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mardi 19 juillet 2011

L'Italie, c'est chouette !

Rapide escapade en Piémont pour respirer un court moment l'air de l'au delà des Alpes, de mes Alpes, celles du Nord comme celles du Sud. L'air de cette Gaule que nos conquérants appelait Cisalpine et qui pour nous, est transalpine. Passage de ces Alpes au col de la Lombarde, en face du Col de Crousette bien connu maintenant de ceux qui me lisent. Plongée brutale sur la plaine. Arrivée enfin dans la petite ville de Vicoforte construite autour d'une basilique de la fin du XVIème siècle. 

Je reviendrai sur ces quelques jours où "j'ai laissé mon blog me tirer par le bout du nez" jusqu'à Saluzzo, la capitale du marquisat de Saluces. Aujourd'hui, je me pose à la Basilique de la Regina montis sacralis".

Je m'y arrête pour des raisons de commodité, un agréable hôtel installé dans le "Palazzata" construit aux portes de la basilique et proche de la jolie petite ville de Mondovi. Je note pourtant que le blog ne me lâche pas facilement. J'apprendrai que François de Sales, l'évêque de Genève installé à Annecy qui organisa la conversion au catholicisme des protestants du Pays de Gex (Cf. Mes ancêtres Dufour étaient protestants) est venu ici en pèlerinage, avec des catholiques d'Annecy,  alors que la Regina montis sacralis n'était encore hébergée que par la petite chapelle que recouvre, depuis, la basilique.



Quand je pénètre dans l'immense basilique si déplacée dans la campagne piémontaise d'où elle émerge avec grandiloquence, je ne pense pas à saint François de Sales mais au Freischütz de Carl Maria von Weber. Comment oser évoquer l'un des rares opéras allemands dans le pays de l'opéra italien, c'est à dire de l'opéra tout court ?



C'est que la légende qui justifia la construction de la basilique est étonnamment semblable à celle du livret de Weber : un chasseur atteint, sans le vouloir, une cible innocente, ici la Vierge, représentée a fresco dans une petite chapelle, là, Agathe. la fiancée de Max. Maladresse ou manœuvre cachée ? Dans les 2 cas, il est évident que le hasard n'a aucune part dans l'acte criminel. Le spectateur du Freischütz le sait : Max a vendu son âme au diable pour gagner le concours de tir et sa dernière balle lui échappera, jetant à terre Agathe alors qu'il visait une colombe à la demande du Roi.

S'agissant de la Vierge de Vicoforte, il est évident, que c'est une volonté diabolique de blasphème qui a dirigé l'arquebuse vers le portrait de la Vierge. L'évidence est même si grande pour tout croyant, qu'il n'est pas nécessaire de préciser ce fait. Malheureusement pour lui, le Prince des Malins n'est pas aussi malin qu'il ne le pense et sa ruse, ici comme là, échoue lamentablement. Agathe tombe mais elle n'est pas tuée ; c'est Kaspar, le faux ami qui a fourni les balles magiques, qui s'en va retrouver en Enfer son fournisseur de munitions.

La Vierge ou plutôt l'image de la Vierge est blessée, elle saigne mais c'est pour mieux manifester le surnaturel divin, celui qui triomphe de toutes les forces du mal : une basilique sera construite sur les lieux pour en attester la vérité. Un million de fidèles s'y rend, paraît-il, chaque année pour se recueillir devant l'image miraculeuse. Ce n'était pas le cas, heureusement, en ce samedi paisible.

Le librettiste de Weber n'a pu s'inspirer de cette légende italienne. La similitude des histoires n'est pas à rechercher dans la matérialité des faits, le fusil, la blessure involontaire, la rédemption, mais dans un lien plus profond. Dans les 2 cas, il s'agit de confiance, de foi, c'est à dire de cette certitude qui n'a pas besoin de preuve. Le croyant voudrait, au prix du blasphème, contraindre la divinité à se manifester. Max pense qu'Agathe, qui l'aime pourtant et le lui dit, ne sera vraiment à lui que s'il est le premier au concours de tir. L'amour d'Agathe ne suffit à la rassurer. Il ne veut détenir ce pouvoir sur elle que de lui-même, d'une caractéristique objective, irréfutable pour lui, celle qui prouve qu'il est le meilleur et qu'il est normal qu'il soit aimé.

C'est la version de Kleiber que j'écoute depuis des années, en vinyle puis en CD.

L'image qu'il a de la femme, de sa bien-aimée, n'est pas très reluisante : elle ne peut aimer de manière désintéressée, par un mouvement qui viendrait d'elle. Elle ne peut aimer que subjuguée par le héros. Elle restera amoureuse tant que lui gardera ce statut. Rien ne vient d'elle, tout vient de lui. La raison n'est pas à rechercher, pourtant,  dans quelque orgueil démesuré du mâle, mais,au contraire, dans la peur que suscite en lui cet être incompréhensible qui peut tout reprendre puisqu'il accepte de tout donner. Sans raison.

Ce fantasme masculin est très répandu dans la littérature et dans les arts. Refus de l'homme de s'abandonner à l'amour de la femme, peur de cet amour et d'elle ; volonté de se rassurer par  l'action, par l'exploit, qui l'éloigne pourtant d'elle.

