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samedi 24 décembre 2016

Auprès de mon chêne....



Aujourd'hui, pour la 1ère fois, ils ne sont pas venus. Aucun d'entre eux. Je ne m'explique pas cette absence. Le temps est le même, lumineux. Leurs besoins sans doute aussi les mêmes. Si je ne trouve pas d'explication, j'en tire une conclusion : il est temps de cesser ce petit jeu et de passer à autre chose.

Depuis quelques jours (une semaine, si l'on mettait ces jours bout à bout) je me livre à la même occupation : après un rapide déjeuner froid pris sur ma terrasse ensoleillée, je lis, mon appareil photo à portée de main. J'interromps souvent ma lecture, dès que j'entends un bruissement d'aile ou le caquètement précipité d'une mésange affairée. 

Hacher ainsi ma lecture ne me gêne pas. Le livre que je déguste ainsi lentement est de ces livres que l'on doit lire posément, c'est à dire en le reposant souvent. C'est le livre d'un homme qui va mourir dans un peu plus d'un an et qui le sait autant que l'on peut savoir, alors qu'on espère toujours.

Écrivain, c'est l'écriture qui lui permet de surmonter l'angoisse de la mort annoncée. Tout tourne naturellement autour du temps, bien ou mal employé, des souvenirs, heureux ou attristants ou honteux. Tout vous porte à rêver à votre propre vie, à nouer une relation imaginaire avec lui. J'aimerais pouvoir lui dire que, moi parmi tant d'autres, j'ai bien reçu cette bouteille lancée à la mer, quasiment une vraie bouteille à la mer car je l'avais trouvée par hasard dans une brocante de mon quartier où elle s'était échouée. J'aurais aimé surtout que cette relation se soit nouée en temps réel, alors qu'elle n'existait que comme un possible sans contour pour lui, pour une occasion définitivement manquée pour moi.

Cette lecture suscite des regrets. Le regret d'une rencontre qu'on souhaiterait tout en la sachant plus qu' improbable. En fait, cette rencontre a bien lieu dans l'espace imaginaire de la lecture. Et elle est plutôt source de joie, de réflexions positives, de souvenirs attendris, d'envie de faire et de sentir. Tant cet homme est estimable.

Je le connaissais comme auteur de romans policiers. Je savais que c'était aussi un homme engagé. Il avait fait partie de cette flottille que l'armée israélienne avait prise d'assaut dans les eaux internationales alors qu'elle tentait de se rendre à Gaza en 2010.

Cet auteur, c'est Henning Mankell, écrivain suédois, auteur dramatique, metteur en scène. Son livre : Sable mouvant, avec, en sous-titre, Fragments de ma vie . Ces sables, c'étaient ceux qui ont manqué l'engloutir quand il avait été terrassé par l'angoisse après la terrible nouvelle. Puis est venu le livre, avec ces très courts chapitres qu'on imagine écrits chaque jour, précédé et suivi de longues méditations. En un rythme que reproduit le lecteur.

Heureusement, la vie, la vraie vie, fragile mais impérieuse, m'oblige à sortir de ces rêveries un peu complaisantes. Il faut agir vite car mes visiteurs ne s'éternisent pas. Prendre le lourd appareil sans brusquerie, viser dans le fouillis des branches, le petit animal remuant, alors qu'on n’aperçoit dans le viseur qu'une toute petite partie de l'arbre, faire le point, et hop !, il a déjà changé de perchoir.

Tous ne sont pas aussi vifs. Le rouge-gorge est beaucoup plus paisible. 



Il est même casanier, ne sortant guère de son buisson que  pour dialoguer avec son copain qui niche chez ma voisine ou pour faire sa toilette. Les rares fois où il vient dans mon chêne, c'est pour rester dans les branches basses, à la hauteur de son buisson. Aussi puis-je considérer qu'il n'est pas véritablement un visiteur de mon chêne. N'avait-il pas eu le culot de se montrer juste après que j'eus décidé de faire de cette étonnante  absence d'oiseaux l'accroche de ma chronique ? Quel toupet !

Aujourd'hui, c'est d'ailleurs de son toupet, de ses poils qu'il est venu s'occuper.




Le voici en équilibre sur une patte...



....qui se gratte le menton...


....puis observe ce qu'il a attrapé, comme un malappris qui regarde dans son mouchoir après s'être mouché.


Le tout entrecoupé de coups d'oeil dans ma direction. Il voit bien que je dirige un gros truc noir vers lui mais il reste zen.


C'est curieux comme il peut changer de tête suivant l'angle. De face, on dirait un abruti prétentieux avec sa petite tête juchée sur un gros cou. A d'autres moments, c'est une petite boule duveteuse qu'on aimerait prendre dans sa main.


De profil, il peut avoir l'élégance d'une mésange.


On en oublie ses serres disproportionnées qui semblent l'intriguer lui-même (oui, je sais anthropomorphisme stupide !). Je ne sais pas sur quoi se fondent les spécialistes pour en faire un descendant des dinosaures mais quand je vois ses serres, je n'en doute pas une seconde.



Quand il a fini sa toilette,il noue un dialogue avec son compère d'à côté. A cette saison on ne chante pas, on parle. Mais ce n'est qu'une photo et son bec entrouvert en est le seul indice.


Puis il se retire dans ses appartements, pour croquer quelque fruit, loin de ce chêne qui ne lui convient guère.


Les hôtes les plus assidus, ce sont les mésanges et particulièrement la spectaculaire mésange bleue. 
La voici qui arrive, à moitié cachée par toutes les branchettes qui me séparent d'elle.



Elle recherche des insectes dans les crevasses de l'arbre. Elle est capable de s'y livrer dans toutes les positions, y compris souvent la tête en bas. En voici, pèle-mêle quelques exemples.








