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mardi 2 octobre 2018

Ah ! les belles limousines !

J'avoue trouver quelque plaisir à rédiger cet article d'éloge de la race limousine et de sa filière d"élevage en pleine vague de ce terrorisme écologique qui se pare de vertu. 

En cette fin d'été, j'avais râlé intérieurement en me voyant obligé de faire  tout un détour pour éviter le centre-ville de Saint Benoit du Sault, une jolie petite ville à mi-chemin entre Châteauroux et Limoges qui tire son nom de l'abbaye que les bénédictins de Saint Benoit sur Loire y fondèrent au XIème siècle;



Finalement le détour n'était pas bien grand puisque je passais devant un monument aux morts suffisamment original pour que je m'arrête. C'est un vigoureux poilu plein d'allant malgré le poids de tout son harnachement. Si l'on cherche une illustration de l'expression "partir la fleur au fusil, il faut venir la chercher dans la théoriquement paisible cité de Saint Benoit. C'est même la première fois que je vois un monument célébrant l'enthousiasme de 1914 plus que la joie de la victoire ou le désespoir né des malheurs de la guerre.



Le gaillard ne s'est visiblement pas nourri de graines et de légumineuses mais plutôt de solides steaks arrachés aux belles limousines et aux beaux limousins que je découvre juste derrière lui.


Aujourd'hui c'est jour de foire et même de concours. Un des 4 concours régionaux de la race limousine qui prépare le concours national qui vient de se tenir fin septembre 2018 à Châteauroux. Un journaliste facétieux faisait remarquer que Châteauroux s'était particulièrement illustré cette année en organisant successivement le concours de Miss France et celui des limousines de race.

Il y a là plusieurs dizaines de taureaux et de génisses répartis sur plusieurs rangs, chaudement serrés les unes contre les autres, attachés par des cordes aux barres de fer qu'on ne retrouve plus guère sur les anciens foirails qui s'étendaient autrefois dans le moindre village de France.



La plupart des bêtes semblent s'ennuyer. Il fait chaud. On assiste cependant à quelques scènes touchantes comme les câlins entre ce gros taureau et cette génisse.



Quand je repasse un peu plus tard, la génisse s'est levée. Curieusement, elle a des petites cornes atrophiées mais bien réelles, tandis que lui est totalement dépourvu de corne.Ce n'est pas qu'on les lui ait coupées, comme cela se faisait autrefois pour les bêtes belliqueuses. Non, lui, il est né comme cela, comme la quasi totalité des bêtes qui sont ici.

Je ne me souviens pas que, dans mon enfance limougeaude, les vaches limousines aient été dépourvues de cornes. Au point d'avoir été étonné, il a quelques années, en découvrant les célèbres vaches Angus d'Ecosse, elles aussi sans cornes. En fait, il semble bien que l'on sélectionne depuis ds années les lignées sans cornes.

Pour meubler le temps qui nous sépare de la phase finale du concours, un homme jeune, qui détonne au milieu de ces éleveurs décontractés, avec sa chemise blanche, son gilet et sa cravate (un ingénieur agronome ?) nous explique au micro comment obtenir des bêtes à cornes sans cornes. Il se lance dans des distinctions entre homozygotes et hétérozygotes (le caractère "sans cornes" est récessif) que j'écoute à peine, fasciné par ces splendides animaux.


On a l'impression qu'il s'agit du besoin d'affection qu'un jeune (et énorme mâle) recherche auprès de sa mère.


Ailleurs, c'est une petite famille qui m'émeut. Le jeune veau se repose dans l'ombre de son père. C'est la mère qui a concouru dans la catégorie "génisse suitée", où l'on juge le couple formé par la mère et son petit, qui la suit (d'où l'expression bizarre de "suitée").



Ici aussi, c'est la femelle qui a des cornes, non le mâle.

Un peu plus tard, le père est parti pour participer à la suite du concours et le veau se met debout comme un grand. Est-il libéré d'une présence qui l'écrasait ou un peu esseulé, je ne sais ? Il semble humer l'odeur forte de son père.


C'est que le concours n'est pas fini, il va reprendre pour une dernière épreuve difficile : l'élection parmi tous les vainqueurs de chaque catégorie (et il y en a beaucoup selon le sexe, l'âge, si les génisses sont seules ou suitées) un vainqueur toutes catégories, le prix d'honneur du concours. 

Mais ça traîne et je suis sur le point de laisser tomber.  J'aurais bien eu tort.

Pour tromper l'ennui ou l'inquiétude, on discute entre éleveurs.



Des personnages détonnent comme ce barbu aux cheveux longs qu'on imaginerait plutôt dans le clan d'en face des végétariens.


Pendant que notre ingénieur agronome continue de s'époumoner au micro, les badauds se promènent nonchalamment, surtout ceux qui espèrent ne pas passer inaperçus, même si personne ne fait mine de les connaître, malgré leurs évidents efforts.