Agathe pressent cette fêlure de l'homme qu'elle aime. La nuit qui précède le concours, elle chante son inquiétude dans un des plus beaux airs de soprano  (acte II, scène 2) et le pire, une fois de plus, se décline au masculin. Max la perd (provisoirement !, il n'est banni que pour un an) quand il prétend la gagner, comme on gagne une peluche à la Foire du Trône.

J'ai attendu longtemps la joie d’entendre le Freischütz autrement qu'en disque. Ce jour arriva dans les années 80 lors de la 1ère représentation de l'oeuvre en France depuis de très nombreuses années, à l'opéra de Lyon. Le spectacle assez trivial d'une partie de l’orchestre en train de saucissonner, avant le spectacle, dans le restaurant d'en face tout en se racontant ses parties de pêche à la ligne du week end, n'avait pas réussi à me détourner de ma fascination. Je repartais avec la conviction accrue que les femmes comme Agathe méritaient plus de confiance et d'abandon et moins de gloriole masculine.

Dans son écrin monumental grandiloquent, la "Reine du Mont Royal" gardait, elle aussi, sa rayonnante simplicité, malgré la débauche d'or et de marbre qui l'entourait.



Pas facile pourtant de rester simple dans cet édifice baroque à la coupole originale : elle dessine une ellipse, comme un tout petit nombre d'églises de l'époque. C'est, parait-il, la plus imposante. On aimerait voir dans ce plan peu banal une révérence de l'Eglise catholique envers les lois de Képler sur la trajectoire elliptique des planètes autour du soleil ; ces fameuses lois qui permirent à Newton d'en déduire celle de la gravité, datent aussi du début du XVIIème siècle ;  mais, en cette époque où beaucoup croient encore la Terre au centre de l'Univers,  la raison est à rechercher plutôt dans le goût baroque de l'originalité.


J'éprouve, comme beaucoup de Français élevés dans le culte de l'art roman et de l'art gothique, un mélange de prévention et de fascination envers l'art baroque. J'aime notamment ce refus des frontières entre les différents ordres, l'animé et l'inanimé, l'animal et le végétal, le pictural et le sculptural, comme ces statues qui surgissent insensiblement du bloc de marbre ou, comme ici, ces fastueux trompe l'oeil qui confondent peinture et statuaire. L'illusion n'est jamais totale mais suffisante pour troubler, bousculer  des certitudes, agacer comme du sucre sur une dent malade.


Parfois, une trouvaille originale comme ce dais peint au dessus de l'orgue et qui semble projeter une ombre virtuelle sur celui-ci alors que ce sont les tuyaux dont la longueur, croissante et décroissante, épouse le mouvement de la draperie,  qui produisent cette obscurité bien réelle. 


Enfin, la voix d'Agathe dans l'oreille, le visage de la Vierge dans l'oeil, je quitte la basilique non sans être interloqué par ce bénitier aux puttis langoureux. Le "politiquement correct" de notre siècle ne nous autoriserait plus ce genre de libertinage.



Le soleil oblige à courber la tête au sortir de la basilique. Et là, dans un angle, à peine visible, une chose, d'une quinzaine de centimètres de haut, qui ressemble à un morceau de bois vieilli par la pluie et le vent. Mais non, ce n'est pas du bois, mais un petit corps vivant, une masse informe de plumes où l'on distingue à peine des yeux fermés, un bec et des serres.


Pour être franc, je ne l'aurais pas remarqué si ma femme ne me l'avait montré, pauvre petite chose encore plus incommodée que moi par la lumière violente. C'est une "civetta", comme je l'entends dire derrière moi, une chouette, un bébé chouette sans doute tombé du nid et qui attend, terrorisé, la nuit et peut-être alors, le salut venu d'en haut.


De nous voir accroupis, l'appareil de photo à l'oeil, des gens s'approchent et forcent notre petite chouette à entrouvrir, avec la souffrance qu'on imagine, ses yeux d"oiseau nocturne.



Que le monde du soleil est inquiétant et dangereux ! Je reste à distance pour ne pas accroître sa terreur, mais une femme s'approche, robe bleue stricte, petit gilet de laine gris, fidèle copie des nombreuses fidèles qui fréquentent la basilique. Elle a sans doute des intentions louables. Elle se sent démunie comme nous devant la détresse du petit bébé tombé du nid mais sa compassion prend une tournure bien inquiétante. Elle s'approche tend la main, tout en parlant doucement, comme si sa caresse pouvait rassurer l'oiseau. Cette fois-ci, notre civetta ouvre grand ses yeux.


L'importune samaritaine approche encore et notre chouette semble plus furieuse que craintive. Je lui fais signe  de s'éloigner. Elle se méprend sur mon intention et croit que je lui demande de s'écarter pour me permettre de mieux photographier la pauvre chose. Elle s'écarte donc mais c'est pour mieux s'approcher ensuite.




Nous partons vite pour ne pas continuer à attirer l'attention sur elle : pour ne pas voir, non plus,  ce qui risque de suivre. L'a t-elle touchée, au risque de la couper définitivement de ses congénères ? Je le crains mais préfère penser qu'elle n'en fit rien, dissuadée par un brusque mouvement du bec acéré.

Je m'en vais, le coeur un peu lourd, avec la crainte que ce vrai miracle qu'est la vie, cette petite vie chaude et duveteuse, ne s'éteigne trop vite sans qu'un paradis des chouettes ne l'accueille à jamais.

Il reste que l'Italie, c'est chouette !