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mercredi 21 décembre 2016

Boire un petit coup...: de Sancerre à Pouilly sur Loire

Sancerre

Enfin dégagé de la pollution parisienne et des obligations de circulation alternée, me voici libre de laisser cracher  les 6 cylindres de ma voiture, toute  décomplexée dans la froidure matinale. Les bords du canal latéral de la Loire sont encore gelés malgré le beau soleil d'hiver et c'est sans honte que j'admire un moment les eaux calmes (et en partie gelées) du canal que j'ai pu rejoindre grâce à cet engin polluant.





 Un canal que je croyais bien plus ancien mais qui fut inauguré en 1838 pour contribuer à la liaison Seine-Rhône au gabarit Freycinet. Né dans la fureur de l'industrialisation à toute force, il symbolise plutôt maintenant le calme bucolique d'une campagne vouée à la ballade. D'ailleurs, ce n'est pas une blague, il s'appelle Vacher.




Mon objectif  aujourd'hui : recharger une cave en mal de vins blancs avant les fêtes de fin d'année et leurs excès d’huîtres et de fruits de mer. Premier arrêt, le pays du sancerre, plus précisément dans le petit village de Menetou-Ratel, au nord-ouest de la ville de Sancerre.

Mon fournisseur habituel y habite mais ses vignes sont à plusieurs kilomètres de là. Ménetou-Ratel est en périphérie du vignoble. On y voit plus de vaches que de ceps de vigne.


Les pays de vignes proposent une bonne illustration de l'injustice du monde. A quelques kilomètres près, vous voyez coexister la relative opulence (et parfois la vraie opulence) des vignobles de l'appellation contrôlée, aux frontières aussi rigides qu'un rideau de fer, avec la parcimonie chichiteuse de l'élevage ou de la maigre polyculture. Ici un village aux maisons toutes restaurées avec pierres apparentes et poutres à tout va, étalant avec un goût souvent douteux une prospérité récente, là des fermes tout droit sorties du XIXème siècle, avec leur charme nostalgique que seul apprécie le citadin en virée.

Pour se consoler un peu de cette constatation désespérante, remarquons que cette injustice n'est pas intemporelle. Les pauvres d'aujourd'hui ont pu être parfois les propriétaires relativement aisés d'autrefois. Ainsi dans ce nord du Sancerrois, jusqu'au XXème siècle, c'est l'élevage et l'agriculture qui étaient signes de richesse, plus que le vin qui n'avait pas encore gagné sa réputation d'aujourd'hui. Sans parler des drames du phylloxéra au début du siècle précédent qui ont ruiné les vignerons. 

Quoiqu'il en soit, Menetou-Ratel restera pour moi, cette fois-ci, un village de non-vignerons : le mien est absent. Je traîne un peu dans la rue principale  avec l'espoir, finalement déçu, de son retour. Malheureusement, le village n'a guère de curiosités à offrir. Un sourire pourtant, en découvrant que le boucher du village est un certain  M. Chevreau. Il s'est senti obligé, avec son tendre patronyme, de se représenter virilement armé d'un gros couteau menaçant pour se faire prendre au sérieux. Le coup a réussi, à en juger par la file de clients qui attendent dans le froid devant sa boutique minuscule.


L'église, visiblement fortement remaniée à plusieurs reprises, n'a pas grand charme. Elle présente toutefois un avantage certain sur ses voisines plus huppées : elle est ouverte.


Un curieux bénitier en bois vous accueille avant même que vous ayez franchi la porte.


On n'est pas déçu par l'intérieur : il est conforme à ce que l'on attendait, avec ses statues que l'on n'ose même pas qualifier de saint-sulpiciennes. Pas étonnant qu'elle soit ouverte. Elle ne risque rien.

Un curé d'Ars et une sainte Thérèse de Lisieux : le must des églises sans imagination. 

Est-ce parce que je n'avais pas grand chose à observer ?  je m'intéresse à cette pierre enchâssée dans le mur nord de la nef. Elle m'intrigue pour plusieurs raisons (je modernise l'orthographe)


Ci-git François de Farou, en son vivant écuyer, seigneur de Couët et de Regains, 
lequel décéda le premier jour d'octobre 1598. Priez Dieu pour son âme. 
Lequel délaissa Marie de la Bussière son épouse, et Edme, Gabriel, François, Jehan, et Guy de Farou, ses enfants.
Lequel décéda en l'âge de 35 ans.

