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vendredi 25 janvier 2019

3 heures dans la vie de Paris


Cela ne dura effectivement que 3 heures. C'est bien peu dans la vie de Paris. Mais ce moment suspendu fut comme un temps de rêve. La neige qui tombait drue agissait  comme un philtre magique qui nous transportait dans un passé nostalgique, celui des cartes postales sépia, des rues désertes et des belles emmitouflées.






Tout n'est pas monocolore, loin de là. On devient plus sensible à la couleur dans cet univers apparemment uniformément nimbé de brume. Et Paris se révèle bien plus coloré que d'habitude.

Du bleu, du vert, du rouge, de l'orange...








Certains promeneurs se donnent mystérieusement le pouvoir d'offrir un contrepoint coloré aux façades qu'ils longent. 








Les panneaux de sens interdit se détachent gaiement sur le fond de toute cette blancheur. Ils ne signifient plus l'interdit, ils ne menacent plus. Ils se tiennent bien droits comme habités d'une promesse : la couleur reviendra bientôt partout et pas seulement sur leur face rubiconde.



L'image du vieux Paris s'impose maintenant que la modernité est empêtrée dans le tourbillon des intempéries. On plonge dans le passé, le XIXème siècle s'estompe dans le brouillard. 



Quelques centimètres de neige sur une toit pentu et nous voilà tirés en arrière, ramenés vers une époque lointaine, vieille de plusieurs siècles.






Il arrive même qu'un peu de délire géographique s'ajoute à l'illusion chronologique.


Il semble même qu'un peu de la convivialité d'antan perce timidement à la faveur de ce voile qui protège de l'habituelle violence citadine.





Certes tout le monde n'est pas heureux de cette brusque irruption de l’aléa irrationnel dans une vie trop bien réglée par les horaires de bureau. Les plus âgés ne trouvent aucun charme à ce retour dans le Paris de leur enfance. Ils n'y pensent même pas, trop conscients de leur fragilité de bipèdes instables. Ils scrutent le sol glissant, jetant de brefs coups d’œil inquiets devant eux pour éviter les obstacles. Ce n'est pas le moment de rêvasser.







D'autres, pourtant plus jeunes, n'en sont pas moins grognons, pestant contre le froid, l'humidité, les dérapages incontrôlés et le manque de respect du gouvernement pour leur vie difficile.








Je suis d'autant plus ému de voir des gens s'amuser de ce petit imprévu climatique, comme ce monsieur bien emmitouflé qui trace dans la neige du parapet des points avec le bout de son doigt. Il retrouve les gestes simples de ses très lointains ancêtres lorsque ceux-ci déposaient des petits ronds de peinture sur la paroi des grottes.



Même en travaillant on peut s'amuser comme ce livreur qui pilote son chariot comme un bobsleigh en zigzagant entre les piétons.


J'ai bien aimé aussi ces quelques personnes réfugiées sous leur abri de métal au Luxembourg venus manger entre amis ou en couples, tout en regardant la neige tomber. Il y a encore des gens qui savent vivre et s'émerveiller.


Plus simples et plus banales, les batailles de boules de neige. Ce sont des adultes qui y jouent : les enfants n'y ont pas droit, ils doivent être sérieux, ils sont à l'école. Quand ils sortiront, la matière première aura disparu. Seuls veinards, quelques enfants étrangers échappent à l'obligation générale.




Tout n'est pas rose, bien sûr. Les deux roues sont à la peine, on peut le comprendre. Je plains particulièrement les livreurs que leur grande hotte déséquilibre et qui doivent foncer envers et contre tout.








Et puis, il y a tous les autres pour qui rouler à vélo n'est pas leur métier. On rencontre toutes les attitudes possibles, depuis l'élégante désinvolture jusqu'à la hargne grimaçante. Pour être honnête, je dois reconnaître que le sens de leur déplacement et donc leur relation au vent chargé de flocons qui piquent les yeux, y est sans doute pour beaucoup.






Ce monsieur qui n'est plus tout jeune a traversé les Grands Boulevards avec décision et maestria. 






Pour cette bourgeoise intrépide, il est impensable que la neige ose la faire glisser, voire tomber. Une telle éventualité n'est même pas imaginable. Elle trace son sillon, encourageant sa roue avant à vaincre les obstacles et à éviter les chausse-trappes, puisque tels sont ses ordres.


Certains jettent l'éponge, préférant la quiétude du bus.


C'est vrai qu'on est bien à attendre paisiblement sous l'abribus quand on voit l'angoisse de ceux qui circulent. Les artères principales ont été préalablement salées et sont donc dégagées, mais pas les voies secondaires.  On sera bien tout à l'heure, enveloppés par la chaleur du gros bus embué, bercés par le ronronnement apaisant du moteur diesel (espérons qu'on échappera au miaulement aigrelet des bus électriques).


Les scooters sont pratiquement absents. Les rares qui s'aventurent dans les rues glissantes abordent les virages, pieds dehors, prêts à rattraper une glissade intempestive. Quelques motos semblent plus à l'aise.




Les trottinettes électriques ont heureusement disparu pour l'instant. Pourtant, à ma grande stupéfaction, je trouve un véritable parking improvisé rue Notre Dame des Champs. Plein de trottinettes pour enfants. Ils sont venus à l'école avec, juste avant l'averse de neige ? Encore une pratique dont j'ignorais tout.



Les cyclistes ne sont pas les seuls sportifs qui hantent les rues et les parcs envahis de brume. Les coureurs sont toujours au turbin, le plus souvent en short, comme je le faisais à leur âge.


