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samedi 7 mai 2022

Printemps 2022 : Journal d'une naissance

16 mars.

En essayant de discipliner un peu une haie de laurier tin, je découvre que le nid que j'avais déjà repéré, vide, est aujourd'hui occupé par une merlette. On la devine à peine. Seuls sortent, la tête et un bout de la queue. Elle est entrain de couver.


Ma photo n'est pas très bonne car je ne veux (et ne peux ! ) pas m'approcher. De nombreuses branches et brindilles font obstacle entre la lentille de mon téléobjectif et le nid !

Ensuite, je jette tous les jours un coup d'œil rapide. La merlette ne bouge pas. Elle continue de couver, ravitaillé par son merle de compagnon qui arrive toujours avec fracas pour la nourrir. Il vient d'une traite, sans prévenir, je n'ai pas le temps de l'immortaliser dans sa fonction nourricière.

 18 mars.

Je suis intrigué par le manège d'une mésange à longue queue. Elle trimbale difficilement une plume blanche  qui la fait osciller dangereusement. 


Elle met 8 minutes (j'ai contrôlé sur les métadonnées de mes photos) pour traverser mon champ de vision, depuis le chêne qui domine la haie jusqu'à un cyprès qui émerge des lauriers tin.


Je trouve effectivement un nid dans le cyprès, à 3 m du sol, déjà bien construit. On en est aux finitions, ce douillet lit de plumes (plusieurs centaines parait-il) qui va recevoir les œufs.


L'emplacement est particulièrement bien choisi, malgré la proximité de la maison. Son ouverture qui tourne le dos à l'allée du jardin, est masquée par la haie touffu du laurier tin (qui abrite aussi à environ un mètre, le nid de la merlette). Impossible, non plus, de l'apercevoir sur les côtés car le cyprès est formé de plusieurs troncs flexibles c'est un jeune arbre) et le nid est naturellement perché sur un tronc au milieu.  Enfin, la haie de laurier tin se déploie, très drue, en partie au-dessus du vide. De ce côté-ci, fermé par un mur, le sol est est à 3/4 m plus bas. Il faudrait une échelle de pompier pour passer le regard par dessus la haie. Oui, l'endroit est bien choisi.


Le cyprès, puis le chêne, enfin la maison.

Photos prises le 29 avril. La végétation a bien changé depuis la mi-mars.

5 avril.

Je me suis absenté jusqu'au 3 avril. J'ai oublié les mésanges. Je suis plus préoccupé par les petits merles. Sont-ils nés ? Sont-ils toujours en vie, malgré les chats qui rôdent et que je chasse sans vergogne ?

Oh bonheur ! ils sont nés. Trois petites merles qui tiennent à peine dans le nid et se dressent affamés les uns contre les autres, comme si le salut allait venir de leurs copains de galère.





6 avril.

Le nid des merles est vide !

Finalement, j'ai eu de la chance de voir les oisillons hier. C'était même la dernière chance.

Ma compagne a vu un des petits, au sol. Il a réussi à s'envoler maladroitement avant que je ne puisse le photographier. Et les deux autres ? Aucune nouvelle. Je ne vois depuis que les adultes. Où se trouve le paradis des jeunes merles ?


8 avril.

Puisque les petits merles ont disparu, je reporte mon attention sur les mésanges. Mais je ne m'y attarde guère. Il ne se passe rien de bien intéressant.


11 avril

Rien à signaler. Je vais au fond du jardin admirer le ballet des papillons.

Une femelle, posée sur  une brindille de tuya, l'abdomen dressé vers le ciel, attend l'arrivée du mâle qui tourbillonne autour d'elle. Il multiplie les approches. Ce n'est pas facile avec ces grandes ailes qui s'entrechoquent entre les deux insectes. Est-ce que l'opération a été concluante ? Impossible à savoir. 


Le mâle s'éloigne. La femelle reste un moment immobile, comme concentrée sur ce qui vient (peut-être ?) d'arriver, puis s'en va également.