Je m'amuse de la dernière ligne (vous la verrez mieux  si vous cliquez sur la photo, sur celle-ci comme sur toutes les autres d'ailleurs) : "35 ans" sort du cadre, alors que le sculpteur aurait pu l'inscrire dans le cartouche s'il avait commencé la ligne sans retrait. On dirait qu'il s'est aperçu trop tard qu'il avait oublié cette information et qu'il l'a rajoutée à la hâte sans calculer, au préalable, la place nécessaire.

Ensuite, la mention de son épouse et de tous ses enfants, "qu'il délaisse", m'émeut. Cette attention à ceux qui restent n'est pas fréquente. Je ne crois pas l'avoir déjà vue. D'habitude, tout tourne autour du défunt, de sa vie passée et de sa vie dans l'au delà. Il est vrai que, même pour l'époque, il est mort fort jeune et sa maisonnée devait avoir bien des inquiétudes.

Enfin, la date de sa mort fait tilt : 1598, c'est à dire, l'année de l'Edit de Nantes. Je suis facilement attentif à tout ce qui touche à l'histoire du protestantisme, depuis que j'ai appris que mes ancêtres maternels se reconnaissaient dans la "Religion prétendument réformée" jusqu'à la Révocation de ce même édit par Louis XIV.

Il y a, d'ailleurs, dans cette église, un autre exemple de cette collision entre le religieux et le politique. Le curé en poste en 1855 a affiché à l'entrée de l'église une notice sur son prédécesseur de la fin du siècle précédent, Jean-Baptiste Renaudin, curé réfractaire qui fut emprisonné 2 fois. Il échappa à la guillotine parce qu'il avait un homonyme. Le rédacteur ne semble pas troublé par ce qui est peut-être une injuste substitution,  pas plus que le "saint prêtre" ne semble s'en être ému : "Quelques jours avant la chute de Robespierre, il comparaît devant Fouquier-Tinville pour y entendre son arrêt de mort. Le geôlier le renferme dans une cellule avec 14 autres prêtres destinés au même sort. Les collègues de M. Renaudin disparaissent successivement. Lui reste le dernier. Enfin son nom est appelé. Déjà il se dispose à obéir quand il entend quelqu'un descendre un escalier voisin et voit un ecclésiastique portant le même nom que le sien se diriger vers la porte de la cour où était dressée la guillotine. Cet alibi le sauva....". [Je note en passant que ce terme d'alibi est particulièrement mal choisi : si Jean-Baptiste est sauvé,c'est parce qu'il est précisément dans le même lieu, et non  "alibi", ailleurs]

Le curé Renaudin fut emprisonné une 2ème fois en 1796, sans doute pour avoir participé d'une manière ou d'une autre à la "Vendée sancerroise", une révolte royaliste qui réunit plus de 1500 soldats et fut écrasée à Sens-Beaujeu, le village mitoyen de Ménetou-Ratel.

Ménetou-Ratel devait être un patelin particulièrement dévoué à la religion catholique et à sa hiérarchie. Le village s'est distingué encore lors de la Séparation de l'Eglise et de l'Etat, comme en témoigne cet entrefilet dans le journal anticlérical La Calotte daté du 28 avril 1911 : "Depuis que le maire a interdit les processions sur la voie publique, les calotins cherchent tous les moyens de créer des scandales à la mairie et à l'école laïque. C'est partout la même tactique qui leur est conseillée par un journal de Nevers. Nous espérons que le préfet rappellera qui de droit au respect des lois". Curieux renversement des perspectives aujourd'hui, avec les polémiques actuelles sur les crèches. Cette fois-ci ce sont les maires d’extrême-droite qui rameute la religion catholique pour s'en servir comme d'une arme contre une autre religion qui n'a pas leurs faveurs. Au nom, bien sûr, d'une laïcité à leur sauce.

