Pages

samedi 31 décembre 2011

Joyeuse année 2012 !


Voici la 2ème année que je vous souhaite, chère lectrice, cher lecteur, mes voeux de joie et de bonheur pour le Nouvel An.

 Ne pouvant vous joindre autrement, je vous adresse par cette voie électronique la carte que je vais envoyer à ceux, membres de  ma famille et  amis, dont je connais l'adresse. 

Je suis en effet attaché à cette coutume rétrograde (et que certains jugent polluante) qui veut que l'on s'échange des lettres à cette occasion et non de simples mails. Il est des cartes électroniques splendides ou amusantes, je ne le nie pas, et je prends plaisir aussi à les "ouvrir" d'un clic, dans la chaleur de mon bureau. Mais rien ne vaut, pour moi, le plaisir d'aller, même sous la pluie battante, jusqu'à  ma boite aux lettres, de soupeser dans ma main les envois du jour provenant de cette cohorte tous les ans un peu plus réduite, qui m'envoie une carte manuscrite dont j'ai l'impression qu'elle s'adresse à moi seul, de les ouvrir "vraiment" avec un coupe-papier, de les déchiffrer, puis de les retourner pour tenter de percer les raisons d'un choix d'illustration : aide pour une organisation charitable, image joyeuse ou apaisante, oeuvre d'art plus ou moins célèbre, pêle-mêle familiaux, etc...

On dévoile naturellement quelque chose de soi dans ce travail de sélection. Pour ma part, je me fixe quelques règles : changer de style, par rapport à la précédente, écarter les images trop typées, limiter ma recherche aux photos prises dans l'année qui vient de s'achever, etc... Ces principes objectifs me permettent de faire "comme si" le tri se faisait de lui-même, sans m'impliquer directement. Ce qui est naturellement faux, mais j'ai encore bien des réticences à afficher mes parti-pris.

Ma carte pour cette année reprend la partie centrale d'un triptyque photographié cet été à Saluces (Salluzo, dans le Piémont italien). Je voulais connaître cette ville qui fut française, savoyarde et italienne. Elle est liée, d'une certaine manière, à l'histoire de ma famille maternelle, puisque le marquisat de Saluces fut un des éléments du marchandage qui fit des Dufour du Pays de Gex, des citoyens français en 1601 : en échange, le marquisat de Saluces passait définitivement à la Maison de Savoie.



Lorsque Jacobino Longo peignit cette Adoration des Rois Mages, vers 1530, Saluces était encore dans l'escarcelle française. Le tableau se trouve actuellement dans la Villa Cavassa, construite vers 1490 par Galeazzo Cavassa vicaire général du marquisat du temps des 4 marquis de Lur-Saluces, tous les 4, frères, qui en furent successivement les maîtres, au gré du bon vouloir des rois de France. J'ai dans mes cartons cette histoire que je publierai le jour où j'aurais le courage de la terminer.

Cette Adoration des Mages n'est pas le tableau le plus célèbre que le marquis Emmanuel d'Azeglio acheta au XIXème siècle pour meubler cette demeure dans le style du Cinquecento. Les spécialistes lui préfèrent la Vierge de Miséricorde du peintre flamand installé dans le marquisat à la même époque, Hans Clemer.



Si j'ai choisi cette Adoration des Rois Mages, ce n'est pas par goût esthétique, même si j'aime beaucoup ce tableau, encore moins pour des convictions religieuses que je ne partage pas. Je demande, d'ailleurs, à mes lecteurs qui ne sont pas de culture chrétienne de bien vouloir excuser cette représentation. Je ne cherche pas, encore moins en ce jour, à choquer qui que ce soit. Pour ma part, je ne vois dans cette peinture qu'une scène familiale de présentation d'un nouveau-né à une famille en adoration devant lui, comme nous le sommes tous dans la même situation. Mystère de l'engendrement d'un être pensant.

Alors pourquoi ce choix ? Qu'est-ce qui me touche dans ce tableau pour que je tente de vous faire partager la même émotion ?

Dès le premier coup d'oeil, le tableau me sembla étrange. Sa composition était assez inhabituelle. Rien, ni l'éclairage de la scène, ni la composition du tableau, ne trahit l'élection particulière du bébé, si ce n'est la convergence des regards. Des regards de tous, sauf d'un seul, qui nous regarde droit dans les yeux. Balthazar, le Roi Mage noir ne se contente pas d'ignorer l'enfant-divin; il est, au sens strict, le personnage central, inscrit dans le V que forme la Sainte Famille d'une part, les visiteurs plus ou moins illustres, de l'autre.

