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lundi 24 juillet 2017

Le Pays de Gex au XVIIIème. 3. La naissance ou comment délirer en généalogie


Je poursuis la description du pays de mes ancêtres maternels au XVIIIème siècle, le Pays de Gex. La dernière fois, il était question du mariage. Aujourd'hui en voici les fruits, la naissance, biologique et spirituelle.

Mes ancêtres qui vivaient dans le Pays de Gex au XVIIIème siècle seraient effarés de la mode actuelle des anniversaires. Elle m'étonne déjà moi-même qui me souviens que ce rappel n'était pas l'objet d'une fête particulière. On le célébrait si cela se présentait ainsi mais sans le tralala et le cortège d'invitations et de cadeaux que cela implique dorénavant. Pour mes enfants, la situation avait déjà changé et j'ai gardé sinon le souvenir, tout au moins des photos et des vidéos de ces assemblées de gamins venus festoyer à la maison. Mais désormais cette fureur mémorielle s'est emparée de toute la société. Elle ne touche plus seulement les enfants ou les changements de décades des adultes. On égrène désormais toutes les années et pour peu que votre petit groupe d'amis partagent la même manie, vous voilà « d'anniversaire » pratiquement toutes les semaines, obligé à ressasser une nième variation sur le temps qui passe et la jeunesse qui s'enfuit.

La naissance.

Cette valorisation par dessus tout de ce qui n'a pas encore eu lieu, cette glorification de l'être inaccompli qui rêve d'en rester là pour ne pas vieillir mais aussi pour ne pas mûrir, auraient épaté des gens pour qui ce qui comptait, c'est ce que l'on avait fait de sa vie. Cette sanctification par les œuvres devait d'ailleurs être encore plus sensible dans une population nourrie de religiosité calviniste quelques décennies plus tôt.

Pour eux, de toute façon, s'il fallait célébrer un début, pas question que cela soit la naissance, ce moment dangereux qui rappelait suffisamment douloureusement notre nature de mortels souffrants. L'événement qui avait de la valeur, 300 ans plus tôt, ce n'était pas la naissance mais le baptême, non pas l'arrivée sur la terre des hommes, mais l'entrée dans la communauté des chrétiens. Les registres consignent d'ailleurs les baptêmes, non les naissances dont on ne sait pas grand chose. Pourtant, plutôt que de perdre du temps, de l'encre et du papier, à rappeler sempiternellement que le baptême a bien eu lieu dans l'église une telle, on aurait préféré que le curé nous donne quelques informations sur les circonstances de la naissance.

Il y a bien une exception qui confirme la règle : la représentation omni-présente de la naissance du Christ mais c'est une naissance divine, qui échappe au péché originel. Du coup, elle écrase toute autre représentation de la naissance ou même du baptême.

On a coutume de dire qu'à l'époque, contrairement à la nôtre, la mort était bien présente dans la société comme une réalité naturelle jamais oubliée. On pourrait en dire autant de la naissance qui survenait dans un couple avec une régularité métronomique. Sans doute subsistait l'interrogation sur le sexe de l'enfant et l'angoisse de la mort dont l'ombre pesait toujours sur l'enfant et la mère, mais l'événement n'avait sûrement pas le caractère sacramentel qu'il a aujourd'hui d'être devenu plus exceptionnel.

Pas besoin de se préoccuper de réserver une place dans une clinique d'accouchement, on accouche chez soi. On est accouché par une sage-femme du village et cette situation durera encore longtemps. Ce n'est qu'en 1819 qu'ouvrira à Bourg en Bresse la 1ère école d'accouchement, qui forme en un an quelques dizaines de sage-femmes (26 lors de la 1ère promotion). Il est douteux qu'une de ces accoucheuses professionnelles ait remplacé à Collonges les « empiriques », comme on les appelait alors avec dédain.

On connaît rarement le nom de ces sages-femmes dont le savoir tenait à l'expérience, sauf à l'occasion d'un événement exceptionnel, naissance illégitime (c'est elle qui déclare l'enfant faute de père présent) ou mort imminente impliquant un baptême d'urgence, l'ondoiement « propter periculum mortis » (à cause du danger de mort). Car c'est elle qui pratique ce rite que l’Église n'autorise que dans les cas extrêmes où l'on craint que l'enfant ne vivra pas jusqu'à son transport à l'église.

L'ondoiement.

L'ondoiement du bébé par la sage-femme, par un clerc donc, n'avait pas bonne presse, notamment parce qu'il niait la nécessité de l’Église, seule institution habilitée à pratiquer ce rite de passage essentiel. A quoi bon la médiation du prêtre, si n'importe qui pouvait accomplir le rite avec efficacité ? Aussi l'ondoiement n'avait une valeur que transitoire, de précaution. Il ne dispensait pas d'un vrai baptême à l'église, célébré par le curé, avec l'ensemble des rites requis, sauf, bien l'entendu, si l'enfant était mort entre-temps. C'était bien alors un baptême, faute de mieux. Si l'enfant survivait, on se dépêchait de le baptiser « vraiment ». Marie Dufour fille de noble Jacques Dufour (et donc un Dufour qui n'est pas de ma famille!) née le 28 février 1723, « baptismo privato propter periculum mortis » le 3 mars est amenée à l’église pour un baptême officiel le 30 mars, 3 semaines plus tard, quand elle a suffisamment récupéré pour subir l'épreuve d'une église glaciale.

