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samedi 5 novembre 2016

La revanche de l'imprévu. Chapitre 1.

Après quelque hésitation, j'avais choisi ce jour-là un des coins les plus fréquentés du Mercantour, le vallon de la Madone de Fenestre. On peut monter à près de 1900m en voiture. Le site est magnifique avec le mont Gelas en arrière-plan (le point culminant du Mercantour à 3143m), un joli lac à mi-parcours du col de Fenestre et un point de départ émouvant avec le petit hameau groupé autour de l'église de la Madone.

Au fond, le mont Gélas saupoudré de neige.
 Le lac de Fenestre et le Gélas en arrière-plan, 1000m plus haut.

J'avais hésité parce que ce vendredi tombait encore pendant les vacances scolaires et je n'aime pas beaucoup la foule. Mais il était tard et les touristes commençaient à redescendre quand je débutai ma montée. Je suis devenu paresseux avec l'âge et je rationalise ma paresse en prétendant choisir la fin de journée, car ainsi il n'y a plus autour de moi que des animaux sauvages vers la tombée du jour.

Quand je suis arrivé au lac, terminus pour beaucoup de pique-niqueurs, il n'y avait effectivement plus personne.


L'inconvénient, c'est que je redescends souvent à la lueur de ma frontale, toujours avec le regret de quitter ces lieux paisibles et silencieux où l'on se sent communier avec la nature (une nature sans risque, puisque la voiture ou la moto m'attendent un peu plus bas).

En fait, si j'avais surmonté mon inquiétude de me trouver dans la cohue (toute relative) de ce hot-spot touristique, c'est parce que j'avais un but bien précis que j'estimais pouvoir atteindre à coup sûr au dessus de la Madone : trouver des bouquetins, ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps. De plus, je ne me consolais pas d'avoir effacé accidentellement les nombreuses photos de bouquetins prises il y a plusieurs années, en ce même lieu. Ils s'agglutinaient alors autour des blockhaus que les Italiens avaient construit au dessus-du lac et dans la caserne de l'autre côté du col, sur ce qui est depuis 1946, le versant italien de la montagne. 

L'Italie !

Autant le dire tout de suite, cet espoir fut totalement déçu. je n'ai pas vu un seul bouquetin, pas plus que les marcheurs que j'interrogeais lorsque je les croisais. Pour plusieurs, la raison en était une chaleur excessive pour la saison, qui contraignait les animaux à rester plus haut, maintenant qu'ils avaient leur fourrure d'hiver. 

La caserne était sinistre dans sa solitude délabrée, là où j'avais assisté à des scènes mémorables.


Cette fin d'ascension confirmait mon impression du début que cette sortie photographique allait se solder par un échec total. J'avais croisé 3 photographes sur-équipés avec leurs pieds, leurs télé-objectifs en tenue de camouflage. Eux aussi étaient déçus de leur ballade. Quelques chamois et puis c'était tout.

Ceci dit,  je fis des rencontres sympathiques, comme ces 2 mâles qui me laissèrent approcher Jusqu'à 7/8 m d'eux.


Ils eurent la gentillesse de prendre la pose, pour m’impressionner. Et c'est vrai que parfois, j'avais une pointe d'inquiétude même si je sais que les chamois ne chargent jamais les hommes, même en pleine période de rut, à un moment ils pourraient nous prendre pour des concurrents.

 Pas possible de se tromper sur le sexe de l'animal avec sa superbe crinière dressée.





Position classique pour faire montre de sa détermination, bien campé sur les pattes arrière.


Ce n'est pas encore tout à fait la période du rut. Les mâles se tiennent encore à l'écart des hardes de femelles mais on sent bien que leurs hormones commencent à les travailler sérieusement. Ils esquissent une sorte de pas de deux caractéristiques de leurs affrontements à venir.


Ce qui me frappe surtout, c'est leur grande tolérance à ma présence. Je peux leur "tirer le portait" comme jamais. Je découvre ainsi ces curieuses demi-lunes orangées qui bordent leurs yeux sur l'avant et que, de loin, on prend précisément pour leurs yeux.



Quand je suis vraiment trop près, ils s'éloignent en quelques foulées mais s'arrêtent bien vite et se retournent pour vérifier que je suis bien au delà de leur distance de sécurité.




 L'un des 2 compères, moins confiant, est allé se cacher derrière un pli de terrain. Mais il réapparait bien vite pour retrouver son copain.


Le temps passé en leur compagnie m'a paru assez long. En fait, d"après l'horodatage de mes photos, je ne les ai embêtés qu'un quart d'heure. Je dis bien, embêter, car, je l’avoue, j'avais envie qu'ils galopent pour réaliser quelques clichés plus spectaculaires. J'ai vu plusieurs fois de ces cavalcades effrénées par lesquels les mâles manifestent leur puissance. Mais ce n'était pas leur jour. De toute façon, je n'aurais jamais accepté de les effrayer pour les faire courir. Peut-être ont-ils effectivement trop chaud ? Quelques bonds et ils tirent déjà la langue.