La querelle des processions à Ménetou-Ratel était ancienne, on en trouve trace des 1880 après l'interdiction de celles-ci par le maire de l'époque J'ai noté en sortant une affichette apposée sur la porte de l'église faisant la pub d'une école privée du coin. Comme quoi on a la tête dure et la rancune vivace à Ménetou-Ratel, d'autant plus que les maires successifs semblent avoir été de vrais Peppone en face de leur don Camillo de curés. Le Figaro du 16 février 1913 s'amuse d'une lettre circulaire du maire de Ménetou-Ratel "Des élections municipales auront vraisemblablement lieu ici dans le courant de 1913. Comme nous avons besoin d'électeurs sincèrement républicains, je vous serais reconnaissant de vouloir bien vous faire inscrire à Ménetou-Ratel pour cette année seulement. .. Comme il n'y aura pas d'élections municipales chez vous, cela ne vous gêne en rien, je compte donc sur vous".

Tout ceci pour dire que je me suis intéressé après être rentré  à ce François de Farou mort en 1598. Grâce à quoi, j'ai  pris connaissance d’événements malheureusement moins cocasses qui ont touché la région.

Je n'ai pas trouvé trace de François de Farou, mais de ses enfants et de leur descendance. Son château de Couët (sur le territoire de la commune) a disparu remplacé par un pastiche Louis XIII datant de la fin du XIXème siècle. En revanche, il m'a amené de fil en aiguille  de sites en sites, jusqu'à l'Histoire mémorable de la ville de Sancerre,  contenant les entreprises, sièges, approches, batteries, assauts et autres efforts des assiégeants, le tout fidèlement recueilli sur le lieu par Jean de Léry.

Peut-être avais-je gardé un souvenir inconscient de ce Jean de Léry dont Lévi-Strauss dit tant de bien dans Tristes Tropiques puisqu'il considère que son récit de voyage au Brésil en 1557 au milieu des Tupinambas est le "bréviaire de l'ethnologue". J'ai recherché le passage où il cite Jean de Léry. C'est lorsque il arrive pour la 1ère fois à Rio de Janeiro. Il a bien de la peine à imaginer sous la ville bruyante le modeste campement de ces premiers colonisateurs français. J'en profite pour relire ce merveilleux livre qui est d'un écrivain autant que d'un ethnologue.

Quoi qu'il en soit, dès que je vois mention de ce livre de Jean de Léry, je me précipite le retrouver dans la bibliothèque numérique Gallica.

Le livre m'a passionné. La lecture n'en est pas toujours facile, moins par la langue, très vivante et proche de la nôtre, que du fait d'une orthographe inhabituelle.

Revenu du Brésil, devenu pasteur, il se réfugie à Sancerre juste après le déclenchement de la Saint Barthélémy en août 1572. Sancerre est, je l'apprends alors, une des principales villes protestantes, à l'instar de La Rochelle, Nîmes ou Montauban. Le siège durera 8 mois . La ville ne se rendra qu'après un siège de 8 mois, qu'après avoir appris qu'elle était la dernière place-forte huguenote à résister aux troupes royales. Sans secours possible, sa résistance devenait inutile.

François de Farou ne participa sûrement pas à l'affaire, il était trop jeune, mais sa famille fit sans doute partie de ces bandes qui vinrent narguer les citadins protestants de Sancerre, les conduisant à se rebeller ouvertement pour ne pas subir le sort de leurs coreligionnaires d'Orléans, Gien ou Bourges. "Plusieurs voltigeaient pour surprendre Sancerre. Le 1er jour d'octobre [1572] quelque nombre de gens de cheval et de pied, venant des villages de Sury en Vaux et de Chavignol, lesquels piaffant et bravant, vinrent jusqu'au pied des vignes, assez près de la ville, provoquant et appelant au combat, ceux qui, se tenant clos et couverts, ne demandaient rien à personne".

Le récit de Jean de Léry est plein de péripéties et d'horreurs. Ce bourguignon qui avait bourlingué, sans jamais appuyer lourdement, fait souvent implicitement référence aux Tupinambas anthropophages du Brésil et aux luttes qui ont opposé là-bas catholiques et protestants : ils préféraient discuter de points théologiques ou liturgiques abscons au lieu d'assurer leur survie. Pourtant, il ne se laisse pas aller à la facilité de croire au "bon sauvage", opposé aux pseudos civilisés qui s’entre-tuent, ni à la facilité symétrique  de les juger sauvages et différents de nous. D'où un ton singulier et attachant, loin du dogmatisme fréquent chez ses coreligionnaires calvinistes.