Quant aux éleveurs qui concourent, ils soignent leurs champions, les abreuvant, les brossant inlassablement. Je découvre que le chic pour un taureau ou une génisse, c'est d'avoir l'arrière-train qui boucle. Alors, les éleveurs après avoir soigneusement brossé "dans le sens du poil", les "prennent à rebrousse-poil", pour leur hérisser les reins.


Celui-ci est un champion qui va concourir pour le prix d'honneur 


D'autres installent bien en vue les plaques métalliques colorées de leurs récompenses. Elles orneront bientôt leurs étables. Ici c'est l'élevage Camus qui truste les récompenses avec 4 finalistes. Il me semble que ce n'est pas un hasard s'ils sont bien installés en bordure du foirail, le long d'un mur qui abritent leurs bêtes de la chaleur.



Enfin, le speaker annonce l'ouverture de la phase finale du concours et appelle les 6 vainqueurs, 3 taureaux, 3 génisses (ici on respecte la parité) à rejoindre le coin du foirail où le jury pourra les examiner à loisir.

Il faut faire mettre debout celles qui se reposaient tranquillement et convaincre ce superbe mâle qu'il est temps d'y aller. L'anneau dans les naseaux suffit  à peine à le convaincre.

Elles obéissent sagement  à la voix de leur soigneur




Son soigneur continue de l'apprêter sur le court chemin jusqu'au lieu du jugement. C'était mon préféré, peut-être parce que j'avais discuté un moment avec son soigneur.


Malgré sa masse, il a une belle allure quand il veut bien allonger le pas. Je remarque que tous les intervenants sont prudents et prêts à intervenir si nécessaire avec leur fouet.


Voici nos concurrents gentiment alignés. C'est naturellement  le moment choisi par une génisse pour se salir d'une bonne bouse. Qu'à cela ne tienne, l'intervention est immédiate.





Comme on pouvait s'y attendre, "le plus  beau, le plus gros, c'était un taureau costaud" comme le dit la chanson enfantine, de l'élevage Camus. Il est effectivement impressionnant.




Le jury tourne autour des bêtes, prend des notes. Le speaker qui jouait les bateleurs passe le  micro à l'ingénieur agronome qui feint de refuser cet honneur pour finalement détailler longuement les critères e jugement sur la race limousine. J'en ai le tournis, tant il y en a.






Le président du jury,c'est ce petit homme frêle qu'on n'imagine pas devant une côte de bœuf. Il proclame les résultats d'une voix à peine audible.


Grosse surprise pour moi. Le vainqueur (comment dit-on au féminin ?) n'est pas le  gros taureau mais la plus jeune génisse. C'est elle qui incarne le mieux les caractéristiques de la race, si je comprends bien les critères de ce prix d'honneur. Elle paraît bien menue. Elle a pourtant un foutu caractère. On lui demande de sortir du rang pour que tout le monde puise l'admirer, ce qu'elle refuse avec énergie. Rapidement on la laisse tranquille. On n'est pas des brutes, si elle ne veut pas, elle ne veut pas. Si on veut la voir, on n'a qu'à se déplacer.




Bizarrement (une  intuition masculine?), je l'avais repérée en arrivant et prise en photo, avec son petit air déluré mais gentil.



Si elle s'en fout du prix, cela ne semble pas le cas du gros taureau costaud qui paraît furieux.Qu'il se rassure, il ne le sait pas encore mais il obtiendra à Châteauroux un 1er prix dans sa  catégorie. J'ai vérifié sur le palmarès officiel qui vient juste d'être publié. Il aura une longue descendance !


Voilà, c''est fini. Je file, comme le soldat de Saint Benoit du Sault rejoindre ma voiture sagement garée à côté des camions des éleveurs.



Je vais aller pour la 1ère fois dans le petit hameau de Creuse où vivaient aux XVIIème et XVIIIème siècles mes ancêtres paysans du côté paternel avant de bouger de quelques kilomètres à la fin du XVIIIème pour aller de l'autre côté de la "frontière",en Puy de Dôme, à Charensat où j'ai passé 2 ans de mon enfance. Là les taureaux et vaches étaient de race charolaise. Tout blancs donc.

Sur le chemin je découvre un autre hameau près de Clermont Ferrand où un frère de ma grand mère paternelle élevait encore des bêtes dans la  1ère moitié du XXème siècle. Dans un champ, au pied du hameau, un élevage mixte, de race limousine te de race charolaise, des taureaux, génisses et veaux mélangés, dans une nature heureuse et paisible.


A Beaumont, je tombe comme attendu sur des charolais, de jeunes taureaux tout blancs.

Chacun illustre une des situations possibles : pas de cornes, des cornes, des cornes sciées. 

Quant à la ferme des ancêtres, il est naturellement impossible de l'identifier. Peut-être ont-ils vus ce bâtiment mangé par le lierre à moins que ce ne soit ce mur d'une maison effondrée ?



Ne reste que la géométrie du paysage car tout le reste a changé; Possédaient-ils seulement une vache ? Si oui elle n'avait assurément aucune des mensurations de compétition de mes belles limousines de Saint Benoit sur Sault.


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