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dimanche 31 octobre 2010

IV. La vie quotidienne au camp

Comment cherchait-on à se distraire et tout au moins, à s’occuper  au camp de Saint Paul d'Eyjeaux, en cette triste année 1943

Pour Albert, mon père, ce sera le sport, à la fois éducation de la volonté et renforcement de sa capacité à supporter et à se défendre, source aussi de camaraderie et peut-être même d’un certain prestige. A 17 ans, lorsqu’il avait décidé de rompre avec la vie de patachon qui l’avait conduit à son échec au bac, il avait découvert le sport comme une ascèse de la volonté autant qu’un moyen de modeler son corps. Il ne renonça jamais à sa gym et il n’est pas étonnant que ce soit le sport qui lui serve de béquille morale autant que physique pendant ces 4 mois d’incarcération.

Je ne connais pas la date de cette photo qui doit être antérieure de quelques années.

Cette allusion à ses cours de gym est la seule indication qu’Albert donne de sa vie dans le camp. Je le cite intégralement. Il vient de raconter son séjour à l’infirmerie.

« Après cette semaine, j’ai réintégré ma baraque. C’était des baraques où nous étions environ 45 et à aucun moment mon moral ne s’est trouvé en défaut, bien au contraire, je passais mon temps à remonter le moral des autres, je m’entraînais parce que je n’étais pas sûr du tout de ne pas avoir à affronter des coups physiques, je m’entraînais à la boxe, je faisais de la culture physique, j’avais même créé un petit groupe de gens qui suivaient mon enseignement et faisaient tous les matins des mouvements de gymnastique ».



Avec  la gym, Albert retrouve le moral et même un statut social. Il n’est plus à la remorque des autres, il anime un petit groupe qui fait confiance au savoir qu’il a acquis dans la salle de gym de la place Bellecour à Lyon.

Malheureusement, sur sa vie dans le camp, nous n’en saurons pas plus. Seule autre source, je l’ai déjà évoquée, une lettre de remerciements adressée à Maria Servettaz, sa future belle-mère, le 18 février 1943, 10 jours après son arrivée au camp.

La voici, retranscrite en intégralité. On la trouvera sous sa forme originale, juste après.



Saint Paul d'Eyjeaux, le 18 Février 1943
Bien chère Madame,
J'ai été ravi de recevoir ce matin une lettre charmante de vous. Cela fait beaucoup de bien, dans le désarroi d'où je sors peu à peu, de se sentir entouré d'affection. Moi aussi j'ai beaucoup pensé à vous lorsque j'ai été arrêté, en voyant tous nos projets s'écrouler, en me demandant comment vous alliez prendre cela et si vous me garderiez votre confiance.
J'ai été très affecté de ces événements, vous vous en doutez. Mon transport, entre deux gendarmes, a été particulièrement pénible. Je suis resté plusieurs jours à douter de la réalité. Même encore actuellement, il me semble parfois être un automate dont l'âme est partie, ou mieux est retirée vers les êtres chers et dans son ancien cadre. Néanmoins le temps passe assez vite, grâce à de nombreuses occupations futiles : faire son lit, éplucher les légumes, ordonner ses affaires. Mon moral, soutenu par les deux visites de Mag, avec maman et ma sœur, est devenu excellent, car il est essentiel pour moi, vous le savez, d'être entouré de tendresse. J'ai reçu par leur intermédiaire, de nombreux témoignages de sympathie et cela m'a un peu rassuré sur moi-même.
Laissez-moi vous remercier de ce magnifique colis et de la couverture dont j'avais grand besoin. Ce sont choses fort agréables surtout ici. Vous êtes si bonne pour moi que j'en suis un peu confus.
Je garde l'espoir de pouvoir bientôt vous remercier de vive voix, à Florian peut-être. Mon internement est chose si extraordinaire pour ceux qui me connaissent que je ne doute pas de voir bientôt la vérité éclater. En tout cas, c'est la Providence qui l'a voulu et je m'efforce de profiter au maximum de mon séjour ici pour enrichir mon expérience humaine et revenir mieux trempé, comme vous dites vous-même.
A bientôt donc, bien chère Madame, je vous embrasse tous bien affectueusement.
Albert Besse  Centre de séjour surveillé
St Paul d'Eyjeaux
Hte Vienne
Lettre envoyée à Madame G. Dufour Avenue d'Albigny Annecy le 19 février 1943





Cette lettre ne peut nous apprendre grand-chose sur les raisons de son internement : elle est lue par la censure. Ses protestations d’innocence sont sans doute sincères (il les renouvelle 60 ans plus tard) et pas simplement de circonstance. De prime abord, elles m’ont étonné : comment affirmer que l’on est innocent si l’on est entré en Résistance  contre ce gouvernement que l’on s’est engagé à servir.

Mais, à mieux réfléchir, il n’y avait sans doute pas de contradiction dans son esprit entre son poste au Secrétariat général du gouvernement et son action militante pour permettre l’évasion de Juifs. Par cet acte de générosité que lui dictait sa conscience chrétienne, il devait avoir le sentiment de remplir un devoir humanitaire, un devoir en quelque sorte, personnel qui n’était pas contradictoire avec son engagement public de fonctionnaire au service de l’Etat, fut-il l’Etat français. Il n’y avait pas que des antisémites à Vichy et l’on pouvait être choqué du sort réservé aux Juifs par certains extrémistes tout en servant loyalement le gouvernement.

Cette attitude peut nous sembler incohérente, nous qui savons le rôle joué dans la Shoah par les autorités françaises. Après tout, ce n’est qu’en 2010 que l’on a acquis la preuve de l’implication personnelle de Pétain dans l’élimination des Juifs. 

Albert ne réaffirme-t-il pas son hostilité aux Allemands alors que Laval déclarait publiquement son souhait de la victoire des Allemands ? Il était pourtant entré dans l’administration alors que Laval était revenu à la tête du gouvernement. On peut soutenir une politique d’ensemble sans être en accord avec chacun de ses aspects. Ce qui est certain, c’est qu’il n’était pas un terroriste et se trouvait choqué d’être confondus avec eux.

Enfin, le régime ne s’était pas encore fascisé comme il allait le faire après son arrestation : création de la Milice, collaboration active avec les nazis, chasse aux Juifs. Aussi son opinion évoluerait-elle par la suite et son passage au camp d’internement a sans doute constitué un élément déterminant. Mais tout ceci n’est qu’hypothèse. Dommage que je ne l’aie pas interrogé sur ce point.

Sa lettre à ma grand-mère maternelle m’apporte d’autres informations, importantes pour moi : J’y trouve la confirmation qu’il a eu tout de suite des visites de Mag, sa fiancée, qui est venue d’Annecy où elle résidait alors chez ses parents, de sa mère, Babino pour nous, et de sa sœur, ma marraine qui, elles deux, sont venues directement de Lyon. Ces 2 visites ont dû avoir lieu les samedi et dimanche 13 et 14 février. En effet, il y avait à ce moment  (cela a changé par la suite) 3 jours de visite : les jeudis, samedis et dimanches.
Babino ira ensuite à Charensat, dans sa maison de campagne du Puy de Dôme d’où elle sera plus proche de son fils. « Nane », sa sœur, est retournée à Lyon avant de venir s’installer à Vichy, comme on le verra par la suite, afin d’œuvrer à la libération de son frère.

On apprend ces derniers détails d’une lettre de Maria, ma grand-mère maternelle, adressée à Babino, ma grand-mère paternelle, et que cette dernière avait conservée dans son fameux tiroir. Tout ne concerne pas l’incarcération d’Albert mais les archives sont suffisamment rares pour qu’on n’en perde rien. La date figurant sur la lettre est fantaisiste. Ce ne peut-être ni le 7 juillet, ni le 7 février. Peut-être le 7 mars, ce qui ne serait pas absurde, puisqu’il s’agirait d’un dimanche, jour vraisemblable de correspondance pour une dame aussi occupée par son commerce que Maria.


Cette lettre est postérieure à celle d’Albert du 18 février. Bib est le surnom d’Albert. Le papier à lettre est bordé de noir car Maria a perdu son fils aîné Fred moins d’un an auparavant, le 4 mai 1942.


Mag est ma mère, Marguerite Dufour. L’ami d’Albert qu’elle est allée voir à Annecy est peut-être Camille Chautemps, homonyme du ministre et apparenté à celui-ci. Albert était très lié à ce dernier dans les années 50 et c’était peut-être un condisciple de fac. La jolie villa Chautemps de l’avenue d’Albigny a été détruite il y a peu pour faire place à un petit immeuble dont le principal mérite est de ne pas dépasser la cime des arbres.



Je ne comprends pas la signification de cette histoire de « Guy ». Nane est le surnom à l’époque de la sœur d’Albert.



Pour l’instant, je ne connais pas d’autres lettres concernant cette période.

 Je reviens donc à la lettre d’Albert pour noter 2 points. Ses occupations tout d’abord. Lors de ma première lecture de cette lettre, l’allusion aux corvées m’a beaucoup amusé. Imaginer mon père, que je n’ai jamais vu se livrer à la moindre tâche ménagère, en train d’éplucher les fameuses carottes du camp est particulièrement divertissant. Encore les carottes, c’est facile. La pluche des topinambours devait être un autre sport

Autre point à noter, la remarque relative aux effets positifs qu’une telle épreuve aura sur sa force de caractère. C’est un thème que l’on retrouve aussi sous la plume de Rougeron. L’incarcération, comme toute épreuve, surtout si on l’estime injuste, incline à penser qu’elle n’est pas totalement inutile et que « d’un mal sortira un bien ». Rougeron remarque d’ailleurs que cette épreuve ne trempe le caractère que d’un petit nombre d’internés. La plupart, malheureusement, n’en sortiront pas meilleurs.

