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mercredi 9 octobre 2019

Passera, passera pas, l'hiver ?


En ce dernier jour de septembre, j'ai décidé de monter au Salso Moreno pour vérifier si les marmottes ont pu emmagasiner suffisamment de graisse pour passer l'hiver, malgré la sécheresse. J'aime beaucoup cette vallée suspendue qui s'étale de 2000 à 2600 m. Je lui ai déjà consacré deux articles, dont le premier où je racontais les batailles qui y eurent lieu, remonte à 2010 (http://www.leschroniquesdemichelb.com/2010/10/pas-de-loup.html).

Tout est sec, effectivement. L'herbe a une belle couleur jaune vif. Les troupeaux et la faune sauvage aimeraient sûrement moins d'esthétique et plus de valeurs nutritives. 

Il y a pourtant un peu d'eau qui continue de couler de la montage, comme ce délicieux ruisseau qui cascade de vasque en vasque dans un gazouillis charmant.





Cette ancienne bergerie semble posée en plein désert.
Elle n'a pas été construite par hasard en cet endroit. Un ruisseau coule juste à côté. 


La seule bergerie encore en activité est située en dessous d'un petit lac.



Le Salso Moreno est bien un vrai pâturage avec son herbe et son eau. 

J'entends, avant d’apercevoir le troupeau, les sonnailles des brebis, là-bas, très loin, le berger encore plus loin derrière ses bêtes.


Le temps de prendre quelques photos et elles sont déjà là, près d'une ancienne bergerie qui ne doit pas voir souvent quelqu'un. Au retour, je rencontrerai un marcheur solitaire qui comptait essayer d'y passer la nuit. Il descendait vers Menton en autonomie complète ( 4 ou 5 jours de marche, avec ses repas lyophilisés) en suivant la ligne de crête franco-italienne.  J'espère qu'il a réussi (en passant, la porte m'avait semblé branlante et à demi-ouverte), car il y eut dans la nuit un orage terrible.


Je me détourne du chemin pour ne pas gêner les brebis et me dirige vers les bergers pour tailler une petite bavette. Ils sont préoccupés, scrutant la vallée avec leur jumelle, à la recherche de 2 brebis qui manquent à l'appel. Plus tard, je verrai 2 brebis isolées et je pourrai les en informer, car nos chemins se croiseraient à nouveau. Comme ils l'espéraient, il semble qu'elles aient rejoint le reste du troupeau sans qu'ils s'en aperçoivent.



Le berger. Pour lui, les vacances vont commencer.

Ils sont 3. Le patron est venu avec un ami pour aider le berger, car ils descendent demain dans la vallée. C'est la fin de la saison et le rapatriement de 2100 bêtes n'est pas une mince affaire. Ils vont devoir descendre jusqu'au Pra, à 1600 m, en suivant le cours du torrent aujourd'hui pratiquement à sec. Il n'y a pas de chemin, mais comme me dit le berger, elles ont désormais le pied sûr après 3 mois passés en montagne. Dans 2 jours, aura lieu le premier chargement : les 900 bêtes du plus important troupeau (car les 2100 brebis appartiennent à 4/5 propriétaires), monteront dans 3 semi-remorques. Puis les autres suivront, jour après jour.

L'étroit canyon par lequel les brebis vont descendre au hameau du Pra.

Je les retrouverai tout près d'une autre bergerie, celle-ci utilisée par le berger. Ils ont rassemblé les brebis  dans un parc. En les passant de ce parc dans un autre où elles passeront la nuit, ils vont les compter comme tous les soirs. 


On devine sur la gauche du troupeau l'étroit passage entre les deux enclos 
qui permet de compter les bêtes une à une.

J'aurais aimé avoir une discussion avec eux sur les loups : ils n'avaient pas de patous, seulement 6 chiens de berger, mais ils n'avaient pas très envie d'aborder le sujet. Tout ce que j'en tirai, c'est qu'ils craignaient autant les patous que les loups. Je ne compris pas non plus comment ils pouvaient laisser bien au dessous de l'enclos deux brebis trop fatiguées qu'ils ne récupéreraient que le lendemain lors de leur descente. N'étais-ce pas dangereux pour elles ? Je croisais une des brebis en retournant vers ma voiture. Elle ne semblait pas particulièrement rassurée.