Ses plumes qui se hérissent sur le dessus de sa têt lui donnent souvent un petit air effronté.



Mais elle peut avoir beaucoup d'allure et sembler presque sereine.



Parfois on aimerait la consoler d'on ne sait quelle inquiétude.


Mais le doute n'est pas dans son caractère et pftt ! la voilà parti. Trop vite pour moi.


Sa cousine, la mésange nonnette, est beaucoup plus agitée. Même sans changer de  perchoir, elle ne cesse de gigoter de droite et de gauche, déjouant la plupart des tentatives pour la fixer sur la pellicule, je veux dire, le capteur. L'immobilité des photos est trompeuse. J'ai d'ailleurs peu de photos d'elle.




C'est la seule parmi mes hôtes qui ne soit pas toujours solitaire mais arrive par 2 ou 3 pour repartir presque aussitôt. Cela ne rend pas la photo plus facile.

J'ai été frappé par ce côté solitaire de mes visiteurs. Si l'on excepte ce cas particulier de la nonnette, je n'ai jamais vu qu'un seul oiseau, d'une seule espèce à la fois dans mon chêne. Bien plus, je n'ai jamais vu qu'une seule espèce par journée, comme s'il y avait une sorte de tour auquel chacun se conformait. Cela tient sans doute au fait que mon chêne n'a pas grand chose à offrir à cette saison et qu'il y a sans doute mieux ailleurs. Mais ce phénomène est étrange.

Cela me rappelle cette petite place près de chez moi à Paris où les jeunes des 3 principales minorités du quartier se succèdent sans jamais s'y retrouver ensemble. Blacks, Beurs ou Juifs occupent successivement la place pour jouer au ballon, discuter en fumant ou se chamailler mais la place appartient toujours à la même tribu. Je ne sais pas comment cela marche. Sans doute simplement en fonction du premier occupant, ce qui donne la juste mesure de la prétendue mixité du quartier. On se côtoie, on ne ne fréquente pas. Mais, après tout, c'est déjà formidable, si l'on juge par ce qui se passe ailleurs ou ce que certains  rêvent de voir se passer en France.

Mes oiseaux sont ainsi. Si aujourd'hui, c'est mademoiselle mésange bleue qui nous fait l'honneur de sa visite, il n'y aura qu'elle jusqu'à demain. Pas question  d'apercevoir un autre passereau, sauf peut-être, de loin, le rouge-gorge. Mais on a vu qu'il ne montait pas vraiment dans l'arbre et faisait bande à part.

Mésange bleue et nonnette, sont venues plusieurs fois. Je n'ai aperçu les visiteurs qui suivent qu'une seule fois. Pour rester dans le registre mésange, voici une mésange charbonnière, aperçue en toute fin de journée et de loin, d'où la mauvaise qualité de la photo.



Tout aussi coloré, mais plus net, le pinson.


J'aime particulièrement son bec d'un beau mauve nacré.


De dos, il montre ses jolies plumes jaune.


Il picore sur le chêne quelque chose qui ressemble à une graine. Ce doit être dur et il s'en voit pour l'avaler.





et puis, il plonge au loin



C'est la même nourriture que recherche la sitelle torchepot. Elle est remarquable par son joli nom mais aussi par ses attitudes élégantes et l'air un peu mutin que lui donne son bec recourbé vers le haut comme un nez retroussé. Elle a des allures de demi-mondaine, avec ce mélange de grâce un peu affectée et de regard légèrement sournois de qui est dominé mais n'en pense pas moins.









J'avais déjà vu des sitelles. En revanche, de la fauvette je ne connaissais que le nom sans en avoir jamais vu.




Que dire enfin de cet oiseau que je n'avais jamais vu et que je n'ai pas pu identifier. Il est pourtant très étrange avec sa petite crête d'un beau rouge-orangé particulièrement vif.







Qui es-tu bel étranger ?

Voilà, j'ai fait le tour de mes visiteurs. Bel hymne à la vie que cette variété en un même lieu et sur une période bien courte.Je ne sais si Mankell aimait les oiseaux. Il en parle peut-être, je n'ai pas fini son livre. C'est un livre dur, qui vous remue et j'entrelarde cette lecture d'autres plus légères. Mais je sais surtout qu'il me sera difficile de le refermer après la dernière page, comme sije le faisais mourir une deuxième fois. Pour l'instant, je vois avec lui le printemps renaître et je m'en réjouis comme lui, et avec lui, malgré cette fin décembre que vit mon corps. Les livres vous font vivre deux vies à la fois.

Un dernier visiteur ne veut pas que je termine sur cette note mélancolique. Il vient clore une polémique nouée cet automne quand il était difficile de décider si le visiteur du moment, dans le chêne de ma voisine, était un loir ou un écureuil (http://www.leschroniquesdemichelb.com/2016/09/les-visiteurs-du-soir.html) 

En ce jour gris, j'étais à l'intérieur et par la porte-fenêtre je l'ai aperçu en train de grignoter dans mon chêne.




Ces grandes oreilles en forme de pinceau, ce ne sont pas celles d'un loir. D'ailleurs les loirs sont bien au chaud actuellement (notamment chez moi, je les entend parfois). C'est un écureuil, un peu particulier. je viens d'envoyer une photo à un site qui recense les écureuils de France. Peut-être aura-t-on une identification de cet écureuil qui n'est pas roux. 

Qu'en pense les écureuils "bien de chez nous" ? Ils vont le rejeter ? . Henning Mankell te le dirait : tiens le coup, n'abandonne pas. Tant que ne s'est pas joué la dernière scène, tout peut arriver. Même le meilleur.