Lors de l'ondoiement, on ne peut donner de prénom à l'enfant. Le prénom suppose un parrain et une marraine (les parents spirituels) et un prêtre, seul habilité à faire entrer l'enfant dans la communauté des chrétiens, ce que symbolise le prénom. Ainsi une fille de Charles Pithon et de Françoise Duvillard (qui mourra également suite à l'accouchement) n’a pas reçu de prénom bien que baptisée, mais «  privato » le 29 mai 1724.

L'ondoiement a donc un caractère ambigu. C'est un baptême et pas tout à fait un baptême. Les calvinistes (contrairement aux luthériens qui acceptaient cette pratique) avaient essayé de l'extirper des habitudes, car ils y voyaient une superstition, une survivance de ce paganisme où le geste, le rite, le sacrifice, se substituent à la conviction intime au point de la remplacer. On trouve trace de sanction contre les pasteurs qui avaient pratiqué l'ondoiement. C'est dire combien la population était attachée à ce rituel trop souvent nécessaire puisque des pasteurs étaient prêts à risquer de désobéir à la règle pour complaire à leurs ouailles. Il est déjà suffisamment difficile de souffrir pour mettre au monde un enfant mort-né, que dire de la douleur de se sentir coupable, de plus, de l'envoyer dans les Limbes, sans espoir de rejoindre le Paradis. Aussi, c'est sûrement sans réticence que mes ancêtres virent le retour de ce rite à la fin du XVIIème siècle, lorsque le catholicisme revint en force dans le Pays de Gex, contrairement à d'autres rites qui, au début, ont dû les choquer.

Il est vrai que l'ondoiement donne lieu parfois à des pratiques bizarres. Il n'est valide que si le nouveau-né manifeste quelque signe de vie. Parfois, on veut tellement croire que l'enfant vit encore qu'on le stimule un peu en scrutant le moindre mouvement, même purement réflexe. On peut douter de la survie effective de ce nouveau-né, un garçon, fils de Jean Étienne Dalloz, décédé le 9/9/1767 un ¼ d’heure après sa naissance. Il est inhumé le jour même, « à cause des fortes chaleurs d’autant plus qu’il est venu au monde 3 ou 4 mois avant terme ».

Pour éviter ce problème, on pratique l'ondoiement le plus tôt possible. Mais que faire dans le cas d'un accouchement par le siège où le bébé souffre plus longtemps au risque d'en mourir. Le 24 août 1768, le curé Bastian baptise Françoise Gros « "sous condition à cause du doute de la validité de l'ondoiement qui avait été fait par la sage femme dans le temps de sa naissance sur une autre partie que la tête".

Dans d'autres cas, le curé a de forts doutes, mais n'en déclare pas moins l'enfant baptisé. Françoise Duvillard meurt en couches le 18 août 1725 en mettant au monde une fille baptisée à la maison propter periculum mortis et « peu de temps après est morte » alors qu’une mention manuscrite de la même main indique en dessous « mort né ». Il est vrai qu'on a beaucoup de mal à croire que l'efficace du geste réside dans le statut de celui qui l'a accompli et pas, tout simplement, dans le Dieu dont on se réclame.

De toute façon, on trouve dans cette affaire du baptême comme dans d'autres rituels et croyances religieuses, l'impossibilité d'articuler l'éternité divine avec la temporalité humaine dans ces religions qui se prétendent révélées. Cette irruption dans le temps d'une vérité qui se dit éternelle pose forcément des problèmes. Alors on invente des paliers pour limiter les effets de seuil. Mais ce travail est sans fin. Entre le Paradis et l'Enfer on invente le Purgatoire, pour introduire du temps dans une œuvre divine. Mais qu'est-ce ce temps au regard de l'immortalité à venir pour l'âme qui en sortira ? Même pas une goutte d'eau. Les Limbes essaient de donner une issue rationnelle à cette aporie du décalage entre la communauté des hommes chargés du péché originel et la communauté des chrétiens qui en est lavé par le baptême et le sacrifice du Christ. Mais qu'en est-il des justes qui vécurent avant la révélation. S'ils sont sauvés, à quoi sert la venue du Christ sur terre ; sinon, quelle injustice pour ceux qui ont vécu simplement trop tôt. Ce qui est curieux, c'est qu'il faudra attendre le début du XXIème siècle pour que l’Église, sans se prononcer sur l'existence ou non des Limbes, affirme que la croyance dans cet état intermédiaire, « n'était pas un article de foi ». Position aussi ambiguë que la situation de ce ce territoire coincé entre le Paradis, l'Enfer et le Purgatoire.