Je ne suis pas venu jusqu'ici pour admirer des animaux domestiques, mais pour la faune sauvage. Un fier traquet motteux marque l'entrée de cet espace libéré des hommes.



Je puis tout de suite dissiper mon inquiétude : les marmottes sont en pleine forme. Si les jeunes de l'année sont encore freluquets, certains mâles adultes sont vraiment énormes, ce qui ne les empêchent pas de courir à toute allure, dans un incroyable moutonnement de leur fourrure.

Cette jeune marmotte a sauté derrière le rocher quand elle m'a vu.
Il me suffit de le contourner pour la retrouver, 
bien trop curieuse pour filer tout de suite dans son terrier.


Le femelle part en trombe, puis, c'est au tour du mâle de la rattraper.
C'est leur jeu, je n'y suis pour rien, car trop loin pour les déranger. 



Les marmottes cohabitent avec des oiseaux que je n'avais jamais remarqués, car je les prenais pour de banals choucas ou corbeaux. Ce sont des craves qu'on ne peut pas confondre avec leur magnifique bec rouge 'et leurs amusants mollets de coq).



Il n'est pas facile de s'approcher à terrain découvert. Partout des sentinelles surveillent et lancent leur cri perçant si caractéristique. Tout le monde file alors à toute allure. Le sentinelle attend que chacun soit à l'abri avant de faire de même.

Les sentinelles sont généralement solitaires.
Ce couple couvre tout l'espace visible...  

...puis, comme s'il se rappelait le vieil adage, "s'aimer, c'est regarder dans la même direction", 
ils se tiennent côte à côte.

En revanche, quand elles sont surprises, les marmottes se figent dans une immobilité dont elles espèrent qu'elle les rend invisibles. Il est possible alors de les approcher, jusqu'à cinq mètres environ. 

J'étais vraiment arrivé tout près de celle-ci.
Encore un pas. Elle ne se résout pas à entrer sous terre, mais reste juste à l'entrée de son terrier. 


Cette autre, magnifique avec sa robe claire, semble s'abandonner au plaisir du farniente.
Je la comprends. L'endroit est idyllique.



Quand je m'approche, elle ne semble pas changer de position, mais elle déplie discrètement ses pattes, prête à bondir. 


Je suis si proche que je peux voir le paysage derrière moi dans son œil.

Vers le soir, c'est la fin de cette joyeuse anarchie où chacun part où bon lui semble. C'est alors le moment des retrouvailles entre les individus qui se sont éloignés à la recherche de leur pitance. Lors de précédentes ballades, j'avais remarqué déjà ces couples qui se tiennent à l'entrée de leur terrier, semblant profiter des derniers rayons du soleil avant de plonger dans leur antre. Cette fois-ci, je remarque que ce moment de plénitude paisible est précédé de toute une pantomime de l'affection. Les mâles se précipitent vers les femelles en agitant furieusement la queue. Puis ce sont des baisers, de vraies embrassades, debout, corps contre corps. Regardons ce couple.





Rassuré par cette démonstration d'enthousiasme amoureux, 
on se repose, côte à côte, dans la douceur du quotidien partagé.

Dans cet autre terrier, à quelques mètres de là, il y a au moins trois occupants. On commence par faire rentrer les enfants à la maison.



Enfin seuls, on se fait des mamours...


Je ne sais pas si l'intérêt de monsieur pour la croupe de madame prélude à quelque chose.


Puis on se repose, heureux d'être ensemble.

Grosse et grasse,  vautrée dans l'herbe, cette marmotte évoque un éléphant de mer.

Ces tableaux enchanteurs ne doivent pas faire oublier la violence toujours menaçante. Je n'ai pas, vu comme d'autres fois, de renard, ces renards de montagne gros comme des chiens. Mais il y a d'autres menaces. On est souvent caressé par une ombre rapide. On lève les yeux et l'on découvre une bonne dizaine de vautours qui cerclent au dessus de vous. Sans doute ne s'attaquent-ils pas aux êtres vivants (ce n'est pas totalement exact, en cas de manque de charogne, ils peuvent s'attaquer à de petits mammifères), mais leur présence est comme un rappel muet de l'existence de la mort.

