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dimanche 6 mai 2018

Les échasses blanches


L'étang du Méjean, au sud de Montpellier, est surtout connu pour ses cigognes. C'est vrai que l'on peut en observer de près de beaux spécimens. J'y reviendrai. Ce qui m'a le plus frappé pourtant, c'est le nombre d'échasses blanches que l'on peut y rencontrer. Lors de mes derniers passages en Camargue, je m'étais senti frustré justement par l'absence de ces oiseaux élégants et fins comme un idéogramme chinois.

Le lieu n'est pas très engageant a priori. Coincé entre la grande ville et Palavas les flots, cela ressemble au premier abord à une promenade urbaine. Il suffit de s'éloigner des chemins les plus fréquentés pour retrouver des impressions de vraie nature. Le paysage est plus fermé, la végétation plus dense qu'en Camargue et l'on oublie très vite que l'on est dans un parc ornithologique, tout près des horreurs de cette côte défigurée. Les perspectives changent constamment. Il suffit d'une trouée pour découvrir une scène inouïe. Je veux bien croire toutefois que ce jour de semaine ne ressemblait pas aux affluences du week-end.

Il est difficile de résister au charme des échasses blanches avec leur démarche de mannequin, leurs poses et leurs minauderies.

Le mâle est légèrement plus grand, sa tête présente une touche de noir. 
Ses ailes sont  également noires tandis que la femelle  a le dos d'un joli brun. 


Ils forment des couples fidèles tout au long de la saison.

Lorsque madame prend son bain, monsieur ne reste pas très loin pour lui porter assistance éventuellement. Mais il se tourne respectueusement.


C'est une scène assez rare. Les échasses ne sont pas baigneuses.




Madame donne souvent l'impression d'être une aguicheuse. Ne se prend-elle pas pour quelque  Marlène Dietrich avec ce long bec qui ressemble à un interminable fume-cigarette autour duquel sa bouche s'arrondit?


Le regard qu'elle me jette alors que je la dérange à sa toilette est moins inquiet qu'interrogateur. Est-ce que je la trouve belle ?



Ébouriffée par le vent, elle ferme les yeux, prise d'un léger agacement contre celui qui l'emmène dans un lieu aussi peu accueillant. Il a toujours été un gros nigaud. Qu'y faire ?


De toute façon, quoi qu'elle fasse, elle bien sûr, mais aussi lui, l'échasse blanche a toujours une allure qui force l'admiration.





Même quand elle se gratte, c'est du bout des doigts.



Mais ce n'est pas qu'une maniérée, c'est aussi un grand oiseau qui vole sur des milliers de kilomètres. Elle est arrivée depuis peu de son lieu d'hivernage en Afrique.


Elle est venue pour se reproduire ici, dans ce lieu protégé, où l'on surveille attentivement la hauteur de l'eau des petits étangs. Ils ne doivent ni s'assécher, ni submerger les fragiles nids posés à même le sol. Car elle est peut-être sophistiquée, mais son nid est plutôt basique. 



Il faut une sacrée confiance dans la bonté animale pour laisser sa progéniture, sa future progéniture, à la merci de n'importe quel prédateur ou même d'un simple maladroit qui ne regarde pas où il marche.

Il faut une sacrée confiance ou un mari attentif et belliqueux. Les mâles ne restent pas près des femelles. Ils n'ont pas le temps de bêtifier. Ils sont à la peine et non en train de se balader en délaissant leurs devoirs. Ils défendent avec une sacrée énergie le petit étang contre les mouettes rieuses qui semblent ne vouloir rester là que pour embêter le monde. Et ça ne les fait pas rire, les mâles. 

Quand on les voit, tout graciles, foncer sur les mouettes, on se demande où ils en trouvent le courage. Ils peuvent peut-être piquer de loin comme un bretteur de salle de sport armé de son épée mouchetée. Mais que faire contre le bec redoutable de la mouette rieuse qui ne rit pas ?

La tactique est toujours la même. Elle fonce en volant sur la mouette, la survole de près, la dépasse, se retourne et recommence inlassablement, pour lui rendre la vie impossible. Entre un faible déterminé, pour qui l'enjeu est vital et un fort qui s'en fout un peu, le jeu peut tourner à l'avantage du faible. 







Elle décolle de plus en plus près, pour tester l'adversaire et finit même par sembler oublier la partie dans l'espoir de profiter d'un moment d'inattention de l'adversaire.



Dans un premier temps, il semble que cela marche et la mouette s'éloigne tranquillement, lassée de ces piqûres d'épingles.







Mais la tranquillité ne dure pas. La mouette revient à la charge. Cette fois-ci, c'est l'échasse qui fuit. Pas tranquillement du tout.


Je ne sais comment l'affaire a tourné. Sans doute, je l'espère, comme au Vietnam, en faveur des plus déterminés.

Ce n'est pas tout. Il faut aussi se défendre contre d'autres mâles. Veulent-ils s'installer au même endroit ou piquer leur copine ? Je ne sais pas.




C'est que tout n'est pas terminé pour tous. Je ne sais pas par quel hasard je me suis arrêté pour regarder ce couple. Accoudés l'un à l'autre, ils avaient une attitude inhabituelle. D'ordinaire chacun vaque à ses occupations, non loin l'un de l'autre sans doute, mais pas collés aussi étroitement. J'ai dû percevoir comme de la tendresse dans cette pose délicate. Et effectivement, monsieur et madame se sont unis sous mes yeux ébahis.



L'opération est délicate car il monte à pieds joints sur la femelle pour ne s'agenouiller qu'ensuite.



Elle relève bien sa queue pour lui faciliter la tâche et ensuite cela va très vite.


On a l'impression que l'accouplement se fait en déséquilibre : pour arriver à passer sous la queue de la femelle, le mâle se présente de biais, dans une posture déséquilibrée, que la gravitation sanctionne invariablement par une chute, si l'on persévère. Une union aussi acrobatique que celle des mouches qui tombent accrochées l'une à l'autre et se séparent juste avant de s'écraser au sol.



Ce qui m'a touché, c'est surtout la suite. On perçoit à l'évidence de la tendresse entre les deux partenaires, une tendresse post-coïtum plutôt inhabituelle. C'est sûrement une illusion anthropomorphe, mais il m'a semblé qu'il s'agissait d'un jeune couple, qui n'avait pas encore réussi une fécondation qui était antérieure pour la plupart des autres couples. On dirait que le mâle rassure sa petite chérie : cette fois-ci, ça va marcher.



Puis madame a senti comme un petit creux et ils sont partis bras dessus, bras dessous.



Monsieur surveille avec amour madame qui s'alimente en prévision des besoins à venir. Puis elle s'ébroue, secouée d'un long frisson, pour remettre tout ça en place.



Voilà une bonne chose de faite, semblent-ils dire tous les deux. Je leur souhaite une jolie petite famille et poursuis ma balade.

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