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vendredi 24 février 2023

Mais où la mode va-t-elle se loger ?

 

Les tours Duo vues depuis Ivry, de l'autre côté du périphérique.

Voici un certain temps que je voulais regarder de plus près ces étranges bâtiments que l'on découvrit peu à peu en bordure du périphérique parisien, intrigué par ces formes obliques et torturées. Les voici bien présentes, inaugurées depuis moins de 6 mois et déjà occupées par leurs commanditaires.

J'avoue beaucoup aimer cette création de Jean Nouvel si différente de la Philharmonie, son précédent opus parisien, et tout aussi réussi sur le plan esthétique. C'est un plaisir de les voir changer constamment d'aspect quand on s'en approche ou qu'on tourne autour. 


Plus inclinées qu'une Tour de Pise qui n'avait jamais eu cette dangereuse fantaisie, elles semblent, suivant le point d'où on les observe, tantôt presque droites, tantôt basculées dans le vide, au risque de susciter l'angoisse.


La tour ouest, bien plus petite que la grande tour bancaire du Groupe BPCE (les Banques populaires (!), semble parfois dominer sa grande sœur, ou se coiffer de son gros chapeau de guingois.


 Je ne sais pas si cette violente rupture du profil de la grande tour correspond à quelque logique fonctionnelle, et pas seulement au "geste architectural" d'un architecte en mal d'originalité. En revanche, côté ouest, le changement de profil et de matériaux manifeste la séparation entre les espaces professionnels et l'hôtel - restaurant qui les chapeaute (un établissement qui relèvera d'un concept marketing que je découvre, le "luxe accessible" !).


Ces formes biseautées, ces matières diverses ne troublent pas seulement nos certitudes perspectives, elles animent les surfaces de couleurs chatoyantes, au gré des changements de la luminosité. Tout bouge dans ce nouveau baroque qui semble vouloir mimer quelque chute prochaine, quelque chamboulement définitif, comme ces danses macabres du XIVème siècle qui faisaient virevolter riches et pauvres , prêtres et manants, sous l'aiguillon de la Grande Peste.





Comment ne pas être quelque peu troublé par ces monstres d'acier et de verre qui représente des pièges à chaleur et des gouffres énergétiques pour la combattre. Le 28 octobre 2022, le Monde titrait un long article paru lors de l'inauguration : "Les tours Duo, des monuments à contretemps". Et ce ne sont pas les pare-soleils de la tour ouest qui suffiront à atténuer significativement le problème.


Ils me rappellent plutôt le fiasco de la façade de l'Institut du Monde Arabe : cette belle dentelle métallique qui mime un gigantesque moucharabieh sur la façade est constituée d'une multitude de lamelles mobiles qui devaient ouvrir et fermer des sortes d'iris mécaniques au gré des changements de la luminosité. Cela n'a jamais marché et l'on avait dû autoriser Jean Nouvel à shunter cet automatisme complexe. 

Les halls de ces deux immeubles sont tout aussi grandiloquents. Rien de bien nouveau pour ce genre d'établissement, sauf qu'ici les halls servent de passage piétonnier entre deux rues situés sur deux niveaux différents. Ils sont ainsi traversés par un flot continu de piétons qui n'ont rien à faire avec la BPCE et passent les portes tambour (encore une machinerie énergivore) sous l'œil indifférent des agents de sécurité. Une idée plutôt sympathique qui mêle espace public et privé, intérieur et extérieur. A voir à l'usage.

On devine à gauche le départ de l'escalier qui permet d'atteindre la rue au niveau bas.


Tout autour, tout change. Les tours Duo marquent à la fois l'aboutissement de l'opération Paris Rive Gauche, aux immeubles bien sages, tous à 50 m de hauteur, tous bien alignés dans une monotonie bien haussmannienne. Elles ouvriront aussi le nouveau quartier Bruneseau, qui enjambera le périphérique pour relier Paris et Ivry sans discontinuité. J'irai le moment venu.

Dès à présent, c'est amusant de musarder alentour. On découvre les nouvelles modes architecturales du moment dès lors qu'on n'est pas dans la démesure des tours Duo. Je parle de mode, car j'ai retrouvé ailleurs dans Paris, les mêmes tics.

Première mode, les balcons comme jetés au hasard sur les façades.


L'audace de cet agencement est d'autant plus perceptible que ce bâtiment en jouxte un autre dont les terrasses s'ordonnent calmement, avec l'objectif louable de distribuer équitablement lumière et soleil.


