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mardi 6 septembre 2016

Retour vers les marmottes

J'avais tellement regretté de ne pas avoir, à la mi-août, le matériel photo adéquat pour immortaliser toutes les jolies scènes vues, que j'étais impatient de remonter dans la vallée du Salso Moreno pour retrouver les marmottes. En ce 2 septembre, la météo est favorable. On ne prévoit qu'un peu de nuages entre 14 et 17 h, grand beau avant et après. Toutes les conditions d'une bonne chasse semblent être réunies quand j'arrive au Col des Fourches. La vallée est toujours aussi belle, juste un peu plus brûlée par un soleil quasi-ininterrompu depuis des mois. Dans mon sac à dos, les 3kg de mon appareil photo muni de son gros téléobjectif (un 200-500mm). Ils attendent que j'ai fini la descente vers la vallée pour me démolir les épaules quand je les aurai portés pendant 8h d'affilée.



Je n'étais pas descendu depuis 5 minutes que 2 marmottes me partent dans les pieds alors qu'elles prenaient tranquillement le soleil au bord du sentier. Il était près de midi et j'étais, oh bonheur !, le premier promeneur. La journée s'annonçait prometteuse. Pourtant, tout se passa différemment de ce que j'avais imaginé et rêvé. Alors que j'avais pu m'approcher à quelques mètres de certaines marmottes, 15 jours plus tôt, elles me  reniflaient de loin aujourd'hui et s'engouffraient  rapidement dans leur terrier dont, de toute façon, elles ne s'éloignaient guère.

La dernière fois, j'avais pu suivre des marmottes pas plus pressées que cela. Elles s'arrêtaient pour manger, puis remettaient un peu de distance entre nous. Avec calme. Qu'est ce qui avait changé ? Plusieurs choses en fait.

D'abord, j'ai vu à 2 reprises un faucon crécerelle qui chassait avec sa technique si caractéristique du vol stationnaire, dit "vol du Saint Esprit". Il bat des ailes très rapidement pour se tenir immobile à quelques mètres du sol, la tête tournée vers le bas, à la recherche d'une proie. Ma maîtrise insuffisante de mon nouveau téléobjectif ne m'a pas permis de prendre des photos correctes. il était de plus fort loin à chaque fois.

Voici le faucon qui approche...


... ici, on le devine à peine, en plein "vol du Saint Esprit". Difficile d'appeler cela une photo. A peine un indice, pour corroborer mon récit.


Le faucon ne peut s'attaquer aux marmottes, bien trop grosses pour lui, mais je suppose qu'il leur rappelle le vrai danger, l'aigle royal qui lui ressemble beaucoup, en plus gros. dans le doute, il vaut mieux s'abstenir. Cela expliquerait qu'elles ne s'éloignent guère de leur terrier, restant aux aguets au lieu de profiter de cette belle journée pour arrondir, encore un peu plus, leurs formes voluptueuses.

Mais ce n'est pas tout. Lors de ma redescente, quand le vent de face m'était enfin favorable, je fus gêné par quelques centaines de trublions, un troupeau de brebis. Décidément, je n'avais pas de chance.

Pourtant, le vrai responsable de cette quête en partie avortée, c'est bien moi. J'ai passé un moment délicieux, au moins une demi-heure, en compagnie d'une jeune marmotte qui me laissa l'approcher à 3/4 mètres. Elle m'avait repéré au dernier moment et je n'avais vu que son petit derrière de jeune de l'année plongeant dans l'ombre salvatrice de son terrier. Le temps de m'approcher et elle pointait sa jolie frimousse. Un geste trop brusque, elle se retirait dans l'ombre de son refuge pour reparaître à nouveau, trop curieuse pour être prudente, trop jeune pour ne pas croire le monde bon et passionnant.

On imagine mon bonheur. Confortablement assis sur une pierre, variant les points de vue et les cadrages, je tenais là une jolie série. Las ! mon appareil s'était déréglé. Tout excité par ce moment assez magique, je n'ai pas pensé à vérifier les paramètres d'exposition et d'autofocus. Dans le viseur tout était parfait. Pourtant j'ai dû tout jeter.