Quoi qu'il en soit, à cette époque bien chrétienne, il valait mieux être baptisé. Aussi se précipitait-on à l'église dès que possible, le jour même ou au plus tard le lendemain, avec parrain, marraine et le père. A l'exception de la période où mes ancêtres allaient faire baptiser leurs enfants au temple de Sergy, à une trentaine de kilomètres de chez eux ; on attendait quelques jours (une petite semaine) que les nouveaux-nés puissent supporter le voyage. Je note d'ailleurs une curiosité dont je ne connais pas l'explication. Dans les relevés protestants, on ne cite que le nom du parrain. C'est curieux car les protestants étaient plutôt plus attentifs au rôle des femmes que les catholiques.

Enfin, au XIXème siècle, on insista sur la nécessité de préserver d'abord la santé de l'enfant et le baptême ne fut plus célébré aussi tôt dans la vie du bébé.

Parrains et marraines.

Je n'ai pas trouvé de règles immuables pour le choix des parrain et marraine. Généralement, ils sont choisis dans la famille, souvent parmi les oncles et tantes, ou les frères et sœurs plus âgés. Au cours du XVIIIème siècle, on voit apparaître les grands parents, quand on commence à vivre plus vieux. On repère aussi, chez les bourgeois, des cas manifestes où le choix de ces alliés de la famille obéit à une volonté d'ascension sociale et de respectabilité. Souvent dans ce cas, l'acte de baptême mentionne le nom des parrain et marraine, prestigieux mais absents, remplacés par quelque autre personne d'un milieu social plus proche de celui des parents. Je parlerai plus loin d'un Cellier de Laurans, capitaine au Fort de l’Écluse qui représente « Noble Louis comte Déportes, gentilhomme de la maison du Prince d'Orange, major général » lors du baptême d'une fille Dufour du Château. Ce cas ne doit pas être confondu avec la situation des domestiques de familles nobles. Les nobles acceptent ou proposent, je ne sais pas, d'être les parrain et marraine effectifs. Ils sont bien présents puisqu'ils partagent tout le temps la vie de leurs employés dans une communauté paternaliste qui n'a pas que des inconvénients. Ainsi en est-il des Dufour du Château qui résident sur leurs terres de Collonges à partir du milieu du XVIIIème siècle. Ils parrainent systématiquement les enfants de leurs gens.

Les prénoms.

Le choix des prénoms reste largement mystérieux. J'ai fait la recension systématique de ceux-ci, sur le siècle. Sur près de 2000 naissances de Collonges, garçons et filles, on constate une étonnante stabilité des prénoms. Un peu moins de la moitié des enfants dispose d'un double prénom (les 2 prénoms sont seulement accolés, sans trait d'union, qui n'apparaît qu'au XIXème siècle).
Le prénom qui arrive en tête pour les garçons comme les filles, c'est François ou Françoise. Près du ¼ des prénoms féminins, un peu moins pour les garçons. Pour les filles, 3 prénoms se partagent la moitié de la population qui ne dispose que d'un seul prénom. Dans l'ordre, Françoise, Marie, Jeanne. Ensuite viennent avec des occurrences proches les unes des autres, Claudine, Louise et Pernette.

Chez les garçons, même concentration. François, Pierre, Jacques et Jean sont les prénoms de la moitié des garçons nés dans le siècle. Ensuite viennent, assez loin, Joseph, Claude, Louis et Antoine.

Chez les garçons, comme les filles, 2% des nouveaux-nés ne reçoivent pas de prénoms car ils sont morts-nés (certains ondoyés, d'autres non).

Pour les prénoms composés, qui représentent, rappelons-le, la moitié des naissances, on ne s'étonnera pas de constater que le 1er prénom est Marie, chez les filles et Jean chez les garçons.

Il n'est pas étonnant, dès lors, que plusieurs enfants portent le même prénom dans une même famille. Les enfants étaient nombreux, les prénoms rares ! Pendant longtemps j'ai cru qu'on donnait le même prénom a un enfant en hommage à un frère ou une sœur décédé plus tôt, comme je me prénomme Michel en souvenir d'une cousine germaine morte juste avant ma naissance. Mais il suffit de regarder les dates pour constater que vivaient en même temps des enfants portant le même prénom. Je suppose que dans la pratique, on s'en tirait en utilisant des diminutifs mais on voit parfois les notaires s'y perdre lors des actes de succession.

Un exemple tiré de ma famille : Jean-Louis Dufour (1726-1763) eut le temps d'avoir 9 enfants avant de mourir à 37 ans. Parmi eux 2 Françoise et 2 Pierre.

De plus, certaines familles privilégient systématiquement certains prénoms. Dans ma famille, le prénom Pierre est porté par 3 générations successives de mes ancêtres : Pierre fils de Pierre, petit-fils de Pierre, mais aussi cousin de Pierre, etc...

Du délire en généalogie.

Cette débauche de Pierre m'a conduit droit dans une impasse, en me faisant confondre 2 cousins germains, deux Pierre. L'histoire est suffisamment cocasse pour que je la raconte. Comme je l'ai rappelé dans une précédente chronique, mes recherches généalogiques ont été grandement facilitées par le fait que ma famille a résidé pendant des siècles dans un hameau dont ils étaient les seuls habitants. Les Dufour étaient nombreux sur le territoire de la commune de Collonges, mais il m'était facile de faire le tri. Il suffisait qu'il s'agisse d'un Dufour de Villard pour que je le comptabilise parmi mes ancêtres.