Pourtant, tout central qu'il soit, il semble en retrait, un peu à l'écart de la fête. Son regard nous accroche et il est difficile de s'en détourner pour s'intéresser au sujet même du tableau. Quelle émotion, quelle peine, peut-être, l'empêche de prendre part à cette cérémonie  qui a pourtant motivé son long voyage jusque vers nous, tandis que tous, autour de lui, communient dans une adoration qui les rapproche sans qu'il leur soit nécessaire de se regarder ou de se parler ? Même ceux qui sont trop éloignés de la scène pour apercevoir la Sainte Famille ne sont pas aussi seuls que lui ; ils papotent. Balthazar, lui, ne communique avec personne alentour ; c'est avec nous qu'il veut entrer en contact, nous qui sommes exclus comme lui de la scène. Qu'attend-il de nous ?

Je ne suis pas spécialiste d'histoire de l'art mais il me semble que cette représentation d'un thème classique est originale. Jésus est souvent placé au centre et Balthazar sur le côté. Quelle était l'intention de Jacobino Longo en substituant Balthazar à l'Enfant Jésus ? Je l'ignore. Personnellement, j'y vois une sorte de subversion de l'ordre habituel, un appel au respect de tous, de tous les vivants sur cette terre qui nous est commune, une invite, presque une supplication à être plus accueillant, moins ethno-centré, plus ouvert à tous les exclus de notre société d'abondance.

Voilà pour quoi j'ai choisi cette image afin de vous souhaiter une heureuse, pacifique et tolérante année 2012.


Photos prises en juillet 2011 dans la Villa Cavassa à Saluzzo.

vendredi 16 décembre 2011

Londres, l'envol des grues.

Où peut-on se dépayser complètement après 2 heures de train ? A Londres bien sûr, et uniquement à Londres. Exotisme garanti depuis toujours. Pas seulement parce que les voitures circulent à gauche,  contraignant le continental à risquer sa vie à chaque pas, malgré les comminatoires "Look at right",  à demi effacés par tous ces brusques sursauts de piétons affolés ; mais aussi parce que le visiteur découvre  de multiples originalités dans le comportement des Britanniques ou les détails de leur vie quotidienne. 



Le plus étonnant, c'est que les motifs de notre étonnement ont beau changer avec le temps, il en naît de nouveaux à tout moment. Bien plus, en abandonnant tel trait de leur culture, comme le sacro-saint week-end qu'ils ont inventé, ils ne rejoignent pas pour autant le commun des Européens. Ils ont une façon de sembler se rapprocher de nos habitudes qui les en éloigne encore plus.

Le dimanche n'est plus ce jour de silence et de deuil que l'on a si souvent moqué et dont je me souviens fort bien, avec ses rues désertes, ses magasins fermés et son ennui total.  Il n'est pas non plus devenu ce jour bancal que nous connaissons ici, qui dissocie la journée en 2 parties bien distinctes : l'animation du matin, avec marché, courses rapides, affolement devant l'heure qui passe et la fermeture proche de tous les commerces, auquel succèdent la torpeur de l'après-midi, à peine troublée par une lente promenade post-prandiale, puis le désert du soir pendant lequel chacun, dans l'intimité de son foyer, bande à nouveau le ressort qui lui permettra d'avancer tout au long de la semaine à venir.

Non, le dimanche semble un jour d'hyper-activité de tous, commerçants, acheteurs ou promeneurs. Il est aussi difficile de trouver de la place dans un pub le dimanche que le vendredi ou le samedi ;  le supermarché du coin reste ouvert toute la journée et les clients s'y pressent, à croire que le samedi n'existe pas. Seule modeste concession à la tranquillité des travailleurs, l'heure de fermeture n'est pas 22 ou 23h, mais 18h30 ou 19h.



Prenons au autre exemple : le temps. Vous me direz, les Anglais ne sont pour rien dans ce qui semble bien un rapide changement climatique. Pas tout à fait sûr. Le célèbre fog londonien a bien disparu avec l'interdiction du chauffage au charbon et non par le renforcement de l'effet de serre. Cette année notamment où le beau temps n'a guère cessé, il devient impossible de se gausser du climat arrosé de nos voisins ; les Anglais eux-mêmes n'en reviennent pas. Heureusement, ils n'ont pas perdu pour autant leur résistance au froid et aux intempéries, et, les rares journées de mauvais temps, bien emmitouflés dans sa doudoune, on les croise en T-shirts ou en veston ouvert, indifférents au vent glacial.