 Nous ne saurons rien de plus par Albert. Heureusement, il y a Rougeron. Il est évident qu’Albert a connu tous les événements que rapporte Rougeron, et qu’il a participé, au moins à une partie de ces activités qui visaient à tromper l’ennui d’une attente sans horizon et d’un temps inexorablement rythmé par les 3 appels (matin, après-déjeuner, soir), l’extinction des feux (une des 1ères mesures du nouveau chef de camp est de reporter l’extinction des feux à 22h), autant de brimades qui rappellent chaque jour à l’interné qu’il n’est pas maître de sa vie. A 8 h et à 18h retentit la sonnerie de lever et descente des couleurs. Heureusement les internés (contrairement à Nexon où Rougeron fut d’abord incarcéré) ne sont pas tenus d’y assister.


La 1ère activité, non-imposée, de tout prisonnier qui cherche à « passer le temps », c’est de déambuler dans le faible espace qui lui est laissé, comme pour en mesurer l’étendue et, aussi, pour le  préserver en l’occupant de ses pas.


Le théâtre en est l’allée centrale, que l’on parcoure notamment après les repas. Les prisonniers appellent cela « faire le boulevard ».

Ceci dit, l’espace n’est pas totalement libre. L’allée centrale est barrée par des chevaux de frise, pour séparer les baraques du reste du camp et contrôler ainsi les mouvements en cas d’émeute.
La chicane dont parle Rougeron
Normalement, dans sa relative bienveillance, la direction du camp laisse un passage pour permettre la circulation sur toute la longueur. Mais la prison, c’est la limitation de la liberté de mouvement, c’est aussi l’arbitraire et le règne des petits chefs.

Le 27 janvier : « Menus incidents de frontière intérieure. Au début de l’après-midi de mercredi nous lézardons tranquillement au soleil, lorsqu’un brigadier, qui s’était contenté jusqu’alors de nous considérer avec cet intérêt apathique selon lequel les ruminants regardent passer les trains, piqua subitement une crise de fureur et bondit, en braillant, à l’intérieur du poste pour faire mettre en place la chicane de chevaux de frise qui ferme notre camp propre. L’on se contenta de sourire... Le lendemain matin, un interné ayant commis le grave méfait d’élargir le passage, se voyait, après une nouvelle séance de hurlements, emmené devant le chef de camp. Nous attendions, avec quelque curiosité, le dénouement, lorsque, au bout de dix minutes, nous vîmes redescendre le camarade, épanoui. La plus haute autorité locale venait de rendre un jugement de Salomon, décidant que la barrière serait retirée, mais sous réserve de ne pas stationner dans le territoire réservé. A la vérité, l’irascible brigadier avait plutôt l’air d’un c..  que d’un moulin à vent, comme dit le populaire ».

Les bonnes nouvelles du front (les Allemands sont prêts de capituler à Stalingrad) ne sont peut-être pas étrangères à l’irascibilité de ce subalterne, à moins qu’il ne soit de mauvaise humeur pour une toute autre raison personnelle. C’est le propre de ces systèmes de contrainte d’autoriser ceux qui dominent à ne, justement pas, se dominer.
                                                     
Albert n’a pas assisté à la scène. Il réside encore dans sa « belle chambre » de l’hôtel de l’Amirauté qu’il quitte tous les matins pour une promenade autrement plus agréable puisqu’il traverse le parc qui fait le centre de Vichy pour gagner son bureau de l’hôtel du Parc. Il ne flâne pas comme le chômeur ou le prisonnier qui cherchent à tuer le temps. Il est pressé, il marche d’un pas rapide et décidé, son porte-documents sous le bras, l’air affairé de ceux qu’une tâche importante attend. Comment imaginerait-il que dans moins de 2 semaines, il sera ce prisonnier qui déambule dans le froid et la boue, furieux lorsqu’on limite sa promenade de quelques mètres, humilié par ces petits chefs qu’il n’aurait même pas remarqué dans la rue quelques semaines plus tôt.

Heureusement, tous ne sont pas des petits chefs. Globalement, Rougeron reconnaît que les gardes et l’encadrement sont corrects.

 GMR
« Le personnel de surveillance visible, composé de gardes spéciaux et de G.M.R. [Groupe Mobile de Réserve, l'ancêtre des CRS] se montre très correct, semblant même éviter de se mêler à la vie des intéressés ; on ne les voit guère circuler dans le camp que pour appeler tel ou tel à un bureau. Ainsi peut-on avoir une impression de semi-liberté ». 4 octobre 1942

Les gardes lui apparaissent pour la plupart, eux aussi, comme des victimes qui se sont engagés pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille ou pour échapper aux réquisitions de main d’œuvre et non par conviction politique. Cette réputation des G.M.R. changera lorque, à partir de la fin 1943, ils seront engagés dans la lutte contre les résistants.



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L’encadrement est également correct. Rougeron est reçu « très aimablement » par le Commissaire spécial auquel il a demandé rendez-vous pour consulter son dossier. Celui-ci est malheureusement presque vide, sans aucune indication, ni sur le motif ni sur la durée de son internement.

Le chef de camp se conduit aussi de manière humaine et les réunions hebdomadaires avec les chefs de baraque se déroulent dans une bonne atmosphère. Il cherche à améliorer la vie quotidienne en multipliant les activités.

Rares sont ceux qui affichent des convictions fascistes jusque dans leur tenue vestimentaire, en copiant leurs modèles allemands, mais à la mode vichyssoise. Ainsi le directeur de la main d’œuvre en Allemagne qui voudrait interdire une conférence sur Victor Hugo : « Avec ses culottes et molletières kaki, son veston gris, son large nez bourgeonné et sa vaste face couperosée d’ivrogne classique, ce ne peut être qu’un critique autorisé [de la qualité de la conférence]».

 Ou encore, ce « cheval de retour qui revient au camp : « Les anciens du camp qui eurent maille à partir avec lui le connaissent bien. Epais, le front bas, regard buté, lèvres serrées, hautain et hargneux, exactement l’allure générale du chien de quartier qu’il devait être dans le militaire. Il s’y croit toujours d’ailleurs. Hier, faisant une descente aux cuisines, il a interpellé le chef : Vous ne pourriez pas crier « Fixe ! » quand j’arrive ? En fin de matinée il jugeait bon de faire disperser les camarades qui, près du poste, assistaient au départ des libérés. Ce matin, il a fait repousser et maintenir de l’autre côté de la chicane par deux gardes avec fusil ceux qui, comme d’habitude, attendaient vers la salle de service, l’appel pour monter aux visites. Le responsable des chefs de baraques avait lui-même autorisé ce stationnement ».

Autre personnage peu sympathique, l’officier gestionnaire, présent jusqu’en avril, responsable de la piètre nourriture servie jusque là (par conviction peut-être et pas seulement par incurie ou malhonnêteté) singe les SS. Rougeron le croque lors d’une manifestation de protestation de tout le camp, dont il sera question un peu plus loin. On sent que ce gestionnaire n’approuve pas la tolérance du chef de camp qui ne cherche pas à interrompre cette manif par la violence. « Sanglé dans son nouvel uniforme noir, assez semblable à celui des SS, M. le gestionnaire est très remarqué avec sa corpulence. On l’a aussitôt baptisé « Goering ».

La discipline peut se durcir brutalement. Depuis novembre 1942, une menace plane sur le camp et concerne les internés mais aussi l’encadrement et les gardes : les Allemands ont envahi la zone sud et l’on craint qu’ils viennent prendre les rênes de l’établissement, ce qui changerait complètement l’atmosphère, alors qu’on est encore largement entre soi (du fait notamment qu’il s’agit d’un camp de politiques pour l’essentiel et non d’un camp de concentration pour Juifs ou Tsiganes, la haine raciste ne vient pas établir un mur infranchissable entre l’administration et la masse des « sous-hommes »).


C’est le 17 mai qu’un officier allemand de la Feldgendarmerie, accompagné d’un officier français interprète, se rend pour la 1ère fois au camp. Il s’agit de la police militaire, chargé en priorité de la traque des déserteurs mais aussi de la lutte contre les résistants. La large plaque qu’ils portent sur la poitrine les faisait surnommer Kettenhunde, c'est-à-dire les « chiens enchaînés ».Albert a dû le voir et s’en inquiéter comme tous. Cette fois-ci, l’officier allemand se contente d’une courte visite dans les bureaux. Mais sa visite a une suite : Quinze jours plus tard a lieu le 1er transfert de 59 internés. Rougeron apprendra plus tard qu’ils ont été transférés à l’ile de Ré pour participer à la construction du Mur de l’Atlantique (Organisation Todt).

Le camp fait ainsi connaissance avec les mœurs nazis : les transférés sont dépouillés de tous leurs effets personnels et emmenés menottes au poing. Les internés manifestent en chantant la Marseillaise, le Chant des Partisans, les Allobroges et en criant « A bas Hitler ». Ils se massent devant les camions pour empêcher leur sortie, sans succès naturellement. Mais ils n’ont pas laissé  la rafle se dérouler passivement. Heureusement, Albert est déjà parti. Heureusement, car ces prélèvements dans les camps, pour le STO, l’Organisation Todt ou pour servir d’otages vont se multiplier. Fini de rigoler. Fini ce mélange bien vichyssois de relative bonhommie, d’accès d’autoritarisme, de pagaille et de bêtise.
                            