J'ai l'impression de revoir les mêmes coureurs qu'il y a 30 ans,
bavardant tranquillement tout en traçant à  près de 20 km/h.
Rien n'a changé, si ce n'est qu'il s'agit des enfants de ceux que je croisais autrefois.


Si l'on excepte ces courageux, le Jardin du Luxembourg est pratiquement désert, comme d'autres squares où je me suis attardé, absolument seul. 



Le square Emile Chautemps en face du Conservatoire des Arts et Métiers 



Mais, quoi qu'on fasse, on y revient toujours : Ce coin de la Fontaine Médicis au Luxembourg est toujours aussi envoûtant. Lors de mes footings matinaux, je remontais le bassin pour le redescendre ensuite, afin de ne rien perdre de ces perspectives changeantes.







La pose de Galatée me semble encore plus érotique de voir son corps nu en partie dissimulé par la neige. 


Ce n'est pas la seule fois que la neige joue ses tours sur les statues, tantôt renforçant l'effet recherché par le sculpteur, tantôt tournant son oeuvre à la plaisanterie. Ainsi Montaigne, dans le petit square qui fait face à la Sorbonne se trouve affublé d'une sorte de calotte cléricale, lui qui se défiait tant des églises.






On imagine qu'il n'approuve guère la présence des vigiles qui filtrent les entrées de la célèbre Université.


Facétie encore de la neige sur la tête du Faune du Luxembourg. Elle l'aveugle car chacun le sait, l'amour est aveugle (surtout quand l'amoureux est aviné !).



En faisant quelques recherches sur cette statue, j'ai appris, ce que sans doute tout le monde sait, que la fête de Faunus, le 14 février, est l'ancêtre de notre saint Valentin. C'est le pape Gélase 1er qui en 496 décida de remplacer le dieu qui occupait cette place dans le calendrier depuis plus de mille ans, par un saint Valentin beaucoup moins enthousiasmant. Ceci dit, il a tenu le coup ce Valentin puisqu'il est toujours le patron des fiancés depuis plus de 1500 ans.

 Si l'on excepte ceux qui y sont contraints par leur métier, rares sont, bien sûr, ceux qui peuvent flâner.



A mois d'être un étudiant qui manifeste contre l'augmentation des droits d'incription à l'université pour les étudiants étrangers.



Les quelques passants se hâtent, pressés de retrouver le lieu mystérieux où ils se rendent avec détermination.






On imaginait les instruments de musique plus frileux

Il y a bien quelques photographes qui errent, comme moi, à l'affût d'images qu'ils espèrent un peu moins galvaudées. On s'aperçoit de loin, on s'évite, on attend que l'autre se tire pour venir occuper le point de vue. Le photographe de rue, j'en sais quelque chose, ne peut être que seul de son espèce dans tout le territoire visible. Le concurrent, celui qui ose être là, lui aussi,  le renvoie à sa honte de voyeur de la vie des autres. Le ballet de ces photographes (comme moi !) qui épient les passants et ne se voient pas les uns les autres me fait penser à ces lieux de drague homosexuelle où des ombres tournent autour de piliers sombres dans des sous-sols humides sur les quais de la Seine. Heureusement j'ai pu dissiper cette vision cauchemardesque en discutant un moment avec une jeune femme qui attendait patiemment que je quitte les lieux d'où elle souhaitait braquer son appareil.


Je photographie le photographe qui photographie la chinoise 
qui regarde la photo qu'elle vient de prendre.

Les touristes n'ont pas ces pudeurs. Ils tendent leur portable vers les monuments de la capitale  comme le curé de mon enfance tendait  vers le ciel divin l'hostie consacrée. Avec autorité. et respect.






Sans compter bien entendu les "selfistes" devant lesquels je stoppe bêtement, croyant que je vais couper leur visée alors que tout se passe dans l'autre sens. On me remercie dans des langues diverses, tout en me faisant signe d'avancer.


La prise de vue est souvent toute simple, mais parfois, le photographe exige de son modèle toute une mise en scène, comme ces chinois aperçus dans le petit jardin de la Tour Saint Jacques.






Les touristes ne sont pas les seuls à sortir sous la neige leurs portables bien cachés au fond de leurs poches douillettes. Des marcheurs rapides sur le chemin du bureau ou des courses, généralement de jeunes femmes, prennent le temps de s'arrêter voire de se détourner pour voler une photo-souvenir.

Il va dégainer !

De ce pas décidé, elle va prendre une photo du parc.


Heureusement que la prise de photos vient fournir une occupation commode aux touristes, sinon ils s'ennuieraient ferme. 




Quand on doit faire rouler une poussette ou traîner sa valise qui ne veut ni rouler ni glisser, c'est la galère.






Puis, ils ou elles s'enfoncent dans les sous-sols avec leurs immondes valises rose ou fuchsia.


Restent les Parisiennes, les élégantes, les magnifiques, les intrépides. Elles avancent avec détermination, impériales au milieu du petit peuple souffrant de tous ceux qui, comme moi, ont peur de glisser et de tomber. Souvent réduites à n'être qu'une silhouette, sous les innombrables couches de vêtements qu'elles sont capables d'empiler dans une débauche d'étoffes, elles attirent tous les regards, comme des déesses descendues sur terre, pour un temps. Pour 3 heures.









Mais le miracle ne dure pas et les belles apparitions s'effacent dans les lointains pour laisser place aux faux dieux, les voitures, scooters et autres trottinettes électriques. Comme une boule de flipper, il nous faut nous garder à droite et à gauche et à droite encore, dans un maelström permanent qui rend impossible la douce contemplation. Les Parisiennes sont bien toujours présentes mais elles sont devenues invisibles, attendant que les cieux leur offrent à nouveau la possibilité de régner sans partage.





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