C'est ainsi que je publiai en 2010 sur internet une généalogie, provisoire, mais dont je pensais qu'elle était correcte s'agissant au moins de mes ancêtres directs. Quelque temps après, je recevais d'une correspondante inconnue un mail intrigant : elle avait parmi ses ancêtres un Pierre Dufour qui semblait être le même que celui de mon arbre généalogique puisqu'il avait les mêmes parents et semblait du même âge, même si elle n'avait pas encore trouvé son acte de naissance.

Il n'y avait qu'un problème : son Pierre Dufour était marié à Aix en Provence. Il était domestique chez les Pénitents bleus. Il avait même déjà été marié une 1ère fois. Il avait eu un fils, grenadier dans les armées napoléoniennes, un géant pour l'époque de 1,85m, malheureusement décédé en 1813 à Mayence lors de la campagne d'Allemagne.

Mon Pierre Dufour était bien moins intéressant : né à Villard, paysan comme son père et comme le serait son fils, marié avec une fille du village voisin. S'agissait-il du même personnage ? Difficile de penser le contraire tant les similitudes étaient nombreuses.

Nous commençons par faire assaut d'humilité, chacun pensant qu'il avait commis quelque erreur. Je lui réponds :
« Merci de votre message qui m'intrigue beaucoup. Je n'exclue naturellement pas m'être trompé et je sais que mon site présente encore beaucoup d'erreurs. Toutefois, sur mes ancêtres directs, j'ai en principe tous les actes qui correspondent aux informations que je donne. Aussi suis-je très intéressé par vos propres recherches. »

Mon interlocutrice qui démarre sa généalogie plaide aussi pour sa propre faute, mais les renseignements qu'elle me communique me permette d'identifier son Pierre Dufour, dont elle n'a pas l'acte de naissance, comme étant le mien.

« C'est moi qui ai dû certainement me tromper.....Avec les actes que j'ai, je vais - si je n'abuse pas trop de votre aide car je suis dans la généalogie depuis beaucoup moins de temps que vous - vous expliquer ce qui m'a conduit à Collonges. 

Sans doute, je dois me tromper de Collonges. Mes recherches m'ont amené d'abord à trouver l'acte de mariage de mes aïeux directs à Aix-en-Provence. 
Sur cet acte, je lis que Pierre a un père prénommé Étienne et que sa mère s'appelle Marie Castel ou Curtet, que son père est décédé et que sa mère est vivante, il n'y a pas d'âge indiqué mais qu'il est natif de "Colonge" pays de "ger" et le diocèse "d'anci ou d'auci" ?. Il est indiqué également qu'il vit depuis 9 ans à Aix et qu'il est veuf de Roche Jeanne. »

Il est difficile d'identifier des noms propres, de personnes ou de lieux, sur un seul acte à la graphie souvent hésitante. C'est par la fréquentation des mêmes registres que l'on apprend à reconnaître les noms propres dont, parfois le rédacteur ne connaissait pas l'existence. Je n'ai aucune difficulté pour voir dans le « Pays de Ger », mon « Pays de Gex » et dans le diocèse d'Ancy ou d'Aucy », le diocèse d'Annecy.

Ma correspondante ajoute peu après « J'ai retrouvé son 1er mariage à Aix en 1773. Coup de chance !
Cet acte m'indique qu'il a 32 ans donc né vers 1741 et surtout à côté du lieu de "Collongue" (cette fois écrit avec un "u") il est indiqué "natif du lieu de Saint-Théodule de Collongue". 
Me reste pour situer ce lieu à taper sur internet dans Google "Collonge Saint Théodule " et là je tombe sur le village de Collonges  pays de Gex dans l'Ain église saint-Théodule. Les archives de l'Ain étant en ligne, je trouve l'acte de naissance en 1740.

Plus de doute possible, nous avons le même ancêtre, ce Pierre Dufour né à Collonges, hameau de Villard, le 15 novembre 1741, d’Étienne Dufour et de Marie Curtet (dont, soit dit en passant, je n'ai jamais trouvé l'acte de naissance, et qui doit être originaire de Savoie). Seul problème, il est marié à Collonges avec 3 enfants et 2 fois à Aix en Provence avec 2 enfants.

Je réunis tous ces éléments disparates et cela donne un drôle de galimatias : « J'ai enfin pris le temps de lire avec attention votre mail et je reste aussi perplexe que vous.
J'ai souvent constaté des erreurs dans les actes, notamment lorsque le mariage a lieu dans une commune éloignée du lieu de naissance (on se trompe sur le nom des parents; mais une double erreur est improbable). Ici cela dépasse la simple erreur. 
Certes Pierre Dufour aurait pu dans l'absolu se marier 3 fois : en 1773 à Aix avec Jeanne Roche, décédée sans enfant, puis avec Claudine Perréal à Collonges. Je n'ai pas trouvé son acte de mariage, ce qui est curieux car les Perréal sont de la commune voisine de Pougny. Le mariage a dû avoir lieu en 1775.C'était aussi le 2ème mariage de l'épousée. Je ne connais que 3 enfants de ce mariage en 76, 78 et 80.
Enfin 3 ème mariage en 79 à nouveau à Aix  après la mort de son père en 77 et un enfant en 82. 
Les délais sont courts mais pas impossible à tenir. » 