 Je me suis donc contenté de jouir de leur présence et d'admirer leurs attitudes, toujours si élégantes.





Bye, bye donc.


Plus haut, au col de Fenestre, une image classique, qui me séduit toujours, malgré tout : un chamois sur fond de  ciel.


Après avoir trainaillé  un bon moment, comme s'il voulait prendre la pose, il file brusquement sans que je puisse identifier l'origine de cette fuite. Au petit trot, d'abord, puis au grand galop, comme effrayé par sa propre course, il disparait en se fondant dans l'ombre qui monte sur le flanc nord de la montagne.




Quand j'atteins le col, il est bien loin et je suis bien seul. Je n'ai pas de raison de traîner moi non plus. Je redescends donc, déçu comme je l'ai déjà raconté. Et c'est là que l'imprévu se manifeste et vient récompenser la patience du photographe.

A la hauteur des blockhaus, juste en dessous du chemin, je suis surpris par toute une jeune troupe que j'allais dépasser sans les voir, tant je me sentais désappointé, persuadé que la journée était terminée et la ballade ratée.


Il y a là des petits, de l'année ou de l'année précédente et quelques mères. Tous ont passé l'été ensemble et seront bientôt rejoints par les mâles. mais pour l'instant on est entre soi. Au calme.


Les jeunes ont des jambes démesurées pour leur petit corps.
 
On se promène tranquillement  en broutant.


Puis, brusquement une bousculade et les voici serrés les uns contre les autres, la tête penchée en contrebas. mais que font-ils ?



Quelle n'est pas ma surprise de voir tous ces chamois en train de boire dans une petite mare à l'eau transparente. J'ai toujours entendu dire ou lu que les chamois ne boivent jamais d'eau, les herbes qu'ils consomment suffisant à leurs besoins de liquide. 


Mais, pas d'erreur possible, ils sont bien en train de boire. Ils sont même impatients et celui-ci chasse prestement celui-là qui le précède. Ils ont pourtant l'air de force égale mais le buveur s'est pourtant prestement éloigné avant même que l'autre ne s'approche et ce départ est tout sauf spontané et volontaire. 



 Puis l'intrus s'aperçoit de ma présence, considérant que le véritable intrus, c'est moi.


Ensuite, tout ce petit monde continue sa marche en avant, à la recherche d'autres pâturages sur les flancs escarpés de la montagne. Je les suis un moment.

Un jeune de l'année dernière
 


Un jeune de l'année qui n'a que quelques mois et va devoir affronter son premier hiver.


 Quand je me fais trop pressant, un saut et les voilà hors d'atteinte.



La jeune maman regarde où j'en suis et s'il n'y a pas de retardataires dans la troupe des petits.


Les autres femelles s'étalent les unes au dessus des autres, chacune dans son petit pâturage personnel. Pour y accéder, il faut traverser une large dalle rocheuse qui serait bien trop lisse pour moi.





Les premières sont déjà arrivées à la crête et surveillent la progression de toute la harde.


Toute cette séquence a duré presque 2 heures. Me voici tout ragaillardi. Ma journée n'est pas perdue. J'ai passé un merveilleux moment auprès de cette harde qui m'a laissé approcher plus que d'habitude car d'ordinaire les femelles accompagnées de petits sont beaucoup plus craintives que les mâles toujours un peu matamores.

Et puis, je viens d'assister à un spectacle tout à fait imprévu : des chamois en train de boire. Pourtant, le meilleur était encore à venir.

Tandis que cherchais à rejoindre le chemin pour poursuivre ma descente vers le lac, je devine, en périphérie du regard, une ligne blanche qui ondule à 1 cm au dessus d'un alignement de pierres, juste un peu plus haut. Je me baisse autant que je peux en courant au devant de cette brève apparition. Mon calcul se révèle judicieux. Je me trouve face à une hermine qui me regarde avec curiosité. Une 1ère photo : floue. Une 2ème, encore floue. Je suis désespéré. L'autofocus de l'appareil réglé pour accrocher le vol d'un choucas, ne se focalise pas sur la petite tête blanche qui pourtant continue de me regarder.

Quelle histoire. manquer une jolie photo pour un vulgaire choucas sans grand intérêt !

(Pour être honnête, il m'avait intrigué avec ses petites pattes que le soleil faisait ressortir)
Dans ma panique, je finis par arriver à régler manuellement le point et voici mon hermine qui m'apparaît nette dans le viseur.



 La même photo agrandie numériquement.

Elle disparaît sans me laisser le temps d'une 4ème photo. Je me dépêche de modifier le réglage de mon autofocus et attend le retour de la belle un peu plus haut. Je sais les hermines curieuses. Mon savoir est tout récent : cet été j'en ai aperçu une dans sa toilette d'été, rousse avec une tâche blanche sur le cou. Elle s'était montrée 2 fois après nous avoir détalé dans les pieds. Et banco, la revoilà, un peu plus éloignée mais dans une pose encore plus suggestive.




