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samedi 18 septembre 2010

Un étrange concubinage dans les années 30 (1730 !)


Une histoire d'amour au Pays de Gex

La volupté selon Greuze
Cette histoire est plutôt rare au XVIIIème siècle. Pour tout dire, je n’en connais pas d’autres exemples. Les relations extra-conjugales sont fréquentes au XVIIIème siècle, comme de tout temps, mais ce sont surtout des relations pré-conjugales qui se régularisent peu de temps avant la naissance du 1er enfant. Les liaisons qui ne débouchent pas sur un mariage sont rares, une tous les 4 à 5 ans dans une paroisse comme Collonges. Elles sont peut-être plus nombreuses que ce que l’on en voit dans les actes de baptême,  puisque, sauf absence prolongée du mari, les actes ne peuvent enregistrer le fruit des adultères féminins, impossible à distinguer à l’époque du fruit légal du mariage. Mais on peut douter que les épouses, accablées de grossesse tous les 2 ans, voire tous les ans quand le précédent bébé meurt dans les 1ères semaines, aient envie d’augmenter leurs chances de tomber enceinte. 
Greuze. Les oeufs brisés symbolisent la perte de la virginité.

La pression sociale est forte et tout au moins pendant la 1ère partie du XVIIIème siècle, les cas où la jeune femme se marie enceinte sont relativement rares. Il ne faut pas oublier que ces villageois sortent de 150 ans de calvinisme. Quand le rapprochement des dates indiquait manifestement une conception pré-conjugale, et alors même que le couple s’était marié au temple, le pasteur indiquait dans l’acte de baptême : « conçu(e) par paillardise » et cette stigmatisation vous suivait à jamais.

La cruche brisée, autre symbole de la "faute".
C’est peut-être parce que l’on s’éloigne de ce passé rigoriste que je constate au fil du XVIIIème siècle une augmentation des naissances hors mariage. Toutefois, on est loin de l’image paillarde, pour reprendre l’expression de nos pasteurs, que l’on pourrait avoir d’une communauté villageoise que la proximité permanente de la copulation animale porterait à la frénésie sexuelle.

On dira enfin que toutes les grossesses ne sont pas déclarées et que les infanticides sont une réponse classique à la peur du scandale. Mais la déclaration des grossesses est, pour éviter les infanticides, obligatoire et les sanctions lourdes en cas d’infraction. On n’est pas dans les villes surpeuplées du XIXème siècle ouvrier, ici tout le monde se connaît et se surveille.

Toujours Greuze





































Les adultères mettent en scène pour l’essentiel des célibataires, des veufs et veuves. Les cas recensé de viol caractérisé, au sens où la victime ne connaît pas son agresseur, semblent rares, malgré le fait que les villages qui m’intéressent sont traversés par une route à fort passage de soldats et de marchands. Mais, en ce cas également, la statistique est difficile car n’est connu que le viol d’une jeune fille qui s’en est trouvée enceinte. A l’inverse, la jeune fille peut affirmer ne pas connaître le père pour ne pas avoir à dénoncer un jeune homme du village.

Enfin quand il s’agit d’hommes mariés, c’est toujours une relation ancillaire entre le chef de famille, noble ou bourgeois, et une domestique.

En revanche, un homme et une femme qui vivent ensemble sans être mariés, cela n’existe tout simplement pas. Une exception toutefois, qui ne vaut que pour l’extrême début du XVIIIème siècle, le cas des parents protestants qui ne veulent pas abjurer mais qui baptisent leurs enfants à l’église pour ne pas les priver de leur droit à succession. Les cas ne sont pas nombreux mais j’en ai trouvé 2 ou 3.

Mon histoire est bien différente. C’est une histoire de concubinage, en quelque sorte moderne. Elle se déroule dans le Pays de Gex, à Péron au nord, à Collonges au sud, et aussi à Logras, Challex ou Farges.  Elle met en scène 2 personnages, Charles Philibert Gourgié et Françoise La Racine et derrière eux, toute une communauté villageoise. Charles Philibert appartient à une des familles de 1er plan de cette communauté. Son père, Antoine(1672-1754) est procureur d’office au marquisat de la Pierre, seigneur de La Corbière et de Challex. Les procureurs d'office exercent le ministère public au sein de la justice seigneuriale. On les dit d'office, car ils peuvent se saisir d'eux-mêmes, ex officio, sans réquisitions de parties. Antoine Gourgié exerce ses fonctions dans le ressort du marquisat de la Pierre, c'est-à-dire sur tout le territoire que nous arpentons, autour de Collonges. Le château de La Corbière, qui eut une grande importance stratégique pendant les guerres du XVIème siècle, dominait le village de Challex. Vendu comme bien national à la Révolution,  il a disparu. Quant à Challex, c’était alors un village très actif à l’époque de notre histoire. C’est le village des horlogers ; il en compte alors une cinquantaine qui travaille pour les marchands suisses de Genève.
Eglise de Challex

Le grand père de Charles Philibert, Christophle (ce n’est pas un lapsus calami, Christophle et non Christophe) Gourgié, est notaire royal et son nom est cité dans l’Armorial de la noblesse de Bresse et du Pays de Gex. Leur blason : « porte d’azur à gourde d’argent ». Sa grand-mère est une Brunet, autre grande famille d’hommes de loi et le grand oncle de Charles Philibert, Charles Brunet, est procureur syndic du Pays de Gex et receveur pour le Roy au bureau de Collonges. 


Son oncle, Claude Christophle, est notaire royal et seigneur de la Châtellenie (une des circonscriptions du marquisat) de la Pierre.

Sa sœur, Etiennette (1706-1773) épousera Joseph Barthélémy Girod, commissaire aux terriers et contrôleur des actes des notaires à Collonges (voir sa nièce épouser le contrôleur des actes des notaires a dû séduire le notaire Claude Christofle Gourgié). Etiennette est un personnage important de cette histoire ; elle et son mari sont proches de  Charles Philibert et seront toujours à ses côtés ainsi qu’auprès de ses enfants.

Enfin, dernière marque de leur statut social, les hommes Gourgié ont droit, comme les membres de la noblesse, au titre de « Sieur » ou de « Messire », et les femmes Gourgié, qu’elles soient mariées ou non, à celui de « Demoiselle ».

Bref, une famille considérable et considérée qui se fait enterrer dans l’église de Péron et non, comme le commun, dans le cimetière, ou mieux encore, dans la chapelle qu’elle a « fondée » et qui « appartient à sa maison » pour reprendre les expressions des actes de décès. Une famille, enfin, qui fréquente la noblesse de la région ; on le verra bien lors du baptême du premier enfant de Charles Philibert et de Françoise.

Atelier de serrurerie. Planche de l'Encyclopédie Diderot.


En face, la famille de Françoise La Racine fait pâle figure, même si son père est dénommé « de La Racine » jusque lors du mariage de Françoise. On sait que cette préposition n’est pas un signe nécessaire de noblesse, elle désigne simplement l’appartenance à un lieu-dit, à un village. Non, la famille de Françoise est une famille d’artisans. Son père, Louis de La Racine est maître serrurier à Collonges ; en ce début de XVIIIème, cela en fait un homme respectable ;  il a droit à l’appellation de « Bourgeois » qui le distingue de l’immense majorité de la population paysanne. Françoise signe son acte de mariage et même si elle n’a pas la facilité de son mari, elle sait écrire, ce qui est réservé à l’époque, pour le sexe féminin, aux filles de la noblesse.
Signatures de l'acte de mariage


Cette famille de La Racine n’est pas étrangère à ma famille Dufour. Aimé Dufour (1683-1746), mon lointain ancêtre, est le parrain et sa femme Françoise Rousset, la marraine, de Françoise La Racine, lorsqu’elle naît à Collonges le 1er juin 1712. Je n’en sais pas plus, pour l’instant, sur le degré de familiarité des 2 familles. C’est la période où les Dufour de Villard sont des paysans respectés qui ont droit au titre de « Honnête ».