Ce n'est pas la première fois qu'une ballade se déroule complètement à l'opposé de mes attentes. J'ai remarqué aussi que j'avais tort de vouloir quelque chose de précis alors que s'offraient toujours des rencontres inattendues. Finalement, je suis content de ces 8 heures passées à crapahuter dans ma vallée préférée. J'en reprends le fil.




La vallée est idéale pour les marmottes avec son herbe épaisse, ses ravins, ses rochers qui cachent souvent l'entrée de leurs terriers.




Voici d'ailleurs ma première marmotte.


Un petit coup de soleil, et elle s'illumine, le visage zébré par l'ombre de quelques tiges de graminées.


Puis, en voici quelques autres, tapies dans l'herbe haute. Les adultes sont bien dodues.



Les jeunes de l'année ont bien grossi en 15 jours. C'est même époustouflant. Je suis moins inquiet pour leur première hibernation.


Je m'arrête pour déjeuner à côté de ma petite marmotte joueuse dont je n'ai finalement aucune photo. Puis je poursuis la montée vers les lacs Morgon. Les marmottes détalent loin devant moi, car j'ai le vent dans le dos. Je prends naturellement des photos, mais elles n'ont aucun intérêt. Alors j'admire le paysage.

Comme annoncé (la météo est devenu une science exacte !), le ciel se couvre et les alternances d'ombre et de lumière, animent le décor.



Je me rabats sur les nombreux traquets motteux qui semblent accompagner ma marche. Planqués dans l'herbe, ils volettent de rocher en rocher une fois qu'ils ont été dérangés...


... et m'observent avec attention, droit dans les yeux. Le masque noir qui entoure leurs yeux donnent encore plus d'acuité à leur regard.





C'est un bel oiseau, fin et gracieux, dont on n'imagine pas qu'il va entreprendre dans un mois la traversée de la Méditerranée pour hiverner en Afrique.


Il aime bien sautiller avant de s'envoler.



Le prendre en vol est une autre paire manches car il démarre très rapidement et son vol est chaotique.



Ces petits exercices m'ont occupé pendant la montée. Me voici au lac Morgon où je ne m'attarde pas. Cette fois-ci la lumière n'est pas terrible. En descendant quelques 100m vers l'ouest, on arrive, par un chapelet de petites mares aux lacs des Laussets, sortes de piscines naturelles suspendues à 2400m.

Le chapelet de petites mares.


Les lacs des Laussets 




Les lacs s'étalent sur plusieurs niveaux.
On devine à peine le petit lac de gauche, 2m au dessus de celui de droite.


Les lacs sont bordés de linaigrettes, ces petits plumeaux tout blancs qui me font penser, je ne sais pourquoi, aux oriflammes des guerriers indiens.


Lorsque l'eau est peu profonde, les algues dessinent des compositions abstraites délicates.







Mais il est près de 16h30 et il faut s'arracher à ce spectacle paisible et solitaire. Très vite en descendant , je découvre la catastrophe : l'immense troupeuu de brebis qui va contraindre mes marmottes à se calfeutrer chez elles.



Ceci dit, le spectacle est superbe. Dommage que je ne puisse ajouter les sonnailles aux images.



Je m'assois pour en profiter et attendre la fin du passage dans l'espoir que les marmottes veuillent bien ressortir. Mais voici que l'aile gauche de cette formidable armée qu'un pli de terrain me cachait apparaît brusquement et me déboule dessus.


Ce "couple" bizarre retient mon attention, avec l'idiote sophistiquée à côté de la bagarreuse aux belles cornes.


Ont-elles senti ma moquerie, voilà la cornue qui me fonce dessus. J'ai beau me rappeler le caractère pacifique de ces bestiaux, je préfère me dresser de toute ma taille pour lui inspirer le respect dû à la race de ses maîtres.


Ensuite, ce sont les chiens qui viennent me tourner autour, l'un après l'autre.


Je suis rassuré de voir que je n'ai pas affaire à des patous. Eux sont vifs, dociles et font une claire distinction entre une brebis, un humain ou un loup, sans avoir à passer de longues minutes à me renifler. Ils viennent juste me jeter un coup d'oeil puis s'en repartent auprès de leur maître.

