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lundi 30 avril 2018

Les habits neufs de la justice parisienne


Le Tribunal de Paris (Tribunal de Grande Instance et Tribunaux d'Instance) vient de s'installer dans son nouveau bâtiment. On commençait à s'habituer à sa curieuse silhouette aperçue depuis le périphérique. Quatre années pour sortir de terre et tout n'est pas terminé.



Ne dirait-on pas que ces populations autochtones sont chassées de leur territoire par le monstre d'acier et de verre ?

Il a été construit par Bouygues (qui en assurera également l'entretien) , dans le cadre d'un partenariat public-privé avec l'Etat, c'est à dire que le ministère de la Justice lui versera un loyer pendant 27 ans avant d'en devenir propriétaire. Quand on  connait les habitudes de ce constructeur, on leur souhaite bien du plaisir.

C'est un des éléments du nouveau quartier des Batignolles qui a pris la place d'emprises abandonnées par la SNCF (gare de marchandises, dépôts de locomotives) et de friches industrielles autrefois dévolues également au chemin de fer (usines Gouin). En furetant sur  Internet, j'ai été frappé par la vitesse du changement de cet ancien hameau qui ne fut rattaché à Paris qu'en 1860. La dernière locomotive à vapeur a circulé pour la dernière fois en 1966 ! Désormais, c'est une autre gare de triage, celle qui prétend distinguer les bons des méchants, qui va fonctionner dans ces lieux où devaient prospérer bien des trafics..

Le quartier change à toute allure. Il ne subsiste pratiquement plus d'anciens bâtiments.



On a voulu toutefois conserver quelques maisonnettes bordant la gare. Elles devaient servir d'entrepôts pour les commerçants qui allaient livrer leurs marchandises dans la capitale. La masse des immeubles qui les dominent n'en est que plus écrasante. On les a couvertes de panneaux solaires, éco-quartier oblige. 





 Le parc Martin Luther King est tracé sur le terrain de la gare de marchandises dont les allées reprennent en partie le dessin des rails. Une histoire inverse de celle de la gare d'Orsay dont les rues de desserte avaient repris l'architecture des allées du jardin du comte d'Orsay. 

C'est là qu'on observe le brutal changement de population qui est en train de s'opérer ici. Comme un espace public qui se respecte, il continue d'accueillir anciens et nouveaux habitants. Mais la bascule a déjà eu lieu.




Juste à côté, invisibles aux uns et aux autres, ceux qui liesnt ou flemmardent sur les chaises longues.





D'un côté,
. le foot dans la poussière entre copains, de l'autre le roller en famille.




Les jeunes enfants rassemblent encore les uns et les autres, mais pour combien ce temps encore ?



A moins que ne se rejoignent durablement dans le jardin, deux populations aux niveaux de vie assez hétérogènes, le parc semblant tracer une frontière, au sein de la Zac, entre un ouest populaire et un est plus rupin, selon une inversion inhabituelle des coordonnées socio-géographiques de la capitale.

A l'est 

A l'ouest

A moins que ce soit les plus vieux qui réalisant cette mixité si souvent prônée sur le papier et dans les discours et si rarement mise en oeuvre à Paris (contrairement à Londres où un urbanisme moins grandiose permet un tricotage plus fin entre les différentes communautés).



Le Palais de Justice est très précisément orienté sur le Parc; offrant une vue de face étonnante avec ces curieuses "oreilles" de panneaux solaires. Il a fallu imaginer cette astuce pour installer ces derniers qui ne pouvaient trouver place sur les toitures qu'on voulait aménagées en terrasses boisées.

Au premier plan, les Ateliers Berthier, anciens entrepôts des décors de l'Opéra, 
aujourd'hui deuxième salle du Théâtre de l'Odéon.



