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jeudi 2 août 2018

Terezin (ex Theresienstadt)

Il ne reste aucune trace des Juifs des Sudètes, sauf en quelques lieux comme le ghetto de Terezin, contrairement aux Allemands des Sudètes dont l'absence se marque dans ces villages à moitié déserts et ces cimetières à demi-vides. Expulsés des Sudètes en 1938 puis exterminés, on ne trouve aucune mention de cette extermination, aucune plaque rappelant que des communautés juives vivaient en ces lieux depuis des siècles. C'est comme s'ils n'avaient jamais existé.

Je n'ai trouvé aucun cimetière juif dans ce pays des Sudètes .J'avais tellement envie de trouver ne serait-ce qu'une seule trace de ces massacres que j'ai confondu un temps l'étoile à cinq branches de l'Armée rouge avec l'étoile de David, sur une stèle dans un cimetière.

Ils représentaient pourtant une part importante de la population des villes (puisqu'ils n'avaient pas le droit de posséder de terres). A Teplitz, la grande cité thermale célèbre au XIXème siècle, par exemple, vivait la 2ème communauté juive de Tchécoslovaquie après celle de Prague, 5000 habitants sur 33 000 dans les années 30.

Teplitz (devenu Teplice)



Dans l'Empire austro-hongrois, fortement marqué par le catholicisme, leur situation était loin d'être parfaite mais cela n'avait rien à voir avec ce qui allait arriver. 

La colonne de peste de Teplitz, témoigne de l'emprise du catholicisme
On la retrouve sur toutes les places du marché de cette région

Pendant les 20 ans de la Première République tchécoslovaque leur sort s'améliora avec une législation protectrice des minorités, une protection d'autant plus nécessaire aux yeux du régime que, dans cette région, c'était les Tchèques eux-mêmes qui étaient minoritaires.

Est-ce un souvenir de cette tolérance relative entre Tchèques et Allemands, que l'on retrouve dans ces plaques d'égouts (ou d'adduction d'eau ?) bifaces ?



Les villes d'eau de Bohème, comme Teplitz, Carlsbad ou Marienbad étaient fréquentées par une clientèle juive allemande. Elle était suffisamment fortunée pour mériter les égards que l'on accorde généralement à ceux qui paient. Cela n'empêchait pas le retour de l'antisémitisme après leur départ, un antisémitisme heureusement sans violence physique. 

Deux types de clientèle juive assez différente devant la colonnade de Marienbad dans les années 20.


Les juifs des Sudètes étaient très largement assimilés avant la menace nazie. Le système tchèque de protection des minorités reposait sur la déclaration de sa nationalité définie par sa langue et de sa religion. En 1921, 13% de la population de Teplitz se disant de religion israélite se déclarait de nationalité juive. les autres se disaient allemands ou, moins souvent, tchèques, en fonction de la langue qu'ils utilisaient. Cette proportion de juifs revendiquant leur nationalité juive monta à 33% en 1930 : la crise de 29 avait ravivé l'antisémitisme d'autant plus violemment qu'1/4 des entreprises de Teplitz étaient détenues par des Juifs. 

L'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne se traduisit par un afflux de réfugiés allemands en pays sudète. Puis le mouvement concerna tous les juifs des Sudètes qui s'enfuirent à Prague fin 38 au moment des accords de Munich. Le répit fut de courte durée, jusqu'au 15 mars 1939, date de l'invasion de toute la Tchécoslovaquie. Ensuite les juifs des Sudètes subirent le même sort que l'ensemble des juifs tchèques, soit l'extermination : 300 000 victimes.

La plupart passèrent par le ghetto de Terezin (alors Theresienstadt) avant d'être assassinés à Auschwitz pour la majorité d'entre eux.

De l'extérieur, la ville, enterrée comme la forteresse qu'elle fut, est invisible et l'on se croirait en pleine campagne au bord de l'Ohre qui finit sa course à quelques kilomètres de là en se jetant dans l'Elbe qui remonte vers le nord, vers Dresde.