Eglise de Collonges
Même si les La Racine sont des bourgeois, il est évident que les 2 familles, Gourgié et La Racine, se situent à des niveaux bien différents de l’échelle sociale.

Quand mon intrigue se noue, nous sommes à Collonges, le 3 août 1737, dans la petite église Saint Théodule, pour le mariage de Charles Philibert et de Françoise, âgés respectivement de 32 et 25 ans. Rien d’étonnant à tout cela, sauf que l’acte de mariage occupe près de 2 pages du registre et que la cérémonie, tout à fait inhabituelle, intervient après une procédure compliquée.

Les 2 futurs époux doivent tout d’abord, « demander très humblement pardon à Dieu de leurs fautes et réparer le scandale qu’ils ont causé au dit Collonges par le commerce qu’ils ont eu ensemble avant la célébration de leur mariage ».

Ils doivent ensuite reconnaître les 2 enfants qu’ils ont eux auparavant, Jean François, né le 16 décembre 1734, peu après l’arrivée du couple à Collonges et Guillaume né fin 35 début 36, à une date inconnue pour des raisons que l’on comprendra par la suite.

Les 2 enfants sont présents, Jean François, 2 ans et demi et Guillaume, un peu plus d’un an et c’est devant ces 2 bambins qu’ils doivent dire publiquement qu’ils les reconnaissent « pour leurs véritables fils et enfants (toujours ce goût du pléonasme que les juristes partagent avec les militaires avec leur « immédiatement et sans délai ») et qu’ils « leur donnent autant qu’il est en eux, toute sorte de droits à leur succession, et à celles de tous autres, tout comme s’ils leur étaient nés après la célébration du mariage ».



Je ne sais si Jean-François hérita de son père ; je n’ai trouvé, pour l’instant, d’autre acte que celui de sa naissance dont je reparlerai. Guillaume, lui, n’hérita pas puisqu’il mourra à 22 ans, 4 ans avant son père.

Enfin, ces préalables remplis, l’union scandaleuse est bénie, et par la magie de la liturgie tout se passe comme si le trouble à l’ordre moral et religieux n’avait jamais eu lieu. Par son geste, le curé Nicod a « rembobiné la pellicule » et annulé immédiatement et définitivement le désordre. C’est tout au moins le sens du rite. Pas sûr, comme on le verra, que ce soit l’avis de la communauté bien pensante.

C’est d’autant moins certain que la bonne société s’est sentie bernée par Charles Philibert ; elle n’est sûrement pas prête à l’oublier facilement. Que s’est-il passé ? Pourquoi ce scandale ? Pourquoi, surtout, Charles Philibert et Françoise se sont-ils mis dans cette situation alors que leur union est sérieuse et non le fruit d’une passade. Outre ces 2 enfants, ils en auront encore 8, soit dix au total. On ne peut pas parler d’un bref égarement.

S’ils ne se sont pas mariés, bien qu’ils s’aiment et veulent vivre ensemble, c’est que cela ne leur pas été possible. La raison, vous l’avez comprise. Antoine Gourgié s’est opposé à leur mariage. Jusqu’à la Révolution, les « fils de famille » doivent recueillir le consentement de leur père s’ils n’ont pas 30 ans révolus (25 ans pour les filles). Or, quand Jean François nait, Charles Philibert n’est plus un gamin, mais il n’a que 29 ans et demi.

Pourquoi attend-il encore plus de 2 ans et une nouvelle naissance pour se marier, puisqu’il peut désormais se passer du consentement de son père ?  En fait, Charles Philibert avait fait une première tentative dès qu’il s’était avéré que Françoise était enceinte. On a la preuve de cette démarche puisqu’il avait obtenu une première fois la dispense des 2 derniers bans, le 9 septembre 1734 au motif que Françoise était enceinte de son premier enfant. A l’époque, il avait décidé déjà de se marier mais la procédure avait achoppé sur le refus de son père de donner son consentement.

                                                                         
A ce moment-là, Charles Philibert a dû renoncer provisoirement au mariage, espérant faire revenir son père à des meilleurs sentiments. En effet, la procédure pour se passer du consentement paternel est lourde, elle « remue le couteau dans la plaie », rendant toute réconciliation difficile.  Un enfant puis deux, surtout lorsqu’il s’agit de 2 garçons, peuvent suffire à fléchir un cœur endurci, bien obligé de constater que l’aventure se prolonge et qu’elle est sérieuse. Mais, Antoine Gourgié ne se laisse pas attendrir par la jeune maman et ses 2 bambins. Il faut donc aller jusqu’au bout d’un processus assez peu enthousiasmant.

Charles Philibert doit agir et même agir vite car Françoise est à nouveau enceinte pour la 3ème fois. Elle donnera naissance à Charles, 7 semaines après son mariage. Première démarche, classique, la publication ou plutôt la proclamation des bans en cette période d’illettrisme. Le futur époux renouvelle donc sa demande de dispense des 2 derniers bans auprès de l’ « official de la partie de France, le Révérend Sieur Reydellet ». Un mot sur cette curieuse définition de poste qui garde la trace du protestantisme : la hiérarchie catholique n’a jamais accepté que Genève, siège de l’évêché de la région, soit passé au calvinisme. L’évêque d’Annecy se prétend toujours évêque de Genève mais n’a d’autorité, naturellement, que sur « la partie de France ». Seyssel est l’official, c'est-à-dire le tribunal, du Pays de Gex, amputé de sa partie genevoise suite à la Réforme.

Curieusement, cet unique ban n’est pas proclamé dans les 2 paroisses de naissance des 2 conjoints, mais uniquement « au prône de la messe paroissiale du dit Collonges, lieu du domicile des 2 contractants ». Cette entorse à la procédure lui enlève toute effectivité : personne ne connaît vraiment le futur époux à Collonges où il ne réside que depuis 3 ans. C’est sans doute le père qui a obtenu que les bans ne soient pas proclamés dans l’église de Pougny dont dépend La Pierre, lieu du marquisat dont il est procureur d’office. Il est vrai aussi qu’à Pougny Charles Philibert n’est guère mieux connu qu’à Collonges puisqu’il résidait jusque là chez son père à Logras, hameau de Péron. Peu importe, personne  n’est si fier de toute cette affaire que l’on veuille la clamer urbi et orbi.

Seyssel
Les bans sont donc proclamés le 14 juillet 1737 après dispense « accordée par le R. Sr Reydellet, insinuée, eregistrée et contrôlée à Seyssel le 9 septembre 1734 et renouvelée le 8 juillet de l’année courante ». Louis de La Racine et Charlotte Brunet ont donné leur consentement à Françoise, Charles Philibert a produit son certificat « contresigné par le Sieur Caprony curé moderne [ sic ! je suppose que l’on veut dire curé actuel et non celui de l’époque] de Pougny » qui prouve qu’il a bien 32 ans révolus. Ce certificat est un élément essentiel de la procédure. On a pris soin de le rechercher, alors que d’habitude on ne se donne pas cette peine, ce qui fait que l’âge affiché au moment des décès est assez fantaisiste. Pour une fois, un acte de mariage du XVIIIème siècle mentionne l’acte de naissance ; on dispose ainsi de sa date de naissance précise alors que le registre de Pougny a disparu.

Tout semble en ordre. Pourtant, il ne suffit pas d’avoir dépassé l’âge fatidique, il faut se soumettre à une procédure, sans doute coûteuse et  qui ne peut que raviver les plaies en exaspérant le père offensé. On comprend le sens de cette procédure : décourager les impertinents qui souhaitent s’affranchir eux-mêmes de l’autorité du pater familias. Il reste que c’est pénible pour tout le monde.

