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lundi 29 septembre 2014

Courte halte au musée Zadkine de la rue d'Assas



En ce tout début d'après-midi d'un dimanche ensoleillé, il n'y a pratiquement personne dans le petit musée installé dans l'ancien atelier d'Ossip Zadkine et le personnel est plus nombreux que les visiteurs.

Je ne sais pas pourquoi je n'y étais jamais entré auparavant alors que j'ai habité 20 ans près de son entrée discrète. L'annonce qu'il rouvrait en octobre 2012 réveilla ma curiosité. Une curiosité bien assoupie puisqu'il m'a fallu 2 ans pour m'y rendre !

On entre par un étroit passage, le long d'un mur aveugle impressionnant qui donne un sens concret à cette "pression immobilière" qui pèse sur le moindre espace sous-utilisé.


Le petit espace où l'on pénètre n'est guère engageant. Mur aveugle, portail soigneusement opaque devant une belle maison d'architecte, voitures... Mais il y a ces grands arbres, le sentiment d'entrer dans un petit coin de province abandonnée. 


Il faut poursuivre, le musée est sur la droite. Dès qu'on a pénétré dans le petit enclos, les immeubles ne semblent plus agressifs ni menaçants, ils font comme une muraille protectrice.


On se précipite à l'intérieur, attiré par la lumière...


... intrigué par les formes que l'on devine depuis le jardin.


Je n'ai pas l'intention de gloser sur les œuvres. Je n'ai aucune qualité pour le faire. Je me contente d'une ballade, paresseuse, amusée, émue.

Les œuvres ne sont pas trop nombreuses, la présentation aérée. Je fais un premier tour pour profiter, d'abord, de l'atmosphère, celle que j'aime dans les musées de province, le dimanche matin, quand on est seul à faire craquer les lames de parquet de salles que le silence rend encore plus sonores.

Ici aussi le parquet grince. On échange ses impressions en chuchotant car l'espace est étroit. On a clairement l'impression d'être entré par effraction dans un lieu privé. On est bien loin du Paris des grands musées où la bousculade décourage les meilleures intentions.

Puis je suis repassé pour revoir  ce que j'avais aimé. Dernier tour enfin pour me laisser aller à mon vice et prendre quelques photos.

Voici donc ces quelques photos, notamment des oeuvres du début que je ne connaissais pas. J'ai été particulièrement touché par le caractère d'ébauche de nombreuses sculptures. On perçoit encore le bloc, de pierre ou de bois, dont la forme fut tirée. Matériau et formes continuent de coexister, un peu comme dans l'art baroque où le personnage émerge du rocher comme s'il en était le prolongement.



Zadkine en 1930

Découverte aussi pour moi, les bustes sculptés dans des matériaux très divers.










Je continue la liste de mes étonnements. Ces grandes statues de bois, gravées comme des Modigliani.




Une oeuvre composite : le Sculpteur


Plus dérangeant encore, ces médaillons décoratifs :



Avec ce joueur d'accordéon, on se rapproche enfin du Zadkine cubiste que je connaissais.


L'oeil fermé, la tête penchée en arrière...


Nous pouvons alors sortir dans le jardin




Les frères Van Gogh



Et puis surtout, il y a naturellement, sous différentes formes, "la Ville détruite" réalisée en 1951 pour commémorer le bombardement nazi de Rotterdam en mai 1940. 



De n'être pas sur une place de la ville reconstruite mais au milieu des arbres, la sculpture prend une signification différente. L'imprécation ne s'adresse plus aux barbares dans leurs machines faites de main d'homme, mais aux dieux et à leur création.Les arbres, qui forment comme un écrin, pour les autres sculptures, sont ici des obstacles, des ennemis que l'on cherche à repousser.




Je termine sur une note plus douce.



En un mot, il faut y aller, paresser dans le jardin assis sur des billes de bois. Sans doute, le lieu a dû perdre de sa magie d'antan. Difficile de trouver dans cet endroit si joliment ripolinée le souvenir d'une maison habité et d'un atelier poussiéreux.

Photo tirée du site (très joli lui aussi) du musée.

Je ne connaissais pas cette photo avant de prendre la mienne. L'axe n'est pas le même mais la juxtaposition des 2 suffit à montrer que l'on n'est pas vraiment dans les mêmes lieux.


Le conservateur explique d'ailleurs fort bien que les travaux n'ont pas cherché à restituer un état originel, sans doute difficilement compatible avec le projet de renover le musée. Et d'ailleurs quelle restitution pour un ensemble qui a naturellement évolué profondément en plus de 80 ans.

On a donc cherché à évoquer les fonctions des bâtiments, habitation, atelier par des touches si subtiles que je ne les ai pas perçues lors de ma visite. Il faudra que je revienne.

Cette rénovation a pris un an, d'octobre 2011 au même mois de 2012. 

Juste avant, le musée a connu une longue période d'incertitude. En janvier 2011, le fils naturel que Ossip Zadkine avait eu à 70 ans  avec une jeune danoise, Nicolas Hasle, a revendiqué l'héritage de son père en demandant l'annulation de la dotation faite par l'épouse légitime du sculpteur, Valentine Prax. Nicolas Hasle avait été débouté en 1ère instance. Il avait fait appel.