La nature en perd son calendrier grégorien.

Pendant les 4 jours de ce dernier petit séjour, je n'ai connu qu'une demi-journée de grisaille et de pluie.




Heureux hasard ? Même pas. Dans la petite boutique tenue par 2 afghans où je faisais quelque emplette, je les entendais constater avec tristesse que ce jour marquait le début de l'hiver, ce qui veut bien dire que, jusque là, c'était un été qui n'en finissait pas.

Quand l'orientation ne permet pas un éclairage direct, les façades d'en face renvoient la lumière d'un soleil bien bas sur l'horizon : on est en hiver, même si vous ne vous en apercevez pas.

Du coup, la terrasse, fierté des pays latins, inconnue autrefois en ces rivages, est devenue un appendice courant des pubs et autres lieux de restauration. Le besoin de fumer ne suffit pas à expliquer ce nouvel engouement pour l'air de la rue. 



Ou bien l'on emporte son Mac Do pour le manger sur un banc. 



Russel square.

Par contre, impossible de trouver ces fish and chips servis dans du papier journal graisseux, que seule la nostalgie me faisait  rechercher. Et je ne parle pas de l'infinie variété des restaurants qui donne de Paris, par contraste, l'image d'une ville culinairement stéréotypée.

 Deux éléments auraient été impensables dans le Londres de ma jeunesse :
la terrasse, bien sûr, mais aussi ces jeunes femmes enjouées et voilées.


Cet établissement est un objet culturel aussi évident que  sa voisine, la boutique du luthier.

Heureusement, d'ailleurs, qu'il ne fait pas toujours beau. Sinon le plaisir d'entrer dans un pub dégringolerait de plusieurs crans : la lumière doit succéder à l'ombre, la chaleur au froid, le vacarme des conversations au silence d'une rue que l'on n'aperçoit plus derrière la buée des vitres. 







Cette enseigne ne doit pas être vue comme l'éloge du vice en plein centre des affaires ;  elle célèbre le punch,  un des instruments stratégiques de la supériorité de la marine britannique qui avait su, par ce subterfuge, faire consommer des vitamines à ses farouches marins, évitant ainsi le scorbut. De ce fait, les navires pouvaient garder la mer plus longtemps sans regagner la terre, moment où, comme les plus sophistiqués sous-marins nucléaires, ils sont facilement repérables. Pour parer l'absence éventuelle de rhum, la marine inventa ensuite le gin tonic, un mélange où, comme pour le punch, ce n'est pas l'alcool qui importe mais le citron.

 Dimanche 11 décembre, 14h04 (heure locale)
Une photo de groupe inimaginable il y a 40 ou 50 ans.

Ces 2 immeubles massifs semblent vouloir écraser ce pub qui résiste victorieusemment.

Voici le pub où j'ai déjeuné ce dimanche-là. Ce n'était pas notre 1er choix, ni le 2ème, ni le 3ème... Mais trouver de la place le dimanche n'est plus chose facile.

La porte a pris de la gîte (la photo tout au moins).
C'était pourtant avant la pinte de bière.


Le pub était bondé et j'ai dû patienter un bon moment avant de pouvoir prendre cet instantané.
Juste après, le cercle se refermait.


J'ai une passion pour les vitres gravées des pubs. Elles résultent de ce goût baroque de la profusion qui veut qu'aucune surface ne reste nue, mais elles évoquent également la buée sur les vitres qui masque la rue, survivance d'une époque où elle était grise et triste.
Dans le café parisien, on regarde la rue et ses passants, depuis la chaleur douillette d'un intérieur qui autorise en toute impunité les joies du voyeurisme.
Dans le pub anglais, on oublie l'extérieur. La disposition fréquente du bar séparant 2 pièces symétriques et communicantes vous renvoie l'image du consommateur d'en face, dans un jeu troublant qui cherche à vous désorienter : est-ce un reflet dans la glace ou une personne située dans l'autre pièce ?

L'ampoule dans la lampe, l'alcool dans la bouteille : 2 promesses de chaleur et d'illumination (la "lucidité" de l'ivresse).