« Le sieur Charles Philibert Gourgié, se prévalant de la liberté que les ordonnances donnent aux fils de famille excédant trente ans, après avoir requis par écrit l’avis et le conseil de leur père et mère pour se marier, par trois divers écrits qui lui ont été signifiés en son domicile, soit, pour le premier, le 27 juin de l’année courante, par exploit du sergent Métral, contrôlé au dit Collonges le 29 juin du même mois…. », le sieur Gourgié donc, peut enfin, après le 3ème exploit, se dispenser de l’avis négatif de son père et se marier. Le curé précise enfin, qu’il a bien « exhibé » aux témoins « l’extrait baptismaire du dit sieur Gourgié avec les actes et certificats ci-dessus désignés ». On ne s’oppose pas à la volonté d’un grand personnage sans prendre toutes les précautions nécessaires.

Le mois suivant, l’acte  de naissance de Charles pourra être plus sobre : Charles est né de Charles Philibert Gourgié et de Françoise La Racine, mariés ». Un point c’est tout.

Mais mon histoire n’est pas finie car je ne vous ai pas dit encore le meilleur ou le pire, comme on voudra. Le scandale ne réside pas seulement dans ces 3 années de concubinage, dans cette gué-guerre entre le père et le fils. Il tient surtout au fait que Charles Philibert ne s’est pas seulement mal conduit ; il a cherché à le dissimuler en trompant tout le monde, à commencer par le « monde » qui compte. Que s’est-il passé ? Les actes et leur enchaînement temporel nous donne assez d’éléments objectifs pour reconstituer le fond de l’affaire.

Charles Philibert a dû commencer à décevoir son père en ne marchant pas sur ses traces. Je ne sais rien de ses études, mais, à supposer qu’il en ait suivies, elles n’ont pas été suffisantes pour lui permettre d’acquérir un office, de notaire, procureur ou avocat. Lors de son exil à Collonges, il sera hôtelier, profession honorable mais dont le statut n’a rien à voir avec celui obtenu alors par sa famille.

Il s’éprend de Françoise La Racine, dans des circonstances inconnues mais certainement avant de se rendre à Collonges sans quoi la suite deviendrait incompréhensible et la supercherie immédiatement éventée. Françoise tombe enceinte. Il entame des démarches pour se marier mais son père s’oppose au mariage. Il part alors avec Françoise s’installer à Collonges. Il devient hôtelier, peut-être avec le pécule laissé par sa mère, décédée quelques temps avant.

L'hôtel des 3 Maures, à l'entrée de Collonges
A l’époque il y a 2 hôtels à Collonges car c’est une ville de passage et une ville de contrôle du trafic routier avant la traversée du Pas de l’Ecluse et l’entrée sur le territoire français de toujours par la Bresse. Je ne sais où se trouvait l’Hôtel A l’Ecu de France, mais l’Hôtel des Trois Maures subsiste encore à l’entrée de Collonges quand on vient de Genève. Ce n’est plus un hôtel mais une maison particulière. Peut-être est-ce là que notre Charles Philibert reçut tout ce beau monde qu’il va convier au baptême de son 1er fils.

Il est le fils d’un personnage connu. Personne ne met en doute le fait qu’il se soit marié ailleurs, puisqu’il l’affirme. Il serait insultant d’envoyer un courrier à Péron pour vérifier le fait ; aucun doute non plus que Françoise soit sa femme légitime. Aussi, lorsque Jean François nait le 16 décembre 1734, il peut le faire baptiser à l’église par le curé Duby (heureusement 3 ans plus tard ce ne sera pas le même !) et organiser une grande fête avec les personnalités qui sont venues pour l’occasion : le parrain est un certain comte Jean Bentivoglio de la célèbre famille de chefs de guerre et de cardinaux italiens, « au service du Sénat romain, résidant à Collonges comme le dit un autre acte ». C’est ce que manifeste sa signature altière, même si, en cette époque où les capitaines d’industrie sillonnent l’Europe à la façon de Casanova, on a toujours des doutes sur un personnage dont on peine à imaginer pour quelle raison il réside dans cette petite ville. La marraine est, elle, assurément, une noble de la plus haute noblesse, Marie de Prémery, sans doute la sœur d’un autre participant illustre, Guillaume de Lornay de la famille des Menthon-Lornay de Prémery qui possède notamment le château de Menthon au dessus du lac d’Annecy. Enfin, on note un dernier signataire de l’acte,  un Jean chevalier de la Forêt qui était seigneur de Sergy. Aussi le petit chérubin se prénomme-t’il Jean, comme son parrain le comte Bentivoglio, François, comme le chevalier de la Forêt, Marie, comme sa marraine Madame de Prémery. Difficile de trouver parrainage plus prestigieux.



Ce n’est pas la seule fois où les noms des Menthon-Lornay apparaissent dans les actes, notamment à Péron. Ces grands personnages acceptent volontiers de parrainer les enfants des bons bourgeois ou, à l’autre bout de l’échelle, de leurs serviteurs ou domestiques, selon le paternalisme, après tout sympathique, de l’époque. Mais, c’est la seule fois qu’ils l’ont fait pour des Gourgié, la seule fois à Collonges. Cette cérémonie est donc un beau coup de pub  pour qui vient de se lancer dans l’hôtellerie.

Blason des Menthon-Lornay
Je ne sais pas comment Charles Philibert s’arrangea pour convier ces personnalités sans que son père ne l’apprenne ni comment il expliqua l’absence de tout membre de sa famille. On s’explique mal comment toute cette mise en scène a pu réussir. Un fait est certain, cela a marché. Aucun de ces nobles ne se serait prêté à cette mascarade s’ils avaient pu imaginer une seconde que le couple n’était pas marié. Je note que le curé Duby ne mentionne pas, comme pour les autres couples, après le nom de la mère, « sa femme ». C’est sans doute parce que, ainsi qu’il l’écrit, Charles Philibert est de la paroisse de Péron, et qu’il n’a pas procédé à son mariage. Mais s’il avait eu le moindre doute, il est évident qu’il aurait refusé de baptiser l’enfant sans indiquer son statut d’enfant illégitime.

C’est ce qu’il fait par la suite en rajoutant cette mention « illégitime » avec une petite croix. L’affaire a dû s’éventer assez vite, peut-être dès le passage des invités à Logras. De toute façon, le secret ne pouvait pas être gardé bien longtemps entre 2 villages distants de 7 kilomètres, même en ce mois de décembre où l’hiver ralentit les échanges.

On imagine le tollé dans Collonges et à Logras. Nos 2 concubins n’en ont pas moins continué de procréer. Seulement, pas question de réitérer la même opération pour la naissance de Guillaume dont l’acte de naissance est introuvable, sans doute parce qu’il n’a été déclaré nulle part. On connaît la suite, la régularisation, la reconnaissance officielle des enfants, le mariage.

Il ne semble pas que les époux Gourgié aient eu à souffrir de cette comédie dont des habitants de Logras avaient fait les frais mais pas eux, les habitants de Collonges (si l’on excepte le curé qui n’était plus là.) Pour la naissance de Charles, juste après le mariage, alors qu’ils ne sont pas très connus à Collonges, ils ont fait appel à un vieil homme, vieil homme et vieil ami de la famille, Charles Dépéry, bourgeois de Challex qui avait été déjà le parrain du grand père du bébé. La marraine Claudine Jarnier m’est inconnue.

Par la suite, les noms des participants aux baptêmes de leurs enfants montrent qu’ils sont reçus dans la meilleure société de Collonges. Trois autres enfants vont naître dans cette ville, s’échelonnant jusqu’en 1744 au rythme toujours soutenu d’une naissance tous les 2 ans. En 1739, Jeanne Marie a pour parrain Jacques Sermet et sa femme Jeanne Marie Dufour de la famille noble des Dufour du Château. A cette occasion, Charles Philibert se fait appeler « bourgeois de Gex », la lointaine capitale à l’autre bout du Pays, et non plus hôtelier. N’exerce-t-il plus ce métier ou bien préfère-t-il afficher un autre statut ? Toujours est-il qu’il semble avoir toujours un certain talent pour l’affabulation.

