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samedi 17 février 2018

Luxe à l'italienne : les villas palladiennes


A quoi devrait servir les photos, si ce n'est à se remémorer quelques moments de beauté quand on est  enfoncé jusqu'au cou dans la grisaille parisienne ? Ces quelques images proviennent d'un court voyage en moto autour de Venise au début du mois de juin. J'avais deux objectifs complémentaires : visiter quelques villes généralement délaissées, comme Brescia, Vicence, Padoue, ou Chiogga, tant l'attraction de Venise est forte ; visiter quelques villas palladiennes, restées inconnues jusque là pour la même raison. 

Je n'avais pas de plan. Je n'aime pas les visites trop ordonnées et je préfère me laisser guider par le hasard. Un hasard légèrement sollicité toutefois, en zigzaguant sur l'axe ouest-est de Vicence à Venise, sans toutefois pénétrer dans la capitale vénitienne de peur de ne pouvoir m'en extirper. A ce compte, on passe souvent à côté de l'essentiel, mais il est bon de se garder des joies futures. C'est ainsi que je suis arrivé trop tard pour visiter l'une des plus célèbres villas construites par Palladio, la Rotonda (Villa Almerico-Capra).


On ne badine pas avec les horaires et il me fut impossible d'emprunter la longue allée qui monte vers la villa, bien que la fermeture définitive fut dans 1/4 d'heure.


Tout cela parce que j'avais passé beaucoup de temps à flâner dans les pièces et les jardins de la Villa Valmarana. Moins connue et sans doute moins belle, elle m'a offert quelque chose de plus inestimable : me promener seul en cette belle après-midi. Non que je fuis à toute force la compagnie des autres humains. Deux ou trois visiteurs sincèrement intéressés et attentifs aux autres vous donnent le sentiment réconfortant de communier dans une même admiration quasi-religieuse qui se renforce de cette présence partagée. Je n'aime pas être seul, non plus, pour m'imaginer sottement dans la peau du propriétaire de ces lieux. J'apprécie au contraire d'évoquer leur souvenir imprécis, flottant dans un passé imaginaire  bien plus lumineux que ne fut jamais le présent de ces fortunés disparus.

Il reste que ce fut un moment assez merveilleux.

L'ensemble n'est pas gigantesque et n'obéit à aucune symétrie rigide, comme, je la visiterai un autre jour, par hasard encore, la Villa Barbaro à Maser. On la découvre à l'extrémité d'un jardin ovale dont l'allée circulaire devait conduire les carrosses jusqu'à l'escalier sans chichis qui mène à la villa.


Vue depuis la terrasse de la Villa

Elle ne se découvre pas immédiatement. Le regard bute d'abord contre un bâtiment en L qui longe la pelouse centrale.


A l'intérieur un hall d'envergure raisonnable. On ne se sent jamais coupé de la nature environnante et l'on peut admirer, sans en être écrasé, les fresques de Tiepolo.

Du côté opposé à l'entrée, une longue allée mène jusqu'à un petit édicule romanisant.

Les trompe-l'oeil sont plus troublants que jamais.



Les scènes de carnaval alternent avec les descriptions bucoliques.



Suivant la nature des pièces, on ouvre largement sur l'extérieur ou bien l'on ménage des coins plus intimes.





Mais toujours, la nature est présente, elle appelle le regard autant que les fresques.


L'incroyable, c'est que cette nature semble sortie d'un paysage du XVIIIème siècle, quelle que soit la direction où se porte le regard. Ajoutez quelques fermes au toit de chaume, quelques paysans dans les champs, et l'illusion de retourner 300 ans en arrière serait parfaite.



Les routes goudronnées, les voitures, les hangars et autres laideurs commerciales sont totalement invisibles. Pas de bruit non plus. Il me semble que les Italiens réussissent là où nos cohortes d'architectes des bâtiments de France échouent. Comme les Anglais, ils préservent des ensemble de vues plus qu'ils ne pinaillent sur des détails. Certes, cette plaine du Pô recèle bien des endroits aussi saccagés que l'extérieur de nos villes. Mais, autour de ces villas, par exemple, le paysage est préservé. Un paysage humanisé, avec ses cultures, et non, comme ce serait plus facile, une friche laissée à l'abandon.

Pour admirer la vue sur le vallon, un petit jardin tout en longueur jouxte en contrebas la pelouse centrale. Ici aussi, c'est simple, sans grandiloquence.




Un détail charmant,  en passant :  la grille de protection en fer forgé.



Près de l'entrée du domaine, face à une autre petite villa, une terrasse a été aménagée pour accueillir quelques tables, aujourd'hui délaissées.




Dommage que la jeune étudiante qui se cache à l'intérieur, dans l'espoir qu'on la laisse tranquille, soit aussi désagréable. Je comprends sa concentration face à ses cours, moins sa mauvaise humeur trop évidente.

De toute façon, la lumière baisse. Il est temps de partir.


Un autre jour, je m'offre un plaisir attendu depuis longtemps : une ballade le long de la Brenta qui permettait de relier en bateau Venise à Padoue et de desservir les villas campagnardes où les Vénitiens fuyaient la cohue et le tintamarre de la ville, comme le protecteur de Casanova, M. de Bragadin. "Cet aimable vieillard abandonnait à la jeunesse les plaisirs bruyants qui ne lui convenaient plus, et il allait passer au sein de la paix les jours que les fêtes vénitiennes lui rendaient ennuyeux"

Cette envie remonte à mes premières lectures de Casanova. Il décrit au début de ses Mémoires le voyage qu'il fit de nuit de Venise à Padoue pour entrer au collège quand il avait 9 ans. Les bateaux, tirés par un cheval,  mettaient 8 heures pour franchir les quelques 40 kms entre les 2 villes. Aussi, comme dans les trains de nuit d'avant le TGV, on voyageait de nuit .