J'aurais aimé vous présenter un pub de quartier, un pub sans touristes, la maison commune du coin, en quelque sorte, où je me suis enfilé 2 pintes sans sourciller. Tous les convives se connaissaient. Ils partageaient la même passion pour le club voisin d'Arsenal et pouvaient passer beaucoup de temps à détailler les photos de joueurs qui tapissaient les murs et qu'ils devaient connaitre par coeur. De temps en temps, l'un d'eux passait derrière le comptoir pour se servir  ou régler une consommation, pendant que la propriétaire trinquait avec un autre groupe. 

Était-on dans un établissement public ou un club privé ? Malgré cela, je n'ai jamais senti de gêne car,  selon une habitude anglaise qui veut que l'on ne fixe jamais quelqu'un dans les yeux, j'ai eu l'impression que l'on ne me voyait pas. A cet égard, j'imagine que les petites annonces qui fleurissent dans les journaux gratuits franciliens afin d'entrer en contact avec un voyageur  (ou plus souvent une voyageuse), observé tout au long d'un trajet, n'ont pas de sens pour l'habitué du métro londonien qui se donne beaucoup de mal pour ne jamais croiser le regard d'autrui. Pour ces mêmes raisons, je me voyais mal les observer dans le viseur de mon appareil. Pas de photos donc.

Je n'ai pas l'intention d'écrire un traité sur toutes ces originalités que le percement d'un tunnel n'a pas réussi à estomper. Cela vous ennuierait et moi tout autant. Quelques notations en passant, avec la nonchalance du flâneur qui a le temps mais ne veut pas s’embarrasser de sérieux et d'exhaustivité.

Flâner à Londres est tout à fait possible, même si les Londoniens mènent une vie tout aussi trépidante que les Parisiens, et arpentent les trottoirs avec une célérité peu compatible avec la lenteur, les hésitations et les demi-tours du promeneur.  Cette salle de sport intégrée à la station de Charring Cross témoigne de cette rationalisation frénétique de l'emploi du temps propre aux citadins des grandes villes.




Si l'on peut flâner malgré tout sans devenir un ludion ballotté par les coups de butoir de la foule, c'est que les Britanniques sont très attentifs à ne pas heurter autrui. Il y a quelques années, un ami anglais avait vexé mon amour-propre de Français (vanité ridicule, je sais....) en accusant mes compatriotes de ne pas savoir marcher et de se bousculer les uns les autres  par maladresse, comme une armée d'ivrognes à moitié aveugles (la comparaison est naturellement de moi, mais c'était bien le sens du propos).

Lui, je pense, ne risquait rien sur le pavé parisien, tant sa marche volontaire, rythmée par les mouvements amples d'un  grand parapluie, manié avec autorité et une grâce quelque peu agressive, exigeait de la place et décourageait l'approche. Ces jours-ci, j'ai repensé à cette remarque et je l'ai trouvé fondée, même si l'explication donnée ne me convainc toujours pas : si le Parisien vous bouscule, ce n'est pas par maladresse mais par goujaterie. Tous les manants (dont je suis) ont adopté la morgue de l'aristocrate d'autrefois qui condamnait nos ancêtres au ruisseau.

Le Londonien, en revanche, est très attentif à ne pas toucher autrui et s'excuse avec sincérité d'avoir éventuellement dévié votre trajectoire, voire simplement troublé votre rêverie.

Promenons-nous donc.

Une des choses qui me frappe à chaque fois (attention, je vais débiter beaucoup de banalités, preuve que le fondement en est vrai), c'est ce mélange inimitable d'uniformité et de variété. Il y a, pour faire vite, 2 Paris, celui de la régularité des perspectives ou des immeubles hausmaniens et le Paris populaire des vieux quartiers où s'entassent des immeubles qui vont du XVIIème au XIXème siècle.La régularité n'est jamais totale et l'on peut détailler chaque immeuble hausmanien, il est différent du voisin. Les grands ensembles homogènes (les places des Vosges ou de la Victoire, le Palais Royal) sont rares et ont une fonction ouvertement monumentale. 

Symétriquement la variété des vieux quartiers n'est jamais totale. Elle s'inscrit dans un cadre balisé soigneusement par l'architecte des Bâtiments de France qui veille pour les devantures ou les immeubles construits dans de rares "dents creuses" à l'homogénéité du quartier.

A Londres, rien de tout cela. La régularité peut aller jusqu'à l'uniformité totale, comme cette place éliptique, Cartwright Gardens, entièrement dédiée à des hôtels tous identiques.