Gardiens et internés perçoivent à ce moment une certaine communauté de destin dans leur crainte commune des Allemands. Avec l’invasion de la zone sud, c’est la justification du Régime de Vichy qui s’effondre. Que va-t-il se passer, quelles en seront les conséquences pour chacun, de quelque côté de la barrière qu’il se situe ? Dans le même temps, les premières difficultés militaires de ces Allemands jusque là invincibles font tout à la fois craindre leur colère et leur vengeance, mais font aussi espérer une issue favorable.

Fin 42, début 43, les clivages commencent juste à s’accentuer. Arrivent au camp des serviteurs du régime : responsables de camp de jeunesse, magistrats, le secrétaire de Benoist-Méchin,  le secrétaire général du PPF [le Parti Populaire Français de Jacques Doriot, parti ouvertement fasciste et collaborationiste] de l’Hérault, etc. Ou encore celui-ci, typique de ces 1ers revirements, encore timides et pas très glorieux : «Arrivée d’un jeune employé vichyssois du Service des sociétés secrètes [c'est-à-dire de lutte contre la franc-maçonnerie. Je serais curieux de connaître l’opinion d’Albert, lui le fils d’un franc-maçon] qui a imprudemment écrit qu’il verrait à changer ses batteries si les événements se précipitaient ». Rougeron, 28 décembre.

Autre facteur de durcissement de la discipline : les évasions qui sont assez nombreuses et surtout qui ne cessent pas malgré les mesures accrues de surveillance. Les plus nombreuses se déroulent à l’occasion des permissions -le permissionnaire ne revient pas-  ou lors des transferts (la parade consistera à opérer ces transferts, menottés et encadrés par 2 gendarmes). Mais il y a aussi des évasions du camp lui-même, de nuit. Les internés sont alors réveillés pour un appel inopiné. Puis les sanctions pleuvent. Sur les gardes (envoyés au STO) mais aussi sur les surveillés : suppression d’activités, des visites ou des colis. Puis,  retour progressif au calme et à la situation initiale.

Personne n’a intérêt à ce que la situation se tende, ni les prisonniers naturellement, ni l’administration qui craint tout à la fois les révoltes et la colère du gouvernement. C’est ce que le chef de camp dit explicitement aux chefs de baraque, à l’occasion d’un épisode cocasse qui s’insère  d’une série d’événements dramatiques.

Avant de le raconter, il faut remonter en arrière. Précisément le 7 janvier 1943 à Montluçon.

 « Notre bonne ville a été, dans la journée de mercredi 7 janvier, le théâtre d’événements qui sont tout à son honneur. Un train de la relève devait partir, c'est-à-dire conduire outre-Rhin, environ 300 hommes et jeunes gens qui n’étaient rien moins que volontaires. C’est alors que, mus par une impulsion aussi mystérieuse que naturelle, plus d’un millier de Montluçonnais se trouvèrent à la gare assemblés. Le barrage, d’environ 300 gardes mobiles se laissa paisiblement débordé, les quais et les voies se trouvèrent envahis. Lorsque le train voulut démarrer, avec deux heures de retard, spontanément des hommes, des femmes et des jeunes filles se couchèrent sur les rails, tandis qu’en bleu de travail les cheminots de Lyon entreprenaient de couper la voie avec pioches et leviers ; au bout de 50 m le convoi devait stopper. Les wagons en partance pour le Grand Reich furent décrochés, les ouvriers descendirent à l’exception de 17 d’entre eux et se dispersèrent. Pendant ce temps la gare résonnait de cris assourdissants « A bas Laval !- A bas les traîtres ! – On ne part pas ! Mort aux Boches : » et pour la première fois depuis plus de 40 mois, l’Internationale montait de la foule. Cependant une employée du Bureau de placement allemand avait alerté la caserne ; des détachements feldgrau arrivèrent au pas de course, baïonnette au canon, suivis d’armes automatiques. Mais ils n’eurent pas à intervenir, les manifestants se dispersant d’eux-mêmes. Devant la réaction de la population montluçonnaise, le train n’était pas parti.
Personne ne fut pas appréhendé sur les lieux. Le même soir, le Préfet Porte arrivait dans la ville, afin de procéder lui-même à l’examen des derniers des suspects. Les usines eurent à fournir les noms des ouvriers arrivés en retard dans les ateliers et on piqua parmi ces derniers 9 internés auxquels on adjoignit le mécanicien, le chauffeur et un élève-mécanicien du train, plus un militant communiste connu… Dès le lendemain, les policiers français, accompagnés d’Allemands, entamaient les visites domiciliaires afin de récupérer la main d’œuvre récalcitrante ; la plupart a été reprise ; d’aucuns se sont livrés d’eux-mêmes en s’excusant ; d’autres sont en fuite. »

En fait, cette manifestation eut lieu le 6 janvier 1943.effectivement un mercredi, Rougeron rectifie la date un peu plus loin. C’est, semble-t-il, la 2ème révolte contre le travail en Allemagne, après Lyon où elle avait touché un milieu très syndicalisé, celui des cheminots.  D’après le capitaine commandant le détachement de la gendarmerie de Montluçon, les manifestants étaient d’ailleurs plus nombreux que ce qu’en dit Rougeron,  2 000 personnes. Ce n’est pas rien ! Le motif rapporté par le gendarme : les gens ne croient plus à la relève et parlent plutôt de déportation (rapport du 23 janvier 1943).

Voici le récit qu’en fait à la BBC Robert Schumann le 16 janvier 1943 : «  Le 6 janvier dernier, 300 désignés devaient quitter Montluçon. A l’heure fixée pour le départ des malheureux déportés, plusieurs milliers de personnes occupaient la gare et la voie ferrée. Aux cris de : "Vive de Gaulle, à mort Laval !", les patriotes empêchèrent le train d’esclavage de s’ébranler puis - comme il avait tout de même réussi à prendre le départ - forcèrent la locomotive à s’arrêter 200 mètres plus loin. Finalement, quand le sinistre convoi quitta Montluçon, il n’emportait plus que 8 victimes. Pour imaginer le sort que la solidarité ouvrière et nationale venait d’épargner à près de 300 malheureux marqués pour la déportation, il suffit de savoir ceci : 16 cheminots, qui, voici quelques mois, furent arrachés au dépôt de Valenciennes pour être déportés en Allemagne, sont aujourd’hui - nous en avons la preuve - à Rostov, où, comme de simples Roumains ou de simples Slovaques, ils fournissent à l’Allemand en retraite de la chair à canon française. »

Les 5 manifestants arrêtés sont envoyés à St Paul d’Eyjeaux. Parmi eux un jeune de 16 ans qui a été battu ou ce paysan recherché, finalement trouvé dans un arbre de sa propriété, en train de l’élaguer et qu’on emmena séance tenante à St Paul, sans lui laisser même le temps de repasser chez lui pour se changer et prendre quelques affaires.

Le 14 février 1943, « à 16 heures, les gardes  viennent appeler les cinq Montluçonnais : il leur faut se préparer pour partir en voiture cellulaire pour une destination officiellement inconnue, mais que tout le monde a deviné. Préparatifs en toute hâte. Le bruit s’est répandu comme une traînée de poudre à travers le camp ; une souscription est organisée pour doter les partants d’un pécule. Les internés vont se rassembler sur le terre plein devant le portail et le chemin de la direction ; les camarades ont peine à se frayer un passage parmi les groupes qui les entourent, on leur serre les mains, les embrasse ; ceux qui partent et ceux qui restent retiennent difficilement leurs larmes ; certains n’y parviennent pas. »

C’est à ce moment, dans cette cohue fraternelle, que survient un événement totalement inattendu qui rassemble dans un même mouvement, non seulement déportés et internés qui restent, mais leurs gardes également. 

« Au moment où les exilés montent pour les formalités de départ, la Marseillaise jaillit de 400 poitrines, puissante et grave ; les gardes surpris se sont mis au garde à vous et saluent. Le chef de camp, son secrétaire, l’officier de paix gestionnaire, accourus sur les lieux, n’en peuvent mais. Conciliant, le chef de camp assure que nos camarades vont à Montluçon, au moins pour l’instant et demande aux manifestants de se disperser, puis, sans trop insister, regagne son bureau. »

J’imagine que les gardes, la Marseillaise finie, ont dû se sentir penauds et inquiets de s’être laissés entraîner dans cette manifestation commune.. Je les vois sortir avec peine de cette transe, sans oser regarder les internés ni même se regarder entre eux, feignant de croire qu’il ne s’était rien passé.

Finalement l’aventure de ces 5 montluçonnais se terminera bien pour la majorité d’entre eux. Un seul atteindra Dijon, un autre restera à Montluçon pour raison de santé, les autres s’évaderont avant de quitter la France, malgré leur escorte renforcée.

J’espère qu’Albert n’est plus, 6 jours après son arrivée, à l’infirmerie et qu’il a assisté et participé à ce moment  de fraternisation qui devait réconforter et enthousiasmer chacun des internés. Peut-être est-ce cet événement qui l’a fait sortir de son hébétude initiale.

Le lendemain, il faut tirer le bilan de ces événements exceptionnels. Ils seront sûrement connus des autorités, les délateurs ne manquent pas à commencer par l’entourage immédiat du chef de camp. « A l’audience des chefs de camp [le lendemain, un lundi], le chef de camp s’est plaint de la manifestation de dimanche, tout en reconnaissant qu’elle s’est déroulée dans l’ordre. Néanmoins, la préfecture en a été informée, et si pareil fait se renouvelait, des sanctions seraient prises. L’on comprend surtout que M. le chef de camp voudrait bien qu’il ne se passe jamais rien dans le secteur qu’il a d’administrer ».