J'ai retrouvé la même fantaisie dans ce nouveau quartier de l'extrême sud de la capitale. Je ne suis pas absolument certain que les balcons seront utilisés si souvent que cela. La photo est prise du Parc Kellermann, mais les belles frondaisons ne suffiront pas à masquer le vacarme qui monte du périphérique tout proche. 


Autre exemple, le long de l'ancienne Petite ceinture :


Quand on ne peut s'amuser de cette manière, on trouve d'autres astuces. Dans cet immeuble, les balcons s'empilent avec une régularité toute italienne. Mais le vert brillant des céramiques de la façade, les plantes qui cherchent à se faufiler entre les mailles du filet d'acier qui emmaillote l'immeuble (cela doit rassurer à moins qu'il ne s'agisse simplement d'éloigner les pigeons), tout cela donne un cachet nouveau à cette façade géométrique.



 

Deuxième mode, les façades cabossées pour créer des jeux de lumière au fil de la journée.



Démonstration sur l'effet de mode, dans un tout autre quartier :


Troisième engouement nouveau, les immeubles intégralement noir mat, comme ce fut la mode, un temps, pour les voitures qui se voulaient d'une autre race que celles de M. Tout le monde. Une couleur bien rare, jusqu'à présent, pour les façades d'immeuble. Mes exemples sont pris dans les mêmes quartiers distincts de plusieurs kilomètres.




Si ce sont bien des modes que j'ai ainsi repérées, on court le risque de retrouver dans tous les nouveaux quartiers, un immeuble noir, un immeuble cabossé, un immeuble aux balcons fantaisistes, etc. Le refus louable de la monotonie se traduira alors, comme dans les zones commerciales, par une monotonie au carré, toutes les périphéries des villes se ressemblant jusqu'à la nausée. : une très grande diversité (de magasins ou d'immeubles), reproduisant partout le même schéma.

Heureusement il y a d'autres modes qui ne sont pas simplement esthétiques, mais fonctionnelles, et porteuses d'avenir, comme les construction sen bois.

Les panneaux de bois ne sont pas encore habillés.


Tout ceci se passe en périphérie de la capitale. A l'intérieur, et pour un peu de temps encore, le Paris de toujours est encore là, avec ses bistrots et ses artisans.  Quelques exemples au hasard de mes ballades.




Si le PMU semble pouvoir durer, qu'en est-il de l'activité RATP de ce bar, avec la disparition du ticket carton ?



Cerveau obligatoire, disent-elles ! C'est vrai qu'il va falloir garder son cerveau en éveil. La menace pèse aux portes de la ville : 

On aperçoit sur la gauche la toute nouvelle tour Hekla, 220 m et 48 étages de bureaux, dernière création Jean Nouvel inaugurée deux mois après les tours Duo.


Avec ses flancs biseautés, elle évoque, avec plus de réserve, les tours Duo, mais on peut lui adresser les mêmes critiques. Ce n'est pas le discours marketing de la ville de Puteaux qui peut rassurer : "Cette tour innovante a été conçue avec une vision environnementale, avec notamment 14 km de brise-soleil pour contribuer à la régulation thermique du bâtiment. Sa conception répond par ailleurs aux certifications les plus élevées.".

On remarquera avec un peu d'amusement et beaucoup d'inquiétude que l'unique fantaisie décorative de la tour Hékla est une grue. Un instrument, certes utile pour nettoyer les kilomètres carré de façades vitrées mais qui traité comme un objet d'art ou un jouet, réduit à une silhouette,  semble une  moquerie désobligeante envers le travail manuel, ses efforts et ses souffrances qui laissent les mains terreuses et les fronts moites. Une ironie aussi désagréable que ce discours qui invoque le respect de l'environnement en construisant des monstres qui en sont l'absolu déni. 

Bien plus, on peut se sentir pris d'une inexplicable angoisse quand on constate que toutes ces sculptures architecturales semblent se parler, solitaires et complices du haut de leurs étages, écrasant de leur mépris hautain les modestes logements du commun des mortels . Vous en voulez une preuve ? La voici, cette tour Hékla, telle qu'elle se montre depuis les terrasses de la Fondation Vuitton, un autre monument qui n'éprouve que du mépris pour la simple fonctionnalité des constructions. 




Heureusement, à l'intérieur, Monet ou Mitchell nous parlent de paix et de sincérité et nous font tout oublier.



PS. Je termine cette chronique le jour anniversaire de l'invasion de l'Ukraine. Non, on ne peut pas tout oublier.



























































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