Mais on ne s'étonne pas de trouver, juste à côté cette invraisemblable boutique.


Ce coin de rue, ci-dessous, offre, en un raccourci saisissant, un petit précis d'histoire architecturale. Quand on abandonne l'uniformité totale, la variété peut être complètement débridée.

Un immeuble des années 60 (un effort architectural, à en juger par le rythme des ouvertures, pour un résultat sans intérêt), une maison à colombages du XVIIème, une façade victorienne qui ne manque pas d'élégance  et une affreuse construction des années 70-80. Si on ajoute, un cab bleu.....


Même lorsque l'uniformité architecturale est imposée par des investisseurs immobiliers peu imaginatifs, on voit bien que chacun essaie de de se différencier.



La couleur joue alors un rôle essentiel.


Le rose anglais, qui sied si bien aux jolies blondes, dont le teint d'une blancheur diaphane  peut virer à tout moment jusqu'au carmin soutenu, s'affiche sans complexe.




Plus discrète, cette juxtaposition de couleurs, brique, gris, bleu, blanc, serait impensable à Paris. A fortiori à côté d'une maison ancienne.


C'est qu'on ignore en Grande Bretagne une règle qui explique le paysage urbain de France : celle qui impose l'accord préalable de l'architecte des Bâtiments de France pour toute transformation ou construction en co-visibilité d'un monument classé, dans un rayon de 500m. Autant dire qu'à Paris, tout est soumis à cet accord préalable.

Imagine-t- on d'apercevoir une tour se détachant entre les 2 clochers de Notre Dame. C'est un spectacle constant à Londres. Le petit Français qui refuserait toute photo de monument ancien  "polluée" par un arrière plan moderne, ne prendrait aucune photo. C'est vrai de nuit comme de jour.

Ce pourrait être un jeu : cherchez lez détail incongru.






La beauté du paysage urbain londonien provient de cet entassement hétéroclite qui suscite la surprise, stimule l'imagination, évoque à la fois la permanence du passé  et la labilité du présent. Pour parodier une formule célèbre, rien ne dure mais (ou presque tout) se conserve.

Trafalgar square est un bon exemple de cet urbanisme qui tire sa beauté de l'entassement.


Cette année, le 4ème pilier de la place qui sert de piédestal qui s'y succède tous les 18 mois est surmonté d'une énorme bouteille enfermant une évocation du bateau de Nelson. Les voiles de cette sculpture de l'anglo-nigérian Yinka Shonibare  sont d'étoffes africaines diverses. Cette présentation tournante d'oeuvres contemporaines sied bien à cette ville toujours en mouvement.




Juste en dessous, des Syriens manifestent contre l'affreuse répression de leur gouvernement.

Les JO de Londres dans 200 et quelques jours.

Londres bouge constamment sans renier l'attachement viscéral de tout Britannique à son passé et à ses traditions.


Le bus à impériale est une autre institution londonienne qui subsiste : quelques exemplaires du célèbre Routemaster de 1956, avec sa plateforme arrière, circulent encore.




On admirera l'agilité dont le conducteur doit faire preuve pour rejoindre son poste de pilotage. Le maire de Londres a annoncé qu'en 2012, pour les JO  dont la ville a emporté l'organisation haut la main devant Paris, de modernes circuleront à nouveau avec une motorisation hybride, électrique et diesel. Poussera-t-on le souci de la ressemblance jusqu'à exiger de pareilles performances sportives pour avoir le droit de les conduire  : un pied sur le moyeu de la roue, l'autre à plus d'un mètre du sol, un rétablissement à la force des bras ?




Il existe déjà des bus hybrides. Nous étions seuls sur l'impériale, le bus arrêté à un feu. Aucun bruit, aucune vibration. Pour plaisanter, je dis "j'espère que le conducteur n'est pas parti, lui aussi, nous laissant seuls tout là-haut". Mais, le bus démarre, sans un bruit. C'est bien un hybride.

Les couleurs pimpantes du bus. C'était avant de nous retrouver seuls.

Londres, après avoir été une ville dont on aurait jeté des quartiers entiers aux oubliettes, devient progressivement une des villes d'Europe les plus attachantes par sa fantaisie et sa modernité.

Il faut dire que la fantaisie, les Anglais n'en manquent pas. On la repère à chaque pas dans les rues de Londres.