Rougeron ne cite pas d’autres manifestations collectives de cette ampleur, mêlant les internés et leurs gardes. Il y aura encore des mouvements collectifs de protestation, comme cette grève des internés qui travaillent à l’extérieur quand on veut leur interdire de se ravitailler en dehors du camp ou cette autre forme de grève, organisée par les gaullistes le 9 mai, qui bouderont la cérémonie en l’honneur de  Jeanne d’Arc. Mais rien n’atteindra le paroxysme, à la fois émouvant et comique, de cet unanimisme fortuit.

Le camp est donc administré avec une certaine bonhommie, au point que Rougeron préfère encore l’encadrement administratif à certains camarades qui exercent des fonctions au sein du camp et se conduisent comme de véritables Kapos. « Il est un fait malheureusement patent, c’est que la généralité des internés pourvu d’une fonction quelconque s’avèrent insociables, grincheux, désobligeants au possible, comme si avoir un emploi au camp leur conférait des droits particuliers à tracasser leur camarades de captivité. Certes il y a des exceptions consolantes : le personnel de l’infirmerie (les infirmiers, les amis Fromage ( ?) et Montchanin, le toubib) qui se dévoue sans compter avec bonne humeur ; ces exceptions ne font que confirmer une règle fâcheuse qui oblige à dire que l’on préfère avoir à s’adresser aux inspecteurs qu’à certains « camarades ».

Toutefois, ce satisfecit décerné aux responsables du camp ne doit pas faire oublier une administration pagailleuse et souvent ridicule.

Un exemple savoureux : l’administration accorde pour le 1er mai une permission de 3 jours à un interné qui devait passer le lendemain en correctionnelle pour une chanson séditieuse. Il s’est naturellement évadé.

Pour le Premier de l’An, le couvre-feu est retardé à 23 h mais comme on a oublié de prévenir la salle de service, le courant est coupé à 21h00 comme d’habitude. « C’est avec des brimades ridicules de cette espèce que des fonctionnaires inintelligents ou aveugles, aigrissent les esprits ».

Parfois, cette administration courtelinesque fait preuve du genre d’humour sinistre qu’affectionnaient les nazis. On accorde une permission à un détenu qui vient de perdre son père, à condition qu’il soit accompagné de 2 gardes qu’il défrayera de sa poche. Autre exemple : Une altercation éclate entre le patron du Secours français, Baron, et un de ses jeunes collaborateurs. A la gifle qu’il a reçue, ce dernier riposte par un coup de poing. Le sieur Baron est obligé de se promener avec des mèches de coton dans le nez. Le gamin de 16 ans est envoyé au cachot, au pain et à l’eau. Certains des détenus organisent une collecte pour mieux nourrir cet adolescent en pleine croissance. Le porteur du produit de la quête est mis, lui aussi, au cachot.

Une revue humoristique, « Saint Paul Camp, Camp » a été créée par des internés et l’on a dû rapporter à la direction, à l’issue de la 1ère représentation qui a rencontré beaucoup de succès, qu’elle brocardait des institutions et des comportements vichyssois. Cette revue, dont Rougeron remarque qu’elle n’a été possible que depuis l’arrivée du nouveau chef de camp, est un de ces spectacles montés par les prisonniers.

Le chef de camp assiste à la 2ème représentation, sans conséquence. Mais le scandale s’amplifie. « Il paraît même que des internés se seraient scandalisés et l’auraient fait savoir à qui-de-droit ; c’est bien possible après tout : il y a toutes sortes de gens dans les camps aujourd’hui ». Le chef de camp demande le livret pour une étude approfondie mais l’affaire s’arrêtera là.

Dans le même temps, se déroule un cycle de conférence sur Victor Hugo. On se souvient peut-être que le directeur de la main d’œuvre en Allemagne s’était offusqué du choix de cet auteur. Aussi le lendemain de la 1ère causerie, « le conférencier a été aimablement informé qu’une oreille officielle figurerait parmi l’auditoire ; ce vigilant censeur va être un brigadier des gardes qui piquera un sommeil consciencieux durant toute la soirée, après avoir recommandé à ses voisins de ne point applaudir trop fort pour ne pas le déranger ».

Un humoriste du camp a qualifié ainsi le Régime de Vichy : « La Révolution nationale, c’est la Terreur blanche, le marché noir et la bibliothèque rose ». Je trouve la définition admirable.  Elle colle bien avec ce jugement du tribunal correctionnel d’Aubusson qui vient de condamner un des camarades de Rougeron à 6 000 F d’amende « pour des propos mi-plaisants, mi-railleurs tendant à exercer une influence sur les populations, en mettant en doute la stabilité du gouvernement ». J’espère que les magistrats de ma famille sont sensibles à la subtile distinction entre les propos mi-plaisants et mi-railleurs. Au total, quand on ne peut conquérir les cœurs, on interdit l’expression de la pensée libre et on la remplace par une mièvrerie affligeante

Je n’oublie pas, bien entendu, la Terreur blanche qui est à l’origine même du camp, ni les déportations vers les camps de concentration et d’extermination. Ces mesures seront prises à l’instigation des Allemands et le 1er convoi, en direction de l’ile de Ré, date du 1er juin. On en a déjà parlé. Quand aux persécutions contre les « Israélites », Rougeron en a naturellement connaissance et les réprouve vigoureusement : « Quelle honte pour la France, quel défi pour l’humanité ! ». Il en a un exemple vivant sous les yeux avec cet ingénieur juif d’origine lithuanienne, naturalisé français, que l’on a déchu de sa nationalité, incarcéré avec sa femme et sa fille puis séparé de celles-ci et qui reste seul à St Paul. Le 14 décembre 1943, les étrangers naturalisés et les juifs « nés à l’extérieur » quittent Saint Paul et sont acheminés vers le camp du Vernet dans l’Ariège, antichambre des camps d’extermination. Son camarade lithuanien en fait sûrement partie. Depuis l’occupation de toute la France par les Italiens et les Allemands, la chasse aux Juifs s’intensifie mais elle avait commencé bien avant, sous la seule responsabilité de Vichy : On connait la rafle du Vel d’Hiv en zone occupée, les 16 et 17 juillet 1942, mais il y en eut d’autres ailleurs. Vichy rafle 4 000 Juifs en zone non occupée en août 1942 pour les livrer aux Allemands. En septembre, Vichy a livré 5 000 juifs « apatrides » aux Allemands et a interné 7 100 juifs français.
Mais Rougeron est loin d’imaginer la Shoah. Début avril, il vient de lire la correspondance de Dreyfus (étonnant que l’on trouve ce livre à la bibliothèque du camp). S’il savait …
Après cette longue digression sur l’administration du camp, je reviens aux activités offertes aux internés. La 1ère, disais-je, consiste à « faire le boulevard ». C’est l’occasion d’échanger entre camarades, de plaisanter, de rapporter la dernière rumeur ou la dernière information concernant notamment l’évolution du front.
Comme dans tout système oppressif, la plaisanterie, la « blague » est un moyen de se défendre contre la volonté d’étouffer la liberté de pensée. Les puissants sont ridiculisés, conscients de l’être et incapables de trouver une parade qui ne les ridiculisent pas encore plus. La force ne peut pas tout, tel en est le message. On se les raconte le soir, après l’extinction des feux, quand il est encore trop tôt pour s’endormir. Rougeron en rapporte quelques-unes dans sa note du 5 janvier 43.
« Un policier passant devant une librairie au boulevard Saint Michel, voit une vingtaine de femmes qui rient devant l’étalage. Intrigué, il s’approche et voit un portrait de l’Amiral [Darlan, Président du Conseil entre les 2 épisodes Laval] avec au dessous une étiquette « Vendu ». Il entre, sermonne la vendeuse qui affirme sa bonne foi, le portait ayant été effectivement vendu, et retire l’étiquette qui donne à confusion.
Le lendemain, un groupe d’une cinquantaine environ des 2 sexes est assemblé à la même vitrine, donnant des signes de la plus grande hilarité. Notre policier se glisse parmi les curieux pour tomber sur un portrait du Maréchal orné d’une belle étiquette « Epuisé ». Le voici à nouveau dans le magasin, fort mécontent ; on l’apaise en lui expliquant que le stock est bien épuisé et on enlève l’étiquette.
Nouveau lendemain ; cette fois, une foule 200 personnes, bruyante et satisfaite. L’inspecteur joue des coudes, parvient au premier rang. Derrière, un portrait du Maréchal et un autre de l’Amiral, séparés par un volume « Les Misérables ».
On s’esclaffe et la baraque finit par s’endormir sous le signe de la bonne humeur ».
L’essentiel des conversations roule naturellement sur les événements militaires. Rougeron apprend très tôt les difficultés allemandes à Stalingrad, dès le 11 octobre 1942, même si l’annonce d’un repli allemand est prématurée.