Je vis les premiers lorsque je rencontrais les bergers. Je ne compris pas tout de suite. Je n'avais encore jamais vu de vautours dans le Mercantour. Mais il fallut me rendre à l'évidence. Ce sont bien des vautours fauves, ces immenses rapaces de plus de 2 mètres d'envergure.



Ils sont en effet devenus communs depuis quelque temps. Ils viennent estiver, de mai à novembre, depuis les gorges du Verdon ou les Baronnies où ils nichent, attirés par la présence des troupeaux (de vaches comme de brebis) et leur promesse de cadavres. Cette année on a recensé 432 vautours dans le ciel du Mercantour. C'est dire qu'aujourd'hui on ne retrouve plus le moindre cadavre, comme cette brebis éventrée en pleine décomposition aperçue il y a 9 ans.

Ils tournoient dans le ciel  sans presque jamais battre des ailes. Comme tous les rapaces, on les voit accélérer parfois sans qu'on puisse déceler le moindre mouvement qui expliquerait ce changement d'allure.





Quand on le voit foncer sur vous, on a beau se dire qu'il n'y a aucun danger,
 on a un petit pincement au cœur. 




Ils sont venus voir si j'étais comestible. Mais, bien vivant, je ne présente plus d'intérêt et ils filent continuer leur surveillance inlassable plus loin ; déçus comme le croque-mort de Lucky Luke quand finalement la bagarre attendue n'éclate pas.

Ce soit, je les retrouverai au dessus de la bergerie près de laquelle ils se poseront pour passer la nuit. On ne sait jamais ! Le pire peut toujours arriver.





Je comprends que j'ai pu les attirer. Immobile, à moitié couché dans l'herbe, je déjeunais tranquillement en admirant les couleurs changeantes, les contrastes violents du paysage minéral.





Je m'amuse aussi des grosses sauterelles qui grouillent dans la prairie. Celle-ci est en train de se régaler d'une autre plus petite (ou d'un criquet ?).


Puis, dans ce calme paisible, j'assiste brusquement à une scène que je mets plusieurs secondes à comprendre. Une scène inouïe, produit d'un hasard invraisemblable. Je vois tout à la fois, la trajectoire horizontale d'un rapace qui vient de franchir le petit repli de terrain derrière lequel je me suis installé et en même temps, le trajet vertical d'une sorte de boule marron clair. Ces deux trajectoires ne collent pas ensemble, d'où mon incompréhension. Puis la boule qui semble une boule de poils touche brutalement le sol en contrebas avec un bruit mat qui fait mal, tandis que le rapace continue sa route.


Je n'ai malheureusement eu ni le temps, ni la présence d'esprit de photographier l'objet en chute libre. En revanche, j'ai bien vu le rapace, un aigle d'envergure semblable à celle des vautours. Pendant un bon moment, il va tournoyer à bonne distance.






J'ai compris peu à peu ce qui s'était passé. Les rapaces étaient en couple. J'ai vu que le 2ème avait fait immédiatement demi-tour quand il m'avait aperçu. Je pense que le premier qui tenait une proie (petite marmotte ou lapin ?) l'a lâchée de surprise et n'a pas a osé revenir la reprendre car j'étais trop proche.

Dans la quiétude de ma digestion, je n'ai pas eu le courage de descendre tout de suite en direction du lieu d'impact. Quand je suis parti, une demi-heure plus tard, je n'ai rien trouvé dans l'herbe, malgré une recherche minutieuse. Il y avait des trous où l'animal aurait pu tomber, peut-être  n'était-il pas mort ? Je sais simplement que mon aigle a dû râler de perdre ainsi son déjeuner à lui, à cause de mon déjeuner à moi.

Voilà, c'est tout pour ce jour. Le soleil est déjà bien descendu. Il était bien couché quand j'ai regagné ma voiture qui m'a semblé bien douillette après ces "aventures" en sauvagerie.




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