Elle semble calme et sereine mais il n'y aura pas de 2ème photo. Ou plutôt, si, mais de son dos. Difficile de trouver plus vif que ces petits carnassiers.

J'ai eu beaucoup de chance de la voir, toute blanche se détachant bien sur les rochers. Si elle avait conservé encore, comme la température pouvait l'y inciter, sa robe rousse d'été, je suis à peu près persuadé que je ne l'aurais pas vue. Pour un imprévu, c'était bien un imprévu.

Mais je n'étais pas au bout de mes surprises. Voilà qu'arrive au lac juste avant moi qui continue ma descente tout joyeux de ma précédente rencontre, un couple qui remontait depuis la Madone ! En voilà bien un crime qui m’oblige à renoncer à l'absurde mais bien agréable rêverie que je suis seul à me promener au paradis des animaux (sauvages mais paisibles). Voilà un imprévu dont je me serais bien passé. Après tout il est 18h passées et le soleil va bientôt disparaître du sommet des montagnes.

Lui est tellement persuadé d'être seul aussi à cette heure-ci qu'il a posé son sac au milieu du chemin, juste au petit gué qui sert de déversoir au lac. Tel un moderne Œdipe interdisant le passage à son inconnu de père, il ne semble pas pressé de me laisser passer.


En fait, c'est un jeune couple très sympathique qui envisage de bivouaquer. J'ai la maladresse de raconter que depuis 2 ans je ne bivouaque plus par peur des loups. Du coup, je ne suis pas sûr que la jeune femme accepte de dormir à la belle étoile. Quand je les quitte ils font un tour du lac.


Mais cette belle journée ne veut pas finir. Un peu plus bas, après avoir dérangé un mâle solitaire, je tombe sur 2 mères avec leur petit de l'année. Une scène apparemment bien banale. Elle se révèlera plus touchante que prévu. 

L'une des 2 mères, plus indépendante ou pour tout autre raison, s'éloigne assez rapidement, laissant son rejeton sur place.

Ses cornes commencent seulement à pointer. Il a 3/4 mois.

L'autre mère, sans me quitter des yeux, bat le rappel de son propre rejeton pour assurer sa protection aux 2 petits.



Et cela donne cette jolie scène familiale. Dommage que la lumière soit si faible (on devine juste les mélèzes encore au soleil loin derrière eux). Impossible donc d'avoir mes 3 personnages net.



Puis le petit abandonné décide de rejoindre rapidement sa mère qui vient de passer la crête et qu'on ne voit plus.


Il crâne même un peu, tout fier de ne pas rester dans les jupes de sa mère. Lui !


Restée à l'arrière-garde, la 2ème mère broute tout en me surveillant du coin de l’œil. Elle est toute proche (je ne peux la cadrer en entier avec mon téléobjectif). Puis elle s’éloigne doucement en direction de sa copine et de son lardon.


Un dernier regard et son petit file la rejoindre, bien collé contre elle, broutant entre ses pattes.




Son copain est arrivé en haut de la crête.  Un coup d’œil de l'autre côté pour repérer sa mère que nous ne pouvons voir, puis il se tourne vers son camarade qui monte, bien dressé comme un adulte qui fait le guet.


Cette fois la nuit arrive à grands pas et même le Gélas s'éteint pour plus d'une douzaine d'heures.






Seuls les avions sont encore pour un temps éclairés par le soleil.


Dernière surprise dans ce monde devenu tout noir, une lumière vive du côté du couchant. Sur le moment, il me semble que ce ne peut-être qu'une lumière artificielle pour être si puissante. Les phares d'un avion se dirigeant vers moi ? mais cela ne bouge pas.

Je vérifierai une fois rentré chez moi : c'est bien Vénus que je n'ai jamais vue aussi brillante. Ce n'est plus un simple point mais une véritable tache que ma photo ne traduit qu'imparfaitement.


Il est temps pour moi d'allumer ma frontale. Près de l'arrivée, je traverse un troupeau de vaches que je repère au bruit de leurs sonnailles et à l'étrange clarté de leurs gros yeux quand ma lampe les éclairent. Je les frôle, mais elles ne bougent point, au point de me faire craindre de les percuter involontairement. Une attitude toute bovine qui me fait regretter la noblesse sourcilleuse des chamois. Au loin, à 200/300m, près de la vacherie, j'aperçois l'éclat d'une autre lampe frontale. Sans doute le fermier. Je suis bien de retour parmi les humains.A moi maintenant, les 2 heures de route difficilement entr'aperçue dans la faible clarté des phares jaunes de mon antédiluvienne voiture.

PS. N'oubliez pas de cliquer sur les photos pour les agrandir. Sinon vous ne verrez pas les belles moustaches de l'hermine.

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