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lundi 1 décembre 2014

"C'est pas un cygne de rivière, c'est un cygne d'étang"


Petite histoire de cygnes. De cygnes d'étang comme dans la chanson de Francis Cabrel (et non de cygnes de rivière). Petite histoire anthropomorphique que certains pourront trouver exagéremment sentimentale comme les textes du chanteur. Mais peut-être moins éloignée de la réalité qu'on ne le croit. Les cygnes sont strictement monogames et leurs couples sont durables. Le mâle n'est pas seulement ce vaniteux qui fait la roue avec une grâce qui mêle l'arrogance à la préciosité, comme un petit marquis du XVIIIème siècle.



C'est aussi un époux qui aide sa femelle, contrairement à nombre d'autres oiseaux aquatiques, dans la confection du nid familial.

Pour preuve de sa délicatesse, voici ma petite anecdote en images.

Il était un jour (un jour de fin novembre) une femelle qui se livrait seule à sa toilette sur ue petite ile de l'étang.


Voici qu'elle est rejointe par son mâle qui la hèle doucement.


Elle lui fait un petit signe (sic !) de tête pour montrer qu'elle l'a vu et se remet aussi vite à sa toilette.


Lui amorce un large virage pour ne pas la gêner...


... et se hisse doucement à côté d'elle comme s'il ne voulait pas la déranger. Et d'ailleurs, elle ne se dérange pas.


S'en suit un joli ballet dont on ne peut imaginer qu'il soit totalement fortuit.


Les gestes ne sont pas strictement identiques, même lorsqu'ils le paraissent (comparer la photo ci-dessus et celle ci-dessous. Quand l'un ouvre le bec, l'autre le ferme et vice versa. Mais c'est bien coordonné malgré tout.






Puis la femelle semble avoir terminé. Elle esquisse un pas comme pour bouger. Mais elle se ravise et se remet à sa toilette. Lui est sur le qui-vive, près à partir. Puis, il continue à se laver, puisque c'est ce qu'elle veut.



A partir de ce moment, leurs gestes sont bizarrement désynchronisé. Quand t'es à droite, je suis à gauche, quand t'es en bas, je suis en haut. Petite mauvaise humeur ?




J'ai manqué le moment où la femelle a enjoint au mâle de bouger. J'ai bien vu la scène, l'oeil collé à mon appareil de photo, mais j'ai mis du temps à la comprendre et j'ai déclenché trop tard. On pensera sans doute que j'ai de la peine à imaginer que c'est la femelle qui décide de tout. Quand il faut faire sa toilette, quand il faut cesser, quand il faut partir... Et pourtant, c'est bien ce qui se passe dans la vie des hommes aussi.

Comme il met du temps à se mettre en route, elle lui crie dessus. Dommage que vous ne puissiez l’entendre.Il semble même un peu agacé, mais il s'exécute.

Je n’interprète pas le geste de la femelle, cou tendu vers le mâle. Ce sont bien des cris qu'elle lui jette dessus. Je les ai entendus.


Du coup, ils retrouvent une entente parfaite, comme s'ils étaient le miroir de l'autre.



Oserait-on interpréter ce geste comme un témoignage d'affection ?



Et ils s'en vont de concert, elle devant, lui derrière.


Juste à côté, un cygne solitaire qui fait le beau. A moins qu'il n'attende l'âme sœur.



L'ensemble de cette scène a duré exactement 10 minutes comme l'atteste l'horodatage de mes photos. Celles-ci sont disposées dans l'ordre exact de la prise de vue, sans aucun changement. Cela suffira-t-il à vous convaincre de la véracité de mon récit ?

mercredi 26 novembre 2014

Un samedi de novembre au Lac du Der


Le soleil est déjà levé sur le Lac du Der. Je suis en retard. Les grues cendrées ont commencé leur vol vers les champs alentour. Mais elles sont si nombreuses que les vagues se succèdent encore sans relâche, dessinant comme des portées musicales sur fond de ciel doré.

PS. N'oubliez pas d'agrandir les photos en cliquant dessus pour les regarder plein écran. Beaucoup sont totalement illisibles dans le format natif du blog.



Parfois, l'écriture devient trop nerveuse pour être intelligible.



Les escadrilles se font moins nombreuses, au fur et à mesure que la couleur du ciel retrouve des tonalités moins chaudes. Le jour est levé.







Non loin de là, plus au sud, tout dort encore malgré le vacarme des grues.