Mais il m’apparaît rapidement que ces 3 mariages ne peuvent être religieusement et civilement corrects, c'est à dire après un veuvage car, si le 1ère épousée est décédée, ce n'est pas le cas de la 2ème, Claudine Perréal qui ne meurt qu'en 1810, bien après le 3ème mariage de 1779. La conclusion me semble logique :
« Si l'on réunit tout cela, on se dit que "notre" Pierre était bigame avec 2 foyers à Collonges et à Aix et qu'il a rapidement abandonné son foyer de Collonges. Qu'en pensez-vous ? ».

A partir de là, je me mets à délirer complètement, comme ces « généalogistes » d'autrefois qui remplaçaient la sévère logique des actes par l'imagination la plus débridée au service d'histoires familiales plus reluisantes que la triste réalité du monde paysan. Je me moquais d'eux et finalement je me livrais à la même folie. Enfin, une histoire croustillante, originale, que je pourrai raconter urbi et orbi.

« Notre Dufour est un drôle de bonhomme. Si je résume, en 1773, il se marie assez tard à Aix où il est domestique avec Jeanne Roche dont il a un enfant décédé en 1774.
Il revient à Collonges, épouse une fille du pays Claudine Perréal sans doute en 1775. Lieu et date du mariage inconnus. Ils ont 3 enfants régulièrement espacés de 2 ans, en 76, 78 (mon ancêtre) et 80. Ils sont sans doute conçus lors de retours au pays.
Avant la naissance du 3ème enfant qu’il a de Claudine Perréal (et même avant sa conception) il se remarie avec Magdelaine Jullien. D'où une séquence assez rapide : mariage en avril 79, retour à Collonges et conception de François en septembre 79, naissance de François en juin 1780 (mais l'acte ne mentionne pas la présence du père).
Le mariage avec Magdeleine Jullien est peut-être une promotion sociale (elle écrit bien, ce qui est rare chez les femmes de cette époque, sauf les protestantes).
Après la mort de cette dernière, il revient à une date inconnue à Collonges où il meurt. Rien n'indique qu'il est à Collonges au moment de la mort de Claudine Perréal. »

Je tiens donc mon histoire comme je l'écrit à ce moment-là à un autre correspondants : «  J'ai dans les tuyaux un petit sujet amusant : grâce à une cousine (un peu lointaine, nous partageons Pierre Dufour né en 1741), j'ai découvert que ce Pierre Dufour justement était bigame, avec 2 femmes successives à Aix en Provence où il était domestique du Grand Prévost de Provence, Jacques de Laurans, et une femme à Collonges. Ma correspondante descend d'un enfant aixois (qui plus est, grenadier des armées napoléoniennes, mort à Mayence en 1814) et nous d'un natif de Collonges. J'ai mis du temps à comprendre mais cela me semble incontestable ».

Ah, cette vanité de l'écrivain du dimanche ! Je dois à la vérité de dire que je suis le seul à m'emballer ainsi. Ma lointaine cousine d'Aix en Provence ne reprend mon récit dans aucun de ses messages, me laissant seul la responsabilité de ces propos étranges sur la bigamie scabreuse de notre ancêtre. Elle se contente de me donner toutes les informations dont elles disposent.

J'ai mis 3 semaines à me réveiller de mon délire d'interprétation. Pour cela, un seul remède : les textes. Je me suis lancé dans le dépouillement systématique des quelques centaines d'actes notariés que j'avais fébrilement photographiés aux archives départementales de Bourg en Bresse et que je n'avais pas encore lus. Les actes notariés ne citent que rarement des dates, sauf celles d'autres actes notariés. Mais ils énumèrent dans les testaments ou les actes relatifs aux successions, les membres de la famille vivants au moment de leur rédaction. On peut ainsi reconstituer les lignées avec certitude. Il m'apparaît alors que le Pierre de ma correspondante n'est pas le mien. Nous cousinons bien, mais 2 générations plus tôt, avec Aimé Dufour (1683-1746), le dernier Dufour à avoir été baptisé selon le rite de la Prétendue Religion Réformée.

Je fais donc amende honorable :

« Je tiens à vous remercier pour votre intervention : vous m'avez permis de rectifier une erreur sérieuse dans ma généalogie directe. Vous aviez raison : "votre" Pierre Dufour né en 1741 n'est pas le "mien" mais son cousin germain, né en 1749 de Jean Louis Dufour et Étiennette Juttet. De plus, la date du 30 octobre 1819 ne correspond pas au décès de Pierre °1741 mais vraisemblablement au Pierre °1749 car j'ai trouvé son testament daté d'avril 1819 lorsqu'il a dû s'aliter.

Tous mes délires sur une bigamie, dont j'ai bien vu que vous ne les partagiez pas, sont des élucubrations ».

Finis mes fantasmes généalogiques. Parti le beau grenadier qui avait fait le campagne de Russie. Mais finalement, l' « histoire vraie », autant que j'ai pu la reconstituer est tout aussi intéressante, car elle fait toucher du doigt la vraie vie.