Qu'un bâtiment aussi minable soit un  casino....

....qu'une crèche ait trouvé place dans cette boutique de Pompes funèbres, autant de marques de cette fantaisie qui ne recule devant aucune association bizarre.

On imaginerait volontiers, ce n'est sûrement pas le cas, que cette glycine vient de chez le voisin pour décorer ce sinistre balcon.

Quand on découvre cette passerelle qui cherche à vous donner l'impression que vous allez basculer dans le vide , on a effectivement envie d'appeler une ambulance avant de l'emprunter. 

Ce souci de l'originalité jusque dans un détail que l'on a peu de chances d'apercevoir, si l'on n'est pas un touriste qui marche nez au vent, a quelque chose de réjouissant.

En bordure de Lincoln's Inn Fields, ce panneau amusant (même si ça ne rigole pas)


Cet autre panneau s'adresse aux chiens que l'on somme de respecter la propriété. On ne précise pas si les chiens qui résident dans les immeubles en bordure de ce jardin fermé, en ont la clé.

Jardin privé qui donne sur la Tamise et jouxte Inner Temple Garden. 


Cette fantaisie, qui cohabite avec un respect des règles et des normes de distinction sociale d'autant plus strict qu'elles sont implicites, est caractéristique de la mentalité anglaise, au même titre que l'humour, dont vous connaissez sans doute cette définition qui me parait toujours aussi lumineuse : "avoir de l'humour (sous-entendu anglais), c'est se moquer de soi dans les petites choses, pour se glorifier dans les grandes". J'ai oublié (ou n'ai jamais su) l'auteur de cet aphorisme (le plus vraisemblable, c'est qu'il s'agisse d'un Anglais !) qui donne une des 2 clefs pour comprendre ce mélange d'admiration et d'agacement qu'éprouvent les Français à l'égard de leurs voisins d'outre-manche. 

Je donne rapidement ce qui me semble le 2ème motif d'agacement, c'est leur pragmatisme sans complexe, leur recherche sans fausse honte de l'intérêt bien compris (alors que nous nous sentons toujours obligés de justifier nos égoïsmes par des principes). Comment diable font-ils pour afficher sans vergogne un cynisme qui nous semble d'autant plus agressif que l'on aimerait bien être capable d'en faire autant au lieu d'invoquer, à chaque instant, l'intérêt général et la justice transcendante. Nous y gagnerions en efficacité et en simplicité mais, voilà, nous n'y arrivons pas. Il nous faut des faux-semblants, nous avons des pudeurs de jeune pucelle, alors que ce sont eux qui ont inventé le romantisme. Et notre impuissance à avancer à visage découvert nous irrite encore plus que leur franchise conquérante. L'actualité nous donne des occasions nombreuses, en ces temps de tempêtes monétaires et financières,  de vérifier ou non  la justesse de ma "théorie".

Je ferme ma longue parenthèse et je reviens vers mon sujet de manière abrupte, sans trouver de transition. Après tout, faisons foin des astuces (surtout quand on n'en trouve pas !), allons droit au but. Cela choque en moi des habitudes bien ancrées par des années d'apprentissage, preuve peut-être que je dois, moi aussi, m'imposer plus de simplicité.

Londres, disais-je, est une ville en perpétuelle transformation, contrairement à Paris qui se fige, s'autorisant parfois une petite exception qui est généralement une incongruité car elle a été voulue  dans la honte et exécuté sans panache (la tour Zamansky, le Front de Seine, par exemple). Quand on ose, malgré tout, c'est presque en cachette, dans l'espace fermé de la cour du Louvre (la pyramide) ou du Palais Royal (les sculptures de Buren), pour que la transgression ne soit pas visible au delà de ce cercle étroit.

A Londres, au contraire, on affiche la nouveauté et même la nouveauté en train de se faire. Le chantier est perçu comme un signe que la vie continue. Les grues se dressent fièrement vers le ciel, on dirait même qu'"elles en font trop", pointant leurs flèches au delà de ce que la simple commodité exigerait. Dès lors que l'on est alerté sur cet "envol des grues", on en voit partout, parce qu'il y en a partout.

Derrière la vitre humide de l'impériale d'un bus.





 Oxford street n'échappe pas à la fureur bâtisseuse.








 Lincoln

 Une image typique : il est impossible de prendre cette belle demeure du XVIIème siècle, sans cadrer également un immeuble moderne et même une grue.