 De Gaulle en 1942

Le 8 novembre 1942, le camp est en liesse car les visiteurs ont apporté plein de bonnes nouvelles, « des nouvelles vertigineuses, inattendues, proprement formidables : débarquements américains sur les côtes d’Algérie [Le débarquement date du 8 novembre. Les internés l’apprennent le jour même !] et dans la région de Dakar [L’information, sur ce point, est à la fois plus ancienne (la tentative de débarquement date de fin septembre 1942) et surtout fausse : l’opération est un échec puisque Britanniques et Français libres avec de Gaulle à leur tête ne peuvent prendre pied à Dakar défendu par l’amiral Boisson fidèle à Vichy], reculs continus de l’Axe en Cyrénaïque [Effectivement, après des succès jusqu’à l’été 42, Rommel est constamment sur la défensive et ne peut prendre Alexandrie. Il commence à reculer à partir de début novembre. L’information est donc bonne et quasiment en temps réel], Tobrouk et Solloum coupés de leurs bases, le terrain d’aviation de Marsa-Mathron ( ?) détruit par des parachutistes français, voilà pour le matin. Allocution pessimiste du Maréchal, débarquement au Maroc pour l’après-midi. Prise d’Oran, d’Alger, les généraux Giraud et Weygand à la tête des forces gaullistes, offensive soviétique sur tous les fronts, pour le soir…. Dans le camp des groupes se forment, s’agglomèrent, deviennent de véritables rassemblements, presque des meetings. On s’interpelle, se questionne ; on rit, on siffle joyeusement au nez des gardes ; pour un peu on s’embrasserait, dans l’enivrement de la victoire que l’on voit poindre enfin, après l’avoir tant attendue.
Prompt à s’affecter, le prisonnier s’enthousiasme encore plus vite ; sa stratégie devance celle des militaires… Souhaitons ardemment qu’elles marchent cette fois de pair, car la déception serait atroce. »
Effectivement, les nouvelles vont vite et même trop vite et toutes ces nouvelles sont en grande partie bien optimistes.
Albert n’est pas encore là pour participer à la fête mais gageons qu’il suivra avec beaucoup d’intérêt la progression des troupes alliées en Tunisie. Le 23 mars, on apprend la prise de Gafsa où, juste 3 ans plus tôt, il avait accueilli sa mère alors qu’il était stationné en Tunisie. Cette victoire anglo-américaine a dû lui faire un grand plaisir même s’il mesure aussi combien sa vie a changé en si peu de temps. Le sémillant sous-lieutenant qui paradait dans sa Ford décapotable n’est plus qu’un paria, interné dans un camp de Vichy. Mais il doit se sentir aussi plus mûr, endurci par les épreuves.
Il peut suivre, comme tous les internés l’évolution du front sur une grande carte d’Europe déployée dans le foyer. « Notre stratégie locale s’est notablement perfectionnée, puisque l’on plante maintenant des petits drapeaux sur la carte de Russie et le long de la côte d’Afrique du nord, au foyer… ». note Rougeron le 18 janvier 1943. Ce mélange de censure et de laisser-faire paraît incroyable. Il est vrai que jusque là les drapeaux s’éloignaient sans arrêt de Berlin. Maintenant qu’ils commencent à refluer dans l’autre sens, je ne sais si une telle exposition des difficultés du Grand Protecteur continuera d’être tolérée. Rougeron n’en dit rien et cela a donc du subsister au moins jusqu’en fin 43.
Les internés s’intéressent aussi à l’actualité politique et le 5 juin 1943, ils apprennent de l’extérieur, de bonnes nouvelles de la Conférence d’Alger ( ?) d’où il ressort que de Gaulle a supplanté le général Giraud. « Il semble que les Américains aient enfin compris. Giraud également. Nous nous réjouissons sans réserve de ces résultats qui mettent fin à un état de choses pénibles, en consacrant l’autorité de notre seul chef légitime, le général de 
Gaulle".

Giraud et de Gaulle, à la conférence de Casablanca, en janvier 43, devant Roosevelt et Churchill. A l’époque, les Etats-Unis et la Grande Bretagne souhaitait que de Gaulle fasse allégeance à Giraud. On raconte qu’il fallut plusieurs prises pour immortaliser cette poignée de mains, tant elle était rapide et contrainte.
Une fois de plus, Rougeron va un peu vite en besogne et de Gaulle n’éliminera complètement Giraud qu’à l’automne 1943. Mais, cette fois-ci également, sa précipitation est prémonitoire. J’aurais aimé savoir ce qu’Albert en avait pensé, lui qui n’aimera jamais de Gaulle au point d’envisager de nous emmener tous au Québec, lors du retour de de Gaulle au pouvoir en mai 58, tant il craignait l’instauration d’une dictature militaire à la faveur de la Guerre d’Algérie. Giraud, assez ambigu pour flirter aussi longtemps qu’il put avec Vichy, avait en effet les faveurs des vichysto-résistants.
Parfois, l’information est sûre parce qu’elle arrive directement au camp. Rougeron sait que la nouvelle de la création de maquis en Savoie est bonne puisqu’il voit arriver de nombreux savoyards. En avril, l’aviation anglaise lâche des tracts sur le camp. Autre exemple : fin mai, la 1ère séance de cinéma est annulée faute d’électricité suite au sabotage d’un transformateur à Limoges.
Mais souvent, aussi, l’information est fausse, un « bobard », qu’il est bien difficile de distinguer de la bonne info qui fait presque un flop quand elle est avérée.  Le 10 juillet 1943, Rougeron décrit cette tentation permanente de ce qu’il appelle le « bobardement » : « Le « bobardement » est une des caractéristiques de la vie des prisonniers. Il est vrai que les civils n’en sont pas exempts. Mais chez nous il sévit à l’état endémique, tuyaux increvables et incontrôlables, de source toujours mystérieuse, dont le dernier chasse la précédent, accueilli avec la même faveur et se trouve toujours relancé sur sa seule répétition. Combien en avons-nous recueilli, tant sur la situation interne du camp qu’extérieure ! En un mois : prochain convoi pour le travail forcé (2 fois), libération pour le 15 juin, transfert pour un autre camp, dissolution du camp pour le 30, juin… A noter qu’aucun n’était absolument invraisemblable. Quant aux débarquements, on ne les compte plus.
Mais cette fois, celui de ce matin est une grande nouvelle dont le bienheureux messager, notre brave « Fend l’air »se précipite à 7h1/4 dans sa baraque : Ils ont débarqué / en Sicile ! Si, si, je vous dis que c’est vrai !
« Fend l’air » est sur le point de se fâcher car il y a tout de même des sceptiques. L’information se confirme aux dires des gardes qui veulent bien bavarder. On l’attendait depuis si longtemps qu’elle ne produit pas la poussée d’enthousiasme qui accueillit l’affaire d’Algérie. L’on est tout de même heureux, sans réserve. Les cartes méditerranéennes connaissent un succès… une brèche est ouverte dans la forteresse Europe ».
Ce n’est qu’une brèche. Encore un an avant le débarquement en Normandie. Jusque là il faut tenir, passer le temps. Le camp connaissait une intense activité culturelle : concerts, pièces de théâtre, revues. Les politiques, surtout depuis quelques temps, étaient souvent des intellectuels. Saint Paul d’Eyjeaux en accueillit de célèbres. Jean Cavaillès, le grand mathématicien, l’un des fondateurs de Libération, arrêté en août 42 s’évadera avant l’arrivée d’Albert le 30 décembre 1942, par ses propres moyens alors que l’un des membres de son réseau venait à Limoges avec une forte somme d’argent pour l’aider à s’enfuir. Mais il était déjà parti. . « Qui eut cru cela de lui, si discret, si réservé ? ». Repris en août 43, il sera exécuté par les Allemands en février 1944. Il aura le temps, lors de son bref passage à Saint Paul d’Eyjeaux, de donner une conférence sur la philosophie des mathématiques.
Le 15 février arrive Jules Bloch, professeur de physique à la Sorbonne, nouveau doyen d’âge  avec ses 67 ans. « Il a tout de suite conquis nombre de sympathies par la bonne humeur avec laquelle il supporte sa mésaventure et l’affabilité de son abord ».
« Le 23 mars, le professeur Bloch nous a honoré d’une conférence dont les préparatifs ont donné lieu à la naissance d’une anecdote, d’ailleurs véridique, qui vaut la peine d’être contée : Lorsque le responsable de la commission des cours s’en fut remettre le titre « Atomes et molécules dans la physique moderne », à M. le chef de camp, ce digne fonctionnaire réfléchit un instant, perplexe. Puis,
- Évidemment, ce sera très intéressant. Je veux bien autoriser…. Mais il ne sera pas question de matières explosives, n’est-ce pas ?
Le professeur Bloch s’est fort diverti de cet à-côté ».
En revanche, le 23 mai, il doit faire un cours sur « les électrons et la constitution de la matière », thème « peu sujet à l’hétérodoxie », remarque Rougeron. Pourtant, le conférencier est avisé la veille que son cours ne peut avoir lieu. Dans le camp, on se perd en conjectures. Peut-être, Rougeron n’y pense semble-t-il pas, est-ce parce qu’il est juif ? Difficile de trouver une autre explication.
Les cours sont une des occupations importantes des internés, tout au moins d’une frange d’entre eux à laquelle Albert devait appartenir. Il y a d’ailleurs une « Commission des cours » qui les planifie. « Cet organisme, créé et dirigé par les internés, a la direction de l’Université du camp, cours et conférences. Un bureau est chargé de l’exécution des décisions prises en réunion…Un délégué assure la liaison avec la Commission des loisirs et un responsable par baraque, avec  l’ensemble des internés. Les cours sont nombreux, intéressants, variés, répartis sur l’ensemble du temps libre de la journée et de la semaine : littérature, électricité, comptabilité, géographie économique, chimie, mathématiques, physique, trigonométrie, français, calcul, anglais, allemand, espagnol, italien, solfège, échecs. Les plus suivis sont la littérature et la géographie économique qui n’exigent pas de devoirs ni d’assiduité absolue et ont plutôt le ton de la causerie que du travail pédagogique. Certaines matières, histoire, géographie politique, ne sont point autorisés par la censure du camp qui passe  également au crible les sujets des conférences du mercredi ; ces dernières font toujours salle comble ». Entrée du 7 novembre 1942.
Ce loisir culturel est essentiel pour les internés. Aussi la suppression des cours est une sanction périodique de l’administration, comme la suppression des journaux
 Rougeron donne plusieurs conférences, sur l’Histoire du Bourbonnais, les causes de la  Révolution française (le 27 février. Albert était-il dans l’assistance ?) et la Constituante et les Droits de l’homme (!). Le camp aura cet effet positif pour lui : il découvre le plaisir d’écrire et d’enseigner et multipliera, par la suite, les ouvrages notamment sur l’histoire locale de son petit pays, le Bourbonnais.
Dans le registre des loisirs culturels, Rougeron se prend de passion pour la discussion avec le pasteur Trocmé arrivé le 14 février moins d’une semaine après Albert. Il n’est pas croyant, a fortiori pas pratiquant, mais le pasteur Trocmé va le séduire.
Les vrais pratiquants sont d’ailleurs rares. Une expérience le montre à l’évidence : « il s’est produit un curieux phénomène : depuis l’installation de la chapelle, qui a eu pour conséquence la suppression des sorties dominicales au village, le nombre des fidèles catholiques a sensiblement décru » : on ne peut plus en profiter pour passer à la pâtisserie du village !

