiée (après la flamme olympique, ce curieux symbole d'éternité qui consume ce qui l'entretient). A première vue, l'artiste n'a voulu évoquer que  la magnification de l'effort physique et de la lutte à la loyale.




Mais si l'on regarde mieux, on décèle, comme dans un dessin pour enfant, un autre motif : les 5 anneaux olympiques.


Ce symbole on le retrouve un peu partout, agaçant comme tout ce qu'on martèle au delà du raisonnable.


Comme cet autre motif obsédant des abdominaux en tablette de chocolat (suisse naturellement).


Mais Miguel Berrocal a voulu déconstruire cette image avec cette sculpture animée qui s’agrège et se désagrège sans fin.



Une fois que l'on est devenu sensible à la poésie décalée du lieu, tout devient étrange, comme ce coureur (le finlandais Paavo Nurmi) de Waïno Aaltonen qui semble fuir toute la beauté un peu mièvre de ce parterre de tulipes.


Toute cette étrangeté, et c'est bien l'essentiel, ne dérange pas les pique-niqueurs et les flâneurs.





Car ce parc est d'abord un lieu magnifique qui mêle agréablement des atmosphères différentes.

Rappel de l'Antiquité grecque.





Jardins à l'italienne.




Jardins à l'anglaise






En bordure du parc, la "Villa olympique" offre un décor plus banal qu'on pourrait trouver dans bien des jardins bourgeois. Mais le lieu est charmant. Il cache même une table de pique-nique isolée du reste du parc que je conseille aux amoureux de solitude. La villa elle-même a la particularité de sembler construite sur une source, en hommage aux déesses païennes des eaux.




La violence du monde, la colère des uns, la détresse des autres semblent être définitivement repoussées au dehors de ses murs. Pourtant, on peut trouver une trace de contestation, dans un petit coin bien caché, sans lequel on croirait que la jeunesse se limite ici aux enfants blonds promenés par des gouvernantes noires ou aux trentenaires bronzés qui courent sur les quais. Qu'on se le dise, il y a bien quelques adolescents suffisamment énergiques pour que leur fureur s'étende jusqu'aux arbres..


Et le musée, me direz-vous ? Je ne puis vous en dire quoi que ce soit. A peine rentré, j'ai eu envie de rebrousser chemin. Une autre fois, peut-être ? Je n'en suis vraiment pas sûr.


Il est bien difficile de s'enfermer quand la nature est si belle.