Le dragon qui veille devant la Cour Royale de Justice semble piqué au vif (au propre et au figuré) par une autre grue.

Admirez la grue qui est greffée sur une longue rampe. Cela donne l'échelle du bâtiment. 
Souhaitez-vous être à la place du conducteur de l'engin ?

Cet immeuble en construction, c'est  The Shard (L'Eclat), la future plus haute tour d'Europe avec 310 m. Elle fait l'objet de polémiques aussi vives que lors de l'érection du Cornichon érotique (The Erotic Gherkin) en 2003, la société anglaise n'étant pas aussi homogène qu'un spectateur extérieur (et étranger) peut l'imaginer.


Une autre différence entre les 2 capitales : Les avions peuvent survoler Londres,
ce qui n'est pas toujours très agréable.

Contrairement au Cornichon érotique, le parti architectural n'est pas contesté mais la localisation. Vue de Parliament Hill, elle écrase Saint Paul de toute sa hauteur. A Londres, la protection des monuments de caractère obéit à à des règles très différentes de la législation française. En France, je l'ai rappelé, on trace des cercles autour des monuments classés d'un rayon de 500 m pour définir le périmètre de protection. Ce qui n'interdit pas les exceptions, pas toujours très heureuses.

A Londres, on définit des couloirs de vue, à partir de certains lieux (bords de la Tamise, Parlament Hill) sur un certain nombre de monuments, comme Saint Paul, par exemple. On retrouve la différence d'approche des 2 pays : d'un côté une règle mathématique, abstraite ; de l'autre, une approche plus pragmatique, fondée sur une expérience sensible de paysages urbains à préserver. Ailleurs tout est possible.

Voici le Cornichon  qui se cache honteusement derrière Saint Paul.
Avant d'en approuver la construction, on vérifie qu'il n'écrasera pas les monuments protégés. 
Bien que plus haut que Saint Paul, c'est lui qui semble écrasé par la cathédrale.

 Cette plus grande souplesse de la réglementation anglaise a permis cette transformation radicale de Londres qui est devenu en quelques années un laboratoire pour l'architecture moderne avec des opérations grandioses de réhabilitation, comme celles des docks, et l'érection de tours particulièrement originales.

Vue d'ensemble des réalisations récentes : à gauche la City, tout au fond la City bis,
Canary Wharf, avec l'actuelle plus haute tour britannique.

Canary Wharf un peu mieux visible.

La transformation de la ville est radicale. Qu'on songe que Saint Paul était jusqu'en 1964 le plus haut bâtiment de Londres et cela depuis 3 siècles. On doit cette révolution à un homme qui préside depuis 25 ans à l'urbanisme de City of London, Peter Rees, et à son maire travailliste, Ken Livingstone. Son successeur est plus conservateur et il a obtenu l'élargissement de ces couloirs de protection. Mais The Shard était en construction et le chantier ira à son terme.

Ce chamboulement de la ville et des comportements ne va pas jusqu'à une remise en question des habitudes, notamment festives, des Londoniens. En cette période de Noël, on retrouve non seulement les costumes, les illuminations ou les marchés de Noël, ce qui est banal, mais aussi les orchestres qui jouent un peu partout pour le plaisir de tous.

Sur Trafalgar square.

La tour en construction mèle dèjà ses lumières à celles du marché de Noël.






On ne craint pas le kitch le plus authentique.



Ici, au contraire, cette touche de lumière sur la colonne est pleine de délicatesse.



Le marché de Covent Garden est assurément le plus spectaculaire.




La principale attraction, c'est ce sympathique orchestre qui ne se contente pas d'interpréter le canon de Pachelbel mais qui joue également avec les spectateurs, les poursuivant de leur archet ou faisant mine de les déloger de leur table.



Est-ce l'atmosphère de Noël  qui vous embarque dans un monde de fantaisie, la nuit londonienne se peuple de créatures étranges. Heureusement elles sont plus souriantes (plus souriantes mais un peu mièvres) que celles qui se glissaient dans le brouillard du XIXème siècle.

La station de Charring Cross évoque quelque base de lancement construite par un maléfique Docteur No. La coupole va s'ouvrir pour libérer le maléfique projectile nucléaire.


Le bus qui fonce dans la nuit pourrait vous conduire au collège de Poudlard si vous aviez le courage de l'arrêter.


L'oiseau qui vient de se poser sur la ville est-il maléfique ou bienveillant ?



