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dimanche 9 juin 2019

Remercions les dieux. Les ex-voto de Laghet


Laghet (prononcer Laguet, le lieu a gardé sa graphie italienne) est un lieu de pèlerinage entre Nice et Monaco dans un petit vallon encore paisible, malgré la proximité de la Côte. Il est tenu actuellement par des sœurs bénédictines de Notre Dame de Montmartre.




L'oratoire est curieusement construit autour de l'église du XVIIème, formant comme un cloître couvert autour de celle-ci, avec de larges baies ensoleillées.





Il fait bon s'y promener dans le calme. La présence religieuse est discrète, avec notamment un autel consacré à La Vierge Marie. C''est, semble-t-il, le lieu de dévotion des pèlerins, même si la statue de la Vierge des Prodiges se trouve dans l'église.




Le décor de l'église relève d'un baroque outrancier, tempéré par son relatif délabrement.




Mais ce qui fait la beauté et l'originalité de Laghet, ce sont ses 4000 ex-voto, dont 800, parait-il, sont classés au titre des Monuments historiques. Tous les murs de l'oratoire en sont couverts.




Sur les piliers, plusieurs promesses d'indulgence. Si l'on fait telle prière, si l'on prie pour le diocèse, etc, on gagne 40 ou 50 jours sur son séjour au Purgatoire. 



On est bien dans un des hauts-lieux de la Contre-Réforme. Pour qui veut réfléchir à ces thèmes du Purgatoire et des indulgences qui en réduisent le séjour, je conseille la série Les Sopranos (saison 2 ou 3, je ne sais plus). Un des mafieux explique comment on calcule le temps de Purgatoire (30 ans par péché mortel 25 pour les véniels). Son calcul à lui : 6 000 ans. Mais ajoute-t-il, au Purgatoire les années sont comme des heures, démontrant ainsi la difficulté d'articuler le Temps des humains avec l’Éternité divine. En un mot, Purgatoire autant qu'indulgences n'ont guère d'importance pour lui, sûr d'éviter l'Enfer grâce à ses dévotions épisodiques

Il y a finalement peu de véritables ex-voto, c'est à dire des remerciements pour un vœu exaucé. C'est le cas pour la guérison d'une maladie, un retour sans anicroche après un voyage lointain  ou la réussite à un examen.




En 1934, on valorise encore la fumée des usines !

Je pensais trouver plus d'ex-voto relatifs à la guerre. Je n'ai pas cherché méthodiquement, cette promenade devant rester un plaisir, mais je n'en ai trouvé que deux, le premier retraçant un émouvant retour de captivité, le second, très étrange, car il semble bien s'agir d'un soldat autrichien, ce qui explique sans doute la présence du bandeau bleu-blanc-rouge. Quant au sens de tout cela, je n'en sais rien.




La plupart des ex-voto concernent des accidents, souvent si soudains qu'on ne peut imaginer avoir eu le temps de formuler un vœu. En fait, on remercie la divinité qui veille sur soi alors même que l'on est distrait ou inattentif.

Le plus grands nombre de ces accidents relèvent de la circulation. Circulation hippomobile, au début, alors que ces foutus chevaux s'emballent pour un rien.



Restauration 9 ans après l'accident



A noter au dessus une noyade évitée. 

Ici c'est toute une famille qui a été accidentée, sans doute parce que le cheval a  été renversé par le tramway. 

On admirera le curieux vélo de 1909.

Ensuite, bien sûr, ce sont les accidents des engins à moteur, voitures, camions ou motos, l'occasion d'une amusante revue de l'évolution automobile.










D'autres engins sont concernés : vélo, tramways, bateaux (assez peu si l'on songe qu'on est tout près de la mer).



Un vœu exhaussé, c'est un vœu de montagne ?

"Etant à la rue Arson et voulant prendre le tramway en marche, j'ai manqué le marchepied de cette voiture et j'ai été traîné sur une longueur d'environ trente mètres sur la chaussée, mes jambes frôlées tout le temps par les roues de ce véhicule, sans avoir eu aucunes égratignures ni contusions."