Une aigrette que le soleil éclaire par en-dessous, a pris son envol, tout là-haut, ...


...mais au sol, la nuit se prolonge encore.

Ici...

et là où l'on commence à lever la tête, parce que quelque chose est en train d'arriver à grande vitesse.



Le calme est, en effet, brusquement troublé par une horde désordonnée de cormorans.



Ils ne font que passer et ce groupe d'aigrettes qui semblent emmitouflées dans leur manteau de plumes comme des bergers des montagnes, ne s'est pas réveillé.


Les cormorans poursuivent leur route rectiligne...


...jusqu'à cette langue de terre où ils s'agglutinent, semant la perturbation parmi ces autres grandes aigrettes qui semblent mépriser leur agitation toute plébéienne, en leur tournant délibérément le dos.



Le répit est de courte durée. Un couple de cygnes les survolent dans un lent et profond battement d'ailes.



Est-ce leur passage qui excite à nouveau les cormorans ?



Quoi qu'il en soit, les aigrettes se retrouvent seules, prêtes, elles aussi, pour le départ.


Elles ne vont pas bien loin et je les retrouve un peu plus tard, en plein soleil.



Et, une fois de plus, les cormorans viennent leur casser les pieds !


Mais il est près de 10h30. Voici plus de 2 heures que je longe le Lac du Der. Les grues sont parties depuis longtemps. Il est temps de partir à leur recherche.

Partir à leur recherche ? Voilà une expression bien pompeuse et que l'omniprésence des grues dans toute la région rend complètement fallacieuse. Elles sont partout dans le ciel. Parfois très haut, à peine visibles.



Parfois toutes proches



Elles se déplacent dans les formations les plus diverses.
Bien en ligne, offrant comme une décomposition pédagogique de leur vol..


..ou bien en formation d'escadrilles de bombardiers.



Il est impossible pour un mortel condamné à rester au sol de trouver la moindre logique à cette cavalcade en toutes directions. Et partout le boucan incessant de leurs cris. Je m'amuse à repenser à mon excitation lorsque j'ai entendu, d'autres fois, en des lieux très divers, ces cris des oies ou des grues cendrées, comment je me suis précipité pour essayer de les apercevoir. Ici, on se demande plutôt comment leur échapper.

Mais je ne me plains pas. Je pense juste aux habitants qui en ont peut-être assez de tous ces cris et surtout aux paysans  qui estiment qu'ils ne sont pas indemnisés à hauteur des dégâts causés. C'est vrai qu'on voit partout des grues cendrées aux abords des fermes, comme si elles faisaient progressivement partie du cheptel.

Je m'étais arrêté pour admirer ce magnifique taureau.



Sa barbe digne d'un héros grec et ses cils soyeux ne suffisent pas à le rendre tout à fait bonhomme.


En fait, juste derrière lui, il y avait une bande grues. Pas tout près, d'accord mais bien présentes.



Je me suis approché et à ma grande honte, je les ai dérangées.



Elles sont parties rejoindre tout un troupeau en lisière de forêt.




Encore celles-ci sont raisonnables. Elles picorent les chaumes de maïs que l'on a laissés volontairement par terre pour les nourrir. Mais il en est d'autres qui vont tranquillement se nourrir dans les champs ensemencés malgré les épouvantails plantés par les agriculteurs.


et comme s'il n'y avait pas suffisamment de place, elles en profitent pour se chamailler.



Ce problème de l'invasion des grues devient de plus en plus aigu car avec le radoucissement des hivers, beaucoup de grues ont raccourci leurs migrations. Pourquoi descendre jusqu'en Espagne alors qu'il ne gèle pas en Champagne et que l'on peur continuer à s'y nourrir ? Les grues sont aussi paresseuses que nous. Elles ne se sentent aucun devoir écologique de continuer leurs migrations si celles-ci deviennent inutiles. 30 000 grues seraient ainsi restées aux abords du Lac du Der pendant l'hiver 2013-2014. C'est parait-il, la même chose pour les canards ou les pigeons ramiers. Je l'ai constaté dans mon étang de Draveil avec les oies bernaches qui sont de plus en plus nombreuses à hiberner en Région parisienne
(cf. ma chronique : http://www.leschroniquesdemichelb.com/2011/02/barefoot-hivernal.html)

Les grues ne sont pas les seuls chapardeurs qui maraudent dans les champs cultivés.