En 1741, pour la naissance de Joseph, ce sont ses oncle et tante, Joseph Barthélémy Girod et Etiennette Gourgié qui se déplacent.

En 1744, dernière naissance à Collonges, Pierre est baptisé une 1ère fois au domicile des Gourgié, « propter periculum mortis » (du fait du risque de décès), avant que cela ne soit confirmé à l’église en présence de ses parrain et marraine, Pierre Definod et Elisabeth Gaudry qui sont des gens tout à fait respectables. A noter que ce fragile bébé deviendra un adulte solide puisqu’il est, semble-t-il , l’un des 2 survivants de la famille avec sa sœur Claudine, les 2 seuls enfants pour lesquels j’ai trouvé mariage et descendance.
Logras (à gauche) et Péron, vu de Challex


Ensuite, quelque part entre 1744 et 1750, les Gourgié quittent Collonges pour se ré-installer à Logras, chez ou à proximité de leur père. Dans un premier temps, je me suis imaginé que c’était la mort d’Antoine Gourgié, toujours intraitable, qui avait permis ce retour. Cela collait bien avec l’atmosphère de mélodrame à la Greuze que cette histoire transpire. Toutefois, cela ne s’est pas passé ainsi. Je ne sais pas si le départ de Collonges a été motivé par quelque catastrophe (faillite ?) ou par une réconciliation entre le père et le fils, ou par tout autre motif, mais Antoine vivra jusqu’en 1754 et Françoise mettra au monde encore 3 enfants jusqu’en 1752 et, enfin, un dernier en 1755, à 43 ans. Le grand père aurait largement eu la possibilité de se manifester pour la naissance d’au moins 3 des enfants nés à Logras mais sa présence n’est jamais attestée alors qu’à l’époque, on aime bien faire savoir que le grand père est toujours là, tant il est rare qu’il soit encore vivant. Cette absence de tout mention du grand père ne constitue pas, toutefois, une preuve tant les registres sont tenus avec plus ou moins de négligence.

Farges

Le statut du fils repenti n’est plus celui de la génération précédente, ainsi qu’on peut l’inférer du nom des participants aux baptêmes de ses enfants. Pour la naissance de Claudine en 1750, les Gourgié font appel à des connaissances de Collonges, pour le dernier, autre Pierre (comme on dit dans les registres), à des habitants de Farges (le village entre Collonges et Péron/Logras). Pour les 2 naissances entre, à la fidèle Etiennette et à un des frères du nouveau-né. Jamais à des habitants de Logras ou de Péron, alors qu’on sait combien le choix des parrains et marraines obéit pour tous à une stratégie de promotion sociale.

On a le sentiment que le couple est quelque peu ostracisé après ses 10 ans d’absence. Le statut social de Charles Philibert change toutefois avec la mort de son père. Il arbore alors le titre de Bourgeois de Logras et de propriétaire, car il est l’aîné des mâles de la fratrie. Gageons qu’il a su en tirer vanité et plaisir.

Lorsqu’il décède en 1761, les témoins sont 2 Cusin de Logras qui participent habituellement à ces cérémonies, pas des notables. Françoise lui survivra 17 ans, et vivra jusqu’en 1778. Elle aura la douleur de perdre au moins 3 de ses enfants, Guillaume, Jeanne Marie et Pierre le 2ème. Mais aussi la joie de voir Claudine et Pierre le 1er se marier et lui donner des petits enfants. A-t-elle revu ses parrain et marraine, Aimé Dufour et Françoise Rousset, qui vivaient encore lors de leur séjour à Collonges. L’histoire ne le dit pas mais il n’y a pas de raison de penser le contraire.

Ainsi se termine cette histoire qui fut sans aucun doute une histoire d’amour. Charles Philibert, avec sa mythomanie plutôt joyeuse, s’est finalement bien conduit. Pour protéger sa femme, il a su résister à son père, ce qui ne devait pas être facile. Un courage réconfortant.

 Pourtant, je ressens une certaine tristesse au moment de clore. Pas seulement parce qu’on ne sait finalement pas grand-chose de ces itinéraires de vie malgré les heures passées sur les traces qu’ils ont laissés. Ce qui me peine, c’est de constater que cette branche des Gourgié a régressé pour s’enfoncer dans un anonymat qu’elle avait quitté. Pierre est horloger à Logras, comme beaucoup d’autres. Claudine épouse un chamoiseur (qui prépare et vend des peaux) de Nantua, deux artisans qui regardent sans doute de haut mes ancêtres paysans mais qui ne sont pas les personnages importants qu’étaient leur grand père ou leur grand oncle. On reste loin du décollage du début du siècle. Certes j’ai trouvé sur Internet qu’une Pernette Gourgié a épousé un Duproz, notaire à Gex, mais ce doit être une cousine de « mes » Gourgié. Charles Philibert et Françoise semblent rester dans le mélodrame, celui qui oppose l’amour à la réussite sociale et fait triompher l’amour. Peut-être est-ce là le sens de cette histoire.
Chamoiseurs. Planche de l'Encyclopédie Diderot.



dimanche 12 septembre 2010

Mes ancêtres Dufour étaient protestants (fin provisoire)

Pour  gagner son salut, il ne faut pas perdre le nord.

Fort de l'Ecluse
On ne saura jamais dans quelles circonstances les Dufour de Villard se sont convertis au protestantisme. On ne saura jamais non plus comment ils ont passé ce XVIème siècle tumultueux. Peut-être ont-ils été protégés par leur éloignement de la grand route, malgré leur proximité d’avec le Fort de l’Ecluse si souvent l’enjeu de batailles entre catholiques et protestants, c’est à dire entre Savoyards et Bernois,.
J’aimerais bien qu’il en ait été ainsi même si je souris intérieurement  et me moque de moi en formulant ce souhait, car je me rends compte de son absurdité. Je réagis, comme si je pouvais leur épargner ces épreuves alors que tout ceci s’est déroulé il y a si longtemps. Qu’ils aient été heureux ou malheureux, persécutés ou épargnés, cela n’a plus la moindre importance. Je le sais mais ne puis m’empêcher de revivre tout ceci au présent, alors que je tape ce texte sur mon ordinateur, un instrument bien étrange pour eux.

Leur histoire ne commence qu’à partir de 1661, lorsqu’ils sont obligés, par la destruction de leur temple de Collonges, de chercher à Sergy le réconfort religieux dont ils étaient subitement privés.
Ils ont dû, sans doute, essayer de trouver plus près, en Suisse, ce soutien. La Suisse est toute proche de Villard. Il suffit d’aller à Pougny, autre petit village dont le temple, sans doute très modeste, a été également détruit, et de traverser le pont qui enjambe le Rhône pour se retrouver à Chancy, en terre helvétique. J’ai retrouvé trace de la demande qui avait été faite le 6 juin 1663 auprès du Conseil de Genève par les habitants de Collonges désireux de transporter leurs bancs jusqu’à Chancy pour suivre les offices de ce temple épargné car de l’autre côté de la frontière. Le pasteur de Chancy, M. Desprez avait informé la Compagnie des pasteurs de Genève que « les fidèles de le Religion Réformée de Collonges à qui on a détruit le temple ont résolu de faire conduire les bancs dans celui de Chancy pour s’en servir lorsqu’ils y vont pour le prêche ». Il prie la Compagnie « de lui dire comme il se conduira ». La Compagnie enjoint au pasteur de faire « savoir auxdits paroissiens de Collonges de ne faire transporter les dits bancs pour le danger des conséquences qui s’en pourraient tirer. ». Genève ne pouvait être favorable à cette migration qui risquait de faire peser sur la République le soupçon de s’opposer aux volontés du royal souverain de la France. Et la petite république ne pouvait se payer le luxe de s’opposer ouvertement à son puissant voisin.