12 avril

Revoilà mes mésanges, ,toutes les deux ensemble. L'une d'entre elles me semble bien ronde. Serait-ce la femelle grosse de tous ces œufs que le nid attend ?



Elle semble presque maladroite, comme déséquilibrée, alors que l'autre mésange parait bien fière.



24 avril.

Après une semaine d'absence, me voici de retour. Je me précipite vers mes mésanges. Je n'en vois plus qu'une seule. Elle s'affaire, va et vient, le bec chargé d'insectes quand elle vole en direction du nid, pour en repartir à tire d'aile chercher d'autres proies.

Je peux admirer longuement ses prises car elle prend son temps pour rejoindre le nid, à l'affut d'éventuels prédateurs (à commencer par moi), inspectant les alentours tout en se rapprochant à petites étapes.





Entre le début et la fin de cette séquence, il s'est passé exactement deux minutes.

Les proies sont toujours un peu les mêmes, petits insectes, petites larves.









C'est évident, la femelle est en train de couver ses œufs. Stupidement, je veux en avoir la confirmation visuelle. Je vais chercher mon échelle 3 bras qui me permet de monter assez haut mais aussi un peu en avant pour essayer de voir l'ouverture du nid.

Je suis obligé d'écarter à la main l'un des troncs pour apercevoir le nid. Effectivement la femelle est bien là, la queue complètement en dehors du nid. Je relâche vite le petit tronc flexible : le mâle est en train de me crier dessus, à moins de deux mètres de mon visage, lui qui normalement ne se laisse pas approcher à moins de 5 m. Il est très en colère. Je n'ai pas de doute sur le sens de son attitude.

Finalement j'ai effrayé la femelle aussi qui abandonne ses œufs, me laissant désespéré par ma sottise. Elle mettra plus d'une heure à revenir avec son homme.

Heureusement, en fin de journée, elle a retrouvé son nid et lui son calme, même s'il reste sur ses gardes, n'abandonnant plus sa belle pour aller chasser. La sécurité d'abord.



25 avril.

Rien. Je suis trop gêné pour aller les importuner encore. Je les laisse tranquilles.

26 avril

La situation a complètement changé ! Les chers petits ont dû sortir de leur coquille. Finis les maigres repas pour une personne. Pour la nouvelle nichée (dont je ne sais combien elle comprend d'individus), les deux parents doivent s'activer. Les larves font leur apparition dans le menu, avec fourmis, insectes volants divers, etc. Une nourriture exclusivement carnée.

.


Père et mère se succèdent à un rythme effréné (parfois il ne se passe qu'une minute entre deux livraisons). Le pont aérien sur Berlin en 1948 semble largement dépassé.




Je me demande comment ils arrivent à empaler autant d'insectes sur leur bec. Car il faut à la fois attraper, tuer, emporter, sans faire tomber ce que l'on a déjà pris.

Une seule fois, j'ai vu l'une des mésanges soigneusement (et c'est pas facile quand on n'a que son bec comme instrument) enrouler la chenille qu'elle avait transportée toute pendouillante, pour en faire une sorte de couronne. C'était en début de cette première journée de nourrissage. Je n'ai jamais revu cette scène. Peut-on imaginer que cette préparation était nécessaire pour la première becquée de ce nouveau mets ?






Ensuite, cette présentation ne semble plus nécessaire.


Il est vrai que parfois, la prise parait un peu mince.


Pendant un moment, je me suis demandé s'il n'y avait pas une spécialisation entre nos deux mésanges, l'une axée sur les larves et chenilles, l'autre sur les insectes volants. C'est vrai que le terrain de chasse est bien différent dans les deux cas. Mais, faute de pouvoir clairement différencier les deux individus, dans une espèce où mâle et femelle son très semblables, je ne peux l'affirmer. D'ailleurs, cette répartition des tâches change peut-être d'une fois sur l'autre, en fonction des hasards de la chasse (pourtant, en relisant mon texte et en revoyant mes photos, je me demande si l'on ne peut pas distinguer deux individus, l'un plus coloré, avec ces nuances roses typiques des mésanges à longue queue et l'autre plus monochrome, avec de beaux dégradés de gris). J'ai vu aussi se répéter plusieurs fois la même séquence : d'abord les insectes volants puis l'autre apporte une larve. 