Ce n’est pas seulement le culte catholique qui retient l’attention des autorités du camp. Un rabbin est autorisé à passer au camp une fois de temps en temps. Surtout, une deuxième baraque est en partie aménagée pour le culte protestant car  deux pasteurs protestants de Chambon sur Livron, les pasteurs Trocmé et Theis,  sont arrivés en février. Voilà une concurrence encore plus forte que celle du pâtissier.

 A gauche, le pasteur Trocmé, à droite le pasteur Theis
« 21 février. Matinée religieuse par excellence : messe à 8h, causerie protestante à 10h1/4. Les pasteurs sont venus à la messe mais l’abbé n’est point venu au prêche. Il subit d’ailleurs une défaveur marquée…. Les pasteurs ont le bénéfice du nouveau. Ils sont habillés en civil, logent en baraque comme tout le monde, se montrant compagnons affables et pleins d’entrain, autant de facteurs personnels qui prédisposent avantageusement. Leur culte se fait salle comble ; il est vrai que le local n’est pas une immensité. Même les incroyants se sont trouvés intéressés par une présentation originale de Dieu, être immatériel, symbole d’une morale plutôt que conducteur d’hommes ou de sociétés. Tout ceci expliqué dans un français amical où revenait le terme « camarades », par des hommes se félicitant de se trouver mêlés au commun dans l’infortune, à la place qui doit être celle des guides spirituels…Enfin, les causeries protestantes sont contradictoires et ouvertes à tous. Il semble que le catholicisme aura du mal à tenir ses positions devant une concurrence aussi neuve et audacieuse. Du moins ne risque-t-on pas une nouvelle Saint Barthélémy… »

A gauche, le pasteur Trocmé, son fils et le pasteur Theis

Heureusement pour le catholicisme, il n’est pas tout entier inféodé à Vichy. Peu avant le pasteur Trocmé est arrivé un prêtre catholique. C’est, pour reprendre Rougeron, « une arrivée originale » : l’abbé Daussac est incarcéré. Professeur au séminaire de Montpellier, il « des actions fort honorables et méritoires à son actif ». De plus ces positions sont peu orthodoxes : c’est, par exemple, un partisan de l’enseignement laïc.

Il reste que le protestantisme ou tout au moins le pasteur Trocmé enthousiasme Rougeron : « la manière de traiter les sujets sacrés, le chant des cantiques, la lecture d’un verset de la Bible, la morale dégagée, ensemble qui donne un sentiment de vie spirituelle intense et élevée. Une collectivité imprégnée de cette formation dont elle ferait sa ligne directrice aurait une force incomparable ».

Trocmé et la classe de philo de Chambon sur Lignon

Rougeron et Trocmé vont sympathiser et ils s’écriront par la suite. Trocmé comble en effet un vide car il encourage en chacun une réflexion éthique et politique : « ce qui a manqué à notre ancienne démocratie, ce qui fait défaut à l’idéologie marxiste, c’est de ne point avoir dégagé une morale, un article de foi ; il faudra que la démocratie de demain comble cette lacune sous peine de manquer à une partie de sa tâche ».

Le pasteur Trocmé organise, en sus de l’office du dimanche, des causeries religieuses tous les jeudis. Le 4 mars, malgré le sujet (la morale du Christ est-elle actuelle ?), c’est dans « une atmosphère de courtoisie et de tolérance que se rencontrent protestants, catholiques et athées, dans un effort commun de construction et d’enseignement réciproque. Ce n’est pas un des moindres paradoxes de notre époque que l’on ne puisse vraiment discuter que derrière les barbelés ».

Les barbelés du camp de Saint Paul d'Eyjeaux

On sait que « l’esprit de la Résistance c’est autant, sinon plus, développé dans les camps, de prisonniers ou d’internement que dans les maquis.

A côté de ces occupations sérieuses, il y a des plaisirs plus frivoles : les fêtes, pour Noël, le Jour de l’An ou le 1er mai. Ainsi pour le 1er mai (Albert y a participé), sont organisés un concours de pétanque et un concert avec musique, chansons et sketchs. La séance commence par la Marseillaise et se termine par la chanson d’origine soviétique, symbole du Front Populaire et de la Guerre d’Espagne (musique de Chostakovitch) que tout le monde reprend en chœur, « Au devant de la vie ».(cliquer sue le lien pour écouter le chanson)

A partir de fin mai, le camp organise, dans le mess des gardes, une séance de cinéma tous les 15 jours. On se souvient que la 1ère séance est, pour cause de sabotage électrique, reportée au lendemain. Au menu, des actualités dont les images du premier congrès du Mouvement des prisonniers, chargé de populariser la Relève, des revues policières à Vichy, autant d’actualités de propagande qui sont pourtant un bonheur pour des gens privés depuis des mois d’images de la vie de l’extérieur.

L’INA a conservé le reportage que nos internés ont dû voir. Le voici :



retrouver ce média sur www.ina.fr

Quand on compare cet éloge stupide de l’obéissance aveugle avec la morale du pasteur Trocmé qui en appelle à la libre responsabilité de chacun, on mesure combien deux mondes s’affrontent.

Ensuite un documentaire assez inouï sur les Cosaques qui enterreraient vivants les vieillards et danseraient ensuite sur leur tombe. Sans commentaire quand on sait ce que les nazis, auteurs de cette propagande immonde, sont en train de faire aux Juifs dans toute l’Europe.

Enfin, un film, plus léger, M. Breloque a disparu, une comédie policière de Robert Péguy (le cousin de Charles) datant de 1938 qui a visiblement mis Rougeron en joie.

Laissons-le à ce rare moment de vrai et simple plaisir. Il a encore des mois à supporter l’internement puisqu’il ne sera libéré, pour raisons de santé, que le 26 novembre 1943.

Albert, lui, n'a peut-être pas assisté à la séance de cinéma : il est libéré le même jour.  La réalité valait bien la fiction !

Cela fait des mois que sa famille et ses amis s’activent pour le faire libérer. Ils vont finalement réussir.


mercredi 27 octobre 2010

A pas de loup

Ce 20 octobre 2010, il fait un temps magnifique. Direction : un haut lieu du tourisme dans le Mercantour, le vallon du Salso Moreno au pied du col de la Bonnette, pas très loin de mon dernier bivouac, un mois plus tôt. J'avais vu des chamois se diriger dans cette direction et j'espérais les retrouver dans cette vallée perchée. Cet espoir sera déçu mais je ferais d'autres rencontres.

Je quitte la vallée de la Tinée où c'est encore l'automne.


Le hameau du Pra, où débouche le torrent qui porte le même nom que le vallon, le Salso Moreno, et d'où j'étais parti pour mon bivouac aux lacs de Vens, est désormais abandonné jusqu'au printemps prochain.

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A le voir maintenant, on peine à imaginer qu'il ait pu compter jusqu'à 160 âmes dans les années 1820.

Les montagnes commencent à se couvrir de neige. On reconnait la Cime de Tortisse qui domine les lacs de Vens.


La couche n'est pas bien épaisse. Suffisante pour que je regrette d'avoir oublié mes guêtres quand il faudra traverser quelques congères où je m'enfonce parfois jusqu'à mi-cuisse. Suffisante aussi  pour voir, en commençant ma descente depuis le col des Fourches qu'aucun être humain n'est passé par là depuis plusieurs jours. Cela change de la belle saison, si j'en crois les très nombreux récits de ballade que l'on trouve sur Internet agrémentés de dizaines de photos identiques à celle-ci. Mon excuse pour ce récit : ce petit voile de neige qui accuse le relief.


Le Salso Moreno vu du col des Fourches. 
Au fond, à gauche, la petite échancrure du col de Pouriac, mon objectif.

La ballade commence par une descente de 200m jusqu'au vallon qui s'étage entre 2000 et 2500m. Je viens de quitter les ruines du camp des Fourches, bâti au début du siècle dernier.


Heureusement le soleil fait oublier la désolation du lieu. De l'autre côté du col des Fourches, le spectacle est tout autre et la descente est bien plaisante malgré la neige glissante.



La Pas de la Cavale (2650m), le Rocher des 3 Évêques (2868m) et la Tête de l'Enchestraye qui plafonne juste au dessous de 3000m à 2954m).






Aujourd'hui, le vallon s'étale devant moi complètement désert mais je rêve, tout en descendant, à toutes ces présences évanouies qui l'ont occupé un moment. Je ne pense pas, bien sûr, aux hordes de touristes qui troublent le silence de leurs voix trop fortes et du cliquetis insupportable de leurs bâtons de marche.