Theresienstadt vu d'avion. Une forteresse autrichienne du XVIIIème siècle

 On pêche, on se baigne dans une eau qui vient pourtant de traverser d'ouest en est toute la Bohème industrielle.

Vue prise depuis le haut des fortifications est de la ville


Au premier abord, la ville est presque agréable avec ses arbres et ses maisons repeintes de neuf.






Mais cette image est trompeuse, comme toute la ville le fut lorsque les nazis en firent le décor de la fiction atroce d'une prétendue politique de réinstallation des Juifs à l'est pour masquer leur politique d'extermination. Ils commencèrent par contraindre Kurt Gerron (le magicien de l'Ange bleu, détenu alors dans le ghetto) à réaliser un film de propagande plein d'enfants rieurs. C'était en janvier 1944. Toute l'équipe sera gazée à Auschwitz en octobre 1944. 

Tournage du film de propagande

Puis ils organisèrent, avec l'ironie macabre qu'ils affectionnaient, cette mascarade de la visite de la Croix rouge suisse en juin 1944, avec fausses boutiques, match de foot, orchestres, acteurs jouant la comédie du bonheur dans une sorte de village Potemkine, avant de mourir également gazés, y compris les joyeux enfants rieurs. L'histoire est d'autant plus atroce que l'on avait envoyé juste avant 7000 détenus à Auschwitz  pour éviter de montrer la surpopulation du ghetto.

Enfants filmés par la Croix Rouge suisse

Image tirée du film de propagande


La réalité : Theresienstadt block V

L'impression change quand on pénètre dans la ville en franchissant les portes des fortifications.






Une partie des bâtiments a été réaménagé du temps de la République socialiste dans ce gris uniforme qui convenait bien au régime.



Dans les cours intérieures vit une population pauvre qui ne respire ni la joie ni l'aisance.



Cet enfant m'a envoyé une curieuse œillade.



Je n'ai pas cherché à faire une visite en bonne et due forme. Cela m'aurait semblé choquant de me conduire en touriste (même si de nombreuses agences de tourisme de Prague proposent des visites guidées). J'ai marché longtemps dans ces rues, sans but précis, en rêvant à ces destins brisés. Si l'on veux comprendre de l'intérieur la vie du ghetto, voici l'adresse du récit, précis et distancié, d'un jeune juif allemand qui fêta ses 16 ans dans le ghetto (en anglais) :  http://www.holocaustresearchproject.org/survivor/brichta3.html

Les casernes lugubres suffisent à orienter l'imagination.


A quoi servirent (et quand ?) ces haut-parleurs ?




Nulle part on ne trouve la moindre plaque. Le souvenir du ghetto a été concentré dans le musée (émouvants dessins d'enfants) et dans le mémorial à l'extérieur de la ville, vaste espace vide autour d'un crématorium.


Ce mémorial est d'ailleurs un lieu de promenade qu'on traverse en riant.


Je comprends qu'on ne veuille pas vivre dans une ville-cimetière, mais l'absence de tout rappel de ce drame m'a choqué. D'autant plus que le passé soldatesque de la ville est mis en valeur et que des panneaux rappellent leur origine et leur destination première.





Lors de ma déambulation, je m'étais étonné de cette inscription en allemand sur une façade lépreuse .


En cherchant des informations sur internet, je suis tombé sur la photo d'un détachement SS devant cette même inscription. On peut deviner les lettres du mot "sport".



Puis vint le jour de la libération pour les survivants. 



Ils purent alors profiter de l'espace et du soleil qui leur était interdit jusque là...


.... sans craindre les brutalités des gardes chiourmes. Aujourd'hui, l'espace est à nouveau désert.

Ici siégeait le tribunal chargé de punir les infractions aux règles très dures imposées par les nazis.

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