Je m'arrête au bord de la route simplement pour admirer cette lisière de forêt, sans autre idée en tête que de profiter de cette matinée d'automne..


..quand j'aperçois ces chevreuils que je n'aurais sans doute pas vus en roulant. Ils batifolent tranquillement...


...mais ils me repèrent rapidement.


En fait, obnubilé par ces 3 chevreuils au loin, je ne vois ce jeune qui me fonce dessus.


Il est malheureusement à contre-jour, ce qui n'est pas génial pour mes photos. En revanche, je dois être pour lui en pleine lumière. Malgré cela, il continue à courir doit sur moi. Droit n'est d'ailleurs pas le mot juste, car on dirait qu'il se tortille autour de la ligne droite.




Enfin, à environ 30 m, il comprend que je ne suis pas un copain, même si je ne lui veut aucun mal et il bifurque brusquement.




Tout ceci se passait tout près de ce beau manoir.


Car, ce qui fait le charme de cette ballade d'après-midi, en attendant le retour des grues sur les bords du lac, c'est la beauté du pays. Beauté des paysages...


....mais surtout beauté de son patrimoine et notamment de ses églises. Toutes ne sont pas à pans de bois ; ainsi celle de Droyes que longe ce groupe de hollandais à vélo. (L'Europe du nord, Belges, Hollandais, Allemands semblent suivre la migration des grues, avec un matériel de prise de vue aux dimensions impressionnantes qui me fait envie)


Mais voici la toute simple église de Chatillon sur Broué, première église quand on se dirige vers le sud.



Curieux tableau d'autel d'une représentation rare de la résurrection comme absence.



Toutes ces églises ont gardé leur enclos et le cimetière est encore utilisé. Je me suis amusé (pardon pour ceux dont la mort de leurs proches est une souffrance) de ces 2 tombes et notamment de celle en arrière plan : il ne faudrait pas confondre la famille Ribout avec cette autre famille Ribout ! Heureusement que le graveur a bien fait la distinction.


Quant aux oiseaux, il n'y a pas que des grues ici. Ah mais ! pense cet élégant hochequeue.


7 kilomètres vers le sud, et c'est la charmante église de Puellemontier avec ses vitraux du 16ème.




Le vitrail de la chapelle est entouré de 2 statues polychromes.




L'une du 16ème


l'autre du 18ème siècle.


Les vitraux de l'abside sont très colorés.









La joue du personnage de droite semble poussée par le plomb du vitrail. 


Enfin, la verrière de la chapelle de gauche :



Le cimetière entoure cette église aussi. J'ai noté ce curieux monument en l'honneur de la famille du marquis de Meyronnet venue lors de la Révolution d'Aix en Provence jusqu'ici où elle s'est éteinte sans descendance. L'artiste a voulu reprendre la disposition du Golgotha avec Jésus et les 2 larrons. Pas de problème pour représenter le bon larron mais comment attribuer le personnage du mauvais larron à un membre de la famille. Il a résolu le problème en triplant la figuration du Christ, avec 2 Jésus identiques, de part et d'autre, mais dans la position classique des 2 larrons.

J'aimerais penser que cet embarras n'était que feint et que le commanditaire, peut-être le fils, a voulu marquer son mépris pour Alphonse Antoine Jean marquis de Meyronnet décédé en 1861.



Autre curiosité à proximité de l'église, le poste à incendie.


En face des pompes à incendie, cette ferme qui atteste dans son naturel négligé que l'architecture à pans de bois n'est pas réservée aujourd'hui aux fermettes des citadins.




et toujours le piaillement des grues.


Encore 7/8 kilomètres, vers l'ouest cette fois-ci, une autre église à pans de bois et vitraux Renaissance, celle de Lentilles.




La nef est très vaste avec ses collatéraux solidement charpentés. L'abside incurvée présente des vitraux Renaissance assez sommaires.


En face, un maison particulière lui répond.


Pour retrouver de magnifiques vitraux, il faut remonter quelques kilomètres vers le nord, en direction du Lac du Der, à Chavanges. Une église "classique" mais de superbes vitraux du 16ème, notamment en grisaille.







"Offrant à Dieu cette verrière, pour moi, faites une prière" 

Remarquez les couleurs de ces animaux qu'on dirait tirées d'un tableau de Chagal.

Près de l'église, encore une maison traditionnelle restaurée pour accueillir une bibliothèque.