Je songe plutôt aux immenses troupeaux qui ont transformé depuis longtemps la forêt en pâturages à l'herbe rase. En témoigne, cette magnifique grange qui, sans doute, ne "passera pas l'hiver".


Elle est déjà bien mal en point, rafistolée sommairement, mais elle vas basculer dans le torrent qui ronge sa berge.


En témoigne aussi les murets de pierre sèche qui séparaient les troupeaux.


Je songe aussi à la fureur de la guerre qui s'est donnée libre cours, parfois, dans ce lieu paisible car c'est une des voies d'invasion possible vers ou à partir de l'Italie.

Malgré toutes mes recherches, je n'ai pas réussi à trouver trace du passage de ces fameux Gallispans qui sillonnèrent toute la région vers le milieu du XVIIIème siècle, lors de la Guerre de succession d'Autriche. Au col des Fourches, plusieurs panneaux donnent des détails sur le Salso Moreno, sa faune, sa diversité géologique et aussi sur ce nom espagnol bien curieux dans cette région frontalière de l'Italie. En scrutant la carte IGN, je n'ai pas trouvé d'autres exemples de toponymie espagnole. Salso Moreno, "la sauce brune" s'expliquerait par la couleur des eaux du torrent qui charrie, lors de ses crues qu'on imagine assez dantesques, la boue de schistes qu'il arrache aux "Roubines nègres".

Les Roubines négres prises depuis le lit du torrent, pratiquement à sec en ce jour.

Cette explication, reprise à satiété, pratiquement dans les mêmes termes, par des dizaines d'internautes me laissent pantois. Comment, une armée aurait-elle pu avoir l'idée bizarre de séjourner dans ce lieu inhospitalier ?  Par quelle bizarrerie les paysans de la région auraient-ils débaptisé ce lieu pour lui donner un nom espagnol, alors que les Gallispans ne sont restés, au mieux que 6 ans entre 1742 et 1748 ? Mystère. 

Il est vrai que la coalition franco-espagnole (les soldats de Gaulle et d'Espagne, d'où leur surnom de Gallispans) a ravagé la région en essayant de pénétrer en Italie. Ses soldats ont réussi  effectivement à culbuter  les troupes austro-savoyardes,  mais ont dû revenir sur leurs pas en repartant par le même chemin.

Une première tentative eut lieu à l'automne 1743 : "L'an 1743, au mois d'octobre, dom Philip, fils du roy d'Espagne, avec son armée étant de cinquante mille hommes, ont commencé à passer au présent lieu de Molines |Molines en Queyras]". Récit des Transitons de Molines cité par Jean Gallian dans son histoire de la vallée italienne de Varaita.  Ces récits ont été écrits au jour le jour par les habitants de Molines.

On imagine ce que devait représenter la nourriture et le chauffage de tant de soldats pour des communautés villageoises qui avaient déjà de la peine à survivre sans cela : " nous avons été obligés et même forcez à fournir quantité de foin et de paille et outre le bois qu'ils ont coupé dans la commune, étant au nombre de cinquante mille pieds d'arbres, il nous a fallu fournir quantité de bois, tant pour la cuite du pain de munitions que pour le corps de garde."  C'est le curé de Pontechianale, don Bernard  Tholosan, qui tient la chronique de ces invasions successives (cité par Jean Gallian).

 Dom Philippe, l'infant d'Espagne, est à la tête des 2 armées, l'espagnole et la française mais le commandement effectif est délégué à 2 généraux : " Le général espagnol Las Minas dispose de 14 bataillons espagnols auxquels se joignent, sous les ordres du prince de Conti, 12 bataillons français venus par Guillestre et Ceillac. Il dispose en outre de 20 canons ".

Cette armée  se divise en 2 colonnes pour accélérer le passage d'une telle masse d'hommes et d'équipements. Une colonne passe par le col d'Agnel, l'autre par le col de Saint Véran (qu'aucune route ne franchit, pas même aujourd'hui:) : "L’avant-garde espagnole apparut sur le col Agnel. C’était un corps de fusiliers de montagne que l’on appelait "Mignones" ou "Miquelets", une infanterie légère, habilitée à des mouvements rapides en zone alpine, seulement équipée de cordes et de pistolets enfoncés sous la ceinture. 
 
Ensuite, les 14 bataillons espagnols, soit 14.000 hommes, commencèrent, le trois octobre, à s'emparer du col de l'Agnel à 2.748 m d’altitude. La passe du Crapon ayant été minée, l'artillerie passa par le vieux col Agnel. Les 12 bataillons français, soit 16.000 hommes, sous le commandement du général comte de Marcieux, franchirent le col de Saint Véran (2.848 m)". Jean Gallian.

"Voilà que toute l'armée se mit en marche et les miquelets qui le soir d'auparavant s'étaient repliés au bout du col de l'Agnel descendirent les premiers suivis de toute l'armée espagnole ; pour les Français, ils descendirent par le col de Saint Véran. C'était un coup d'œil admirable que cette descente, les différentes colonnes formaient comme autant de torrents qui descendent avec impétuosité du haut des montagnes, avec cette différence seulement que ces troupes marchant avec gravité récréaient la vue par la variation des couleurs dont leurs régiments étaient habillés. Cette descente dura tout le jour, même jusqu'à bien avant dans la nuit, le tout entra cependant avec ordre, et personne ne vint dans nos maisons qu'après que tout fût campé. ..Heureusement pour nous, tous les officiers généraux occupèrent nos maisons, et par leurs logements, ils les garantirent de toute insulte, à l'exception de celles qui n'eurent point d'officiers qui furent en quelque façon détruites. Pour l'Infant Don Philippe ,il logea à la mission, les autres furent logés par billet que je fis moi même avec le fourrier général de l'armée." don Tholosan.

Pistolets à miquelet


Après quelques succès, les Gallispans reçoivent l'ordre de se retirer car l'état-major craignait que les cols ne deviennent impraticables. Et c'est la retraite après une semaine d'opérations.

"A deux heures après minuit, l'armée commença à se retirer, et le Prince [dom Philippe] partit aussi à la faveur de la clarté des flambeaux et lanternes car la nuit était des plus obscures à cause d'un brouillard répandu et le jour étant arrivé il neigeait à grande force, et faisait un froid insupportable ; cette retraite se fit pendant le jour avec beaucoup de gravité et sans précipitation, mais l'artillerie étant embourbée au milieu de la montagne interrompit extrêmement la marche, et fût cause que l'arrière garde dormit au milieu du col de l'Agnel, de sorte que depuis les granges du Rio jusqu'à Molines tout était rempli de monde, d'équipages, et munitions, et de l'autre côté depuis la grange de pagé jusqu'à Saint Véran c'était la même chose. On n'a jamais vu une armée dans une si grande misère. Le froid étant excessif, il gela une grande quantité de monde : et fût cause d'une grande désertion ; on voyait venir les compagnies entières, on ne peut point s'imaginer la perte qu'ils firent, soit en équipages, en tentes, en munitions de guerre, car leurs poudres, leurs boulets, leurs outils, tout y resta : ils perdirent jusque leur chapelles, et plus de six cent mulets ou chevaux  ". 

Ce fut donc un échec complet avec des pertes importantes : 1000 soldats tués ou déserteurs. Le désastre était encore plus grand pour les paysans de la vallée italienne qui n'avaient plus de fourrage et durent abattre leurs troupeaux. Là où il y avait 400 vaches il n'en restait que quelques dizaines. Mais le pire restait à venir.

Chianale.Photo tirée du site de Jean Gallian

L'année suivante, en effet, les Gallispans repartirent à l'attaque mais en juillet, cette-fois-ci, instruits qu'ils étaient de la violence et de la précocité de l'hiver dans ces montagnes. Cette année, il y eut des opérations plus au sud. Le prince de Conti descendit en Italie par le col de Larche (2773 m) à moins de 10 km du col de Pouriac, au sommet du Salso Moreno. Peut-être les Gallispans passèrent-ils en partie par le Salso Moreno pour déboucher près d'Argentera au même point que les troupes qui avaient franchi le col de Larche.

Cette campagne fut victorieuse mais très sanglante, 3500 hommes hors de combat du côté des Gallispans et de nombreux officiers supérieurs tués : le Lieutenant Général Bailli de Givry, grièvement blessé, fut rapatrié par le col jusqu'à Lyon où il mourut.  Jacques François Marie de Thibault, Marquis de La Carte, le colonel Charles Claude Andrault de Maulevrier furent tués ; le colonel Emmanuel Armand de Vignerod du Plessis-Richelieu, fut très grièvement blessé, le colonel Joseph Henry d'Esperbes de Lussan, fut également blessé. "Qui croira que Mont Caval ait servit de cimetière à des marquis, à des comtes et des barons, enfin à un grand nombre de la plus belle noblesse de France, et de Piémont ; cette montagne portait le nom de Bataiole et on ignorait ce qui lui avait donné ce nom ; mais à présent c'est avec juste titre qu'elle le porte, et ces endroits qu'on ignoraient dans les pays étrangers y seront connus comme des endroits fort considérables, et auront place dans les histoires qu'on écrira de ces guerres" dom Tholosan. Qui a dit que les guerres du XVIIIème étaient des guerres en dentelle ?