Au gré de cette lecture, j'ai glané quelques descriptions qui m'ont intéressé ou séduit, colorant  de teintes violentes le paysage paisible que j'avais vu en ces lieux, le faisant échapper à la mièvrerie dans laquelle tombe souvent le touriste que je suis. 

Au fond, la colline de Sancerre. Derrière nous, le village de Ménetou-Ratel.

Il y a d'abord, bien sûr, le récit de cet acte d'anthropophagie qui lui rappelle le Brésil mais aussi son voyage de retour où la tentation fut présente, tant ils manquèrent mourir de faim avant d'arriver à Dieppe. Montaigne s'est souvenu de ce texte pour écrire son essais se les Cannibales.

Une petite fille était morte. La mère l'avait cousue dans un linceul avant de sortir de chez elle. En rentrant, elle découvre le linceul ouvert et la fillette tronçonnée et accommodée de diverses manières. Je vous épargne les détails particulièrement précis du récit. Finalement, le père, la mère et la grand mère sont à table quand on les surprend. Ils avouent rapidement leur forfait, assurent qu'ils n'ont pas tué la gamine, ce que le juge veut bien croire. Cela ne change pas grand chose à leur sort que je ne connais pas précisément, puisque plusieurs pages manquent de manière identique dans les 2 éditions de 1573 et 1574 numérisées.

Ils sont vraisemblablement brûles, y compris la grand mère morte en prison le lendemain de l'arrestation et que l'on déterre ensuite et porte sur une claie jusqu'au lieu du supplice.

Ce qui m'intrigue, c'est que Jean de Léry défend la sentence, non par application d'un interdit absolu qui n'a pas besoin d'être justifié, mais par une maxime de prudence : sans une punition exemplaire, on risquait de s'entre-tuer pour se manger.

"Si quelques uns trouvent cette sentence trop rigoureuse, on les prie de considérer l'état où était lors réduite la ville de Sancerre et combien la conséquence était dangereuse de ne punir à telle rigueur ceux qui avaient mangé la chair de cet enfant : car si on allègue qu'il était mort et que ne l'ayant tué, cela était supportable en cette urgente nécessité, on répond que si on eut laissé passé cela, ou bien châtié de quelque légère peine,il était à craindre (comme on en voyait déjà assez d'indices) que, la famine croissant, les soldats et le peuple ne fussent pas seulement adonnés à manger les corps morts de mort naturelle et ceux qui eussent été tués à la guerre ou autrement, mais qu'on se fut tué l'un l'autre pour se manger. Ceux qui n'ont point été en ces extrémités ne peuvent pas si bien comprendre toutes les circonstances de tel fait, et de telle matière, que ceux qui les ont vu et que Dieu en a retiré".

De l'Amérique, il ne retient heureusement pas que l'anthropophagie mais aussi cette invention indienne pratique, le hamac. "Il fallait par nécessité que tous couchassent aux corps de garde. Je m'avisais de faire un lit d'un linceul lié par les 2 bouts et tendu en l'air, à la façon des sauvages américains avec lesquels j'ai demeuré dix mois. Ce qui fut incontinemment imité et pratiqué de tous nos soldats, tellement tous les corps de garde en étaient plein. Ceux qui y ont couché diront avec moi que cela est fort propre, tant pour éviter la vermine que pour tenir les habits secs, joint qu'on ne se trouve point aussi rompu que sur la paillasse où les flasques, dagues, et armes blessent quand on est couché et empêchent le repos. Et aussi on est plus tôt prêt, quand on crie Arme !"

Mais, ce qui me frappe surtout , c'est son sens de la cocasserie de certaines scènes qui en deviennent presque comiques, malgré la violence des combats. Ainsi lors d'un assaut qui se voulait décisif et que les habitants de Sancerre réussirent à repousser malgré les 16 canons apportés par bateau qui pilonnaient les remparts.