Au final, peu importe pour les chers petits. L'essentiel, c'est que cela arrive jusqu'à eux.


Puis, vers 18h30, la buse qui loge dans la falaise au dessus de la maison rentre de sa journée de chasse dans les montagnes en face. Il est temps pour chacun d'aller se planquer. 



27 avril.

Le même travail inlassable des deux parents offre quelques belles images en vol. Ma technique s'améliore un peu.








28 avril.

Voilà un moment que je suis intrigué par les cabrioles de mes mésanges.

Le même scénario se reproduit à chaque rotation. Les deux parents arrivent la plupart du temps ensemble. Ils se posent sur le chêne qui domine le cyprès et le nid de leurs petits. Puis en même temps ou successivement, ils sautent de leur branche en l'air, agitent frénétiquement leurs ailes, pivotent sur eux-mêmes, puis se reposent à nouveau. Toute cette galipette est accomplie en poussant des petits cris et en maintenant fermement un amoncellement toujours plus gros de proies.

Puis, l'une d'elle fonce vers le nid dont elle s'est rapprochée par bonds successifs et pirouettes assorties. Elle revient, pirouettes à nouveau, et c'est au tour de l'autre de faire de même : bonds d'approche, pirouettes et sus au nid. 

Quand elles se rejoignent, quelques pirouettes encore et elles filent ensemble  pour une nouvelle chasse à la nourriture.

Quel est le sens de ce comportement que je n'ai jamais observé chez les autres mésanges, pourtant nombreuses dans mon jardin : mésanges bleues, charbonnières, à tête noire, ni chez d'autres passereaux locaux. Cela doit représenter une énorme dépense d'énergie apparemment inutile.

Un temps, j'ai pensé que c'était un moyen de détourner l'attention d'un éventuel prédateur, pendant que l'une d'entre elles rejoignait le nid. Mais cette explication ne me convainc guère.

J'ai pris quelques petits clips ce jour-là. En voici deux exemples :


Alors que tout est vert, le chêne commence juste à se réveiller de l'hiver. De minuscules feuilles apparaissent, d'un vert si tendre qu'éclairé par le soleil il semble jaune.


Nos deux mésanges nous semblent peut-être fofollettes avec leurs cabrioles incompréhensibles, elles restent attentives à la qualité de la nourriture de leur progéniture, alternant insectes terriens et insectes ailés.









29 avril.

La ronde infernale se poursuit. J'ai un peu honte de prendre plaisir à observer leur dur labeur : 15 jours de nid pour la femelle et donc 15 jours de chasse pour le mâle, puis 15 jours de nourrissage à deux, avant que les petits puissent voler et commencer à participer à leur survie. 

D'après mes calculs, si les œufs ont effectivement éclos le 25 avril, cet événement devrait intervenir vers le 9/10 mai. C'est bien long encore.













Est-ce une illusion. Il me semble que les deux parents se retrouvent systématiquement après que l'un puis l'autre aient nourri les petits. Comme s'ils échangeaient quelques impressions sur la progression de leur progéniture.

Ci-dessous, à droite, elle revient du nid. A gauche, l'autre parent s'apprête à plonger avec sa cargaison de fourmis.


1er mai.

Pas de repos pour les mésanges. Les rotations sont encore plus nombreuses, les becs encore plus fournis.








2 mai.

De plus en plus fort. On sent bien que les petits grandissent ainsi que leur appétit.








4 mai.

Rien à signaler. Nous les mésanges, on bosse.