Du côté piémontais les pertes furent aussi très importantes, y compris parmi les chefs. Mais ce qui impressionna le plus, don Bernard Tholosan, le curé de Pontechianale, ce fut l'audace de ces soldats qui empruntèrent des chemins souvent extrêmement périlleux : "la postérité regardera comme un conte fait à plaisir, le pont de Pierre Longue, et le chemin du Vallonet du côté de Pont, où à peine les brebis y pouvaient aller pâturer, et les bergers ne passaient qu'avec crainte ; cependant on y fit passer une division d'armée, avec des chevaux et de mulets, on jugeait dans nôtre armée ce passage impraticable, et on se tenait assurés de ce côté là, mais l'industrie de l'homme vient à bout de tout ; et nous pouvons dire qu'encore que nos montagnes soient des plus rudes et des plus escarpées, ayant passé là ils pouvaient passer partout ".

 Pontechianale

Malgré tous ces efforts, cette campagne fut inutile comme furent inutiles, pour les Piémontais les travaux de fortification réalisés en hâte depuis l'offensive gallispane de l'année précédente : "à quoi aboutit, cependant tant de fatigues et tant de sang répandu, que servit aux Français d'avoir gagné un semblable poste, et aux nôtres de le défendre avec tant d'opiniâtreté, un peu de fumée de gloire d'avoir vaincu pour les uns, et un peu d'honneur pour les autres de savoir se défendre. Mais : il ne fallait point faire tant de travaux, si on ne voulait mieux les défendre, si les nôtres eussent tenu ferme à la Levée peut être les auraient ils conservées, car la division des Français n'était pas assez forte pour pousser plus loin leur victoire ; mais disons mieux nos troupes ne sont pas bonnes pour la montagne, la plaine leur est plus propre pour combattre, aussi je crois qu'ils ne tourneront pas attendre l'ennemi dans ces gorges-ci, attendu qu'ils ont toujours le dessous". don Tholosan. Pas très gentils pour les Piémontais. Mais le curé ne se cache pas d'être francophile. D'ailleurs tous les noms propres de cette vallée ont, à cette époque, comme en Val d'Aoste, une consonance française (Peyrache, Roux, Levet, Gallian, Marc, Richard ou Brun ). 


L'opération se termine par une scène assez comique : les Piémontais se sont retirés plus bas dans la vallée, les Gallispans sont repartis de l'autre côté de la ligne de crêtes. Don Tholosan peut écrire :"Nous passâmes huit jours en liberté, il ne paraissait ni Français, ni Piémontais ici". Mais un détachement piémontais repasse pour aller franchir les cols, piquer 50 sacs de farine entreposés dans l'église de Molines, puis repartir le coup de main réussi.

Ensuite ce sont 500 Vaudois (alliés du Piémont) qui séjournent 4 jours avant de rejoindre le gros des troupes.

Est-ce terminé ? Non, pas tout à fait : "nous fûmes encore libres pour tout le reste de ce mois, et nous pensions que nôtre tranquillité dût être de plus longue durée, lorsqu'on nous donna avis que Don Juan de Villabe brigadier des armées du Roi d'Espagne, avec quatre mille hommes montait par Molines pour se rendre dans cette vallée ; cette alerte nous replongea dans nos anciens troubles ; il fallut cacher ce que nous avions de plus précieux, et écarter nos bestiaux."

Vous me direz qu'il n'y a rien de comique dans ces allées et venues de la soldatesque. J'y viens, ou plutôt, don Tholosan le raconte : "C'était le huit du mois d'octobre lorsqu'ils parurent sur le Crapon, mais la pluie qui fût abondante dans cet automne là, et qui sur la montagne se convertissait en neige, les fit retourner à Molines ; ils se souvenaient encore de l'année passée . Crainte d'en faire l'anniversaire ,ils ne s'avancèrent pas d'avantage, ils nous envoyèrent un exprès avec une lettre par laquelle il nous demandait une contribution de dix mille livres, à peine d'être saccagés, et brûlés ; pour détourner ces maux de dessus nos têtes nous leur envoyâmes des otages, et ensuite huit vaches avec de l'argent pour payer la dite contribution qui fût réglée à deux mille livres de Piémont compris les vaches ; après quoi les Espagnols s'en retournèrent dans la Savoie.". 

J'imagine que ces Gallispans auraient été bien ennuyés de devoir franchir un col sous la neige à plus de 2850m d'altitude. Mais don Tholosan préféra ne pas prendre de risque. Il en fut d'ailleurs blâmé mais il connaissait les gaillards et savaient qu'ils auraient été sans pitié dans l'hypothèse où ils se seraient résolus à descendre dans la vallée. 

J'arrête là ma chronique militaire au temps des Gallispans. Ma recherche ne m'a pas appris les raisons de ce curieux vocable de Salso Moreno. Peut-être le vallon fut-il occupé un certain temps pas des déserteurs ? Mon hypothèse ne vaut guère mieux que celle de cet internaute qui voit l'origine de cette expression dans la proximité de Briançon, ville dont on sait qu'elle exporta nombre de ses enfants en Amérique du sud. Je ne vois toutefois pas le lien explicatif, les émigrants ne sont pas revenus dans ce petit coin de montagne après avoir appris l'espagnol !

En revanche, un autre fait militaire dans le vallon est attesté : l'invasion du Salso Moreno et l'attaque du Col des Fourches par les troupes mussoliniennes en juin 1940, lors de la "courageuse" déclaration de guerre de Mussolini à la France vaincue. Partout, sauf à Menton, ce fut un échec. A Salso Moreno également. Les Alpini infiltrés par le col de Pouriac sont repoussés le 21 juin par les chasseurs alpins de la section d'éclaireurs skieurs (SES) du 73ème bataillon alpin de forteresse (73ème BAF).



Ils reprennent l'offensive le 23 juin à l'aube avec un appui d'artillerie. Profitant du brouillard, ils parviennent jusqu'au pied du Col des Fourches mais sont finalement rejetés hors du Vallon par le tir croisé des FM des SES et de l'artillerie des blockhaus du col. Seize Alpini se rendent dans le lit du Salso Moreno.



Peintures murales du camp des Fourches (ici Joséphine Baker ).

Riquet Dufour, le frère de ma mère, n'est pas loin, un peu plus au sud, à la hauteur de Péone. Il est sous-lieutenant de la SES du 74ème BAF. Voici près d'un an qu'il s'entraîne avec acharnement car c'est un skieur intrépide et un marcheur infatigable. Mais l'offensive italienne a lieu fin juin. Les skis sont bien inutiles. Je ne sais pas s'il eut à combattre et s'il participa à l'arrêt de la colonne italienne qui se dirigeait vers Péone mais ne put franchir la Tinée. Sans doute. Il est mort à 39 ans de la tuberculose, en 1956 et je ne songeais pas à l'époque à l'interroger sur une guerre dont j'ignorais jusqu'à l'existence.

Le sous-lieutenant Henri Dufour en février 1940.

Il faudra qu'un jour je cherche à Vincennes ce qui s'est passé. J'y pense pendant que je chemine, absolument seul, vers le bas du Salso Moreno.


Seul, pas tout à fait. Un renard paressait au soleil sur le chemin devant un de ses terriers. J'avance contre le vent et il me repère au dernier moment.


Il bondit dans la pente.



Quand il atteint la rupture de pente qui va le cacher définitivement à ma vue, il s'arrête brusquement, tourne la tête pour vérifier si j'ai bougé ou non et c'est sans doute rassuré qu'il plonge vers le lit du torrent. Ce sera le seul animal que je verrai, à l'exception des oiseaux et de marmottes dont j'entends seulement les cris d'alerte.







Arrivé au bas du vallon, je n'ai plus qu'à remonter les 4 ou 500 m de dénivelée qui me sépare du col de Pouriac.


Le Pel Brun, qui domine le col

De l'autre côté de la vallée de la Tinée, vers Auron, d'autres vallons supendus.


Un premier lac, au pied du Pel Brun commence tout juste à geler.

Mais, en marchand, je progresse vite dans le temps car l'altitude permet accélérer (ou de ralentir) la venue des saisons. Je me souviens des randonnées à ski du mois de mai : on quitte le printemps pour replonger avec délices dans l'hiver, comme si l'on remontait le temps. Aujourd'hui, au contraire, je le fais  survenir plutôt à mesure que je monte. 

Voici donc l'hiver. Le lac sous le col est gelé.



Voici le col.


Un dernier trou d'eau gelé.


Et c'est l'Italie qui apparait.
Juste au col, je trouve des traces curieuses que je n'ai pas réussi à identifier.























Elles s'entremêlent avec des traces plus inquiétantes.

Des traces de loup ? Pourquoi pas ? ou plus raisonnablement des traces de renard. Ce qui est certain ,c'est qu'il ne s'agit pas de traces de chien. Au col, comme partout où je suis passé, je suis le seul à laisser des traces humaines. Et, pas d'homme, pas de chien.

Je n'ai guère le temps de m'attarder. Je suis parti tard, vers 14h, du camp des Fourches et le soleil est bien bas sur l'horizon. Je n'ai pas le temps de rechercher d'autres traces. Il faut partir car j'ai encore 2 heures de marche.

 Autoportait !

 

L'ombre me rattrape et bientôt seuls les sommets éloignés sont dans la lumière.


La lune se lève.



Un dernier éclat de lumière mauve.



Puis tout bascule dans le bleu de la nuit.

Quand j'arrive au col des Fourches, le Salso Moreno retourne au calme, aux loups et aux renards.


Le hasard m'offre en arrivant au camp des Fourches un dernier symbole. Devant moi, l'image sinistre du camp militaire, vestige d'un passé qu'on espère révolu, sans y croire tout à fait.



Au dessus de moi, un avion tout rosé de soleil transporte vers Paris ses touristes insouciants,  peut-être les descendants de ces Italiens qui essayèrent, il y a 70 ans, d'envahir un vallon que leur disputaient, avec le même acharnement et la même haine, les compagnons de guerre de mon oncle.