Ossip et Valentine.

Finalement, le 21 septembre 2011, la Cour d'Appel confirmait le 1er jugement. Les travaux pouvaient commencer. J'imagine qu'ils avaient été programmés bien avant mais je suis sûr que la Ville de Paris, propriétaire du musée et de sa collection, avait suspendu leur exécution dans l'attente du jugement.

Deux articles du Monde et du Nouvel Observateur racontent cette histoire qui vaut plus que l'anecdote. On voit notamment Valentine déchirée jusqu'à la fin de sa vie entre sa rancœur contre la jeune maîtresse et une certaine idée de la justice. Finalement elle ira jusqu'à cacher des documents, y compris un testament en faveur de l'enfant, non, sans doute, pour des motifs malveillants ou mercantiles mais parce qu'elle ne voulait pas que la collection soit dispersée.

Le Nouvel Obs :
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20110629.OBS6102/la-ville-de-paris-devra-t-elle-rendre-les-uvres-de-zadkine.html

Le Monde :
http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2011/01/19/le-fils-sans-heritage_1467657_3246.html

Aussi, en hommage à Valentine Prax, terminons par un de ses tableaux.


samedi 13 septembre 2014

Promenade provençale dans les jardins du Domaine d'Orvès



Il n'est pas très tôt, mais il est plus que temps de descendre, en cette matinée de juin, dans les jardins du Domaine d'Orves encore endormi.

On devine à peine, au fond du jardin, le petit chérubin...


... qui se laisse apercevoir une heure plus tard.







Les bassins qui s'étendent en dessous de la terrasse commencent juste à être caressés par les rayons du soleil.






Les fleurs de nénuphars ne sont pas encore ouvertes...




...mais les grenouilles sont déjà bien réveillées. Dès qu'elles m'aperçoivent, elles se figent, comme beaucoup d'animaux qui pensent tromper ainsi leur prédateur. J'ai beau ne pas lui vouloir du mal, celle-ci préfère prendre le large.




Puis elle se fige à nouveau, prête à foncer derechef.



Je sors du 1er enclos qui entoure la bastide pour monter. Monter vers le soleil et la chaleur.


Je passe devant une petite maison charmante dans son laisser-aller provençal ....





et je monte quelques dizaines de mètres pour passer derrière la bastide.

Derrière la bastide, un jardin touffus, des allées à peine dessinées tant la végétation est dense et foisonnante.









Un spot de soleil, et les gendarmes sont déjà en train de s'accoupler.


Nichée dans la verdure, la bastide ne se dévoile que par morceaux.







Au fond de ce petit jardin clos, la chapelle qui a renoncé à sa vocation première .


Et une porte qui permet de monter vers les restanques qui s'étagent sur toute la colline.




On monte alors progressivement vers la lumière.







Les bourdons sont déjà au travail.





Le soleil a beau monter dans le ciel, la végétation est si épaisse que l'on traverse encore de longues étendues à couvert. Au frais donc.



Et quand on lève la tête, on se croit dans quelque contrée tropicale luxuriante.





Puis on arrive à ces restanques ensoleillées qui marquent la transition, douce, entre le jardin botanique et la nature provençale du haut de la colline.



En chemin, on aura rencontré quelques "fabriques", témoignages du passé agricole du domaine.



L'aire de battage devenue aire de repos ...


... et le bassin, devenu piscine.


C'est plus tard dans la journée, qu'il fera rêver de baignade paresseuse.



En attendant descendons tout en bas du domaine, dans le jardin d'eau qui étire ses longs bassins au milieu des fleurs.




Je ne sais pas pourquoi cette abeille se noie sous l'oeil intéressé de cette grenouille qui se prend pour un crocodile.




Tous les nénuphars ne sont pas encore ouverts. Après tout, il n'est qu'un peu plus de 9 h.



A contre-jour, d'autres prennent des teintes métalliques étonnantes.



Il fait encore frais et les grenouilles aiment autant rester sur la berge que se mouiller les pattes sur les feuilles de nénuphars.




Plus tard dans la journée, il n'en sera pas de même, quand je reviendrai dans l'enclos pour profiter de la fraîcheur des grands platanes de la terrasse et du doux murmure de l'eau qui s'écoule dans les bassins en dessous.






Il fait chaud...


 ... et l'on croirait que certaines grenouilles recherchent l'abri d'une feuille de nénuphar...


....à l'instar des fleurs elles-mêmes.



Pas étonnant que grenouilles cherchent à se rafraîchir le poitrail dans le clapotis des bassins. Du coup c'est la surpopulation.




Je m'aperçois alors qu'elles sont loin d'être toutes semblables, ces chères petites rainettes.









J'avoue que j'ai passé beaucoup de temps à les observer, aussi discret que possible.Enfin, discret, pas tant que cela car je voulais réussir à saisir sur le vif un de leurs bonds spectaculaires. Pour cela, il fallait bien que je les dérange !