Celui-ci s'est assis à une trentaine de mètres de moi. Je vois dans ce geste la volonté de ne pas me déranger et le souhait d'entamer une conversation, si je suis preneur. Je vais le rejoindre. Voilà 20 ans qu'il mène des brebis dans cette vallée. Il a arrêté mais est revenu pour rendre service au jeune berger qui l'a remplacé et qui devait se rendre à un mariage. Non, il n'avait pas de patous "pour ne pas embêter les touristes". Je lui raconte une rencontre désagréable avec 3 d'entre eux et il a la gentillesse de me dire que, lui aussi, ces monstres sur pattes l'inquiète toujours un peu. Le troupeau compte 800 têtes venus de Salon de Provence et de Miramas. Il est là jusqu'au début octobre.

Il me conseille d'aller vers la "vieille cabane' un peu plus à l'est si je veux avoir des chances de voir des marmottes. Le conseil est bon. Le site, que l'on ne voit pas des chemins qui parcourent la vallée, est magnifique avec sa cabane de pierre et de terre accolée à "une maison du XXème siècle couverte de tôle. A côté une bel enclos de pierre", me précise mon guide.

On devine en bas de la pente, assez casse-gueule avec mon lourd matériel,
les 2 cabanes et l'enclos au pied de la falaise d'où s'écoule un ruisseau.




Cette fois-ci, je marche face au vent. le terrain est accidenté et les marmottes me découvrent au dernier moment. Au point qu'une fois nous nous fîmes une frayeur réciproque, la marmotte poussant un cri terrifié (et non un sifflement d'alerte) à un mètre de moi. J'ai eu aussi peur qu'elle.

Ce couple semble plongé dans une silencieuse méditation, une prière du soir, l'Angélus des marmottes.



C'est un jeune couple qui cohabite avec un vieux sage qui semble drapé dans une houppelande trop large pour lui.


Un rayon de soleil, et il parait tout heureux de réchauffer ses vieux os.


Un peu partout des guetteurs attentifs mais pas forcément criards. Le peuple des marmottes semble avoir retrouvé le calme et la sérénité.




Assise sur leur gros derrière, bien calée en appui sur leur ventre, les "mains" délicatement posées sur ce symbole de leur survie à venir dans le froid de l'hiver, elles ont l'allure benoite de quelque prélat médiéval..

Au loin un couple s'embrasse interminablement.


Je m'approche avec des gestes aussi lents et coulés que possible, persuadé que tout à leur affaire ils ne feront pas attention à moi.


Malheureusement pour moi, ils n'en oublient pas les règles fondamentales de leur sécurité. Ils disparaissent rapidement.

Cet autre couple ne songe qu'à la douceur du soir et au plaisir d'être ensemble. Il n'en oublie pas cependant de surveiller les alentours.



Les herbes offrent une certaine protection. On n'en file pas moins vite dans son terrier malgré un embonpoint de bon aloi.



Les marmottes ne vous regradent que rarement dans les yeux mais plutôt de côté, le corps et le visage immobile, l'oeil vif et attentif.



Ce jeune ne parait pas rassuré du tout. Il applique pourtant les consignes : ne pas bouger car on est peu visible quand on reste immobile. Malgré la trouille et l'envie de fuir.


En continuant ma descente, je passe à proximité de la bergerie. Les 800 brebis sont rassemblées dans un étroit enclos que surveille les 3 chiens. Pour une raison qui m'échappe, ils les font tourner parfois, agitant la masse de laine d'un curieux mouvement brownien.



Le berger a été rejoint par un ami, monté comme moi pour admirer les lacs. Je ne l'ai pas vu là-bas. Il aide le berger à isoler une bête qui doit avoir besoin de soin. Cet examen de chacune va durer longtemps et plus d'une heure après je l'entendrai crier par delà toute la largeur de la vallée. Seul bruit humain, intermittent mais réconfortant, qui m'accompagnera dans la remontée jusqu'au col des Fourches, dans la nuit tombante.


