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mardi 15 janvier 2019

Ne jamais désespérer


Voici près de 3 semaines que le mistral souffle sur la Camargue. Une fine pellicule de glace recouvre les marais peu profonds, suffisamment solide pour les mouettes rieuses qui peuvent, à leur guise marcher ou nager en eau libre. Seule contrainte pour elles, le vent qui les obligent à rester bien alignées dans son sillage pour ne pas être trop bousculées.

En revanche, la glace ne peut supporter un flamand rose. Elle se brise, ce qui n'est pas bien grave, car l'eau n'est pas profonde. D'ailleurs c'est bien ainsi, les pieds dans l'eau, que les flamands aiment arpenter la lagune pour en filtrer l'eau. Mais la glace est bien gênante : on ne peut se nourrir et la marche est difficile et pénible. Quand elle craque brusquement, le flamand rose en est tout déstabilisé. Qu'on imagine marcher sur ces fines et longues jambes, avec le ballant de ces ailes immenses qui ne demandent qu'à vous faire basculer d'un côté ou de l'autre.

J'étais le premier arrivé au Parc ornithologique de Pont de Gau. Je n'y pas resté longtemps, préférant errer à l'aventure plutôt que parcourir les allées bien civilisées du parc. Mais une petite visite permet de savoir où on en est. Je le constate rapidement, en cette mi-janvier, les parades n'ont pas encore commencé.

Je me suis éloigné de la foule jacassante des flamands agglutinés et sur ce petit chemin à l'écart j'ai été surpris par un flamand rose tout aussi surpris que moi. Il devait se réveiller doucement de la froideur de la nuit. Dans sa fuite, il s'est emmêlé les pattes à cause de la glace et s'est retrouvé couché dans l'eau, complètement ahuri de ce qui lui arrivait.



J'ai l'impression qu'il me regarde méchamment comme si je riais de sa mésaventure.


Puis il se concentre, se calme avant de se remettre debout dans la petite mare dégagée par sa chute. Voici qu'il se prend pour un cygne !



Mais ça tangue dangereusement, avec ces foutues ailles. Tantôt à droite, tantôt à gauche, comme un ivrogne invétéré.





Le salut n'est qu'à quelques mètres. Il faut atteindre une petite butte, la traverser, pour retrouver de l'autre côté l'eau libre. Alors, il décide le tout pour le tout, en essayant de franchir cette distance le plus vite possible, les ailes bien écartées comme la barre d'un funambule. Peut-être qu'ainsi, il échappera à ce terrible tangage. 




Mais, non, ça ne marche pas. Entre le pied qui glisse sur la glace et l'autre qui est aspiré par la boue agissant comme une puissante ventouse, la catastrophe est évitée de justesse. Il n'est pas tombé mais c'était moins une. Pour le photographe, c'est l'aubaine d'une image originale. Pour lui, un effort qui l'épuise.


Alors, il décide de changer de direction, tout en cherchant à atteindre toujours la terre ferme.




Au début, ça va. Mais la glace est plus solide près de la berge et son pied glisse au lieu de s'enfoncer. Il tombe littéralement sur les fesses, dans une position qui doit être tout à fait exceptionnelle pour un flamand rose.




Il rassemble doucement tous ses abattis et décide de se reposer un peu avant de repartir à l'assaut.


Une fois de plus, le voici qui ressemble à un cygne. Une honte pour un flamand rose digne de ce nom.


Maintenant qu'il a repris des forces (et ses esprits), il s'élance à nouveau, avec la seule technique qui semble marcher : filer droit aussi vite que possible.




Ça tangue encore mais ça passe tant bien que mal.




Ouf ! le voilà à pied d'oeuvre.Il n'y a plus qu'à...


Mais c'est que la langue de sable est bien haute. Qu'on s'imagine devoir enjamber une telle hauteur, sans les mains. Le flamand a bien ses ailles pour s'alléger. Mais une telle voilure n'est pas facile d'emploi. Alors il doit s'y reprendre à plusieurs fois.

La première tentative est complètement ratée. A peine les deux pieds posés en équilibre instable, il bascule sur le côté et de retrouve au point de départ.



Il n'a pas posé le pied droit assez loin, le gauche ne trouve pas le sol.



Il y aurait de quoi désespérer. Ce n'est pas son genre. Il renonce un temps à recommencer. Il faut d'abord retrouver le moral, se dire qu'on va y arriver parce qu'on est un  flamand rose formidable. Alors il se redresse de toute sa taille, étend ses ailes aussi loin que possible, prend cet air plein de morgue qui lui est familier. On dirait un athlète qui montre  ses muscles avant de s'élancer pour son dernier saut, un boxeur qui va monter sur le ring pour un combat difficile.  Cette fois-ci ce sera la bonne, pense-t-il. Je me sens proche de lui. Comme lui, il m'est arrivé de craindre de ne pas y arriver, d'avoir peur. Je sais qu'alors il faut reprendre confiance en soi, faire de son mieux. Et si ça ne marche pas, tant pis. Mais justement, ça marche ainsi.

D'abord, on se calme en prenant une pose parfaite.


Puis, ilroule les mécaniques en me regardant droit dans les yeux. Comme si je n'avais pas confiance en lui ! Comme si je n'étais pas avec lui !


Un petit tour à la ronde, l’œil impérieux, le mollet ferme, la pose assurée malgré le sol instable.



Puis on s'élance à nouveau. Bon ! ça ne marche pas du premier coup. Mais on a repris suffisamment de pêche pour recommencer sans attendre. Et cette fois-ci, à la troisième ou quatrième tentative, cela fonctionne. Si bien qu'il ne comprend pas comment il a pu échouer autant de fois.

 Allez, tête baissée et à fond !





Il n'en croit ps ses yeux. Sauvé ! De l'autre côté, l'eau est libre ! A table, donc.


Où est passé l'oiseau maladroit de tout à l'heure ? Le voici qui a retrouvé toute sa grâce naturelle. Comme si de rien n'était.



Non loin de là, un canard (de race inconnue de moi) se trouvait dans la même situation périlleuse avec cette foutue glace trop mince.



Finalement il y arrive, plus facilement que notre flamand rose. Pour lui ce n'est pas l'heure du repas mais de la toilette. Il s'y donne avec d'autant plus d'énergie qu'il s'est agacé de ne pouvoir se sortir rapidement de son trou d'eau glacée.




Tout cette agitation désordonnée a eu un autre témoin, un héron cendré. Rien ne saurait troubler la placidité de ce vieux sage qui en a vu d'autres. Je lui laisse le dernier mot.



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