Comme pour de nombreux ex-voto, ce miraculé d'un accident de tram donne beaucoup de détails sur les circonstances de l'accident (on admirera la précision et la clarté de l'exposé). Je suppose que ce n'est pas pour rafraîchir la mémoire de la divinité qui est censé tout savoir, mais plutôt pour montrer combien l'intervention divine fut nécessaire pour éviter des conséquences funestes apparemment inévitables.

 "Janvier 1951. Par suite du verglas, la voiture et ses six occupants ont été violemment projetés dans un pré à environ trois mètres en contrebas de la route. Tous en sont sortis indemnes". [de la traction Citroën].
On ne peut s'empêcher de penser que ce conducteur imprudent sortait d'une bamboche de Nouvel An.

Parfois c'est la répétition des accidents dont on sort plus ou moins bien qui est la preuve de la toute-puissance divine (en oubliant d'imaginer que cette même toute-puissance est à l'origine des dits accidents).

"Le présent tableau a été dédié à Notre Dame de Laghet par les parents du jeune Auguste Dalbera âgé de 4 ans qui, le 12 juin 1893, a été victime d'un accident survenu à la place Risso (Nice). Il a été renversé et piétiné par un cheval emporté attelé à une charrette et le 27 octobre de la même année il a été victime d'un incendie sur ses effets dont il a été affreusement brûlé sur son corps et qui n'a dû son salut qu'à la volonté de Dieu et à la grâce de notre bienheureuse Dame de Laghet ainsi qu'aux soins dévoués et intelligents de Monsieur le docteur Lanchantin de Gubernatis demeurant à Nice".

[Il s'agit sans doute de Paul César Joseph Titus Marius Lenchantin de Gubernatis, médecin à Nice]

Les chutes, d'enfants ou d'ouvriers travaillant en hauteur, représentent l'autre grande catégorie d'accidents. Je pense à ce frère de mon arrière-grand-père, qui avait gravement chuté après l'écroulement de son échafaudage de maçon. Il avait essayé  d'engager la responsabilité de la propriétaire du terrain qui avait fragilisé le rocher par des travaux antérieurs. Débouté par le tribunal, il avait renoncé à aller plus loin en s'attaquant à l'entrepreneur, soit que ce dernier fut trop impécunieux, soit que sa propre responsabilité ait été engagée. Il mourut quelques années après dans la misère, faute de pouvoir continuer à exercer son métier de maçon.




On trouve aussi d'autres accidents du travail, une chute au clair de lune, un bombardement en 1943...




L'intercession virginale est généralement figurée sur le tableau, comme suspendue dans un autre espace que le nôtre. Mais parfois, le peintre montre les personnes qui prient face à la présence réelle de la Vierge, comme s'ils avaient eu une apparition.



J'ai trouvé une seule représentation différente, celle d'un ange, qui arrête la charrette avant qu'elle n'écrase la jambe d'un enfant.


Une fois je me suis même demandé si le vœu du malade n'était pas simplement de retrouver son infirmière.



Toutes ces représentations naïves ne se valent pas sur le plan artistique. Certaines prêtent à sourire, comme ce tableau où l'homme renversé semble pris d'une soudaine envie de rêver au milieu de la rue.


D'autres dégagent une curieuse poésie, qui émane d'une scène dont je n'ai pas perçu clairement le sens.


Toutes sont émouvantes par ce besoin de remercier de ce qui nous arrive de bien. Je suis persuadé que croyant ou non, il importe de savoir adresser ces remerciements, sans qu'ils visent nécessairement quelque puissance invisible. Ce qui compte, c'est l'état d'esprit de celui qui remercie, non la personne éventuelle qu'il vise. Ainsi échappe-t-on à la faute suprême vis à vis des dieux : celle de croire que l'on est responsable de ses réussites et de ses chances. Comme les Grecs nous l'ont appris depuis des siècles, cet "ubris" est vite sanctionné par les dieux jaloux et justement courroucés.


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