" Le sergent d'Alègre (qui fut tué 7 jours après) et le caporal L'Escu se portèrent au ravelin [fortification en demi-lune] de la porte Viel [il y a encore à Sancerre une rue de la Porte Vieille], d'où on larda bien les fesses de coups d'harquebusades à ceux qui pensaient monter à la brèche de ce côté-là : car, se sentant frappés par derrière, et pensant que ce fut de leurs gens, et de ceux qui les suivaient, criaient "Ha, compagnon, tu m'as blessé !".

"Durant l'assaut, les vignerons de la ville qui étaient en grand nombre (divisés en plusieurs endroits de la brèche, et ailleurs, avec leurs frondes qu'ils appellent des pistoles de Sancerre, les femmes les servant  et leur portant force pierres) firent merveille , et eussiez-vous vu tomber les cailloux et les pierres qu'ils jetaient plus dru que grêle sur les assaillants".


Il croque une courte scène, sans importance sur le déroulement de la bataille, simplement parce qu'elle est étonnante et révèle sans doute la vaillance de toute la population. " Une femme empoignant la pique d'un soldat ennemi, au plus fort du combat, fit grand effort de lui arracher des poings mais ne le put".

Une autre scène au détail cinématographique "Un jeune soldat de la ville,nommé Jalot, fut pris en combattant par un rondacher (un soldat doté d'un bouclier rond) de l'ennemi lequel l'emmenant et descendant dans le fossé, Jalot cria à ses compagnons "Compagnons, me laisserez-vous emmener ? Plutôt tirez à moi". L'un couche en joue et tire si droit qu'il tue le rondacher. . Ce que voyant, Jalot tira sa dague et en tua un autre qui le tenait encore, et ainsi échappa et remonta à la ville sur la brèche, vers les siens"

Jean de Léry ne se contente pas d'observer les combats. Avec 3 autres cavaliers, il patrouille constamment pour apporter des munitions, surveiller la progression des attaquants. A un moment il est presque enseveli avec son cheval sous les décombres d'une maison abattue par un tir de canon.

Finalement, la faim et le désespoir de ne pouvoir recevoir de l'aide, toutes les autres places fortes s'étant rendues, les amènent à négocier avec M. de la Châtre, le gouverneur qui mène l'attaque. C'est Jean de Léry qui les conduit. Moyennant une rançon de 60 000 livres (qu'il accepte de ramener à 40 000), M. de La Châtre "leur offrait toutes les sûretés qu'ils lui demanderaient pour conserver leurs vies, la pudicité de leurs femmes et la virginité de leurs filles". Pour permettre de rassembler cette somme considérable, les Sancerrois qui avaient encore beaucoup de vins dans leurs caves, obtiennent qu'on autorisât la venue des "marchands étrangers".




Lors de cette négociation qui s'étire dans le temps, le sieur de La Châtre fait à Jean de Léry une demande curieuse  juste après cette déclaration "Cela fait, il m'appela à part dans une salle, où il n'y avait que lui et moi, et me promenant avec lui environ une demi-heure, il me dit en premier lieu qu'il avait su que c'était moi qui avais fait opiniâtrer ceux de Sancerre, leur ayant enseigné la façon de manger les cuirs et peaux, ainsi que je l'avais fait autrefois sur mer, au retour d'un voyage de la terre du Brésil, qu'il avait entendu que j'avais fait".

Jean de Léry se méfie un peu. Après tout, le vainqueur l'accuse d’avoir fait durer le siège avec des méthodes pas très catholiques, c'est le cas de le dire. Sans s’abaisser à s'excuser, il se défend en disant qu'il n'y avait aucun mystère dans tout cela et qu'il n'avait fait que suivre "la nécessité maîtresse des arts".

Mais ses craintes étaient vaines, il n'y avait pas de reproche dans la bouche du vainqueur. Ce dernier voulait seulement connaître le truc "Cela pourrait servir en quelque autre siège. Comme on l'avait averti que je faisais mémoire et recueil de toutes ces choses, il me commanda de lui faire un discours de la famine, que je lui promis et lui portai quelques jours après". Pour le remercier, M. de La Châtre lui donna un passeport pour lui permettre de quitter la ville sans attendre le versement de la rançon. 