Une histoire plus vraisemblable.

Voici ce qui a dû se passer pour mon pseudo bigame. Ils sont 3 frères, que leur père Étienne a émancipés pour leur permettre de vivre leur vie. Je n'ai pas retrouvé les actes d'émancipation, simplement mentionnés dans les actes de succession. La rédaction en est fortement dramatisée, comme un arrachement contre nature loin de la puissance paternelle. En voici un exemple :"Louis Chapuis laboureur au village de Logras, y demeurant, aurait supplié en présence de jedit notaire et témoins son père Jacques Aimé, ici aussi présent, de vouloir l'émanciper et mettre hors de sa puissance paternelle, à quoi inclinant le dit Jacques Aimé Chapuis père, et voulant au dit Louis Chapuis son fils donner des preuves de son affection, en déférant à sa prière, a émancipé..De tout quoi le dit Louis Chapuis aurait remercié son père et promis de lui continuer ses soins, honneurs, respects, obéissance, et assistance et soulagement dans ses besoins. »

Car dans cette famille, contrairement aux autres familles de paysans de Collonges, on a la bougeotte, soit parce que la petite ferme peine à nourrir tout le monde, soit pour toute autre raison. Je note toutefois que c'est aussi une tradition dans cette famille Dufour de ne pas rester dans le cercle étroit du village: leur père, Étienne a pris femme loin du village, comme déjà son propre père. Comme le feront 2 de ses 3 fils et une de ses filles.

Pierre est au milieu. Son frère aîné, Joseph, est parti pour Lyon se louer comme domestique. Il en reviendra avec une compagne et un fils avant de se marier au village. Pierre suit un chemin semblable puisqu'à 19 ans il part pour Aix en Provence comme domestique du Grand Prévôt de Provence Jacques de Laurans (ou Laurens). Le choix de cette destination est étrange. Quand on vient de Collonges, on part vers Genève ou ses environs, plus rarement vers Lyon, puisqu'on est justement sur la route royale Genève-Lyon. Pourquoi Aix en Provence, bien plus éloigné et qui n'a pas de lien administratif avec Collonges ? Une hypothèse ? La ferme des Dufour est toute proche du Fort de l’Écluse, cet énorme ouvrage défensif qui voit passer des officiers originaires de tout le Royaume. Un certain Cellier de Laurans y est capitaine à cette époque du départ de Pierre Dufour. Est-ce lui qui le recrute pour le compte de Jacques de Laurans ? Je n'ai pu trouver un lien de parenté avec ce Cellier de Laurans dont je n'ai trouvé qu'une mention : il est le parrain d'une des filles des Dufour nobles. L'homonymie a-t-elle joué, entre ces 2 familles de Dufour qui n'ont rien de commun si ce n'est de vivre sur le même territoire et de porter le même nom  ?

A Villard restent les parents et le 3ème fils, François qui ne se mariera pas et ne fera pas grand chose de sa vie. Il finira journalier dans un autre hameau de la paroisse. Tout laisse penser que ce n'est pas une flèche. La maisonnée vit chichement et même à crédit vers la fin de la vie du père. Ce dernier accumule alors les dettes pour acheter du blé, comme s'il ne pouvait subvenir à ses besoins de simple nourriture. Ses fils devront emprunter de fortes sommes pour les rembourser. Finalement en 1775, il fait donation de tous ses biens (sauf ses meubles) à ses 3 fils « ayant réfléchi qu'il est déjà dans un âge avancé et pour cela même incapable de pouvoir administrer et régir ses affaires et voulant donner à ses fils des preuves de son affection pour les engager à travailler et les mettre à même de jouir des fruits de leur sueur et de leurs travaux". En fait, il est au bout du rouleau. La donation précise bien qu'elle est subordonnée au paiement de ses dettes.

C'est Pierre qui s'occupe de cela, en l'absence de ses frères, l'aîné à Lyon et le benjamin, je ne sais où. Il est rentré pour cela d'Aix où il avait pourtant compté s'établir définitivement. Il s'était marié avec Jeanne Roche 2 ans plus tôt, une femme de 37 ans (il en avait 32) originaire de Lurs dans les Alpes de Haute Provence, sans doute domestique comme lui. Une fille était née un an après. Il devait connaître la situation financière de son père : ce dernier lui envoie son consentement au mariage (ce qui n'était pas nécessaire puisqu'il était émancipé), pour bien préciser qu'il «  s'oppose par avance à toute obligation qui lui reviendrait dans la constitution de la dot, tout en laissant son fils la gager sur son futur héritage de son père et sa mère. » Cette clause était donc bien le vrai motif de ce consentement non nécessaire.

En revanche, tout semblait aller bien pour Pierre. Las ! sa fille et la mère meurent peu après la naissance.

Il revient donc à Collonges, soit de son propre chef, soit, plus vraisemblablement à la demande de son père pour cette histoire de donation, puisqu'il repartira pour Aix dès la situation de son père assainie.