Contrairement aux jours précédents, la chenille est vivante, maintenue sans serrer. 
Il faut, sans doute, habituer les petits aux proies vivantes. 
Dans peu de temps, ils devront se débrouiller. 

5 mai.

Le temps médiocre n'est pas très favorable à la photographie. De plus les scènes se répètent, il faut bien l'avouer. Je me contente de vérifier que les parents sont toujours affairés, preuve que leurs petits sont toujours au nid.

Les pilotes des bombardiers d'eau viennent s'entraîner, comme d'habitude, dans ma petite vallée. Ils imaginent, sans doute, comme la plupart des touristes, que c'est un pays sauvage, que l'on peut parcourir à sa guise, sans se soucier d'éventuels habitants ou promeneurs.

Aujourd'hui, c'est le tour des Dash 8, les plus gros de ces avions de lutte contre l'incendie.




Ils lâchent leur cargaison toujours au même endroit, non loin d'un chemin de randonnée. D'habitude, c'est de l'eau. Aujourd'hui, c'est un produit dispersant de couleur orange. Bonjour la nature !

Ceci dit, je ne râle pas. Cet été risque d'être chaud après cet hiver anormalement sec. Un villageois, que j'aime bien par ailleurs, a trouvé déjà le moyen de brûler ses branches d'olivier, malgré l'interdiction de tout feux. Résultat, quelques hectares de bois partis en fumée (cette fois-là on n'avait dépêché que deux camions de pompiers et un hélico).


7 mai.

J'ai dû m'absenter hier et n'ai pu poursuivre ma surveillance. 

Vers 17h, aujourd'hui, j'observe pendant 15 minutes les environs du nid. Aucun mouvement. Quelques plumes sont bien visibles à l'extérieur du nid. Le nid doit être vide.

Je vais chercher mon échelle 3 bras. Je surplombe le nid avec une certaine gêne, comme si je violais l'intimité de mes petites mésanges.





Je dois me rendre à l'évidence. Il y a plein de plumes devant le nid. L'ouverture n'est pas abîmée. Aucune trace de lutte. Il s'agit bien d'un départ volontaire, sans doute hier, le jour où, précisément, j'étais absent. Je m'attendais à un départ demain ou après-demain. Zut, alors !

Je me sens comme abandonné. C'était si réconfortant de suivre le ballet des deux mésanges, d'imaginer la vie qui se construisait, là, si près de la maison. Je les admirais dès le petit-déjeuner, voletant dans le chêne. A midi, elles étaient toujours là et j'apercevais encore leur ombre dansante dans le soir qui tombait.

Je me console en me disant qu'elles m'ont déjà beaucoup donné, par leur présence si proche, acceptant que je dirige vers elles mon gros téléobjectif, à quelques mètres de ce qu'elle avaient de plus précieux. Au sol, les chats, dans le ciel, buses et autours. Finalement elles me toléraient, moi qui habite leur terre . Demain, je les apercevrai sans doute à nouveau, sans pouvoir les identifier : parents, enfants ? C'est leur histoire, ce n'est plus la mienne et je respecte cette distance avec un peu de nostalgie pour les semaines passées.



6 commentaires:

  1. Trop chouette, nous n'avons pas de téléobjectif, on se contente d'écouter les oiseaux sur notre terrasse, quelle aventure tu nous fait vivre, les photos sont saisissantes. Séverine et Benoît

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  2. Récit passionnant

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  3. Michel, c'était un des plus beaux reportages que j'ai jamais vus. Merci!!!!

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  4. Les photos sont juste magnifiques !!! Quel maitrise du télé objectif ... Je le dis et le redirais c'est digne de figurer dans un magazine sur les oiseaux ... De vrais photos de pro même si ton humilité ne te permet pas de le reconnaitre ....Quant à tes talents d'espion ...je ne les connaissais pas .. Heureusement que cela s’arrête aux oiseaux ...

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  5. belle vison subjective de la vie , avec de bons objectifs, pour notre plus grand plaisir. Merci

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