Les Dufour ont bien dû se rendre à Chancy pour assister à des offices dominicaux, mais ils se sont rendus aussi à Sergy dont ils dépendaient désormais. Après la décision du roi de n’autoriser le culte que dans 2 localités, suite à la destruction de tous leurs temples en 1662, les protestants avaient réorganisé leur dispositif : A Sergy, les communautés du sud du Pays, dont Collonges et Villard, à Fernex (notre Ferney-Voltaire), les communautés du nord, dont Versoix qui deviendrait important, par la suite, pour la famille Dufour.

Les registres protestants de Sergy ont été conservés depuis 1666. Ce ne sont pas des documents secrets, établis par quelque « église du désert » mais au contraire des documents d’état civil, tout à fait officiels, distribués et cotés par l’autorité politique. Conformément à l’Edit de Nantes, les pasteurs sont, au même titre que les curés catholiques, des auxiliaires de l’état civil du royaume. Ce qui est curieux, c’est que ces registres protestants sont bien antérieurs aux registres catholiques qui datent, pour Collonges, de seulement 1693, soit une génération après. C’est le pasteur Clerc qui officie, tandis que Samuel Rouph est le pasteur de Fernex, deux noms que l’on retrouvera au siècle suivant, portés par des curés, notamment Rouph qui sera archiprêtre et curé de Pougny : Les familles capables de former des pasteurs ou des curés n’étaient pas légion. Sinon les pasteurs eux-mêmes (et encore, c’est à vérifier) leurs familles produisirent les curés de la nouvelle confession.

Tous les Dufour qui apparaissent sur ces registres ne sont pas mes ancêtres ; certains sont natifs de Saint Jean de Gonville, un village à mi-chemin entre Villard et Sergy, le village de naissance de mon ancêtre Huguenine de Choudens, dont je reparlerai. Ces Dufour ne sont pas apparentés, autant qu’on puisse le savoir, avec ceux de Villard.

« Mes » Dufour, eux, sont mentionnés dès 1667, avec le baptême d’un Pierre Dufour en 1667. Il est le fils de Jacques, frère ainé de mon ancêtre Aimé, et de Louise Penay, sans doute une fille de Pougny, ce village que l’on traversait alors, soit pour aller en Suisse, par exemple pour se rendre à l’office du temple suisse de Chancy, soit pour aller vers le nord jusqu’à Genève. Il faudra attendre 1750 pour qu’une nouvelle route, la route royale, soit ouverte au pied du Jura, sur le tracé qu’emprunte aujourd’hui la départementale et qui traverse tous les petits villages de Farges, Péron, Saint Jean de Gonville, etc.

Discussion entre le pape, un jésuite et un pasteur, en présence de l'Empereur, des Rois de France et d'Espagne, des électeurs et d'autres princes

Jacques Dufour prend donc la route vers Sergy après la naissance de son fils Pierre né le 30 octobre 1667 Le baptême, protestant, aura lieu 6 jours après la naissance,  le 6 novembre. Cet écart entre naissance et baptême est tout à fait inhabituel à l’époque où l’on baptise les enfants le jour même voire le lendemain tant on a peur qu’en cas de décès, les nouveaux-nés restent éternellement coincés dans les Limbes faute de baptême et ne puissent entrer au Paradis, malgré leur évidente innocence de tout « péché ».

Désormais, il n’y a plus d’autre choix que d’aller à Sergy qui n’est pas la porte à côté, près de 30km. Il faut sans doute faire étape avec un nouveau-né dans les bras. En novembre il pleut, le chemin est boueux, presque impraticable et le froid commence à s’installer, en ce « petit âge glaciaire «  que traverse l’Europe.

C’est peut-être à l’occasion de ce voyage que les Dufour font la connaissance des de Choudens, d’une famille protestante de petite noblesse qui tirent son nom du hameau voisin de Saint Jean de Gonville, appelé  Choudans. Il faut bien coucher quelque part sur cette longue route que l’on doit emprunter avec le nourrisson, sa mère pour l’alimenter et au moins le parrain, un autre Pierre, en l’occurrence, sans doute l’oncle de l’enfant (les registres protestants ne mentionnent jamais de marraine ; n’en concluez pas que la RPR (religion prétendument réformée) est machiste : les registres mentionnent souvent l’épouse avant l’époux, lors des mariages). C’est toute une expédition qui demande une logistique minimale pour assurer la survie du bébé.

On imagine aisément que la communauté protestante, déjà inquiète pour sa pérennité, se préoccupe de ces voyages à haut risque, et prévoit les relais, les familles d’accueil. Les Dufour de Villard sont les plus éloignés de Sergy, à l’autre bout du Pays de Gex. L’environnement ne leur est sans doute pas très favorable car, à l’époque, les protestants ne sont plus en nombre qu’au nord du Pays, à proximité de Genève. Ce n’est pas un hasard, si les 2 lieux de culte sont tout proches, au lieu d’être mieux répartis entre le nord et le sud. Tout est fait par le pouvoir royal pour rendre la pratique du culte difficile et permettre la lente remontée des catholiques vers le nord. J’ai calculé que sur les 880 personnes qui se sont mariées selon les registres protestants de Sergy, seulement 10% étaient originaires de Collonges dont le poids démographique est sûrement proche du tiers de la population relevant de Sergy.
Une aide est donc nécessaire pour entreprendre ce voyage essentiel pour la survie de la religion et si périlleux avec un bébé en plein mois de novembre.

Ce qui renforce l’hypothèse que les de Choudens joue un rôle dans cette expédition, c’est qu’ils sont très impliqués dans la défense de leur communauté. Jacques, sans doute le père des 2 filles de Choudens qu’épouseront les 2 frères Dufour, et son frère Marc, sont des membres importants de la communauté protestante. Ils sont Directeurs des églises et font partie du consistoire qui dirige l’église de Saint Jean de Gonville. Pierre de Choudens, peut-être un frère d’Etiennette et d’Huguenine,  sera avec les 2 pasteurs et 3 avocats, membre du Comité secret qui sera constitué après la Révocation de l’Edit de Nantes. Puis il émigrera (comme les 2 autres, qui s’arrêteront en Pays de Vaud), jusqu’en Brandebourg et il sera chargé, par le roi de Prusse, de convaincre les réfugiés protestants qui s’entassent à Genève de rejoindre la Prusse pour participer à son développement puisque Louis XIV n’en veut plus.

Que la rencontre entre les Dufour et les de Choudens ait eu lieu à l’occasion de ce premier voyage d’un Dufour de Villard n’est qu’une hypothèse même si elle est vraisemblable, mais ce qui n’est pas une hypothèse, ce qui est certain, c’est qu’elle a eu lieu vers cette époque puisque 2 frères Dufour épouseront bien 2 sœurs de Choudens.

C’est d’abord Thivent (un prénom assez répandu en cette fin du XVIIème et qui disparaîtra complètement au XVIIIème) qui épouse une jeune veuve, Etiennette de Choudens, le 2 février 1676. La cérémonie a lieu dans la petite chapelle du château des de Livron, les seigneurs de Saint Jean de Gonville. Puis ce couple disparaît. Contrairement à ses 2 frères qui font baptiser leurs enfants à Sergy aussi longtemps qu’ils le peuvent, Thivent et Etiennette ne réapparaissent jamais dans les registres de Sergy. Que sont-ils devenus ? Je ne le sais pas pour l’instant. Emigration, décès, bien des raisons peuvent expliquer cette disparition.