A cette fin, il contracte 2 emprunts, l'un de 600 livres, solidairement avec ses 2 frères, l'autre, tout seul, de 800 livres remboursables dans 12 ans. Il s'est aperçu 2 mois après son arrivée que le trou était plus profond que prévu. Il s'adresse à une grande bourgeoise de Collonges qui lui fait suffisamment confiance pour lui prêter cette somme considérable, dont il ne lui reste que 134 livres, les dettes de son père acquittées.

Après ces 3 mois passés à Collonges, dont on veut bien croire qu'ils ont dû être orageux et actifs, Pierre repart pour Aix. Nous sommes fin 1775. Un an plus tard son père meurt, testament fait. Pierre n'est présent ni pour le testament, ni pour l'enterrement. C'est son cousin germain, l'autre Pierre, dont on reparlera, qui assiste à la cérémonie. Il donne déjà un coup de main à la veuve et au 3ème fils, François qui réside alors sur place (c'est lui qui récupère par testament les meubles du décédé) mais qui ne doit pas être très efficace.

Pierre reste bien décidé à ne plus mettre les pieds à Collonges. Il se remarie avec Magdeleine Jullien qui est née dans la petite ville voisine de Bouc Bel-Air. Elle est toute jeune, 21 ans, et phénomène assez rare à l'époque, elle sait écrire plutôt joliment à le déduire de sa signature. Fille de tisserand, c'est donc un bon parti pour le domestique désargenté (et illettré). Enfin, je trouve un charme supplémentaire à cette jeune fille dans la rêverie qui suit. Une innocente rêverie, dont je suis coutumier tant j'aime penser à tous ces croisements entre les gens, sur les mêmes lieux, croisements dont ils ne voient pas le sens, contrairement à nous qui jouons les Deus ex machina. J'imagine que, petite fille de 6 ans, elle a vu Casanova obligé de s'arrêter à Bouc Bel-Air, « la chaîne du timon de son carrosse s'étant brisé » (plusieurs commentateurs parlent d'une roue brisée peut-être sur la foi de la 1ère édition des Mémoires, bizarrement caviardée).

J'ai relu avec bonheur ce passage particulièrement romantique où, coincé par l'incident, il passe une nuit sous le toit d'Henriette,son grand amour d'il y a près de 20 ans. Elle cache son visage (« elle a pris de l'embonpoint »), il ne la reconnaît pas et c'est sa maîtresse du moment qui passe une nuit saphique avec la maîtresse de maison. Il n'apprendra le cocasse de la situation mais aussi son tragique que bien après sur la route. Depuis les exégètes se disputent l'identification de la belle Henriette. J'aime bien penser que c'est Marie-Anne d'Albertas, dont le magnifique jardin existe toujours à Bouc Bel-Air.

Mais je m'égare une fois de plus. La destinée de Pierre est plus prosaïque et même plus dramatique. A partir de ce mariage de 1779, les événements s'accélèrent. En août 80, c'est sa mère qui meurt. Du coup, il envisage sérieusement de reprendre l'exploitation familiale. En avril 81, il prend à bail l'ensemble des terres, les siennes mais aussi celles de ses 2 frères. Puis, revirement complet 7 mois plus tard, il vend tout à son jeune frère François pour 1200 livres et rentre à Aix. Que s'est-il passé ?

Seules certitudes, il est déjà repassé à Aix au mois d'août au plus tard (son fils naîtra en avril 82), peut-être pour régler ses affaires. Sa femme ne l'accompagne pas à Collonges. Ensuite, il doit apprendre qu'elle est enceinte, qu'elle ne veut pas quitter Aix... Supposition invérifiable. Toujours est-il qu'il rentre définitivement à Aix après cette courte hésitation et abandonne le domaine de Villard à son triste sort. Malheureusement la vie n'a pas finie d'être cruelle avec lui. Sa jeune épousée meurt 7 mois après la naissance du futur grenadier. Le voici à nouveau seul.

Curieusement, ce n'est pas la famille de la mère qui recueille l'enfant, comme il serait normal. L'enfant sera élevé dans une famille d'accueil de Limans, un village des Alpes de Haute Provence. Pierre Dufour apparaît encore dans un acte de 1785 (il a 44 ans). Il donne quittance à son frère François du versement de 400 livres sur le prix de la vente de 1781. Et puis plus rien. Ma correspondante, pour qui c'est un ancêtre direct, comme moi-même n'avons pas trouvé son acte de décès, ni à Aix, ni autour. Un jour peut-être.

Il avait voulu sortir de sa condition mais les événements se sont acharnés contre lui. Il faudra attendre encore 2 générations, celles de son petit-neveu, « autre » Pierre Dufour (1798-1875) pour que le départ soit, dans ma lignée, définitif. Au début des années 1820.

A Villard, il y a de moins en moins de monde depuis le départ définitif de Pierre. Joseph, le fils aîné, est rentré de Lyon mais il va disparaître rapidement, laissant 2 jeunes enfants. Le benjamin, François, est de santé fragile. Il a déjà rédigé son testament en 1778, à 34 ans. Puis, lui aussi doit croire que les choses vont s'améliorer. Il rachète la part d'héritage de son frère Pierre pour une grosse somme, comme on l'a vu. Mais rapidement, il renonce, cède à bail ses terres, et les vend au fil du temps jusqu'à sa mort en 1805. Je n'ai pas trouvé de testament. Il n'y avait dans doute plus rien à répartir.