"Le 2 avril 1734, jour où j'accomplissais ma neuvième année, on me conduisit à Padoue dans un burchiello par le canal de la Brenta. Nous nous embarquâmes à dix heures du soir, immédiatement après le souper.

Le Burchiello peut être regardé comme une petite maison flottante. Il y a une salle avec un cabinet à chacun de ses bouts et gîte pour les domestiques à la proue et à la poupe : c'est un carré long à impériale, bordée de fenêtres vitrées avec des volets. On fait le voyage en huit heures".



Au lever du jour, sa mère ayant ouvert les volets, il voit, depuis sa couchette, la cime des arbres qui reculent et croient que dans ce lieu les arbres marchent. Détrompé par sa mère, il aurait alors conçu précisément le mouvement relatif et imaginé que peut-être c'est la terre qui bouge et non le soleil. Sa mère est horrifiée comme l'abbé Grimani, tandis que M. Baffo, poète licencieux, le serre dans ses bras pour le féliciter.



Je laissai de côté les villas les plus prestigieuses où se pressaient des cohortes de touristes, pour glisser dans une douce nostalgie à la vue de nombreuses villas désormais abandonnées. Certains de ces édifices n'ont pas d'intérêt architectural. Ils témoignent pourtant d'une époque  où l'on venait sur ses terres surveiller le travail de ses paysans dans une promiscuité qui ne déclenchait pourtant aucune révolution.

On ne le discerne pas sur ma photo mais la propriété est entourée de rizières.
Un décor pour Riz Amer . Mais point de Sylvana Mangano en short dans l'eau.



Heureusement, nombreuses sont encore les villas occupées mais, de ce fait, difficilement visibles.






J'ai été particulièrement ému par la Villa Velluti, longue bâtisse du début du XVIIIème qui témoignerait à elle seule du malheur des temps.




Encore devrait-elle échapper à la démolition. Pas comme ce petit bâtiment qui a dû connaître il y a longtemps des habitants heureux d'y vivre. Aujourd'hui, en bordure d'une route passante et bruyante, elle n'offre plus aucun intérêt et aura disparu la prochaine fois où je passerai.



Je n'avais pas sur moi, malheureusement, mon Casanova et je ne me souvenais plus de l'endroit où, dit-il, sa vie a basculé (on verra que le mot est juste). L'aventure se passe 20 ans après son voyage de futur écolier. Ayant accompagné à Padoue M de Bragadin, et pressé contrairement au noble vieillard de retrouver les plaisirs de la ville, "après avoir dîné et lui avoir baisé la main, je montai dans une chaise de poste pour retourner à Venise. Si j'étais parti de Padoue deux minutes plus tôt ou plus tard, tout ce qui m'est arrivé depuis aurait été bien différent".

C'est ainsi que je suis passé à Oriago, sans savoir que c'était là, sur cette même route, qu'il fit cette rencontre rocambolesque. "Je rencontre à Oriago un cabriolet qui venait au grand trot de deux chevaux de poste. Il y avait dedans une très jolie femme et un homme en uniforme allemand. A quelques pas de moi le cabriolet verse du côté de la rivière et la femme, tombant par dessus le cavalier, court le plus grand danger de rouler dans la Brenta. Je saute hors de mon chariot sans me donner le temps de faire arrêter, et je vole au secours de la dame, réparant d'une main chaste le désordre que la chute avait occasionné à sa toilette". La femme, "moins confuse de sa chute que de l'indiscrétion de ses jupes qui avaient laissé à découvert tout ce qu'une honnête femme ne montre jamais à un inconnu", le remercie chaudement. Et chacun poursuit sa route en sens opposé.

Mais ce qui ne devait pas arriver se produira, ils se retrouveront. C'est un couple d'escrocs qui essaient de lui soutirer de l'argent. Il ne succombe pas, mais est séduit par la jeune soeur de l'officier, la fameuse C.C. (Caterine Caprese). Enceinte elle sera enfermée dans un couvent. En venant la voir, il rencontre M.M. la religieuse maîtresse du cardinal de Bernis, l'ambassadeur de France. Et tous ces désordres le conduiront à la prison des Plombs, puis à l'exil. Effectivement, voici une galipette qui changea sa vie. 

A Oriago, on est tout proche de la lagune que l'on atteint, comme autrefois, à Fusina, L'atmosphère a quelque peu changé.


Après quelque hésitation, je m'en tiens à mon projet de tourner autour de Venise sans y aller et je prends la direction de Chiogga. J'en parlerai sans doute une auitre fois car le détour en vaut la peine.

Dernier exemple, enfin, d'une villa dessinée par Palladio, la Villa Barbaro à Maser, bien plus au nord, pratiquement au piémont des Alpes. L'allure est particulièrement majestueuse, du fait que les communs sont, contrairement à l'habitude en ce lieu et en ce temps, accolés à la Villa proprement dite.







Derrière la Villa, une nymphée au bout d'un bassin ferme la perspective du côté de la colline.



Comme ailleurs, comme à la Villa Valmarana, on est frappé par la beauté de l'environnement de la Villa malgré le' démembrement du domaine des Barbaro.





Le paysage n'est pas gelé, il vit, mais à un autre rythme.

L'intérieur est magnifique avec ses fresques de Veronese. Mais photos interdites ! Si cela vous intéresse, il y a un article très complet à l'adresse suivante :

https://artplastoc.blogspot.fr/2014/04/211-veronese-fresques-de-la-villa.html

Pour ma part, j'enfourche ma monture qui est grise et non pas noire. Quelques tours et détours et ce sera ll'arrivée en France.