Lorsque son frère, Aimé, « mon » Aimé, se marie avec Huguenine de Choudens en 1679, c’est dans le nouveau temple qui vient enfin d’être érigé grâce aux collectes réalisés dans les cantons suisses protestants. La petite communauté a sans doute alors le sentiment que l’horizon s’éclaircit puisqu’ils disposent à nouveau d’un vrai temple ; nous savons, nous, que cette embellie passagère prépare la catastrophe et  que 5 ans plus tard, tout leur univers spirituel s’écroulera.

Aimé fait baptiser ensuite ses 4 premiers enfants à Sergy, au terme du même voyage qu’il entreprend toujours à peu près dans les mêmes délais : Etiennette en 1680 qui épousera un Mollard, un bourgeois de Collonges (une famille de protestants, également) ; Jacqueline en 1681, qui se mariera à 13 ou 14 ans avec Jean Vuaillet de Saint Jean de Gonville, le fils de Pierre Vuaillet qui participa activement à la contruction du temple de Sergy ; Louis, en 1682 qui épousera une Bouvier du hameau d’Ecorans, autre famille et autre lieu de la mouvance protestante ; enfin Jean Aimé (dont le prénom est souvent raccourci en Aimé), mon ancêtre, le 4 octobre 1683 (baptême le 10 du même mois).

Aimé ne sera pas le dernier Dufour baptisé selon le rite protestant. Le dernier, ou plutôt la dernière, c’est Jeanne Louise sa cousine germaine, la fille de Jacques. Baptisée en octobre 1684, elle est une des dernières avant la démolition du temple en mars 1685.

Vauban
Pourtant, tout ne se termine pas en 1684, sous prétexte que Louis XIV en a décidé ainsi. Certes, il n’y a pas eu d’église du désert en Pays de Gex ; cela aurait été de toute façon difficile vu l’exigüité du pays coincé entre Jura et Suisse ; si l’on ne voulait pas abjurer sa foi, il était plus simple d’émigrer à quelques kilomètres de là. D’après les historiens, environ 1/3 des familles protestantes choisirent l’émigration, tous ceux notamment, artisans, commerçants, ou bourgeois qui ne tiraient pas leur subsistance d’un bien foncier que l’on ne peut emmener avec soi. C’est la raison pour laquelle l’émigration de 200 ou 300 000 huguenots fut aussi dramatique pour la France comme Vauban le faisait remarquer au Roi 2 ans après la Révocation : c’était l’élite de la nation.  Quant à  ceux qui restaient, il est évident qu’ils ne se résolurent à devenir catholiques que sous la contrainte et après avoir essayé  d’y échapper le plus longtemps possible..

L’église catholique tenait les grands moments de la vie : le baptème, le mariage (sans lequel les enfants ne pouvaient hériter car bâtards) et la cérémonie mortuaire sans lequel il ne pouvait y avoir d’enterrement dans le cimetière paroisial. Difficile mais pas impossible pendant un certain temps d’échapper à ce contrôle social et religieux.

Les Dufour ne sont pas entrés en résistance ouverte. Ils ont abjuré sans doute (mais je n’en ai pas trouvé trace, ce qui n’est pas étonnant car les registres n’existent pas avant 1693), ils ont à tout le moins fait baptiser leurs enfants à l’église, les unions de leurs enfants ont été bénis par le curé.

Toutefois, 2 faits curieux me semblent montrer qu’ils ont appartenu à cette catégorie de convertis dont l’église et même le pouvoir royal se méfiaient beaucoup, ceux qui, comme les marranes, ne s’étaient convertis que de façade et n’en continuaient pas moins à pratiquer en secret leur culte.

Premier fait troublant : aucun des Dufour de Villard de la génération des années 1650, les Jacques, Pernette, Thivent ou Aimé n’ont de décès enregistrés où que ce soit. Cette lacune ne suffit pas à prouver que leur décès n’ait pas été déclaré à l’église. Les 3 premiers ont pu disparaître avant 1693. Mais Aimé était vivant encore en 1705. Son décès est intervenu entre 1705 et 1724. Bizarre donc, même si l’on sait que les registres ont été mal tenus après la mort de Louis XIV en 1715, et pendant toute la Régence qui s’achève en 1723.

Mais il y a plus troublant. Après le rythme effréné de ses 4 premiers accouchements en 5 ans, Huguenine semble faire une pause. Tout au moins, aucun enfant n’est mentionné nulle part dans la région jusqu’à celle d’un Pierre, le 22 avril 1688, non pas à Collonges, mais à Saint Jean de Gonville, dans le village de sa mère. Le petit bonhomme décèdera d’ailleurs le lendemain. Naissance, baptême et décès sont dûment enregistrés par le curé de Saint Jean.

Cette présence, au moins d’Huguenine, à Saint Jean  est totalement incompréhensible dans le contexte de l’époque. Aimé, Huguenine et leurs enfants résident sûrement sur leurs terres de Villard ; sinon, comment vivraient-ils ? Par ailleurs, on accouche chez soi, pas chez ses parents quand on a un mari et une maison. Pourquoi donc était-il là-bas ? Une hypothèse, c’est qu’elle bénéficiait ainsi d’un environnement protestant, disparu de Collonges. Ensuite, je n’ai plus trouvé de naissances jusqu’à son décès en 1705, à parait-il 60 ans, mais on sait qu’il faut se méfier de ces âges annoncés dans l’acte de décès.

Tout ceci, direz-vous, ne repose que sur des hypothèses bien fragiles, des reconstructions plutôt bancales. Revenons donc aux faits et les faits nous poussent aux mêmes conclusions.

Jean Aimé épouse à une date que je ne connais pas encore, entre 1705 et 1708, Jeanne Rousset, de Versoix, alors encore en France. Il n’y a aucun et aucune Rousset à Collonges ni dans les communes environnantes, ni à ce moment, ni plus tard. C’est donc Aimé qui est allé chercher sa Jeanne tout au nord de son petit pays. Pourquoi diable ? En ce tout début de XVIIIème, je n’ai trouvé aucun autre exemple d’un mariage aussi éloigné. Je ne vois qu’une explication : les Rousset sont des protestants, ils ne font pas partie de ceux qui se sont précipités, pour de l’argent ou par simple opportunisme, dans les bras de l’église catholique apostolique et romaine, Rousset et Dufour se sont rencontrés dans le nord, autour de Sergy et Fernex, lorsque ces lieux ont été détruits, dans quelque famille amie, dans quelque maison de prière protestante clandestine. Lorsque j’aurai consulté les registres de Versoix j’en saurai peut-être plus.

Intérieur de l'église de Vulbens
Un dernier fait encore. L’ainé d’Aimé Dufour et de Jeanne Rousset, Etienne, mon ancêtre, né en 1709 à Villard et baptisé selon le rite catholique en l’église Saint Théodule de Collonges, épouse une Marie qui porte un nom totalement inconnu dans tout le Pays de Gex à cette époque, Curtet. J’en ignore encore la date précise, je la connaitrais lorsque j’aurais trouvé la commune de naissance de Marie (en Savoie, sans doute à Vulbens, Chevrier ou Valleiry), entre 1730 et 1734 (son 1er fils nait en 1735). Ses frères et sœurs plus jeunes se marieront classiquement avec des filles de Collonges ou Pougny. Mais ces mariages interviennent 15 ans plus tard pour le premier d’entre eux. La situation ne doit plus être la même.

Tout se passe comme si cette famille Dufour de Villard n’avait pas complètement réintégré la communauté villageoise avant les années 1745. Est-ce que cela a un lien avec leur passé de protestant tout comme ce déclassement qui m’apparaît vers la même époque ? Jusque là, les Dufour trouvaient leurs épouses dans les meilleures familles de la région. Ensuite leurs épouses viennent de familles de paysans sans aucune visibilité sociale. Aimé Dufour, le patriarche né vers 1650, était qualifié d’ « Honnête », ce qui le distinguait de la masse. Désormais les Dufour seront dans la masse, au moins jusqu’à la fin du XVIIIème.