J'ai fait je ne sais combien de tentatives, sans jamais réussir à photographier ne serait-ce qu'une patte arrière. Il a fallu me contenter de scènes plus paisibles.

J'adore les voir remonter sur la margelle, avec souplesse et délicatesse, comme si elles voulaient ne pas peser sur la pierre chaude.






ou celle-ci encore



Mais, mon plaisir, c'est d'essayer de fixer leur nage rapide à défaut de saisir leurs sauts. Pour celle-ci, j'ai eu la chance d'enregistrer le début de son sprint.





...et la voilà qui réapparaît, toute fière d'elle, de l'autre côté de la feuille.


Là, au contraire, c'est loupé !



et de rigoler...


Bon, une dernière séquence et j'arrête.




Tout à mes petits jeux, j'ai mis du temps à m'apercevoir qu'il y avait d'autres hôtes de ces eaux et à comprendre que ce trait bleu, flou et fugace, qui traverse mon viseur était un petit animal curieux.


On le voit, tout en haut, à droite, qui bouge dans l'univers parfaitement immobile de ces grenouilles. Mais s'agit-il d'un animal ou plutôt de 2 ?


Mais oui, il s'agit bien de 2 animaux, 2 libellules accouplées. Ici, elles sont en formation de vol à grande vitesse, l'une dans le prolongement de l'autre, fonçant tête baissée vers on ne sait où.

La plupart du temps, elles sont plus paisibles et l'on comprend alors comment elles sont accouplées : le mâle saisit le thorax de la femelle avec l'extrémité postérieure de son abdomen. Il se dresse au dessus d'elle, comme une grue élévatrice.



Une fois posée, la femelle recourbe son abdomen.


J'ai essayé de comprendre ce manège. En fait, l'accouplement complet se réalise dans une figure complexe, la femelle recourbant complètement son corps sous celui du mâle  pour aller se fixer sous celui-ci et en recueillir le sperme. Cette figure étonnante, qui évoque un coeur, je ne l'ai pas vu malheureusement. Le moment est-il passé en ce début juin ou bien n'a-t-il pas eu encore lieu ? Je ne sais.

J'ai lu que suivant les espèces, le comportement du mâle est différent. Dans certaines, le mâle relâche la femelle après la fécondation des œufs. Dans d'autres, et cela semble être le cas ici, le mâle reste agrippé à sa femelle jusqu'à la ponte des œufs, pour s'assurer, comme un mari jaloux, qu'elle ne fera aucune rencontre susceptible de lui fabriquer des bâtards.

Est-ce que la femelle est en train de pondre quand elle recourbe son corps et l'applique fermement sur le support de la feuille ?


Autre constatation, les couples ont tendance à s'agglutiner. Quand un couple se pose, bien vite un autre arrive, puis un autre...

Dans l'image qui suit, le couple qui arrive par la droite est encore en position de vol, le corps de la femelle bien droit.


Puis la petite troupe s'agrandit, comme s'il n'y avait pas d'autres feuilles.


En cet après-midi de juin, je ne cherche pas encore à comprendre le manège de ces belles, je cherche à les photographier. Mais elles sont minuscules, bougent tout le temps et le plan de netteté est si étroit que je ne peux avoir les 2 membres du couple nets en m^ême temps.

Tantôt, c'est la femelle...


... tantôt c'est le mâle.


Parfois, les 2 sont à peu près nets, quand le couple veut bien se mettre dans le même plan, mais c'est rare.



Je n'ai vu qu'une seule libellule solitaire. Mâle ou femelle qui n'aurait trouvé son conjoint ou sa conjointe ? Mâle ou femelle libéré de ses obligations reproductrices ? Je ne sais.


Dans ce monde foisonnant, on n'a pas le sentiment qu'il y ait place pour la moindre originalité. J'ai pourtant vu un couple inhabituel, une sorte de couple mixte qui aurait refusé de se plier à la loi commune de la tribu.

On le voit arriver par la droite puis se poser au milieu des autres mono-colores.



Quand je suis en chasse, qu'il s'agisse d'insectes ou de chamois, je ne vois pas le temps passer, ébloui par ce monde animal dont je suis bien convaincu de lui appartenir même si je n'en comprends plus les règles. Le temps est donc passé.

Le soleil effleure une dernière fois la façade de la bastide.


et c'est un soir, comme tous les soirs, où tout s'apaise avant l'agitation de la nuit, une autre agitation, celle de tous les animaux qui reprennent possession de la terre, maintenant que les hommes l'ont abandonnée pour se réfugier dans leurs demeures de pierre.

Mais ceci est une autre histoire. Car il y a plein d'autres histoires à raconter sur ce jardin botanique aux centaines d'essences différentes. Mais je suis trop paresseux pour le faire et vous pouvez venir dérouler vous-mêmes celle qui vous ressemble.

Le Domaine d'Orvès, à La Valette du Var, près de Toulon, est ouvert au public tous les week ends et jours fériés d'avril à septembre.