D'une manière générale, on s'étonne du contraste entre la férocité des combats et des exécutions (on ne fait pas de prisonniers, on pend après avoir torturé) et l'aménité des relations,une fois la paix conclue. Les vainqueurs régalement plusieurs fois les vaincus, essayant de gagner les cœurs à défaut de pouvoir convertir les âmes. Un Jean de Léry n'est pas dupe.Pour lui, tout vient de Dieu, l'épreuve comme l'heureuse issue. 

Il finit sa vie comme pasteur dans le Pays de Vaud qu'il rejoignit en passant sans doute, car c'est la seule route, à quelques centaines de mètres de la ferme de mes ancêtres en Pays de Gex, des protestants convaincus comme lui. (http://www.leschroniquesdemichelb.com/2010/09/mes-ancetres-dufour-etaient-protestants.html)

Quant à moi, je pars pour Sury en Vaux, village tout proche où je dois retrouver un autre vigneron ou plutôt sa mère qui me demande une petite heure le temps de se préparer. Encore un moment de ballade !

Ce village, un peu plus au nord, est plus important et dût l'être également autrefois car les maisons du bourg ont fière allure et sentent leurs bourgeois. Comme souvent dans ce pays de collines, les villages et hameaux sont nichés dans les creux. Pour se protéger du vent sans doute, mais aussi pour ne pas empiéter sur les collines consacrées à la vigne. Les maisons modernes n'ont pas ces pudeurs.



 Ci dessus, un hameau près de Sury
Ci-dessous, Sury en Vaux









Un peu à l'écart, ce magnifique ensemble de batiments organisés autour d'une cour fermée, représente sans doute les communs d'un château qu'on ne pouvait voir derrière ses murs mais qui figure sur la carte IGN. Je dirais qu'ils datent du tout début du XIXème siècle. Curieusement l'inventaire patrimonial du village trouvé sur le site du canton de Sancerre ne mentionne pas cet ensemble pourtant plus remarquable que d'autres bâtiments répertoriés et photographiés.










Je quitte à regret ce lieu qui ne semble entretenu que sur un seul côté, là où de grandes fenêtres ont été percées. Le reste est à l'abandon.


Le village est encore plus déserté que Ménetou-Ratel. Aucun commerce, la zone commerciale de Cosne sur Loire ayant tout anéanti autour d'elle, sauf ce salon de coiffure au perron élégant.



Cette maison de village, "au petit pan de mur jaune" (plus éclatant que celui de Delf qui m'avait déçu lorsque je le vis pour la 1ère fois), ne trouve pas preneur pour 119 000 € malgré ses 12 pièces et ses 215 m2.


La situation est la même dans toute la région. Les commerces ont disparu, les centres sont désertés au profit d'horribles maisons dans des lotissements  tracés sur les bonnes terres arables.



Les quelques boutiques qui subsistent, des cafés et des coiffeurs (!), sont obligées de se pousser du col pour attirer l'attention.



 Ici, on n'entre pas pieds nus

Là une cliente, habillé de rouge avec une serviette blanche, semble une Mère Noël. 

Heureusement, je vois tout ceci avec une joyeuse insouciance après avoir goûté l'ensemble de la production de mon nouveau fournisseur. Le coffre commence à se remplir : du Sancerre blanc, traditionnel, sans passage en fût, bien vif comme je l'aime et un peu de rouge, lui passé en fût mais sans excès. Direction Pouilly sur Loire pour le fameux Pouilly Fumé.

A Sury en Vaux, un vieux cep de sauvignon qui donnera le merveilleux sancerre blanc.

Je passe sans m'arrêter au pied du château de Tracy. Ses vins sont peut-être bons mais trop chers pour moi.




Je flâne au bord de la Loire, ici encore sauvage depuis qu'on y a instauré une réserve naturelle.






Au loin, la colline Sancerre que je regarderai jamais plus de la même façon.





Pouilly s'étale sur le coteau mais le vignoble domine la ville. 




On devine, si l'on sait où chercher, la pointe de la flèche de l'église (au milieu de la crête).






Il est temps d'aller jusqu'à la coopérative dont les vins sont excellents puis, le coffre plein, de prendre la route, car le soleil a commencé sa descente vers l'au delà. Et d'ailleurs, j'ai assez vagabondé comme cela.



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