C’est incontestable, un événement a perturbé leur trajectoire. N’est-ce pas la destruction du protestantisme gessois qui serait responsable de ce que j’analyse comme une mise au ban de la société dans laquelle ils continuaient pourtant à vivre et travailler ?

vendredi 10 septembre 2010

Mes ancêtres Dufour étaient protestants (3ème partie)

Bref intermède historique

L’histoire du protestantisme dans le Pays de Gex est faite de violences, comme partout en France, peut-être même est-ce une histoire encore plus violente qu’ailleurs : la Religion Prétendument Réformée (la RPR comme on disait du temps de Louis XIV) y fut totalement extirpée, ses temples détruits. Il suffit de se promener dans les Cévennes ou le Grand sud-ouest pour constater qu’il n’en fut pas de même partout. Mes parents se sont mariés à Logrian, au nord de Nîmes, parce que c’était le chef lieu de la commune du château de Florian qui appartenait à mon grand père. Mais la cérémonie religieuse (catholique !) eut lieu dans l’église de Quissac, tant celle de Logrian était minuscule face au temple qui domine toujours de sa masse la petite mairie à laquelle il est accolé. Cet acharnement en Pays gessois s’explique sans doute par la proximité de Genève, foyer du calvinisme ; les motifs religieux se doublaient de raisons politiques.
Le temple et derrière, la mairie de Logrian

L’histoire a commencé en 1536, l’année même où Genève a adopté le culte protestant, avec l’invasion du Pays de Gex par les Bernois. Pendant la vingtaine d’années qu’ils administrent le pays, il semble qu’ils aient organisé énergiquement le basculement de la population vers la Réforme, entraînant d’abord les élites qui resteront fidèles longtemps à leurs nouvelles convictions.

Puis, la fureur de la guerre se déchaîne pendant toute la 2ème moitié du XVIème siècle, opposant les Bernois alliés de la République de Genève,et les Savoyards, sous l'œil attentif des Français, chacun prenant le dessus sur les autres pour de courtes périodes. Toute cette violence culmine en 1589-1590 avec les exactions des troupes espagnoles incorporées dans l’armée du duc de Savoie, le fanatisme religieux renforçant la haine guerrière, comme on l’a vu récemment en ex-Yougoslavie. Les temples, comme celui de Collonges, sont incendiés, les hommes passés par les armes et les femmes violées.

La situation se stabilise en 1601 lorsque le Pays de Gex échoit définitivement à la France de Henri IV qui vient de promulguer l’Edit de Nantes. On discute alors pour savoir si l’Edit, intervenu avant le rattachement, s’applique. Les protestants n’y sont pas favorables car ils sont majoritaires. Ils vont devoir partager à égalité avec les catholiques, à commencer par les cimetières ! Finalement les catholiques l’emportent et l’Edit s’applique, jusqu’au moment où l’on considèrera qu’il gêne. Cette querelle juridique montre, en ce cas comme en tant d'autres (je pense notamment à tout ceux qui font de la laïcité une arme contre les musulmans ; drôle de tolérance !) que l'on utilise les principes selon ses intérêts : l'Edit de tolérance fut, dans un 1er temps, une arme des catholiques contre les protestants gessois.

Intérieur du Temple de Genève
Pendant 60 ans, c'est-à-dire 2 générations, les relations entre les 2 communautés et entre les protestants et le pouvoir central sont suffisamment apaisées pour  que le culte puisse se dérouler à peu près normalement. Le Pays est quadrillé par 23 paroisses avec leurs temples et leurs pasteurs. Quatre villages, dont Collonges et Versoix, disposent de leur école. Pas étonnant que les Rousset et les Dufour sachent écrire.

Tout change en 1661, lorsque Louis XIV prend effectivement le pouvoir. En 2 ans, toute une série de mesures viennent empêcher l’exercice du culte : les pasteurs sont privés de ressources ; tous les temples sont détruits (à l’exception de celui de Challex, village voisin de Collonges, qui appartient à Genève et dont on se contente de murer les entrées) ; le culte est autorisé dans seulement 2 villages, à Sergy et à Ferney (qu’on écrit alors Fernex), parce qu’il n’y avait pas de temples et que les fidèles se rassemblaient, en privé si l’on peut dire, dans les chapelles des châteaux de leur seigneur.

On retrouve bien là l’humour macabre qu’affectionnent les tortionnaires de tous les temps et j’ai souvent pensé, en lisant les récits de ce temps, à l’attitude des nazis face aux juifs dans les années qui précédèrent la guerre. Par exemple, à Versoix, terre de mes ancêtres Rousset, devant le refus des villageois de fournir des maçons pour démolir le temple, on fait stationner des troupes à leurs frais jusqu’à ce qu’ils le démolissent de leurs propres mains (ce sont les fameuses dragonnades). Ou encore, on leur fait interdiction d’enterrer leurs morts dans les cimetières catholiques mais on édicte des règlements qui les empêchent d’acheter des champs à cette fin. Ils doivent procéder aux enterrements de nuit. Ils ne peuvent se procurer de la viande pendant le Carême et doivent pavoiser le long des processions catholiques. Etc, etc.

La démolition du temple de Gex a été relaté par un observateur de l’époque qui ne manque pas d’humour : l’intendant et l’évêque, suivis des hauts dignitaires ecclésiastiques du diocèse et d’un nombreux cortège de moines et de prêtres, s’avancèrent vers le temple. Le bâtiment fut aussitôt entouré de gardes « tant pour empêcher la confusion que pour rendre l’action célèbre ». Les ouvriers posèrent des échelles à plusieurs endroits et « des ecclésiastiques poussés par le même zèle se joignirent à eux, montèrent aussi à l’échelle…Les charpentiers jetèrent à bas le toit pendant que les trompettes faisaient retentir l’air de leurs fanfares et les catholiques de leurs cris de joie…. Tous renversèrent les murs avec une fureur incroyable, en présence de l’intendant qui les animait par les louanges qu’il leur donnait et par les pièces d’argent qu’il distribuait à ceux, non qui faisaient le mieux, mais qui défaisaient le plus ». La scène serait complètement bouffonne si elle n’avait blessé une bonne partie de la population.

St. François de Sales. Spectacle écœurant pour les Protestants
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Le clergé catholique se déchaîne pour obtenir des conversions, sous l’impulsion de saint François de Sales et de son successeur Jean d’Arenthonn. Ils opèrent depuis Annecy, avec le titre d’évêque de Genève, puisqu’ils ne reconnaissent pas leur éviction de la ville de Calvin. Le 2ème se rend plusieurs fois à Collonges avec son « escadron des enfants de Jésus » (référence à une autre histoire, plus sanglante, il est vrai), 24 prêtres de choc payés par l’aumônier de la Reine. Les Dufour ont dû se désoler souvent de cette présence importune.  Les 4 pasteurs autorisés arpentent la nuit le Pays de Gex pour défaire ce que ces "soldats de Dieu" ont fait pendant le jour. Tous les moyens de pression sont utilisés pour obtenir des abjurations : menace auprès d’un mourant de jeter son corps à la rue, amendes diverses, refus de laisser soigner les malades…On enlève les enfants à leurs parents pour les éduquer dans la foi catholique.

Enfin, l’histoire se termine par une dernière violence légale puisque le culte protestant est interdit en Pays de Gex près d’un an avant la révocation de l’Edit de Nantes, le 18 février 1684 et le temple de Sergy où se rendaient les Dufour est détruit 3 semaines plus tard. Il venait d’être construit, enfin, 6 ans plus tôt grâce à une collecte dans les cantons suisses « évangéliques », comme on disait à l’époque. Jean Aimé Dufour venait d’y être baptisé 5 mois plus tôt, le 10 octobre 1683. Désormais, le protestantisme a disparu du Pays de Gex. Il n'y aura pas d'Église du Désert à Collonges.