Je continue mon chemin à travers pré, montant et descendant. J'entends crier tout près de moi, juste devant. Je ne vois rien. Puis une tête apparait, un corps. Un guetteur plongé déjà dans l'ombre de la montagne, surveille sa ravine.




La bergerie s'engage doucement  dans la nuit, puis les montagnes s'éteignent progressivement. La nébulosité est forte au ras de l'horizon et la lumière baisse rapidement.








Arrivé au point le plus bas, avant la remontée vers le col des Fourches, là où je traverse le canyon asséché qui a eu raison de la grange (cf. http://www.leschroniquesdemichelb.com/2016/08/le-torrent-gagne.html), je m'apprête à ranger mon appareil pour monter plus facilement, quand je tombe nez à nez avec une jolie femelle chamois. Elle m'a vu avant moi bien sûr. Je m'immobilise comme elle. Elle garde un bon moment la même position interrogative puis bouge la tête, puis le corps, comme pour me jauger, avec une noblesse d'allure qui me confond.





Finalement elle part en caracolant, face à la montagne. 4 ou 5 sauts; qui semblent exagérément hauts, comme si elle voulait manifester son énergie et sa vitalité, puis elle s'arrête. Et reprend le même manège sautillant. Fasciné par le spectacle, j'en oublie de régler mon appareil sur une vitesse susceptible de figer ses cabrioles. Je dois jeter la plupart des photos et celles que je présente ne sont pas très fameuses. Mais comment rester froidement lucide devant la grâce de cet animal.




Une grâce toute féminine. Car je suis sûr que c'est une femelle : pas de crinière sur le dos (un critère qui n'est pas suffisant) ; ses cornes sont peu recourbées ; et surtout elle urine en arrière de ses postérieurs. Car elle urine devant moi. C'est dire si elle n'est pas affolée.


Elle semble me reprocher mon voyeurisme. On me pardonnera mon anthropomorphisme un peu niais. Après tout, personne ne lui reproche de me regarder avec ses yeux de chamois.


Puis elle reprend sa course.



Toute cette scène a eu deux autres observateurs. Un vieux couple, un peu plus haut, sur le devant de leur terrier, prêt à aller se coucher alors que, plus bas, tout le monde est déjà allongé dans la nuit de son terrier.


Enfin, un dernier regard, et la jeune et jolie demoiselle disparait.


Finalement je garde à la main mes 3kg de matériel. Ce n'est pas très pratique pour remonter mais je peux ainsi immortaliser les vigies qui jalonnent mon parcours. Tous ces chamois vérifient que je m'en vais et que la montagne leur appartient bien à nouveau. A eux seuls.



Je suis toujours fasciné par la lente mais inexorable montée de la nuit. Nous avons perdu le sentiment de cette force que rien n'arrête. Il faudra attendre demain pour revoir le jour, qu'on le veuille ou non. Parfois, il m'est arrivé d'en éprouver de l'inquiétude, celle de ne pas retrouver mon chemin, de me tordre une cheville. Aussi ai-je toujours ma frontale dans le sac. Car je sais que j'ai de la peine à m'arracher à cet univers qui n'est plus le nôtre, nous qui avons vaincu la nuit.

On valorise habituellement le lever du soleil. C'est vrai que le spectacle est grand et beau (cf. par exemple : http://www.leschroniquesdemichelb.com/2011/09/deux-cols-trois-bivouacs.html). Mais l'arrivée de la nuit manifeste plus fortement la puissance de la nature. Pour peu qu'il n'y ait pas de lune, on sait que dans peu de temps on ne verra même pas sa main, qu'une autre vie va se mettre à grouiller. Et surtout qu'on ne peut rien pour arrêter ce cycle. Il faudra attendre, patiemment et passivement, que le soleil revienne nous visiter. Rien, aucun savoir, aucune expérience passée mainte fois répétée ne peut enlever ce léger doute que, peut-être, le jour ne se lèvera plus. Doute absurde, on le sait, mais doute quand même, quelque part au fond de soi.

Ma moto m'attend, seule sur le petit parking caillouteux du Camp des Fourches. Encore 2 heures de route et je m'écroulerai de fatigue. Finalement la chasse ne fut pas si mauvaise.

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