Heureusement, l' »autre » Pierre, le cousin germain a quitté le hameau de sa naissance (qui s'appelle, cela ne s'invente pas, Pierre) et vit depuis 1774 à Villard, du vivant encore du père Étienne. Il se marie et s'y installe. C'est lui aussi, dans sa famille, le débrouillard de la tribu. On le voit par exemple s'acquitter au nom et pour le compte de ses frères de leurs obligations communes de succession vis à vis de leurs sœurs. Très tôt, il achète tout ce qui passe à sa portée, même loin de Villard, puis échange, vend et rachète. En 1809, à 60 ans, il est le seul propriétaire des 2 maisons mitoyennes qui existent toujours et il a arrondi le domaine familial. Il le cède à son fils Pierre (1778-1857) pour prendre sa retraite et décéder 10 ans plus tard.

Voilà comment une branche collatérale a finalement rejoint la lignée principale et comment j'ai confondu 2 cousins germains, au point de vouloir faire de cet être composite un bigame ! Pour une fois, le critère du lieu de naissance, Villard, m'avait induit en erreur. Mon ancêtre n'était pas celui né à Villard mais son cousin de Pierre, après le recroisement de 2 lignées qui s'étaient décroisées.

Voici terminée ma petite anecdote sur les prénoms. Je reviens à ce sujet.

Retour vers les prénoms.

Si les statistiques montrent que les prénoms utilisés sont en tout petit nombre, c'est qu'elles mettent en valeur le comportement de l'immense majorité de la population qui est paysanne. Ce n'est pas le cas des nobles qui collectionnent au contraire les prénoms, souvent sophistiqués. Ainsi les Dufour nobles qui se font appeler Dufour du Château vers 1780 : Joseph, le 1er de cette lignée exclue de Genève et né à Collonges, épouse une Jéronime et donne à ses enfants des prénoms multiples : Anne Marie Robertine Félicité naît en 1764, Marie Lucrèce en 1771. Le pompon revient au petit dernier (qui fera partie des émigrés de 1792), Claude François Félicité Madeleine Laurent Robert Marie. On dirait qu'à lui-seul il symbolise l'ensemble de la famille.

Cette tendance à la sophistication se retrouve peu à peu dans les familles bourgeoises. Chez les Beau, maître des Postes de père en fils depuis leur arrivée à Collonges, au début du siècle, on note un Louis Armand Valentin en 1752 (il sera prêtre, conventionnel puis défroqué), une Gabrielle Dorothée depuis 1789. Dès le début du XIXème, c'est une débauche de prénoms plus étranges les uns que les autres pour nos braves paysans : Callixte Esther en 1811, Claudine Louise Amélie en 1810, Bruno Alexandre en 1813, Antoine Balthazard Félix François en 1913, etc...

Même évolution, moins flamboyante, chez les Bizot, grande famille de juristes : Antoine Jean François en 1775, Robert Victor François en 1791. Ces libertés se diffusent progressivement chez les artisans. Par exemple, les Ribiollet, maréchaux-ferrants de père en fils : Jacques André Victor en 1789, Pierre Charles en 1793. Dans d'autres familles, on note des Jean Guillaume (1795), Joseph François (1790), des Jérôme Antoine ou Joseph Emmanuel en 1790, etc... Curieusement, à partir des années 1790, les prénoms composés commencent souvent par Pierre au lieu de Jean : Pierre Joseph, Pierre Emmanuel Pierre Louis en 1790.

Dans ma famille, il faut attendre le début du XIXème siècle pour apercevoir quelques prénoms originaux, au milieu d'une flopée de Pierre, Marie ou Françoise. Pierre Dufour (1778-1857) a 8 enfants. Parmi eux, tranchant sur la monotonie habituelle, une Julie Zoé née en 1817 (et morte à 2 ans). Il est vrai que son parrain est Jean Joseph Marie Beau, de la grande famille dont j'ai déjà parlé. Cela pousse peut-être à l'originalité. Et pourtant le prénom de Zoé n'apparaîtra dans la famille Beau que l'année suivante. J'ai cherché mais pas trouvé comment ce prénom d'origine orientale a atterri à Collonges au début du XIXème siècle. Il reste que cette transgression est exceptionnelle dans la famille et le restera.

Dans cette monotonie paysanne, 2 moments tranchent. Au tout début de la période marquée par le protestantisme : les prénoms sont bibliques : Isaac, Samuel, Sara, Esther, etc. Ils disparaissent rapidement avec le retour des baptêmes catholiques. A l'autre bout du siècle, la Révolution apporte quelques curiosités. Un Brutus Dufour (ce n'est pas ma famille) naît en 1794. J'ai noté aussi, la même année un Guillaume Scipion, dans la famille embourgeoisée des Goujon.

Mais cette greffe antique n'a pas prise.


Voilà. Tous ces enfants sont désormais prêts pour entrer dans la vie. J'essaierai une prochaine fois de démêler leurs différentes trajectoires.

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