Cette histoire tragique se termine par une dernière bouffonnerie : le gouverneur de Gex, M. de Passy qui présida à toutes ces exactions, finit aux galères car il avait monnayé le passage en Suisse de riches protestants, malgré l’interdiction formelle du Roi. Cette fin tragi-comique me rassure, d'ailleurs. Que les convictions religieuses ne résistent pas à l'appât du gain, que la cupidité se révèle plus forte que le fanatisme est réconfortant. Je préfère ces "valeurs" toutes humaines aux débordements fiévreux des intégristes de tout bord.

Car, qu'on ne se méprenne pas, je ne fais pas l'éloge de la "douce" religion réformée contre "l'agressive" catholique. En d'autres lieux et en d'autres temps dans ce même lieu, ce fut l'inverse. Aucun peuple, aucune religion (pas même l'athéisme) n'échappe, par grâce d'état, à la violence. tel qui fut victime peut devenir un bourreau effroyable sans cesser de revendiquer son statut de victime. On en connait des exemples aujourd'hui, pas très loin de nous.

Mais, en cette fin du XVIIème siècle, en ce lieu du Pays de Gex, les victimes étaient bien les protestants et parmi eux, mes ancêtres Dufour.

mercredi 8 septembre 2010

Mes ancêtres Dufour étaient protestants (2ème partie)


Comment tout s’éclaire quand on veut bien apprendre à lire.
 
Mes Dufour sont bien des originaux. Ils appartiennent à la seule famille Dufour du coin qui soit protestante. Pendant longtemps, j’avais cherché à trouver des liens entre les Dufour de Villard, ceux du chef-lieu de Collonges et ceux de l’Etournel, sur la paroisse voisine de Pougny (qui ne fut une commune autonome qu’au XIXème). Dans le document que j’écrivis, il y a 2 ans, sur les Dufour de Collonges, j’avais passé beaucoup de temps à énumérer ce que je savais de chacune d’elles, parce que je ne savais pas grand-chose sur ceux de Villard. Ce stratagème d’écriture était inutile ; j’avais tout faux.

Non seulement mes Dufour n’avaient pas de liens avec ces Dufour catholiques, mais, en revanche, ils en avaient avec les « Dufour du Château », nobles d’origine suisse, que j’avais écarté alors sans discussion : comment mes paysans auraient-ils pu avoir quelque chose en commun avec les plus gros propriétaires fonciers de la région ? Eh bien si, ils partageaient au moins une même religion et sans doute, pendant un certain temps, un même ostracisme, car les Abraham, Sarah ou David Dufour du Château étaient assurément protestants.


A peu près dans le même temps, j’ai fini par pouvoir consulter les registres de la mairie de Collonges, dont les horaires, astucieux pour ses habitants (le matin et de 17 à 19h) mais peu pratiques pour un généalogiste de passage, ne m’avaient pas permis d’entrer. Quelle joie alors de pouvoir consulter les originaux, ou plus exactement, de les photographier en 2 séances non-stop de 2 h chacune. L’œil traîne malgré tout et voilà qu’apparaît Huguinne (et non Huguenine comme j'avais lu par erreur ; je crois pourtant que je vais persévérer dans l'erreur) Choudens, épouse d’Aimé Dufour et décédée le 22 novembre 1705 à Villard. Enfin, Huguenine prenait corps, si je puis dire, au moment même où elle quittait cette terre. Elle me livrait alors son vrai nom : Choudens et non Chaudens comme j’avais cru le lire et comme il était sans doute écrit, par un secrétaire pour qui ce patronyme était aussi mystérieux que pour moi.

Pourquoi ne l’avais-je pas trouvé plus tôt ce décès à Collonges dont j’ai lu et relu les registres publiés sur le Net ? Tout simplement parce qu’il n’avait pas été reporté dans les registres du Greffe qui sont encore les seuls numérisés. Une erreur, une faute d’inattention du copiste et Huguenine était restée tapie dans son registre paroissial sans pouvoir accéder à l’existence sur le Net.

Cette rectification ne serait pas la seule : Quand j’aurais compulsé les bons registres, je m’apercevrai que la belle fille d’Huguenine de Choudens, ma lointaine ancêtre, n’est pas Françoise Rosset, mais Françoise Rousset. Là encore, le scribe de Collonges déforme le nom en fonction des patronymes qu’il connaît. Mais pas de doute, sur le registre paroissial figurent bien les noms des parrain et marraine de Jeanne Marie Dufour, 3ème enfant de Jean Aimé et de Françoise Rouset : Antoine Rousset et sa sœur Jeanne Marie Rousset, habitant Versoix, en terre protestante. Ils savaient écrire, comme la plupart des protestants, ils avaient signé, l’homme et la femme, « Rousset ».Encore un indice concordant.

Je n’ai pas encore trouvé leur lien de parenté entre Françoise, la femme de Jean Aimé Dufour, mais ce sont sans doute des oncle et tante de la jeune maman. Pour en savoir plus, il me faudra me rendre aux Archives de Genève, car, depuis 1815, Versoix qui devait être le port français du Pays de Gex sur le Léman, est désormais en territoire suisse.

On peut imaginer toutefois, la scène qui se passe le 18 décembre 1713 dans la chapelle de Collonges. Depuis le mariage dont je n’ai pas encore trouvé la trace mais qui a dû se dérouler à Versoix, la belle famille ne s’est pas manifestée lors de la naissance des 2 ainés, Etienne, mon ancêtre, en 1709 et Pierre en 1711et en ce mois de décembre 1713, c’est leur première visite à Collonges et Villard. Ce qu’ils ont vu les a rassurés ou complètement affolés, ils ne reviendront jamais et, comme je l’ai dit, on ne trouvera plus jamais trace de ces Rousset ou de leurs proches.

Pourquoi sont-ils venus cette fois-ci ? Il n’y aura sans doute jamais de réponse à cette question. On peut s’étonner qu’ils ne soient pas venus en août 1709 ou en août 1711 (les 2 premiers sont nés le même mois) mais en décembre 1713. Même s’il n’a pas fait aussi froid que pendant l’hiver 1709 dont on continuera de rappeler le souvenir pendant plus de 50 ans, ces hivers du début du XVIIIème siècle sont toujours aussi redoutables. Il ne faut peut-être pas chercher de raison particulière ; après tout, ces gens qui vivaient 3 siècles plus tôt rencontraient les mêmes problèmes et subissaient les mêmes contingences que nous. Ce retard n’a peut-être aucune signification.

Quoi qu’il en soit, le frère et la sœur Rousset ont dû faire une route épouvantable de 35 kms pour venir porter sur les fonds baptismaux la petite Jeanne Marie. La route qu’ils empruntent, importante, puisque c’est la route de Genève à Paris et Lyon, n’a pas encore été refaite. Mais, même 50 ans plus tard, on hésite à prendre la route en hiver. Un exemple : le le curé de Léaz, la commune toute proche à l’ouest de Collonges, de l’autre côté du Pas de l’Ecluse, demande à son confrère de Collonges un service pour lui éviter de se déplacer, tant le moindre voyage est un cauchemar à la mauvaise saison.

Heureusement, leur déplacement ne se révèlera pas, comme si souvent, inutile. Jeanne vivra, elle vivra même jusqu’à 66 ans. D’ailleurs, d’une manière générale, le couple Dufour / Rousset a eu de la chance : sur leurs 9 enfants recensés, 7 vivront jusqu’à un âge déjà canonique pour l’époque, autour de la soixantaine et 6 auront une descendance.

Cela, les Rousset de Versoix ne l’apprendront qu’indirectement puisqu’ils ne feront plus le voyage et que symétriquement, les Dufour de Collonges n’auront plus à remonter vers le nord, comme à l’époque où ils se rendaient au temple de Sergy.