Mais, comme toujours la réalité est moins  fantasque que nos peurs enfantines, mais bien plus tristes que nous ne le voudrions. Ces sans-abris le rappellent à deux pas du marché de Noël.



Sous le porche de Saint Paul, une fanfare joue en costume de Père Noël, à quelques mètres du campement des Indignés londoniens qui tiennent toujours le pavé.

Intérieur de Saint Paul.








Avant même d'arriver à Saint Paul, on pressent quelque catastrophe.


Cet enchevêtrement de barrière est-il le fait d'un pouvoir violemment anticlérical qui cherche à interdire l'accès de l'église ? 

Même s'il se réveillait de son sommeil de bronze, le pasteur et son troupeau ne pourrait avancer d'un pouce dans ce qui ressemble, pourtant, à un vaste corral destiné à trier les troupeaux.


.Il ne pourrait pas reculer, non plus.



Même jeunes et décidés, mêmes mus par une indignation capable de soulever les montagnes, les manifestants n'ont aucune chance de faire 10m dans ce labirynthe plus impénétrable que les arcanes de la Finance internationale.


"Ce sont de bons jeunes gens, finalement," doivent se dirent les passants : ils boivent du lait et mangent du fromage. 

On comprend ce qui a amusé l'artiste anonyme : lui qui occupe illégalement  l'espace public s'amuse de transformer cette modeste borne en vase à fleurs.
J'y ai plutôt vu une urne funéraire dont les fleurs artificielles célèbrent la mort de ce mouvement par trop hétéroclite.


Les procédures intentées par les financiers de la City n'ont pas pu aboutir, la hierarchie anglicane se refusant à ce qu'on déloge les campeurs par la force. La victoire de ce capitalisme qui refuse de pourrir ne semble pourtant pas faire de doute car la lassitude s'installe malgré les efforts de certains pour organiser débats et séances de méditation.





Un doux barbu rafistole inlassablement  son manifeste écrit avec des feuilles d'arbre.



 Il ne faut pas croire qu'alentour la City respire l'opulence tranquille.


Désormais il n'est plus difficile de trouver un bureau dans la City, tant les espaces disponibles sont nombreux.

Même Goldman Sachs, symbole de cette finance toute puissante a préféré supprimer de sa façade toute référence à la société.



De quoi faire froid dans le dos. Heureusement, les immeubles du Daily Telegraph, mitoyens, sont moins austères.


Un peu plus, on en oubliait la joie de se promener sans souci, ce qui est pourtant bien l'objectif. Continuons donc. Il suffit de passer une porte pour que tout change.



Derrière, la magie de la Tamise opère toujours.


Le pont routier de Hungerford est doublé, de chaque côté, par une passerelle réservée aux piétons. Elles sont supendus par ces faisceaux de câbles qui ajoutent du mystère au paysage, loin de le défigurer.

Un pays qui double les ponts routiers par des passerelles pour piétons ne peut être mauvais.

Mais c'est au coucher du soleil que je préfère jouer les touristes sans vergogne dans un des lieux les plus photographiés de Londres.

L'approche est romantique dans le clair-obscur de ce jardin. Je ne sais quel est l'illustre anglais qui nous invite à avancer. Je pense plutôt à Jean-Jacques Rousseau qui aurait aimé cette atmosphère.



London's Eye ne cherche pas à se faire oublier comme à Paris où la Grande roue se dissimule en se calant dans l'exact prolongement de la longue perspective des Champs Elysées : elle en est comme un des accessoires, présent de toute éternité alors que sa réplique londonienne se projette toute seule sur le ciel pour qu'on ne remarque qu'elle.


La lune s'y joue comme une pupille blanche qui roule dans un iris sombre.





Je ne me lasse pas de Westminster au crépuscule.






L'étonnant éclairage vert se reflète dans l'eau. Il fallait oser mais le résultat est splendide.



Mais nous sommes à Londres. On ne reste  jamais longtemps en contemplation devant un spectacle monumental aussi parfait soit-il. Il faut bouger, revenir au présent. Et le présent, ce sont des chantiers qui deviennent pour un temps des éléments du décor.



Mais ces grands panneaux colorés auront disparu dans quelques mois, quand je reviendrai et ce sera un autre Londres que les grues, toujours présentes, elles,continueront de survoler, ici ou là.

A bientôt.



Toutes les photos  ont été prises entre le 9 et 12 décembre 2011.