Le bâtiment de Renzo Piano est très simple. Je ne sais ce qu'en penseront à terme ses utilisateurs, mais il semble fonctionnel. L'architecte a voulu concilier des impératifs en partie contradictoires : développer de grandes surfaces de plain pied sur un terrain étroit, rechercher la lumière, et notamment dans les salles d'audience, tout en conservant de grandes terrasses vertes. 

Le parvis est encore bien désert et le marchand de fruits perdu au milieu des travaux. 




Le seul geste architectural concerne seulement la salle des pas perdus, immense volume qui se déploie jusqu'en haut du premier cube, jusqu'au 19 ème étage.






Ces sortes de casquettes retournées captent la lumière sur les terrasses, pour la restituer à l'intérieur.


Les luminaires sont élégants.



Dans les étages, les longues circulations sont inondées de lumière comme les salles à usage commun.


La cafétéria (le restaurant est de l'autre côté) 

Une salle de réunion 


On a des vues spectaculaires depuis les terrasses. Des vues inhabituelles sur Paris.




Vers Saint Denis 

Le nord, vers le mont Valérien 




Saint Augustin, Orsay et le Jardin des Plantes 

La Madeleine, Saint Germain, Saint Sulpice, le Val de Grâce 

L'Opéra Garnier et Notre Dame 

Grand Palais, Invalides 


La Défense 

La Fondation Louis Vuitton  et le Bois de Boulogne

L'église Sainte Odile de la porte Champerret

Juste à leurs pieds, selon une hiérarchie qui leur semblent naturelle, les magistrats peuvent surveiller , du haut des 160 m de leur Palais, les nouveaux locaux de la Police Judiciaire (ancien 36 quai des Orfèvres). Le plus amusant : les 2 institutions sont reliées par un tunnel, comme si elles avaient honte de leurs inévitables relations.


Pas d'images, naturellement de la salle d'audience où j'ai assisté à la confrontation douloureuse entre des magistrats fort courtois, mais qui allaient pourtant lui infliger 2 ou 3 ans de prison ferme, et un multi-récidiviste de 27 ans, intelligent mais désespérant par ses rechutes permanentes.

Pas d'images non plus depuis l'ascenseur extérieur, tout beau, tout rouge, qui sert d'épine dorsale au bâtiment : l'ordinateur refusa de nous l'attribuer  malgré de multiples tentatives à la montée comme à la descente. On ne choisit pas l'un des 7 ascenseurs, on se contente d'indiquer l'étage désiré, et il vous affecte un véhicule désigné par une lettre.





Mais, en revanche, quel joie de voir chacun se saluer en entrant dans l'ascenseur, comme en se croisant dans les couloirs. Ma magistrate de fille qui me sert de cicérone me confirme que cette courtoisie était totalement inconnue dans les couloirs du Palais de Justice de la Cité. Est-ce le bâtiment, tout neuf, spacieux et lumineux qui explique ce changement ou le sentiment de vivre une sorte d'aventure dans ces couloirs déserts où malgré une signalétique discrète on se perd ? 

C'est vrai que l'on voit peu de monde. Beaucoup de policiers et gendarmes, pour l'essentiel des hommes, et des avocates, pour l'essentiel des femmes. Une répartition par genre tout à fait évidente. Si on y ajoute les magistrates, de plus en plus des femmes, les hommes sont loin de constituer la majorité. du personnel. A moins de leur ajouter leurs clients, des délinquants hommes dans leur écrasante majorité !

En sortant, on découvre une petite surprise : l'escalier de secours qui vient rompre la monotonie de la façade du bâtiment en retour sur la rue Bastion.



Je respire un bon coup. Je suis dehors. Ouf ! On ne se sent jamais bien à l'aise dans ce genre de locaux où règne l'Etat, avec sa police, sa justice. Je me méfie de son air apparemment bonasse. A l'Etat régalien, je préfère l'Etat qui régale, celui qui m'a entretenu toute ma vie de fonctionnaire et continue de le faire avec une régularité dont je le remercie.