Mais il est encore trop tôt pour assister au retour des grues. Je m'arrête à l'étang de La Horre. Pas de grue dans ce trop petit espace pour elles, mais des aigrettes, des cormorans, des oies cendrées, des vanneaux, des cygnes, etc, le tout en quantité.

Comment se lasser de la beauté et de l'élégance des aigrettes ?







Son corps est d'un blanc si éclatant qu'il reflète les ridules de l'étang comme s'il s'agissait d'un écran.


Elle aussi elle crie !












Le héron cendré parait bien pataud à côté, malgré sa magnifique voilure.









Sur une petite langue de cailloux et de sable, au milieu de l'étang, les oiseaux s'entassent et circulent inlassablement, arrivant, repartant, pour des raisons connues d'eux seuls. A moins que ce soit les cygnes qui aient fait sortir ces cormorans de la douce quiétude de cet après-midi d'automne.



Le mouvement se propage comme une onde. Voici les oies cendrées qui s'y mettent.


Quelques instants plus tard, elles volent en plein ciel.


3ème vague, la foule dense des canards que fuient les hérons dégoûtés par cette agitation vulgaire


4ème vague, celles des vanneaux, aussi grégaires que les étourneaux.


Ont-ils été entraînés par ces grèbes agitées ?








Quoi qu'il en soit, les voici en vol.



La petite plage retrouve alors son calme. Ne restent que ces grands oiseaux aristocratiques. On se respecte, on ne se bouscule pas les uns les autres, on ne crie pas son affolement, on médite. Et quand on bouge, c'est avec des gestes amples et lents qui ne troublent pas l'ordre immuable du monde.






La lumière commence à décliner d'autant plus que le temps se couvre. Il faut retourner au Lac du Der.


Juste à côté de cette réserve naturelle de l'étang de La Horre, une battue au chevreuil est en train de se mettre en place. Paisiblement pour l'instant. Ce chasseur, fort sympathique au demeurant, me demande avec insistance de le photographier. Je passerais mon temps à photographier des animaux et pas lui ?

J'aime bien son humour, cet humour faussement cynique des gens qui se savent mal-aimés. Par ces écolos qui préfèrent la chasse photographique et les prennent pour les survivants de l'âge de pierre.

Je ne suis pas de ceux-là et prend plaisir à discuter avec lui. Il m'explique qu'il y a peu de chances que la chasse soit fructueuse car les feuilles ne sont toujours pas tombées, faute d'un coup de froid suffisant. Les chiens auront de la peine à trouver le gibier.


Et dire que je moque des chasseurs du sud, qui font 10 mètres à pied depuis leur 4x4 et attendent le gibier au bord du chemin avant d'aller festoyer bruyamment ! Ils restent au moins debout et non bien assis sur leur pliant. J'admire aussi les belles tenues camouflées recouvertes d'un gilet orange flashy. Je me renseigne. Oui, j'ai le temps de passer, les chiens sont encore loin.


Au Lac du Der, le retour est déjà bien amorcé.







Avant de repartir le lendemain matin (la lumière n'était plus aussi belle), je suis allé visiter la cathédrale de Vitry le François. Je n'en parlerais pas si quelque chose m'avait intrigué puis touché.

Je l'avais déjà prise en photo le soir de mon arrivée, face à sa place d'armes qui rappelle la vocation guerrière de la cité.



Elle ressemble beaucoup à l'église Saint Sulpice où j'ai tant joué avec mes enfants.


Il y règne la même atmosphère étrange : toute lumineuse qu'elle soit, elle ménage des surprises d'autant plus étonnantes qu'on ne s'y attend pas.


Dans la 1ère chapelle du collatéral droit, c'est bien une surprise qui attend le promeneur dans ce paisible dimanche matin.



Une exposition a été organisée pour rendre hommage aux femmes (notamment religieuses) et hommes qui ont soigné dans la cathédrale les soldats allemands lors de l'offensive d'août/septembre 1914 qui amena l'armée ennemie au delà de Vitry.

Dans un premier temps, j'ai souri devant le caractère un peu kitsch de cette représentation avant de reconnaître qu'il y avait quelque chose d'émouvant à montrer cette fraternité de la souffrance.

Et je suis reparti.


PS. J'avais publié déjà une chronique sur le Lac du Der :
http://www.leschroniquesdemichelb.com/2010/11/champagne-pour-les-belles-qui-font-le.html