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samedi 1 août 2020

Non, je ne me moque pas de Thiers comme du quart !

Dans la série "les sites et les villes que l'on côtoie sans jamais s'y arrêter", Thiers figure en bonne place. La ville incarnait pour moi le type même de l'étape à éviter. Je l'imaginais crasseuse, avec ses usines décrépites et le souvenir d'une gloire passée à jamais oubliée. On vient de quitter la Limagne poussiéreuse et urbanisée, pour atteindre les verts contreforts du Forez, on ne va pas replonger dans la laideur. Ou bien,venant de l'est par la belle autoroute qui serpente dans les forêts parsemées de prairies, on ne veut pas plonger plus vite que nécessaire dans cet abominable urbanisme de l'Auvergne moderne. On file pour profiter des derniers instants de beauté naturelle.

Et puis, en ce 30 juin ensoleillé de l'an I de l'épidémie de Covid, j'ai eu envie de voir ce qu'il en était par moi-même. Après deux heures passées à déambuler dans une ville quasi-déserte, je suis loin d'avoir épuisé les charmes de Thiers. J'ai laissé de côté tout son passé industriel (tout était fermé) et de nombreux monuments. Mais j'en ai assez vu pour avoir envie d'y retourner.

Mon seul contact avec l'industrie coutelière sera cette maquette vue dans une boutique.

Le premier contact n'était pas très engageant.

A vendre, sans doute. Mais à acheter ?

A une certaine époque on semble avoir voulu "moderniser" la ville, ce qui lui valut quelques curieuses verrues alors que tant de maisons anciennes sont encore inutilisées. L'agressif  bâtiment de l'Office d'HLM n'augure rien de bon et la mairie aurait pu se faire plus discrète.



Il y a pourtant quelques beaux immeubles du XIXème qui racontent la gloire passée de la ville et une magnifique poste du XXème.




Le plus saisissant, le plus étonnant pour moi, ce fut de découvrir la ville médiévale. Toute une ville conservée et non seulement, comme souvent, quelques maisons isolées. Beaucoup ont déjà été restaurées.





L'hôtel du Pirou date du début du XVème siècle.
Juste à côté, les poutres sculptées qui soutiennent le 1er étage d'une maison ancienne :








On peut discuter de certains partis, mais c'est joyeux après tout.


Pour l'essentiel, le ville est encore "dans son jus" et garde, pour le visiteur de passage tout au moins, le charme du vieillot délaissé (surtout sous le soleil de juin !).





Les fenêtres reflètent la façade d'une église abandonnée.

Quand on s'éloigne du centre historique par des rues très en pente, on découvre une petite ville paisible, une ville à la campagne d'où l'on aperçoit de partout les montagnes d'Auvergne.

Dans ces petits immeubles modestes, la construction repose sur de fortes poutres de bois.





La ville industrielle est tout au fond dans la vallée de la Durolle.



Partout règne un silence qui rappelle les grandes épidémies d'autrefois. Je songe que la ville s'est développée après la Grande Peste et la fin de la Guerre de Cent ans. On est heureusement bien loin de ces catastrophes, même si les commerçants s'inquiètent sérieusement d'une saison qui ne commence pas.

J'aime bien ces boutiques des petites villes, souvent pimpantes, parfois rigolotes, toujours attendrissantes tant on se demande comment elles peuvent faire vivre leur propriétaire.






Point besoin donc de se réfugier dans la collégiale Saint Genès pour échapper au vacarme de la ville. Il y fait simplement bon. On peut y jouir de ce luxe qu'est devenu l'espace inutile qui ne correspond plus à aucune fonction, qui n'est plus productif de rien, qui ne rentabilise rien. Mais qui reste beau.

L'édifice roman tardif est tout simple avec une curieuse tribune fermant le chœur.



Quelques beaux chapiteaux, étranges, d'une beauté barbare, aux représentations énigmatiques, grossièrement taillées dans un granit dur qui ne s'est pas rendu sans résistance.




Une belle Pieta, quelques objets liturgiques très kitsch qui font le bonheur de mes visites d'églises...



Toutefois, l'édifice public le plus étonnant de Thiers reste son monumental Monument aux morts qui date de 1922 (l'emphase redoublée est justifiée en l'espèce).




L'étrange groupe central, un soldat de 14-18 épuisé et abattu qui s'appuie de tout son poids, pour ne pas tomber, sur un géant gaulois, Vercingétorix, exige, sans aucun doute, une explication. Le sculpteur Joanny Durand a voulu, dit-il, manifester le double caractère, celte et latin de la France, nation gallo-romaine associant l'énergie gauloise et la civilisation latine. J'avoue rester perplexe sur le sens de l'oeuvre., notre poilu ne me semblant pas très latin ni très civilisé.

Il avait déjà repris ce thème pour le Monument aux morts qu'il avait sculpté dans sa ville natale de Boën sur Lignon. La pose était classique. Les deux protagonistes, de taille similaire, se tenaient bien droit, raides et un peu gauches, comme gênés de se tenir par la main. Une France ailée (avec des ailes de Sphinx plus que d'ange) et casquée les tient rassemblés par l'épaule, comme pour leur dire" que vous le vouliez ou non, vous êtes frères, vous êtes de la même famille".


La représentation de Thiers est beaucoup plus étrange : le poilu est affalé, comme un enfant qui cherche le réconfort dans les bras d'un adulte. Il n'est pas, comme souvent, le vainqueur glorieux, ni même la victime sacrificielle d'un monstrueux combat. C'est une victime certes, mais une victime qui ne trouve aucun sens à son sacrifice, comme un enfant qui ne comprend rien au malheur qui le frappe et se contente de pleureur devant tant d'injustice.

L'adulte musculeux ne le prend pas dans ses bras. Il le soutient avec l'indifférence de ceux qui sont des rocs dans l'adversité et lui offre simplement sa paume ouverte dans un geste énigmatique. On dirait que le polu du XXème siècle y recherche l'annonce de son présent, 2000 ans d'histoire résumés dans les lignes d'une main.



On peut d'ailleurs s'étonner du curieux renversement de perspective : c'est le vaincu de César qui semble victorieux alors que le poilu, qui a pourtant eu raison de Guillaume II, semble défait. Dans tous les sens du terme.

Les 2 bas-reliefs sont plus classiques et opposent le père artisan et la mère cultivatrice.



Rien que pour son monument aux morts, Thiers mériterait le détour....

...avant que la ville ne sombre définitivement dans le purgatoire des petites villes tuées par les lotissements et les grandes surfaces.



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